Texte
Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
seconde Responsio aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1654)
3. Première partie  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean ii Riolan Responsiones duæ (1655), seconde Responsio aux Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet (1654) 3. Première partie

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(Consulté le 20/05/2024)

 

[Page 13 | LAT | IMG]

Seconde réponse de Jean Riolan
à Jean Pecquet
[1][1]

Pour Galien, l’expérience, fondée sur la perception des sens, et le raisonnement cherchent à distinguer le vrai du faux, et quand l’une et l’autre contribuent à démontrer la réalité d’un fait, il n’y a plus à le mettre en doute. Ainsi raconte-t-il, dans son livre à Épigénès sur le Pronostic[2] avoir voulu, en présence du consul Boéthos, [3] convaincre Alexandre de Damas [4] qui le contredisait sur les organes de la voix, mais le philosophe récusa le médecin en disant « s’il nous est d’abord permis de croire ce qu’éprouvent nos sens ». [2] Le même Galien, dans ce qu’on suppose être son second Commentaire sur Hippocrate, de la Nature de l’homme, montre que l’anatomie et l’observation directe n’ont pas prouvé l’existence de quatre paires de veines descendant [Page 14 | LAT | IMG] de la tête. Il loue ce genre de démonstration, qu’il préfère au raisonnement ; néanmoins, sur les questions difficiles qui échappent à la perception de nos sens, il admet qu’on se fonde sur ce dont sont convenus les auteurs anciens, pourvu qu’ils aient été fins connaisseurs de l’art sur lequel on cherche à en savoir plus ; [3][5][6] et il appelle cela l’histoire anatomique. Aristote en a traité, [7] et bien qu’il ait donné plus d’importance à l’expérience qu’au raisonnement dans ses ouvrages de physique et d’anatomie, il a pensé et en a jugé autrement dans le livre i, chapitre i, de sa Métaphysique : Scire, et cognoscere magis artis, quàm experientiæ arbitramur inesse ; Ac eos qui artem tenent, non eos qui experientiam habent, sapientiores esse putamus : eo quod sapientia propter scientiam magis omnes sequitur ; hoc autem quoniam illi quidem sciunt, causam hi vero minimè, experti enim sciunt quod est ; propter quod autem nesciunt : illi verò propter quod et causas cognoscunt. [4][8]

Cette sentence d’Aristote peut trancher et régler notre controverse. En explorant les lactifères d’Aselli[9] Pecquet, qui est novice en anatomie, a fortuitement découvert les lactifères thoraciques. [10] Il est compétent pour parler du comment ; mais n’étant pas solidement aguerri en anatomie, il ne peut connaître le pourquoi, c’est-à-dire les causes de ce qu’il a trouvé. Il devait laisser cette spéculation à ceux qui connaissent l’art en profondeur ou, du moins, certainement recueillir leur opinion.

Ainsi est-il hardi et insolent quand il propose que le cœur est le seul organe de l’hématose, et le foie n’est que le filtre et le dépôt de la bile[5][11][12] Comment prouve-t-il cela ? En disséquant, ses yeux ont vu que les lactifères thoraciques qu’il a trouvés se dirigent du réservoir du chyle [13] vers les [Page 15 | LAT | IMG] veines axillaires. [14] Cette origine et cette terminaison [15] ne suffisent pas, il faut décrire les forces qui, d’en bas, propulsent le chyle vers les axillaires et qui, d’en haut, l’y attirent. La propulsion que décrit Pecquet est imaginaire et impossible à démontrer, car ni la veine axillaire ni le cœur ne la peuvent exercer. On trouve rarement deux canaux thoraciques, le plus souvent, il n’en existe qu’un, qui est grêle et situé du côté gauche. Pecquet et d’autres reconnaissent que ses rameaux d’insertion sont extrêmement fins.

Comment la totalité du chyle peut-elle monter jusqu’au cœur en empruntant une voie aussi étroite ? Il est pourtant certain qu’on trouve du chyle dans ce fin conduit lactifère thoracique. Où en sort-il, où est-il détourné ? Un élan pousse-t-il le chyle à se frayer un chemin pour pénétrer dans l’axillaire ? Selon Pecquet, on ne voit aucun chyle dans les veines mésaraïques[16] et je dis qu’on n’en voit pas non plus dans les axillaires, à part celui qu’on y fait sortir en appuyant avec les doigts après la mort de l’animal, [17] comme on fait en comprimant les lactifères qui accompagnent les veines mésaraïques.

Toute la difficulté tient donc à rechercher la fonction des lactifères thoraciques. J’ai soumis quatre conjectures dans ma première Réponse à Pecquet et en ai ajouté une autre dans mon Jugement nouveau[18] que je pense être plus vraie, et à laquelle je croirai et me tiendrai tant que je n’aurai pas trouvé mieux. Le savant anatomiste Charles Le Noble, médecin de Rouen, a avancé sa propre conjecture, que je ne rejette point, mais le procès est toujours sur le bureau. [6][19] Le sage Ecclésiaste dit, chapitres 1 et 3 : Cunctæ res difficiles, non potest eas homo explicare sermone : Deus afflictionem dedit filiis hominum, vt distendantur in eis : cuncta fecit bona in tempore suo, et mundum tradidit disputationi [Page 16 | LAT | IMG] eorum, vt non inueniat homo opus, quod operatus est Deus ab initio vsque ad finem[20] Multa sunt in corpore, quorum vim rationemque perspicere nemo, nisi qui fecit, potest, dit Lactance. [21] Hæc est utilitas occultorum operum Dei, ne propterea vilescant, ne comprehensa mira esse desinant. Itaque nullus unquam obliviscatur se esse hominem, neque Deo det insipientiam, si non plenè capiat eius sapientiam, dit saint Augustin. [7][22]

Après s’être contenté de montrer l’existence de son réservoir et de ses lactifères qui en montent vers les veines axillaires, Pecquet en déduit que le cœur est le seul organe de l’hématose, et le foie est inutile n’agissant que comme le filtre et le dépôt de la bile, et comme un piston qui secoue le réservoir du chyle et les veines lactées[5] Deux docteurs de Paris, disciples de Pecquet[23][24] fondent cela sur la pensée d’Aristote, qui a établi le cœur comme le siège commun de l’âme agissante et pensante, [25] et de la formation du sang ; et ce sans produire d’autre raison ou autorité que celle de leur très ingénieux et fortuné Pecquet qui, animé, comme par métempsycose, par le génie et le talent d’Aristote, a découvert le chemin qui mène le chyle au cœur. Je reconnais que cela vient de ce qu’a dit Aristote en divers endroits, tout particulièrement dans le livre ii sur les Parties des animaux, chapitre iv[8] mais ils l’ont compris de travers car il a lui-même établi que le cœur commence à se former à partir d’une goutte de sang, comme on le voit dans l’œuf, puis qu’ensuite naît le foie, à partir d’une autre goutte s’écoulant vers le cœur, en sorte que le foie dépend du cœur. Harvey prouve cela dans l’essai l de son livre sur la Reproduction des animaux[9][26][27] Ce [Page 17 | LAT | IMG] sang contient la chaleur native du cœur, [28] qui est la source de toutes les actions vitales et naturelles. Le sang ne peut donc alimenter le corps ni s’y distribuer s’il n’est d’abord parvenu au cœur. Les autres arguments qu’Aristote a mis en avant ne prouvent que la noblesse et la primauté du cœur.

Il est vrai que le sang, produit et purifié dans le foie, gagne le cœur avant de se distribuer dans tout le corps, comme le démontre la proximité des deux viscères, que la veine cave [29] relie l’un à l’autre : tous les philosophes péripatéticiens [30] en attestent, mais jamais Aristote ni l’un de ses commentateurs n’ont pensé que l’aliment que l’estomac [31] a brassé et modifié passe directement dans le cœur. Le chapitre iii du livre sur les Insomnies contient pourtant ce passage remarquable : « Le sang est conçu dans les veines, le cœur est l’origine des veines ; en tout cas, la nourriture qu’on ingère régulièrement par la bouche est reçue dans ses lieux propres et s’évapore dans les veines, où elle est convertie en sang, et il est constant qu’il se dirige aussitôt vers le principe » ; [10][32][33] l’aliment ne se convertit donc pas en sang dans le cœur. Un autre passage mémorable se trouve dans le chapitre xx du traité sur la Respiration : « Le gonflement de l’humeur émanant de la nourriture, qui accède en permanence dans le cœur, élève sa membrane extérieure ; cela provoque le pouls, qui ne connaît aucune interruption car la matière qui engendre le sang ne cesse jamais de s’écouler » ; mais alors, si l’arrivée de l’aliment s’arrêtait, le cœur cesserait de battre ; la véritable cause du pouls n’est donc pas celle qu’Aristote a établie. Il faut remarquer qu’on ne trouve les mots chyle et chylose [34] ni dans Aristote ni dans Hippocrate[35] [Page 18 | LAT | IMG] ils ont été introduits en médecine par Galien [36] ou par un autre auteur qui l’a précédé. [11]

Examinons maintenant l’opinion d’Aristote sur le foie et le fiel, au chapitre xv de l’Histoire des animaux : « Ceux chez qui la constitution du foie est saine, et la partie du sang qui, par la sécrétion, se rend dans le foie, est naturellement douce, n’ont pas du tout de bile dans le foie, ou n’en ont que dans quelques petites veines ; ou bien les uns en ont, tandis que les autres n’en ont pas. Aussi, les foies de ceux qui n’ont pas de bile sont-ils doux et d’une belle couleur. Les animaux qui n’ont pas de fiel sont plus vigoureux et vivent plus longtemps, comme le cheval, la mule, l’âne, le cerf, le daim. À l’exception du foie, aucun de tous les viscères n’est nécessaire aux animaux. Le fiel n’a pas été ajouté au foie pour exercer une fonction précise, il semble être un excrément, au même titre que le dépôt qui se forme dans le ventre et dans les intestins. » [12][37][38] Au livre iii des Parties des animaux, chapitre vii : « La nature a établi que des parties de notre corps soient doubles, comme le cerveau, les poumons, le cœur ; au foie, elle a opposé la rate, du côté gauche, qui est comme un foie bâtard. [39] Le cœur et le foie sont indispensables à tous les animaux : le cœur engendre la chaleur ; le foie lui a été adjoint pour digérer la nourriture qu’il lui procure ; et aucun animal doté de sang ne peut se passer de ces deux viscères. » [13] Voilà qui vous démontre leur nécessité.

Page 102, « Le combat qui m’oppose à Riolan est celui de la vérité et, si différente que la sienne soit de la mienne, l’enjeu est de porter un jugement neutre. Un arbitre qui connaît l’équité et prône ses mérites est donc exigé pour contenir les embrasements des litiges. Je n’en choisis bien sûr pas un qui m’aime, mais quiconque cherche la vérité, et ce dans la nudité où je l’expose aux yeux de qui veut la voir. » [14][40] J’accepte volontiers cette condition, et vois qu’il s’en est récemment [Page 19 | LAT | IMG] présenté un à Rouen, en la personne de Charles Le Noble, médecin et très habile anatomiste qui nous a soumis son jugement ; mais peut-être récuserez-vous son arbitrage car il a honoré celui de Riolan ; lequel peut néanmoins trancher très équitablement entre Aristote et Galien car, sous la conduite et les auspices de son oncle et précepteur, le très éminent et incomparable médecin Simon Piètre[41] qui a dirigé ses études médicales, il a entrepris, dès l’âge de dix-sept ans, de consacrer son zèle à l’anatomie, et a depuis disséqué publiquement des chiens et des cadavres humains, devant ses condisciples et en présence de son maître[15][42] « Tous les Anciens ont fait voir que l’apprentissage des arts et des sciences tire sa force de l’enfance : ils ont appelé instruits ceux qui y ont ainsi excellé, mais ignorants ceux qui ne s’y sont honnêtement illustrés que durant une brève partie de leur existence », dit Galien au chapitre i, livre ii des Administrations anatomiques[43] Il me semble avoir tiré cela d’Aristote, au début du livre i des Parties des animaux : « Il existe deux manières, l’une brillante et l’autre terne, d’exposer et d’enseigner : l’une est à proprement parler la science même de la chose ; l’autre n’exige qu’une sorte d’instruction générale. Un homme convenablement instruit se doit en effet de pouvoir porter un jugement pertinent sur la qualité, bonne ou mauvaise, de celui qui lui prodigue son enseignement. C’est à ce signe que nous reconnaissons qu’un homme a été bien éduqué, et estimons qu’il n’y a pas de compétence sans cette capacité à juger. » [16] Voilà pourquoi Riolan a la capacité légitime d’être juge en cette controverse. Un homme honnête, dit Hippocrate, n’est jaloux de personne, et j’affirme sincèrement et en toute bonne foi chrétienne avoir débattu sans fiel ni [Page 20 | LAT | IMG] envie contre Pecquet et les docteurs pecquétiens : Arrogantiæ non est quærere vel asserere veritatem, disait saint Augustin. [17]

Dans son argumentation contre Empédocle, au livre viii de la Physique, Aristote dit qu’on ne doit en rien admettre une proposition sans la moindre preuve, comme un axiome allant de soi. [18][44][45] Riolan a donc contredit Pecquet et les docteurs pecquétiens parce qu’ils n’ont pas suivi ce précepte d’Aristote.

Je poursuis en passant l’examen de vos expériences.

Le dessein de la première est inepte et ridicule. [46] Vous cherchez à démontrer qu’il n’y a pas une goutte de liquide lacté dans la veine porte [47] et dans la cave ; et voici comment vous vous y prenez : après avoir ouvert le thorax, lié maints canaux chylifères derrière l’aorte [48] et sectionné le diaphragme, vous tuez l’animal, et toute sa chaleur le quitte avec son sang ; puis ayant incisé le tronc de la veine cave depuis le cou [49] jusqu’au promontoire du sacrum, où se rejoignent les deux veines iliaques, [50] vous réséquez la veine porte et ses branches. Le corps tout entier s’étant alors vidé de son sang et refroidi, il faut être sot anatomiste pour vouloir que sourde du chyle refroidi dans les cavités de ces veines, puisqu’il est épais, semblable à de la bouillie ; il ne faut donc pas s’attendre à voir un écoulement laiteux. Je vous avertirai au passage que vous vous êtes trompé en écrivant qu’il vaudrait mieux parler de branche que de tronc de la veine cave, comme si la cave se divisait en deux branches, à l’instar de l’aorte, en pensant que ladite branche s’insère dans le dôme du foie, [51] puisqu’elle n’est attachée qu’à sa base, mais vous ignorez visiblement ce que j’ai décrit dans mon Anthropographie[19][52]

Page 105, vous tirez de votre première expérience des conclusions stupides et ridicules, auxquelles [Page 21 | LAT | IMG] Riolan répond en désignant les endroits où se rendent les branches de votre réservoir, et en prenant pour témoins les anatomistes plus savants et habiles que vous, qu’il a cités dans sa première Réponse à votre opuscule[20][53] Comme d’autres auteurs, il a appelé « glande » votre « réservoir ». Il est membraneux, mais Vésale [54] a remarqué l’enveloppe de cette grande glande vers laquelle se dirige le tronc mésentérique, et votre réservoir est sous le mésentère de la veine porte. Vous reconnaissez pourtant avoir trouvé des grumeaux dans ledit réservoir, que vous n’avez pas voulu appeler glande comme ont fait Bartholin et d’autres anatomistes, pour ne pas reconnaître l’existence de celle qu’ils ont observée au même endroit. [21][55][56][57]

Page 106, vous décrivez deux canaux lactifères thoraciques, alors que les autres anatomistes n’en ont trouvé qu’un seul, placé du côté gauche. Vous citez divers passages contradictoires sur les lactifères que vous avez extraits de mon livre. Vous en avez tronqué certains, mais pour les autres, je conviens avoir repris les propos d’Aselli[58] tout en étant parfois en accord et parfois en désaccord avec lui, notamment après avoir trouvé que ces veines lactées étaient des branches de la veine porte, ou qu’elles communiquaient avec elle. Comme est sot ce conteur de sornettes qui cherche des difficultés là où il n’y en a pas, [22] et qui abuse de la patience du lecteur quand il devrait traiter de choses sérieuses !

Page 106, je vous avise néanmoins que vous m’avez filouté en me blâmant pour avoir dit « Encore que ces veines lactées se trouvent dedans les animaux bien repus, en leur ouvrant le ventre quatre heures après, il ne s’ensuit pas qu’il s’en puisse trouver d’identiques chez les hommes », parce que vous avez vous-même écrit qu’il ne subsiste aucun lactifère, ni dans le mésentère, [Page 22 | LAT | IMG] ni dans le thorax, après la mort de l’animal, et qu’on ne voit plus trace du réservoir qui siégeait devant les vertèbres lombaires ; et c’est Pecquet qui le dit.

Page 108, vous reconnaissez que le chyle qui s’écoule dans le cœur n’est ni pur ni franc, mais qu’il est mélangé au sang : vous prêtez donc à rire quand vous cherchez du chyle dans le foie que vous avez disséqué.

[Page 109.] Comme Riolan avait écrit que les maladies liées à l’insuffisance ou à la suppression de la sanguification, et que les auteurs attribuaient au foie, ne dépendront plus de lui, vous vous dites « loin d’être convaincu qu’elles ne dépendent en rien du foie » ; et décrivez une nouvelle pathologie, mais elle est si obscure qu’il faudrait un Œdipe [59] pour l’expliquer. [23] Si le foie est l’émonctoire [60] de la bile, les maladies qu’il engendre sont dues soit à une rétention de la bile dans le foie, [61] soit à une inflammation hépatique ; [62] les remèdes à prescrire seront ceux qui sont capables de purger la bile et d’éteindre l’échauffement du foie. Un médecin qui connaît son métier sait ainsi que Pecquet est profondément ignorant des règles de l’art, et son acolyte avec lui. Il n’y a pas à s’en étonner puisque Pecquet est lui-même intendant de la maison d’un évêque, [63] et son secrétaire, et l’autre est son aumônier ; ainsi conspirent-ils tous deux contre Riolan en s’épaulant l’un l’autre et travaillant ensemble. [24][64]

Page 114, « La rate extrait l’excrément de la masse tout entière du sang. » [65] Je soutiens qu’elle peut extraire et éliminer l’humeur mélancolique en à peine quatre jours, soit après une vingtaine de circulations du sang, [66] parce que peu de sang artériel s’écoule dans le tronc cœliaque [67] et son mouvement le répand [Page 23 | LAT | IMG] dans toutes les parties alvines, sans que l’atrabile soit recueillie et mise à part dans l’une d’entre elles, comme fait le chyle qui est transformé dans le foie. Pour montrer son savoir, ou plutôt son ignorance anatomique, Pecquet débat sur la fonction des parties abdominales, dont Riolan n’a rien dit, et après les avoir toutes examinées, il en vient au pancréas, [68] vers lequel, remarque-t-il, s’écoule la lymphe de Bartholin ; puis il profite de l’occasion pour décrire les vaisseaux lymphatiques [69] en couvrant cet auteur de caresses, étant donné qu’il lui est favorable ; et voilà comme il cherche des chiens pour aboyer avec lui après Riolan.

Page 115, « Ayant ouvert l’abdomen d’un chien vivant, je cherche les lymphatiques : embrassant le tronc de la veine porte comme du lierre, ils sautent immédiatement aux yeux très attentifs des amis qui assistent à ma démonstration ; et après avoir chanté les louanges de leur immortelle description par Bartholin, leur inventeur, etc. » : que cette relation donnée par Pecquet est distrayante et risible ! Qui ne s’amuserait de ces merveilleuses acclamations sur une affaire sans importance, puisqu’il ne s’agit que de lanières ou de filaments grâce auxquels le tronc de la veine porte s’arrime au petit lobe du foie, [70] qui est mou chez l’homme ? Si Bartholin n’avait pas été luthérien, Pecquet et son aumônier de l’évêque d’Agde auraient sans doute chanté un Te Deum laudamus pour glorifier sa découverte des veines lymphatiques. Cette eau, qu’on trouve dans tout le corps, à la surface des chairs, est soit un excrément de la troisième coction, soit la rosée du sang qui sort des veines, par diapédèse, pour nourrir les parties. J’ai débattu contre Bartholin au sujet de sa lymphe : [25][71] [Page 24 | LAT | IMG] celle qui se répand dans tout le corps sert à humecter les articulations et les os, et dans les ulcères des membres, [72] son écoulement est si abondant qu’il est difficile de le tarir. C’est ce que Paracelse a appelé la synovie, [73][74] et Celse, le mélicéria ; [75][76] des chirurgiens allemands en ont traité, Felix Wurtzius dans sa Chirurgia[77] et Fabrice de Hilden dans le petit livre qu’il en a écrit ; [78] Sebizius, médecin de Strasbourg, en a débattu dans une thèse sur l’Examen des plaies et des ulcères[26][79] La lymphe ne peut être un aliment des nerfs car ils sont spongieux et, comme dans la totalité du corps, ils sont localisés entre une veine et une artère, ils sont nourris par la rosée qui sort de ces vaisseaux.

Page 116, « Je dirais être parvenu à lever mes doutes réitérés sur l’utilité que peuvent avoir les veines lactées et mon réservoir chez les animaux à jeun et chez le fœtus, [80] où tu ne peux voir la moindre trace de chyle : tu les aurais crus sans fonction, mais tu les découvres désormais très occupés à charrier les flots de lymphe qui y confluent. » Si on ne trouve pas de chyle chez le fœtus, ni dans les lactifères mésentériques ou thoraciques, ni dans le réservoir, ces eaux ne seront d’aucune utilité pour nettoyer les lactifères, non plus qu’aux autres fonctions que Pecquet s’imagine. Aussi longtemps que le fœtus est enfermé dans la prison utérine, son cœur n’assure pas la sanguification ; elle n’appartient qu’au foie, qui digère une nouvelle fois le sang maternel, pour le rendre familier et agréable à l’enfant. Si les canaux lactés du fœtus servent à évacuer les débordements d’eaux, telle sera leur principale utilité.

Au moment où j’allais confier l’édition de cet opuscule à l’imprimeur, [Page 25 | LAT | IMG] le très distingué M. René Moreau[81] professeur royal et notre très savant collègue, m’a opportunément communiqué la réponse de Bartholin au petit livre d’Olaüs Rudbeckius[82] publié à Arosia sous le nom de Martin Bogdan[83] Ce Rudbeckius, professeur d’Uppsala, université de Suède, a écrit contre Bartholin sur les canaux aqueux hépatiques et les vaisseaux des glandes, et se glorifie de les avoir montrés à la sérénissime reine Christine, quand elle régnait sur la Suède[84] Je fais erreur sur la controverse de Rudbeck, car c’est Bartholin qui, sous le nom de Martin Bogdan, a écrit contre Rudbeck, lequel est le premier à avoir trouvé les tubules aqueux et en fait reproche à Bartholin ; ce livre, imprimé à Leyde en 1654 chez Adrianus Wyngaerden, est intitulé Insidiæ structæ Olai Rudbeckij ductibus hepaticis aquosis et vasis glandularum serosis, Arrosiæ editis à Thoma Bartholino[27] Ils se battent sur la laine de chèvre, soit une question sans intérêt pour mieux remédier ; [28][85] Galien s’est moqué de ces disputes anatomiques et les a jugées sottes et superflues. Pour apaiser celle qui oppose ces athlétiques inventeurs de nouveautés qui menacent de passer des mots aux coups, tant ils se délectent de leurs eaux ou lymphes, et tandis qu’ils se mordent farouchement et furieusement, je leur verserai à chacun un seau d’eau sur la tête, comme font ceux qui savent maîtriser et dompter les chevaux en furie quand ils se mordent et déchirent atrocement le cou ; ou alors ils boiront l’eau de Cleitor pour vivre dans l’abstinence :

Clitorio quicumque sitim de fonte leuârit,
Vina fugit, gaudetque meris abstemius undis
[29][86][87]

Voici comme Rudbeckius conclut-il son livre contre Bartholin : Hæc sunt, Cl. Bartholine, folia ; vide ne in te cadant arbores. [88] Memineris te hominem. Et si ita lubet, congrediamur : ostendam tibi millia errorum in Anatomia tua Reformata, imo omnibus tuis scriptis Anatomicis commiseris, et quamvis in [Page 26 | LAT | IMG] his Tyro merearis audire, qui dictaturam in alios sumis. Vale et monitus sape[30]

Je fais toutefois remarquer que cette controverse sur les veines lymphatiques ou aqueuses a précédemment été mise au jour par Vesling [89] dans la deuxième édition de son Syntagma, et son élève Dominicus de Marchetis[90] bien qu’il soit ignorant, l’a exposée dans l’Anatomia qu’il a écrite ; mais elle est si stupide et remplie de solécismes qu’elle est indigne de notre commentaire, [31] propter er-ro-res :

R. Habet Ausonium liber hic, habet atque Pelasgum,
R. Habet Hebræum, prætereaque nihil
[32]

Le canal que Wirsung a découvert ne possède pas pour seul orifice celui qui s’ouvre dans le duodénum, [91] car j’ai observé sur le cadavre que d’autres canaux en naissent : ils se dirigent vers le foie en formant hors du pancréas une anastomose ou un plexus, dont ils se séparent ensuite et parviennent au foie, dans lequel ils pénètrent au-dessus de la veine porte et de la branche hépatique du tronc cœliaque. Du susdit canal de Wirsung naissent en outre d’autres conduits très petits et très étroits qui s’éparpillent dans le mésentère et gagnent l’intestin grêle. On ne les voit qu’en disséquant les animaux vivants, et quand ils sont morts, ils prennent l’apparence de filaments. Ceux qui occupent la position la plus basse emportent le chyle de l’intestin grêle dans le pancréas, qui le purifie, puis ceux qui occupent la position la plus haute le mènent au foie ; et le sédiment qu’il en reste sort par le canal qui se termine dans le duodénum pour que cette matière s’en aille dans les intestins. Nous avons observé que ce canal est parfois double. Ce livre a été édité à Padoue le 29 janvier 1652. [33]

Page 119, la deuxième expérience n’aboutit à rien de concluant. [92] Elle cherche à démontrer que le réservoir contient du chyle, ainsi que les lactifères mésentériques quand ils sont remplis, mais j’observe ceci contre les déductions qu’en tire Pecquet : les valvules [93] qui sont placées à l’intérieur du réservoir font obstacle au reflux du chyle dans les lactifères mésentériques. Les rameaux de la branche veineuse mésentérique qui se dirigent vers le réservoir sont donc munis de valvules pour qu’elles n’arrachent pas violemment au foie du chyle qui n’a pas encore été pétri et dégrossi. [34][94]

Page 121, « J’aurais souhaité que Riolan eût tenté cette expérience essentielle, car il eût alors reconnu que, quand on rompt la cavité du réservoir, une grande abondance de chyle s’en écoule et que, confronté à l’étroitesse des lactifères thoraciques, le chyle stagne dans le réservoir. » Vous déclarez ainsi que les lactifères thoraciques sont fins et que le chyle stagne dans le réservoir, puisqu’il ne peut s’écouler dans ces vaisseaux étroits, en sorte que ses humeurs superflues se déposent dans les reins voisins par les émulgentes [95] qui adhèrent au réservoir ; [96] elles reçoivent donc le chyle et le déposent dans les reins, mais c’est ce que vous avez auparavant nié en disant que « le chyle n’est transmis à aucune partie par les veines ». [35]

Page 119, « Riolan, page 168, a tort de croire que “ La rate est placée à côté de l’estomac pour en puiser les humidités superflues ” » : je m’émerveille de la stupidité de Pecquet, dont deux docteurs de Paris font valoir l’intelligence, inspirée par le génie et le talent d’Aristote ; il n’a jamais lu le chapitre vii de son livre iii [Page 27 | LAT | IMG] sur les Parties des animaux, ni divers autres passages qu’il a tirés du livre iv d’Hippocrate sur les Maladies. Riolan, au livre ii de son Anthropographie, page 136, a très amplement disserté sur les fonctions de la rate, et je n’en dirai pas plus ici. [36][97]

Page 122, pour démontrer le mouvement du chyle vers les parties supérieures, Pecquet écrit que « le réservoir et les canaux thoraciques sont attachés à l’aorte, ce dont j’infère que le chyle issu du mésentère se déplace plus rapidement dans les canaux que dans le réservoir » ; il nous a pourtant enseigné plus haut « que le chyle stagne dans le réservoir, puisqu’il ne peut s’écouler dans ces vaisseaux étroits ». Il ajoute que les lactifères du thorax sont secoués par la compression de tous les viscères que contient le thorax, puisqu’ils subissent les battements de l’aorte ; mais il devait désigner ces viscères, car il n’en existe que deux, le cœur et les poumons. Dans un corps sain, le poumon bouge peu ; le cœur et l’aorte sont suspendus au milieu du thorax, et l’aorte n’est couchée sur la colonne vertébrale qu’à l’endroit où elle traverse le diaphragme. [98] Le réservoir se viderait sous l’impulsion des muscles psoas, mais leurs corps charnus sont solidement arrimés aux apophyses transverses ou petites côtes des vertèbres lombaires, et ils ne bougent pas, hormis à leur extrémité inférieure, lors de la flexion de la cuisse. [99] Il ajoute « voilà comment Riolan aurait pu venir à bout des doutes qu’il expose aux pages 167 et 168 », en s’efforçant ainsi d’excuser les erreurs que Riolan lui a fait remarquer. [37]

Page 123, dans sa troisième expérience, [100] il coupe le cœur transversalement au milieu du cône ventriculaire pour voir le sang s’écouler avec le chyle, mais il écrit le contraire dans ses conclusions, page 124 : « Dans [Page 28 | LAT | IMG] la veine cave supérieure, le chyle se mélange au sang comme l’eau au vin, et l’expérience ne manque pas de le confirmer : [101] si tu comprimes la racine du mésentère ou le réservoir quand la veine cave est encore pleine de sang, tu verras le chyle s’y confondre avec lui sans qu’il perde presque rien de sa couleur pourpre ; et il m’est arrivé d’ouvrir l’oreillette droite du cœur et le sang qui s’en est écoulé avait sa couleur ordinaire, car le chyle contenu dans la veine cave avait déjà perdu sa teinte lactée. »

Cette dissection a montré que du chyle s’écoule quand on sectionne ainsi le cœur, mais le lecteur y opposerait une sérieuse objection en se demandant si Pecquet n’a pas introduit dans le cœur une canule remplie de lait, dont il a obturé l’extrémité inférieure avec du suif, puis qu’il a réchauffée de manière que s’en écoule du liquide laiteux : ruse de madré Normand ! [38]

Page 124, « Si le chyle n’a pas été entièrement digéré après une circulation, il reviendra autant de fois que nécessaire dans l’officine cardiaque jusqu’à y avoir été transformé en sang parfait » : je pense que la divine providence a établi l’admirable circulation pour que de multiples passages aboutissent ainsi à ce qu’un seul n’avait pu accomplir ; Pecquet est donc grandement redevable à Harvey d’avoir découvert la circulation [102] car sans elle, le chyle de Pecquet n’aurait rien pour le pousser vers le cœur, et celui qui nierait ladite circulation et démontrerait qu’elle est fausse réduirait à néant la sanguification cardiaque de Pecquet. C’est pourquoi je maintiens ce que j’ai prouvé contre Harvey et Schlegel : [103][104] le sang ne circule ni dans la première ni dans la troisième région du corps ; le chyle de Pecquet n’est donc pas purgé de ses excréments.

[Page 29 | LAT | IMG] Page 126. « Je ne puis là-dessus qu’être surpris par la légèreté des objections riolaniques, quand il dit que “ Le chyle cru et non digéré, chargé de divers aliments, s’écoule jusqu’aux branches subclavières de la veine cave et atteint le cœur, etc. ”. » Ce n’est pas la même chose de dire que la totalité du chyle monte dans le cœur et de dire qu’une petite portion y pénètre pour y fermenter, ce dont Riolan convient pour le chyle cru et non digéré. Vous êtes bien sot de tenir cette partie du chyle qui monte dans le cœur pour sa totalité, qui y parviendrait pour être transformée en sang.

Même page, « Pourquoi, je vous le demande, mon cher Riolan, dites-vous que ce chyle déposera ses ordures dans les poumons en passant le ventricule droit, ou les entraînera avec lui dans le ventricule gauche du cœur ? » [105] Cette petite partie du chyle qui s’accroche dans le ventricule droit, entrelacée d’aspérités et de filaments, peut s’y attarder un peu et subir une élaboration, puis ensuite s’en écouler avec le reste du sang ; et si on la met à part, elle ne représente pas la totalité du chyle qui traverse rapidement le cœur. Riolan parle de cette portion particulière du chyle et non de sa totalité ; et c’est à elle qu’il attribue partout quatre fonctions, mais en les sachant incomplètes et en les proposant toujours avec circonspection. [6]

Page 127, vous écrivez que le chyle qui est parvenu au cœur ne peut qu’être expédié dans les émonctoires que sont les reins [106] pour le sérum, [107] le cerveau pour la pituite, [108] le foie pour la bile et les aigreurs, le pancréas pour la lymphe, [109] la rate pour les lies et l’excrément mélancolique[5][8] Le cerveau sera donc l’émonctoire du chyle qui a été préparé dans le cœur ; quant à la lymphe, qui l’a été dans le pancréas et bien qu’elle soit un excrément du sang, [110] elle s’écoulera dans le cœur en passant par les canaux thoraciques. Comme [Page 30 | LAT | IMG] cette élimination des excréments est absurde, car les voilà contenus dans le sang qui nourrit le corps au cours de sa première circulation, et ils peuvent s’arrêter dans ses diverses parties !

Si la masse du sang que les veines répandent dans la totalité du corps renferme ces excréments, comment les susdites parties peuvent-elles les attirer de tous côtés, alors qu’elles ne disposent pas de vaisseaux qui les relient aux organes que vous avez nommés et qui sont destinés à l’élimination de ces déchets ? Ainsi les excréments du chyle, que le foie a transformé en sang, engendrent-ils la bile que recueillent des vaisseaux particuliers et que d’autres voies éliminent ; [111] ainsi le sang mélancolique est-il extrait de la rate par la veine splénique, [112] puis passe par une artère splénique particulière [113] pour être purgé dans les reins ; [39][114] ainsi, quand le chyle est filtré, la pituite qu’il contient s’accroche-t-elle aux membranes des intestins et les imprègne-t-elle ; et une mucosité pituiteuse s’incruste-t-elle dans les parois de l’estomac.

Page 128, Riolan a remarqué à plusieurs reprises qu’il est futile d’écrire, comme l’a pourtant fait Pecquet, que le chyle superflu se dépose dans les reins en passant par les branches des veines émulgentes.

Page 128, il me reproche deux fois mon obstination à repousser son dogme, alors que le chirurgien Gayan[115] qui est habile anatomiste, m’en a montré la subtilité. Je reconnais de bonne foi qu’il ne m’a fait voir que les lactifères du mésentère et un canal thoracique unique, qui avait l’épaisseur du tuyau d’une plume de poule et contenait un liquide plombé, mais sans aller plus loin dans sa dissection. [Page 31 | LAT | IMG] Je me suis contenté de regarder ce conduit et n’ai pas douté de son existence. Notre différend ne porte que sur son rôle dans l’attribution de la sanguification au cœur. Il est faux de dire que votre adjoint m’a très souvent présenté votre proposition de me faire vous-même une plus ample démonstration des lactifères thoraciques. Je n’en ai plus entendu parler qu’après la parution de votre livre, que les deux docteurs parisiens qui sont vos disciples m’avaient cachée, et vous m’avez rencontré maintes fois sans jamais rien me dire de ces questions anatomiques pour en connaître mon opinion. Ou je n’étais pas digne de ces mystères sacrés d’Éleusis, [116] ou ils redoutaient mon jugement. Je n’ai pourtant jamais refusé d’apprendre quelque chose de nouveau, car aucun âge n’est trop avancé pour le faire, et pour parler comme Solon : [117] Addiscens semper plurima fio senex[40]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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