Texte
Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
1. Préface au lecteur  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean ii Riolan, Responsiones duæ (1655) 1. Préface au lecteur

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/pecquet/?do=pg&let=1050

(Consulté le 20/05/2024)

 

[Page 3 | LAT | IMG] [1]

Il est certain, de l’aveu de tous les auteurs, que nul animal n’est plus sujet à la rage que le chien, [2] et qu’à sa proximité et à son contact, les hommes s’en trouvent gravement infectés. « Chez les Égyptiens, dit Horapollon, la plupart de ceux qui embaument les chiens devront leur mort à une maladie de la rate, car ils sont souillés par cette exhalaison ou vapeur qui émane d’un chien dont on ouvre et dissèque le cadavre. » [1][3] Je trouve cela particulièrement vrai dans le cas pecquétien car les exhalaisons qui ont imprégné Pecquet en éviscérant assidûment des chiens vivants, [4] l’ont investi d’une nature canine ;  et je me rends compte qu’une rage maligne a pareillement contaminé les deux médecins de Paris [5][6] [Page 4 | LAT | IMG] dont la morsure et la langue enragée veulent faire chanceler Riolan. Chez un chien, le signe le plus certain de la rage est de chercher à mordre les gens qu’il connaît comme ceux qu’il ne connaît pas. Riolan n’est pas inconnu de ces chiens-là, ils savent son renom, son érudition et son grand âge, qu’ils devraient vénérer, mais cela ne les empêche pas de l’attaquer et le déchirer de leur langue empoisonnée comme s’ils s’agissait d’un vaurien, d’un Zoïle [7] ou d’un Aristarque qui a perdu la raison ; [2][8] mais je m’en préserverai à l’aide d’alysse. [9] J’ai lu dans Pline que le venin rabide se cache sous la langue du chien, c’est un petit ver dont l’avulsion met fin à la maladie, et si on l’arrache avant sa survenue, les chiens ne la transmettent plus. [3][10] Voilà ce que j’essaierai de faire à ces trois chiens qui aboient après Riolan, je guérirai leur rage en leur coupant la langue et ne leur laisserai que le ver de la conscience, pour que le remords s’incruste dans leur cœur, s’ils sont vraiment chrétiens, et qu’ils se repentent d’avoir mordu Riolan de leurs crocs venimeux, et de l’avoir souillé et diffamé de leur langue atrocement virulente, lui qui est le plus ancien maître de la Faculté, [11] que toutes les nations ont loué, et que nul n’a jamais blâmé ni critiqué. Je sais bien ce que Plaute a écrit des fous : [Page 5 | LAT | IMG]

Bacchæ bacchanti si velis aduersarier,
Ex insanæ facies insaniorem, feriet sæpius,
Sin obsequaris, una te solues plaga
[4][12][13]

Il faut pourtant balayer les mensonges et les injures qu’ils ont lancées pour salir Riolan ; et puisque la rage du chiot est aussi vénéneuse que celle des plus grands chiens, et même parfois pire, je fracasserai d’abord la furie du jeune Pecquet, qui est tout entière dans son Épître dédicatoire à Bartholin[14] artifice auquel il a recouru pour l’appeler et mander en renfort de son aboiement, tel un chien qui aboie pour en inciter d’autres à aboyer avec lui. Les voilà maintenant réduits à l’hydrophobie, ou du moins à la plus extrême folie, car ils s’appliquent à montrer leur immense ignorance et la confusion de leur savoir, se méfiant les uns des autres et sans bien maîtriser ce sur quoi ils écrivent. Aristote, parlant des pythagoriciens au livre xiii de sa Métaphysique, a vu dans leurs disputes sur la nature des nombres la preuve que leurs théories ne sont pas vraies et sèment entre eux la confusion. [5][15][16] De fait, Pecquet maintient mordicus son détestable paradoxe, [17] bien qu’il l’ait amendé dans la seconde édition de ses Experimenta nova anatomica, car il n’affirme plus que le liquide lacté monte sans mélange jusqu’au cœur, mais qu’il acquiert la couleur du sang une fois qu’il a atteint [Page 6 | LAT | IMG] les veines axillaires. [18] Il convient aussi que les lactifères thoraciques sont grêles et qu’ils s’abouchent dans les axillaires par des orifices extrêmement menus. [19] Après avoir décrit deux canaux, il reconnaît qu’il peut n’en exister qu’un, parce que la plupart de ceux qui les ont cherchés l’ont ainsi observé. [20] Il persiste néanmoins dans sa folie quand il fait monter le chyle dans les mamelles des animaux, ce qui pourrait se concevoir chez les femelles, mais se révèle faux. [6][21][22][23] Je déplore qu’il désigne Bartholin comme vivandier ou échanson de ses vaisseaux en destinant la lymphe qu’il a découverte à nettoyer lesdits chylifères[24] L’Anglais Glisson [25] l’a vouée au plus noble emploi de nourrir les nerfs, la moelle épinière et le cerveau lui-même. [7][26]

Un premier docteur de Paris [27] loue la découverte de Pecquet et la fonction de fabriquer le cœur qu’il destine au cœur, [28][29] en confiant au foie celle d’éliminer la bile. [30] Un second docteur, plus jeune, [31] n’est pas de même avis sur ces deux points, et prétend que la sanguification se fait pour partie dans le foie et pour partie dans le cœur. [32][33] Il loue néanmoins l’opinion de Pecquet, qu’il ne comprend pas et n’expose pas correctement, en parfaite conformité avec la pensée de son auteur : il admet le pancréas d’Aselli [34] et lui attribue d’éminentes fonctions que Pecquet ne reconnaît pas ; mais il est impossible [Page 7 | LAT | IMG] que le pancréas, comme il le suppose, serve de soubassement à l’estomac [35] dans ces opérations. [8] Le sang préparé dans le cœur abandonnerait sa bile dans le foie et, par une circulation maintes fois répétée entre le cœur et le foie, il serait digéré et déposerait sa bile. Riolan doit craindre ces deux très brillants suppôts de Pecquet car il ne s’est pas soumis à lui genoux pliés et tête fléchie.

Salue vera Iovis proles, decus addite Diuis,
Et nos, et tua dextera adi pede sacra secundo
[36][37]

Ils sont tels qu’ils trouvent redoutables les flèches que contiennent les écrits de Riolan, mais la pitié pour son grand âge les dissuade[9] Je ne redoute pas leurs flèches empoisonnées auxquelles je ferai dignement front, en commençant par réfuter le très impudent mensonge que les deux docteurs de Paris ont soufflé à l’oreille de Pecquet : « Quel mal n’attendriez-vous pas d’un homme qui a poussé l’audace jusqu’à délirer par écrit sur sa propre Université de Paris ? » On ne trouvera absolument rien de tel dans un écrit ou un discours de Riolan[10] Cette épître dédicatoire contient quantité d’outrages de même eau.

Vous remarquerez que Pecquet a modifié le style rhétorique et ampoulé, [38] que Bartholin lui avait reproché, [39] et [Page 8 | LAT | IMG] la lettre d’Alethophilus est mieux écrite [40][41] Le libelle diffamatoire des deux docteurs parisiens, [42] dont Pecquet a eu communication, lui a fourni la matière de ces insultes, car il contient tous les griefs dont Riolan est accusé. [11] Ce que je reprends ici de son épître préparera et introduira donc le lecteur à la découverte de ce libelle.

Et tout d’abord, « Tous les gens savants en anatomie apprennent que nous sommes attaqués par Riolan, qui les mordille tous » — voilà cet ignorant qui se compte parmi les savants anatomistes. « L’Université de Paris l’a jugé digne du grade de maître ès arts » — elle ne refuse cela à aucun postulant, une fois qu’il a acquitté ses droits de scolarité. « Ledit Riolan me qualifie de monstre parce que j’ai été le premier à trouver les lactifères thoraciques et leur utilité dans la sanguification cardiaque » — j’ai appelé votre livre une merveille d’intelligence et loué votre découverte, mais l’ai destinée à d’autres fonctions que vous. « Cela a pourtant été approuvé et loué par les plus savants professeurs, à l’exception de Riolan » — ceux-là l’ont fait par ignorance et par sottise. « Ce vieillard qui a déjà un pied dans la tombe m’appelle jouvenceau » — ne vous présentez-vous pas comme « tout petit » et comme « nain » dans votre épître dédicatoire ? « Il me reproche d’être un enfant » — voilà ce que je n’ai jamais pensé ni supposé, et au contraire, j’ai loué votre recherche anatomique [Page 9 | LAT | IMG] dans ma Responsio à vos Experimenta et dans mon Judicium novum de lacteis venis[43] « Un vieillard s’acharne à accabler la jeunesse de paroles terriblement amères » — jamais je n’ai eu une telle intention et mes paroles n’ont jamais proféré d’aussi féroces attaques. « Et il ne l’incite pas à travailler pour se couvrir de gloire » — parce que vous ne pouvez ambitionner ni acquérir la compétence sans avoir été instruit par une longue expérience, nourrie d’étude et de réflexion. « Alors il n’est pas permis aux enfants d’accéder à la vérité » — elle n’est pas accessible aux enfants, mais l’est aux adolescents. « Il me fait grief du titre de philiatre » — je suis loin de croire que ce titre soit une infamie, et beaucoup de très savants médecins l’ont placé devant celui de docteur en tête des livres qu’ils ont publiés ; j’aurais pu vous appeler écolier de médecine, mais ai préféré employer la qualité honorifique de philiatre. « Il est aussi navré, et le sera éternellement, par un si flagrant exemple des calamiteux aléas de la destinée humaine, que par le juste choix de Socrate [44] qui aima mieux vider sa coupe d’un trait que continuer de vieillir » — pour ma part, je déplore vraiment la stupidité et l’ignorance de ce Normand, alors que je connais maints éminents savants en notre Faculté de médecine et partout en Normandie, qui brillent par leur singulière érudition ; ainsi Charles Le Noble, médecin normand parfaitement accompli, a-t-il savamment débattu contre Pecquet sur la fonction des [Page 10 | LAT | IMG] veines lactées. [45] Socrate aurait péché contre la morale qu’il a professée pendant tant d’années si, avant de mourir (mais après avoir renoncé à la philosophie), il avait dit que le grand âge est la honte et le vice de la vie humaine, alors que c’est la remarquable récompense que Dieu a promise aux honnêtes gens. [12]

Le lecteur trouvera plus ample écho de tout cela, développé et exagéré par deux docteurs de Paris, dans les trois premiers chapitres de leur libelle diffamatoire contre Riolan ; et il y reconnaîtra facilement que ces trois chiens enragés ont communiqué entre eux pour l’écrire. [11] Pecquet menace Riolan de « prendre la plume pour écrire un discours plus incisif », ce qui est le redoutable procédé de l’assassin ; il préfère pourtant l’amadouer en employant des mots plus caressants (« Ainsi Tirynthius a-t-il attiré Cerbère en lui donnant une friandise à manger »). [46] Et voici ses mots quand il blâme « le médisant ouvrage de Riolan, son effronterie, sa virulence, ce Polyphème [47] qui mordille » ; quand il déplore « la colère de ce vieillard verbeux qui a déjà un pied dans la tombe », dont il plaint « la folie quand il se venge des coups qu’on lui donne, la grossièreté de la honte riolanique, le misérable signe de la lassante ratiocination d’un homme dont la vue a été irrémédiablement obscurcie par la décrépitude du grand âge [48] et par l’opiniâtreté de la jalousie ». Il remarque « avec pitié la lamentable arrogance de [Page 11 | LAT | IMG] son raisonnement ». Note bien, écrit-il, mais « avec des yeux pleins de commisération pour ce vieillard, l’irrémédiable obstination de sa contradictoire sagesse, la faiblesse sénile ou la malice de sa vue » ; il ne veut pas attaquer « les outrages de ce bavard vieillard ». Voilà un florilège de l’éloquence pecquétienne dont ce barbare a éclaboussé Riolan[13]

Lors de la première parution de son livre, j’excusais Pecquet parce que, dans l’épître dédicatoire, [49] il se présentait comme « tout petit », aussi parlait-il de lui comme un tout petit garçon puisque « les enfants, dit Hippocrate, [50] donnent au foie le nom de cœur ». [14] « Lorsque j’étais enfant, dit saint Paul, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. » [15][51] Dans la seconde édition, je constate pourtant que Pecquet n’est pas sorti de l’enfance après avoir été reçu docteur de l’Université de Montpellier, [52] puisque je suis forcé de reconnaître qu’il ne s’est pas amendé et qu’il persiste dans la même erreur, [53] sans avoir bien voulu étayer ses inepties et faussetés anatomiques, que Riolan a pourtant dénoncées. Les docteurs de Paris n’ont pas non plus entrepris de défendre leur disciple : ils restent muets parce qu’ils en sont incapables ; l’infinité des erreurs médicales de Pecquet demeurent donc intactes et lui-même n’a rien osé retoucher [Page 12 | LAT | IMG] car il est si sot en anatomie qu’il restera muet comme un poisson si quelqu’un l’oblige à sortir de son observation des lactifères en lui montrant qu’il en a tiré de fausses déductions quant à leur fonction. Les docteurs pecquétiens devaient le soutenir dans cette joute en faisant preuve de leur science, c’est-à-dire en choisissant celles des critiques de Riolan contre les Experimenta nova anatomica qui étaient contestables, et d’en apporter la démonstration par un écrit ou par une dissection publique exécutée dans notre amphithéâtre, [54] et ce du vivant de Riolan, et non attendant sa mort, qui les rendra capables de triompher de lui. Riolan s’est joué de vous l’an passé quand vous attendiez que son mal chronique vienne à bout de lui, [55] mais Dieu l’a sauvé afin qu’il châtie votre insolence. [16]

Si Pecquet considère que mon propos est rude, qu’il comprenne qu’il ne s’agit pas d’un propos, mais d’une riposte, parce qu’il a été le premier à attaquer : j’ai voulu lui répondre, et non le provoquer, benedictis si certasset, audisset bene[17][56][57]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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