Michel de TREZ
Thibault MONIER

Alexander P. Suer naquit et fut élevé à Philadelphie, ville où Thomas Evans bâtit son école dentaire, et où Samuel S. White installa son entreprise de renommée internationale.

Après ses études secondaires à l’ « Overbrook High School » de Philadelphie, il rejoignit l’école dentaire de la « Temple University », où il obtint son doctorat (DDS) en 1938.

Habitant North Camac St., Il ouvrit un cabinet dentaire au 5739 North Park Avenue, toujours à Philadelphie.

Très tôt il manifesta une vive inquiétude pour le devenir de ses coreligionnaires juifs d’Europe. L’antisémitisme qui se développait dans l’Allemagne et les territoires annexés souleva une forte indignation au sein de la communauté juive américaine.

Redoutant que les vues impérialistes de Hitler puissent précipiter le monde dans un nouveau conflit mondial, A.P. Suer rejoignit l’Army Reserve Corps en 1939.

Le 1er avril 1941, Alexander « Pete » Suer entrait dans le service dentaire de l’armée américaine.

 

La formation d’un dentiste parachutiste

La formation des membres du Service de Santé de l’US Army était dispensée en 12 semaines à la « Medical Field Service School » de Carlisle en Pennsylvanie. Le nombre de personnes formées étant insuffisant, le Chirurgien Général autorisa la création d’une seconde école à Camp Barkeley au Texas le 15 avril 1942. Le 1er juillet 1943, la durée de formation passa de 12 à 17 semaines, alors qu’elle fut arrêtée en janvier à Carlisle.

De 1941 à 1945, le nombre de chirurgiens-dentistes formés dans ces écoles fut de :

Carlisle Barracks, Pa., home of the Medical Field Service School.
Office of Medical History- Office of the Army Surgeon General-U.S.Army

Les cours concernaient autant l’organisation de l’armée américaine, que l’application de notre spécialité aux exigences et contraintes de la vie militaire

Class in antimechanized defense, Camp Barkeley, Tex., 1943.
Office of Medical History- Office of the Army Surgeon General-U.S.Army

Alexander « Pete». Suer reçut donc une formation physique identique à celle de tous les militaires, et se familiarisa aux modes d’exercice de la profession de dentiste militaire : au sein d’un hôpital de campagne, mais aussi de «  Medic » dans une unité combattante en première ligne, fonction qui consiste à pratiquer tous les soins d’urgence vitale, la collecte des blessés et leur évacuation en dehors des zones de combat. Et ceci, conformément à la Convention de Genève c’est-à-dire sans porter aucune arme.

Dental field operating equipment, M. D. Chest No. 60, 1941

Contents of dental officer’s kit.

Fauteuil dentaire et équipement d’un dentiste en campagne.
Office of Medical History – Office of the Army Surgeon General – U.S.Army

Le 7 décembre 1941, le raid japonais contre la flotte américaine à Pearl Harbour entraînait l’entrée en guerre des Etats-Unis.

Le gouvernement américain mit alors en oeuvre un vaste plan de mobilisation avec création de nouvelles unités, dont des régiments d’infanterie parachutiste, troupes d’élite dont l’efficacité avait été remarquable lors des attaques allemandes en Europe.

« Pete » Suer fut volontaire pour suivre les cours de l’école de parachutiste de Fort Benning.

Sa formation consistait en un exercice physique épuisant avec des sauts fréquents de jour comme de nuit, des marches quotidiennes de 8 kilomètres et hebdomadaires de trente à cinquante. Ceux qui ne pouvaient pas suivre cette formation étaient écartés.

A.P. Suer reçu son brevet de parachutiste et intégra le 505th PIR, créé le 6 juillet 1942, et confié au commandement d’un jeune lieutenant-colonel sortant de West Point, James M. Gavin.

Fin janvier 1943, le 505th PIR était au complet avec ses trois bataillons d’officiers et d’hommes et son équipe médicale commandée par le chirurgien régimentaire le capitaine Lewis A. Smith, et il se déplaça vers Camp Mackall en Caroline du Nord pour y parfaire son entraînement tactique. Le 12 février, le régiment gagnait Fort Bragg et fut intégré à la 82th Airborne (division) commandée par le Major Général Matthew B. Ridgway. Les parachutistes du 505th portèrent alors à l’épaule le badge portant les 2 lettres AA pour « All American » dans un rond bleu sur fond rouge.

Le 20 avril 1943, le 505th quittait Fort Bragg pour Camp Edwards dans le Massachusetts afin de préparer son départ pour l’Europe.

Pendant une semaine, le personnel médical fut mis à contribution pour vacciner les hommes, vérifier qu’ils prenaient bien leurs pilules d’Atabrine (dichlorhydrate de mépacrine, un antipaludéen) vérifier leur état dentaire, donner des cours sur l’hygiène en opération et préparer le matériel de campagne.

Les hommes donnèrent le surnom de « docteurs piqûres » aux medics dont ils n’appréciaient que modérément les activités…

Le 28 avril, les hommes du 505th PIR embarquaient à bord de l’USS Monterey à Staten Island dans l’état de New York pour une traversée de douze jours vers l’Afrique du Nord, où ils débarquèrent à Casablanca le 10 mai. Après deux jours de bivouac, le 505th gagna en train la garnison de Oudja située à quelques kilomètres de la frontière algérienne.

Le campement était constitué de tentes plantées sur une vaste plaine aride et poussiéreuse, sans ombre et avec un approvisionnement en eau assuré par camions-citernes. L’équipe médicale fut vite débordée par les cas de dysenterie provoqués par le manque d’eau et les exercices sous des températures de 45° à 50° à l’ombre des tentes.

Cette épreuve dura jusqu’au vendredi 9 juillet 1943, jour où le régiment embarqua sur le terrain de Kairouan en Tunisie dans des C-47 pour sa première opération de guerre, le débarquement en Sicile.

 

La Sicile: Operation HUSKY

L’objectif du 505th était le village de Gela situé à proximité des plages où devait débarquer la 1ere Division d’Infanterie, la Big Red One.

Le vent violent dispersa les parachutistes qui furent éparpillés sur une vaste zone et parfois isolés. Le personnel médical perdit son premier membre, le Lt. Kurt Klee qui atterrit dans un réseau de barbelés devant un fortin italien et fut abattu sommairement.

Le Médecin Chef du 2° bataillon, le Lt. Lester Stein se trouva vite entouré de parachutistes blessés et se porta volontaire pour rester avec eux lorsque le gros du régiment décida de progresser vers son objectif. Il prodigua ses soins, espérant être bientôt relevé par les troupes débarquées. Mais ce fut une colonne allemande qui se dirigea vers lui.

Pensant sa dernière heure arrivée Stein fut soulagé en voyant la colonne poursuivre son chemin, ayant reconnu en lui et ses patients des personnes couvertes par la Convention de Genève.

« Pete » Suer atterrit sans encombre. Après avoir échappé aux patrouilles italiennes en compagnie de Dean L. Garber, il trouva le Colonel Gavin près de la crête de Biazza et se mit à rassembler les blessés et à les conduire à une infirmerie de campagne dirigée par le Cpt. Daniel McIlvoy, chirurgien du 3° bataillon.

McIlvoy fut blessé superficiellement lorsque son ambulance, un camion italien capturé, fut détruite par un char allemand Tigre alors qu’il collectait des victimes des premiers combats. Le second jour, le poste de secours regroupa bientôt 45 morts et 150 blessés qui devaient être évacués. A.P. Suer emprunta une ambulance à la 45° division d’infanterie et fit de nombreux voyages vers la côte pour confier les blessés aux médecins de la Navy et les faire embarquer vers un navire-hôpital ancré au large. Il se retrouva au centre d’une fusillade entre les Allemands et ses propres frères d’arme, et aperçut plusieurs blessés des deux camps. Sans prêter attention au violent combat, il n’hésita pas et, brandissant un drapeau de la Croix-Rouge, se rendit auprès d’eux afin de les évacuer tous vers une zone non exposée, sans être lui-même atteint par les balles amies ou ennemies.

Alexander « Pete » SUER et Lewis A. Smith, Chirurgien Régimentaire, en Sicile.
(M. De Trez)

Le 23 juillet, le 505th prit Trapani et bivouaqua à proximité pendant quatre semaines, prenant un peu de repos après la première expérience du feu. Le régime alimentaire s’améliora grâce aux fruits, à la viande fraîche, aux oeufs achetés auprès des paysans siciliens. La condition physique et le moral des troupes s’améliorèrent grandement.

Le 20 août Messine tombait et l’opération Husky prenait fin.

Après cette dure première expérience en Sicile, le régiment fut rapatrié vers Kairouan. La considération des combattants à l’égard des Medics avait bien changé : leur courage fut salué et les soldats prirent conscience de l’importance d’être pris en charge de façon très rapide en cas de blessure.

Pendant cette opération, les Medics, toujours en première ligne,  firent preuve d’un courage exemplaire, en assurant les soins d’urgence et l’évacuation des blessés sous le feu ennemi. Cette tâche leur avait été enseignée en tenant compte des expériences du premier conflit mondial, donc selon une organisation propre à une guerre de position. Les Medics durent établir de nouvelles procédures de collecte des blessés et d’évacuation de ceux-ci ; tout en tenant compte des exigences propres à une guerre de mouvement, avec un front qui évolue sans cesse. L’utilisation des véhicules, jeeps, ambulances, camions fut primordiale dans cette tâche. L’approvisionnement en matériel médical et en produits consommables (bandages, morphine, antiseptiques…) se révéla être un point crucial qui nécessita le développement de nouveaux équipements adaptés au réapprovisionnement des troupes aéroportées.

 

L’opération Avalanche

La seconde opération de guerre débuta le 14 septembre 1943, quand le régiment fut parachuté à proximité de la ville de Paestum accompagnant l’Opération Avalanche et le débarquement à Salerne. Ce saut fut un des plus faciles des quatre effectués par le régiment. Aucun évènement climatique ne le perturba et la résistance ennemie fut très limitée. L’intervention des Medics fut donc limitée aux soins aux blessés victimes d’accidents de saut.

Le 1er octobre 1943 le 505th PIR attaquait Naples et s’y maintenait jouant le rôle d’une armée d’occupation, jusqu’au 18 novembre où il fut transporté par bateau vers Oran puis à Belfast en Irlande après passage du détroit de Gibraltar. Arrivé le 9 décembre, le régiment stationna dans le village de Cookstown et y passa les fêtes de fin d’année, leurs principales occupations consistant en la pratique de sports et en permissions à Belfast.

Camp Quorn :
Alerxander « Pete » Suer debout, et ses collègues changeant les batteries des Handie – talkies qui seront utilisés pendant les opérations de Normandie.
(M. De Trez)

 

La préparation du Jour J

Le 13 février, le régiment quitta par bateau l’Irlande pour l’Ecosse en gagnant par train le village de tentes de Camp Quorn près du village de Quornon dans le Leicestershire.

Ce fut dans cet endroit que le 505th resta le plus longtemps lors de son séjour sur le théâtre européen des opérations. Les hommes furent soumis à un entraînement intensif afin de les préparer au débarquement sur le continent. Le 29 mai, le régiment fut consigné sur 2 terrains d’aviation près de Grantham dans le Lincolnshire: le grand jour approchait.

Pendant 5 jours , les briefings se succédèrent avec étude de plans et de maquettes représentant les objectifs et les parachutistes découvrir leur destination : la Normandie.

Le 5 juin, les officiers annoncèrent aux hommes que les opérations aéroportées débuteraient le soir même. Vers 10 heures, les hommes s’équipèrent et embarquèrent dans leurs C-47 dont les ailes et la carlingue avaient été décorées des 5 bandes d’invasion noires et blanches.

 

Sainte Mère Eglise et la Normandie

De mauvaises conditions climatiques alliées  à la présence d’une forte activité de la DCA au-dessus de leurs DZ (Drop Zones) entraînèrent un éparpillement des parachutistes et de nombreuses blessures à l’atterrissage.

L’objectif du 505th était le village de Sainte-Mère-Eglise.

A. P. Suer atterrit à proximité et, dès que les combats diminuèrent d’intensité, organisa avec le Dr. Robert Franco un poste de secours dans l’hospice du village, une grosse bâtisse située à la sortie Nord le long de la route vers Montebourg. Le Dr. Franco se souvient que dès midi, l’infirmerie était pleine à craquer de blessés américains, allemands et de civils français. Toutefois, un second poste de secours ayant été installé dans la grosse ferme de « La Couture » à 3 Kms de Sainte-Mère, le Dr. Franco s’y rendit dès l’après-midi du 6 juin et y demeura jusqu’à l’arrivée des équipes médicales débarquées à Utah Beach .

« Pete » Suer demeura dans l’hospice avec trois autres Medics dont le Médecin – Chef du 2° bataillon, le Cpt. Lyle B. Putman et se dépensa sans compter pour prodiguer les soins de première urgence aux blessés, quelle que soit leur nationalité, et pour les récupérer sur le champ de bataille afin de les évacuer vers le poste de soins.

Alexander « Pete » Suer et Doc. McIlvoy offrent une cigarette à un infirmier allemand.
Photo faite devant l’entrée de l’hospice de Sainte-Mère-Eglise. (M. De Trez)

Le « Surgical Technican » Raymond Queen se souvient que « Pete Suer voulait se porter au secours de tous les blessés. Nous devions le calmer à chaque fois. Nous avions beau lui dire qu’il allait se faire descendre ; il aimait trop affronter le risque. C’était un homme courageux mais un fonceur ».

L’activité des Medics du 505th PIR pendant les premiers jours du débarquement, sous le feu constant de l’artillerie allemande, sauva de nombreuses vies de blessés souvent en état de choc. De nombreuses bouteilles de plasma furent transfusées, et les stocks de morphine et de bandages épuisés jusqu’au début de l’évacuation des victimes des premiers combats dans l’après-midi de J+2. Pour avoir soigné ses malades, en dépit des tirs allemands, pendant 56 heures sans se reposer, A.P. Suer se vit décerner la Silver Star Medal.

Pendant le séjour du régiment en Normandie la témérité d’A.P. Suer donna plusieurs fois des sueurs froides à ses collègues Medics. Doc. Franco, rappelle que «  Pete Suer et moi marchions à travers champs quand nous aperçûmes des silhouettes humaines se déplaçant. Pete, qui parlait allemand, cria qu’ils étaient encerclés par des Américains fortement armés. Les Allemands lâchèrent leurs armes et nous les obligeâmes à se coucher par terre. Ils étaient quinze, nous étions deux ! Pete s’en alla appeler de l’aide et je fus donc seul à garder ces hommes. J’étais terrifié à l’idée qu’ils puissent apercevoir mon brassard à croix rouge. Par chance cela ne se produisit pas. »

Doc. Franco et Doc Suer en Normandie.
(M. De Trez)

Doc. McIlvoy écrivit qu’ « un des officiers les plus courageux qu’il m’ait été donné de connaître était le Dr. « Pete » Suer, un dentiste juif. Pete qui connaissait l’Allemand avait  l’habitude de recouvrir une Jeep de drapeaux de la Croix-Rouge, d’emmener des blessés allemands sur la ligne de front et de les échanger contre des blessés de notre camp. Se tenant debout sur le pare-choc de sa Jeep, agitant un drapeau de la Croix-Rouge, Peter se déplaçait entre les lignes pour récolter les blessés, tandis que les deux camps continuaient à se tirer dessus. « Pete » Suer était censé rester à l’arrière au poste de secours. Ceci n’était qu’une des nombreuses actions héroïques qu’il accomplit…»

L’équipe médicale du 505th PIR se déplaça au fur et à mesure de l’avancée des troupes de combat, et retourna à Quorn un mois après son saut en Normandie.

L’ Opération Market Garden

À Quorn, l’équipe médicale se remit à s â€˜entraîner. L’expérience acquise permettait d’optimiser les procédures de tri et de soins aux malades. L’importance du nombre des transfusions lors des opérations de Normandie imposa la mise en oeuvre d’un approvisionnement important en plasma et dérivés sanguins, dès les premières heures d’une opération aéroportée. Le conditionnement était un élément primordial pour le transport et le parachutage de ces fragiles matières premières.

Le 17 septembre 1944, la quatrième mission de saut en zone de combat pris place au-dessus de la Hollande. Le poste de secours fut installé dans une école de fille de la ville de Groesbeek, déjà utilisée comme infirmerie par les Allemands. L’équipe médicale y récupéra une ambulance allemande et un second véhicule,  qui se révélèrent une aide précieuse pour les transports de blessés. A.P. Suer continua à récupérer les victimes des combats violents au volant de sa Jeep.

Alexander « Pete »Suer (D) avec Ludwig Cibelli en Hollande.
(M. De Trez)

Les combats provoquèrent le déplacement du poste de premiers secours dans les caves d’une maison proche, mais celle-ci reçut un obus et le poste de secours fut transféré à Nimègue. C’est dans cette ville que deux Medics trouvèrent la mort en portant secours à des blessés prés du pont de cette ville. À la fin de sa mission en Hollande le 12 novembre, le régiment fut relevé par des troupes canadiennes et mis au repos à Suippes près de Reims.

Lors de l’Opération Market Garden, le haut niveau d’efficacité des Medics du 505th PIR, fit que le nombre des blessés gravement touchés qui purent survivre grâce aux soins d’urgence fut le plus élevé de tous les régiments engagés dans le second conflit mondial.

 

La Bataille des Ardennes

Le 17 décembre 1944, toute la 82° Airborne, soit 12.000 hommes, fut transportée en 12 heures par camion à Werbomont dans les Ardennes afin d’ arrêter la contre – attaque inattendue des troupes Allemandes. Les hommes furent soumis aux pires conditions de survie qu’ils eurent à endurer pendant toute la guerre. Le froid était intense, les équipements inadaptés pour y faire face, le terrain boisé et accidenté. Aux blessures s’ajoutèrent les gelures des pieds, des mains et des visages et les équipes soignantes étaient débordées.

Le 23 décembre, « Pete »Suer appris que deux blessés attendaient des soins urgents à proximité des lignes allemandes. Accompagné de trois infirmiers, il se rendit sur place et seul, rampa à découvert vers les soldats. C’est à cet instant que des tirs de mortier touchèrent le courageux dentiste aux jambes, lui broyant les deux pieds. Il exigea que les deux soldats blessés soient évacués avant lui. Ceci fait, il fut à son tour conduit vers le poste de secours où une perfusion de plasma lui fut posée. La gravité de ses blessures était telle qu’Alexander P. Suer fut transféré à l’hôpital de Liège puis vers Paris et de là en avion vers le grand hôpital militaire Walter Reed près de Washington.

Le 1er février 1945, « Pete » Suer écrivait au Dr. McIlvoy et à ses collègues du 505th PIR une lettre pour les informer que « … comme vous l’avez peut-être entendu maintenant, j’ai eu les deux jambes amputées – la gauche juste sous le genou et la droite à la cheville… La raison de cette amputation bilatérale est la gangrène. Tous les vaisseaux sanguins de mes mollets ont été détruits…Je ne suis pas du tout content d’être de retour aux States et pas seulement à cause de mes jambes. Je suis tellement triste d’avoir manqué la fin de tout cela après y avoir tant été impliqué… »

Une note au bas de la lettre indiquait :

«  Cher Major,

Cette lettre m’a été envoyée par le Walter Reed Hospital. Al est décédé à 21 Heures, d’une certaine manière, d’une embolie pulmonaire. Nous sommes effondrés, mais je suppose que c’est le prix de la guerre. J’espère au moins que les combats que vous livrez et dont Al a été la victime ne seront pas vains.

Au moins son fils et tous vos enfants n’auront pas à affronter toute cette « horreur »… »

Benjamin SUER (son père) »

Agé de 28 ans, il laissait une veuve et un fils de 2 ans.

 

L’activité d’un dentiste d’un  régiment de parachutistes

Lorsque le 505th PIR était stationné aux Etats-unis, à Oudja au Maroc ou à Quorn en Grande-Bretagne, A.P. Suer effectuait deux types d’activités :

  • Les soins dentaires aux hommes qui en avaient besoin.

Pour cela, il disposait du matériel nécessaire aux dévitalisations et obturations dentaires, et d’un jeu de daviers pour les extractions. Il n’effectuait pas de prothèses dentaires, celles-ci étant réalisées au sein des hôpitaux militaires divisionnaires.

Ce matériel suivait les déplacements du régiment. Le fauteuil pliable et le tour à pied prenaient place dans deux grandes caisses en bois.

Tente de dentiste avec son tour à cordes. Musette de dentiste en campagne.
Afrique du nord 1943 Coll. T. Monier

Army Service Forces MED 3 Medical
Supply Catalog, mars 1944.
  • Comme tous les Medics, il participait aux séances d’enseignement de l’hygiène corporelle en situation de combat, de la prophylaxie contre les maladies sexuellement transmissibles, et assurait la vaccination des troupes en particulier contre le tétanos.

En situation de combat, la principale activité d’A. P. Suer était l’administration des soins d’urgence aux blessés, sur le front, et donc sous le feu permanent de l’ennemi. La musette de premiers secours contenait donc des bandages, des pansements, des garrots pour arrêter les hémorragies. Une trousse composée de ciseaux, précelles, scalpels, pinces hémostatiques, fil à sutures et aiguilles était spécifique aux officiers du corps de santé, de même qu’un kit à injection avec une seringue, des aiguilles et des tubes de comprimés à diluer avant injection : sulfate de strychnine, sulfate d’atropine, sulfate de morphine, hydrochlorate de cocaïne, nitroglycérine… et un petit stérilisateur pour aiguilles hypodermiques. Une fois les premiers soins administrés, le blessé devait être évacué vers le poste de secours.

Schéma d’évacuation des blessés – (Christophe Deschodt, d’après Paul Enjames)

Contenu des 2 musettes d’un officier « Medic ».
Conclusion

Le Docteur Alexander P. Suer, l’un des deux dentistes du 505th PIR, sauva par son courage la vie de nombreux blessés américains et allemands. Ce courage qui fit l’admiration de tous les soldats de son régiment, lui coûta cependant la vie.

Son décès à l’âge de 28 ans laissa une veuve, Shulamith, et un enfant de 2 ans, Peter Alexander. Dix ans plus tard, Shulamith se remaria avec Oscar Miller, le frère d’ Henry Miller: il adopta Peter Alexander.

Annie Zaya McIlvoy, la fille du Docteur Daniel McIlvoy, médecin chef du 505th PIR pendant la seconde guerre mondiale, est restée en contact avec Marvin Suer, le cousin d’A.P. Suer et avec Shulamith. Elle évoque toujours avec une grande émotion la perte de son premier mari.

Elle a ressenti tout d’abord un certain ressentiment vis à vis de d’Alexander « Pete », car elle se sentait abandonnée par cet homme qui avait été volontaire pour un poste en première ligne.

N’ayant aucune formation professionnelle, elle se retrouvait seule avec la charge d’un jeune enfant. Ce dernier n’a aucun souvenir de son père naturel : pour lui, c’était Oscar Miller son vrai père.

Quand Michel De Trez a publié son livre sur les «  Medics » du Docteur McIlvoy, Shulamith a été bouleversé que les dernières années de la vie d’Alexander soient évoquées.

Annie Zaya McIlvoy est aujourd’hui très fière que la SFHAD rende hommage à celui que son père considérait comme « l’homme le plus courageux qu’il rencontra ».

Références

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