Philippe VERGNES
28 rue Rouget de Lisle 32000 AUCH
pvergnes@wanadoo.fr 

Résumé

L’Armagnac est une région du Sud-Ouest de la France à cheval sur deux départements : le Gers dans sa presque totalité et les Landes pour une petite partie. Cette région est réputée pour son eau de vie qui pendant longtemps, et encore quelquefois de nos jours, est le premier remède pour tenter d’apporter un soulagement à une odontalgie.

Le Comté d’Armagnac érigé vers 960 et réuni à la Couronne de France en 1607 couvrait une surface beaucoup plus importante. L’Armagnac a marqué l’Odontostomatologie grâce à quelques fortes personnalités telles que :

  • le Cardinal d’Armagnac (1501–1585)

  • la Barthelotte – Sophie Martin (1835–1907)

  • les Rouméguère – François-Jean-Marie (1828–1914), Jean-Louis (1863–1925)

  • Louis Robach (1871–1959)

  • Cham – Amédée Charles Henri, Comte de Noé – (1819–1879)

 

Abstract

STORIES ABOUT DENTAL TREATMENTS IN ARMAGNAC

Armagnac is an area in the South-west of France, that extends over two departments : « Gers » in its almost totality and « Landes » for a small part. Armagnac is famous for its brandy which for a long time, and still some times now, can be the first remedy to odontalgia.

Created in 960 and joined to French Crown in 1607, the Armagnac County covered a surface much more important at that time. Armagnac made its mark in Odontostomatology thanks to very strong personalities such as :

  • the Cardinal of Armagnac (1501-1585)

  • Barthelotte – Sophie Martin – (1835-1907)

  • Rouméguère – François-Jean-Marie (1828-1914), Jean-Louis (1863-1925)

  • Louis Robach (1871-1959)

  • Cham – Amédée Charles Henri, Comte de Noé – (1819-1879)

L’Armagnac : Remède miraculeux et polyvalent

L’Armagnac est une région du Sud-Ouest de la France à cheval sur deux départements : le Gers dans sa presque totalité et les Landes pour une petite partie. Elle est réputée pour son eau de vie qui pendant longtemps, et encore quelquefois de nos jours, est le premier remède pour tenter d’apporter un soulagement à une odontalgie.

Carte du Gers et de l’Armagnac

Un manuscrit de 1441, conservé aux archives départementales du Gers (14 066), indique que l’eau de vie d’Armagnac figure parmi les remèdes en usage à cette époque et peut soigner et même guérir de nombreux maux :

  1. Pourvu qu’on en mette dessus, l’eau de vie expulse tout fer que l’homme a en quelque lieu du corps,

  2. Elle guérit les rougeurs des yeux et la « lacrymosité »,

  3. Elle est bonne pour la rate et le foie,

  4. On l’emploie contre la paralysie,

  5. Elle aiguise l’entendement et donne bonne mémoire,

  6. Elle conserve jeunesse et donne joie et allégresse,

  7. Pour toute brûlure de la chair par le feu, mouiller d’autant plus fort avec l’eau de vie et la douleur vite éteinte n’y paraîtra plus mais il faudra oindre la plaie chaque jour d’huile avec œufs de poules,

  8. Qui en use lui fait enlever maux de dents et gencives qui puent,

  9. Qui en use voit trancher les pierres de sa vessie,

  10. Qui en tient dans la bouche guérit de tout rhume,

  11. Qui en mouille la tête fait perdre la douleur,

  12. Qui l’emploie fait homme hardi et enlève le tremblement de ses membres,

  13. Elle est le remède pour tout homme qui a les yeux fripés,

  14. Elle est le remède contre la mélancolie et pour ceux en qui est entré le démon.

Les odontalgies du Cardinal d’Armagnac (1501 – 1585)

Le Comté d’Armagnac, érigé vers 960, s’étendit petit à petit bien au-delà de la Garonne. Il fut réuni à la couronne de France en 1607 par Henri IV.

Bernard VII, Comte d’Armagnac, grand connétable de France, soutint Charles d’Orléans puis Charles VII, contre les Ducs de Bourgogne : Jean Sans Peur et Philippe III le Bon, alliés des Anglais. Le traité d’Arras mit fin à la querelle entre les Armagnacs et les Bourguignons en 1435 (5).

Avec Bernard VII, le Comté d’Armagnac va des Pyrénées au Rouergue – d’où est originaire Urbain Hémard – et même au Limousin. Les capitales du Comté : d’abord Aignan, puis Auch, Lectoure et enfin Nogaro (2).

Issu de cette brillante famille, Georges d’Armagnac souffrait de rages de dents (3). Après plusieurs tentatives auprès de spécialistes, il découvre Urbain Hemard. Plus tout jeune, puisqu’à la naissance d’Urbain Hémard, Georges d’Armagnac est déjà Cardinal et a 47 ans. Si l’on compte que ce n’est qu’à 20 – 25 ans qu’Urbain Hémard peut devenir un bon praticien en odontologie, il donne ses premiers soins à un patient d’à peu près 70 ans. Auparavant, Georges d’Armagnac avait été :

1530 : Évêque de Rodez, puis à son retour d’Italie Archevêque de Tours et de Toulouse.

1536 – 1540 : Ambassadeur de France à Venise.

1540 – 1545 : Ambassadeur de France à Rome.

1544 : Cardinal.

Urbain Hémard (1548–1616)

Né à Entraygues (Aveyron), études médicales à Montpellier.

Pour traiter son illustre patient, le Cardinal d’Armagnac, ce praticien, formé à la chirurgie, étudie l’anatomie des maxillaires, dissèque des cadavres et cherche dans les ouvrages consacrés aux problèmes buccaux les moyens de traiter et guérir le Prélat. Le cardinal possédait une très importante bibliothèque.

Auteur du premier ouvrage sur les dents rédigé en français et intitulé « Recherche sur la vraie anatomie des dents – nature et propriétés d’icelles avec les maladies qui leurs adviennent » – (1582). En 1581, Urbain Hémard avait déjà publié un ouvrage intitulé « Essai sur les dents ». Les deux ouvrages furent édités à Lyon par Benoist Rigaud (3).

En 25 chapitres, Urbain Hémard traite des dents, de leur «tremblement», de leur «rouillure» ou de leur… «vermoulure». Pourtant, il est l’un des premiers à repousser la croyance qui consistait à dire que la corruption des dents était engendrée par des vers. Il termine par des conseils de prévention :

  • Éviter les choses gluantes et sucrées qui se fixent sur les dents,

  • Ne rien casser de dur avec les dents,

  • Nettoyer les dents après les repas.

La Barthelotte (1835–1907)

Dès sa naissance, Sophie Martin fut confiée à l’Assistance Publique.

À sa sortie, elle devint servante chez un guérisseur-arracheur de dents. Elle vend des complaintes dans des foires où elle fait la connaissance de Monsieur Barthelotte, prestidigitateur et arracheur de dents forain, qu’elle épouse. Un témoin la décrit comme une « Belle femme à chevelure noire et abondante, elle avait un charme agreste et une poitrine appréciée au temps de la belle époque ». Très vite, c’est elle qui extrait les dents. Jeune, elle perd son époux et se retrouve seule avec deux enfants.

Très connue et appréciée, elle va circuler dans le Sud-Ouest avec une belle voiture (1600 kg) tirée par deux chevaux blancs, fabriquée par deux carrossiers toulousains, Miles et Morel, pour la somme de 6000 francs. Sur l’impériale, quatre musiciens attirent le public.

Ses tarifs :

  • vingt sous pour une extraction en public,

  • trois francs à l’intérieur de la voiture,

  • dix francs à domicile,

  • vingt francs (un louis) pour les interventions délicates ( ???).

Vers la fin de sa vie, contrariée par des plaintes déposées par des confrères diplômés (dont son fils), gênée par des rhumatismes, elle se retire en 1906 dans l’Ariège, à Pamiers et meurt en 1907.

La Famille Rouméguère
François –Jean-Marie Rouméguère (1828–1914)

Né à Auch (Gers) le 23 août 1828, en 1846, le jeune François – Jean-Marie Rouméguère va apprendre l’odontologie chez un oncle chirurgien-dentiste à Saint-Étienne, Jean-Baptiste Rouméguère

Son oncle lui délivre un « certificat d’apprentissage », certificat signé recto-verso par le Maire, Monsieur Vignat Chovet, et par le Sous-Préfet de Saint-Étienne dont voici le texte :

Je déclare et certifie, Jean Baptiste Rouméguère chirurgien-dentiste du Collège royal et de tous les établissements Principaux de la ville de St Etienne : que mon neveu Jean Rouméguère natif d’Auch département du Gers, est resté chez moi l’époque de deux années, comme élève dentiste et que pendant tout ce laps de temps il s’y est toujours conduit d’une manière très satisfaisante, et que par son aptitude au travail il a mérité mon approbation pour toutes les opérations qui ont des rapports aux maladies de la bouche.

En foi de quoi je lui délivre le présent certificat pour lui servir et valoir au besoin.

St Etienne le 8 février 1848 : Rouméguère Chirurgien Dentiste

Vu pour légalisation de la signature de Mr Rouméguère apposée ci-dessus.

En Mairie de St Etienne le huit février 1848                       Vignat Chovet

De 1848 à 1855 : François – Jean-Marie Rouméguère va faire sept ans de service militaire dans la Garde Nationale à Paris et à Alger.

1855 : il s’installe à Auch à l’angle de la rue Lamartine et de la rue Salleneuve dans le vieil Auch où il exerce en jaquette.

1859 : mariage avec Mademoiselle Etiennette Capdeville.

1863 : naissance d’un fils, Jean-Louis, futur chirurgien-dentiste.

Il poursuit son activité professionnelle jusqu’à l’âge de 78 ans et meurt en 1914. Il aura été certainement le premier chirurgien-dentiste à exercer dans le Gers à poste fixe.

 

Jean-Louis Rouméguère (1863 – 1925)

1863 : naissance à Auch, le 28 juin.

Études au Séminaire d’Auch.

1879 : à 16 ans, fugue avec une luchonnaise de 14 ans vers l’Algérie.

Retour en France – Maison de Correction.

Employé des Postes – prend un congé sans solde et part à nouveau avec une jeune femme, en 1881 à Périgueux où il est chanteur baryton au Casino et gymnaste à l’Alcazar.

1883 : service militaire.

30 juillet 1886 : nouvelle fugue vers l’Italie avec une jeune fille qui deviendra sa femme – c’est une désertion – deux ans en Italie où il vit à Erba, peint et vend ses toiles à Milan. Il signe Ayram Luigi.

1888-1889 : passe deux années à Bruxelles où il épouse Maria Écarlat.

1890 : une loi amnistie les déserteurs – il rentre en France et entreprend des études à l’École Dentaire de Paris.

15 juin 1894 : installation à Auch au rez de chaussée de la maison de son père – 1er chirurgien-dentiste diplômé du Gers – naissance d’un fils, Marcel.

1906 : nouveau départ vers Paris où il présente une exposition de ses œuvres au 117 Bd St-Germain. Le vernissage est inaugurée par Monsieur Dujardin-Baumets faisant fonction de Ministre des Beaux-Arts.

La lumière de Rouméguère

A la mort de son fils, Marcel, ses œuvres ont été données à la ville d’Auch qui les expose dans son musée qui signale :

″Parmi les peintres dont les œuvres sont présentées au Musée d’Auch, il faut citer Jacob et Jean-Baptiste Smets, Gabriel Lettu, Gustave de Lassale-Bordes, Mario Cavaglieri. Mais aussi celui que l’on surnomma « le peintre de la lumière », Jean-Louis Rouméguère, dont une série de dix tableaux intitulée « les phases de la lumière » représente les effets de la lumière sur un paysage pyrénéen, de la naissance de l’aube à la nuit. Cette œuvre est le manifeste des conceptions artistiques de Rouméguère, résultat de vingt années de travail, qui lui ont permis de mettre au point une technique picturale, la « peinture scientifique », fondée sur une connaissance approfondie des lois de l’optique et des couleurs » (4).

Phases de la Lumière
Effet de Matin 1905

Madame Élisabeth Penisson, ancien conservateur du Musée d’Auch, précise sur une plaquette : « Homme passionné, avide de liberté, fuyant les contraintes, Jean-Louis Rouméguère a toujours cherché à s’exprimer à travers l’Art. Ce peintre autodidacte, pousse son souci de la perfection en travaillant sur un thème répétitif : la lumière dans le paysage. Comme un chasseur de papillons, Rouméguère parcourt les campagnes pour y saisir toutes les variantes de la lumière qu’il collectionne et fixe avec les couleurs » (4).

 

La Dent Écarlat

En 1919, avec le frère de sa femme, Marcellin Écarlat, mécanicien-dentiste à Paris, Jean-Louis Rouméguère prend un Brevet d’Invention pour la Dent Écarlat et ouvre, toujours dans la même maison de la rue Salleneuve, un atelier de fabrication. Cette facette, qui propose, dit la publicité … « de remplacer des grammes d’or par des décigrammes » …, fut commercialisée par son fils Marcel. Quoique sa fabrication ait été abandonnée depuis une cinquantaine d’années, quelques Laboratoires de Prothèses proposent encore de placer des facettes Écarlat.

Jean-Louis Rouméguère décède à Auch le 25 novembre 1925, une rue de sa ville porte son nom.

 

Louis Robach (1871–1959)
Louis ROBACH Astronome – Photographe Alpiniste – Voyageur Et à l’occasion Chirurgien-DentisteIn Nubeculis
Pied à Terre à Montréjeau

Né à Besançon en 1871.

Il entre à l’École Dentaire de Paris en 1894.

Il exerce d’abord l’art dentaire à Marseille.

Octobre 1898 : installation d’un cabinet de chirurgie-dentaire à Condom (Gers).

En 1905, admis à la Société Astronomique de France. Il a réalisé les premières photos de Mercure et a découvert que la Lune est aplatie aux pôles.

Il s’établit à Montréjeau en 1921 où il décèdera à 88 ans.

Grand voyageur et alpiniste, il escalade :

  • 43 fois le Mont Perdu,

  • 8 fois le Mont Blanc,

  • 1 fois l’Aconcagua,

  • 1 fois le Cervin à 63 ans et seul,

  • 1 fois le Chacaltaya (5130 m) en Bolivie à 80 ans,

  • 1 fois le Pico Meys (5326m) dans la Cordillère des Andes, à 83 ans.

Il a extrait 25.564 dents. Végétarien et buveur d’eau, il a compté aussi qu’il avait avalé 40.000 grains de raisins en 1938.

Avec la guerre de 1914-1918, il va connaître quelques problèmes :

1er août 1914, ordre de mobilisation à Condom, on sonne le tocsin. Louis Robach a beaucoup voyagé ; cela intrigue. « Robach ? » se disent les Condomois, « est-ce un nom d’origine germanique ? ». De nombreuses personnes l’avaient interrogé auparavant sur l’éventualité d’une guerre. A tous, il avait répondu : « Personnellement, je ne crois pas à la guerre » ; il est pacifiste. De plus, « C’est étrange : la lunette d’astronomie sur le toit de sa maison – est-il un espion ? ». Les 2 et 3 août il sent qu’on le fuit. L’après-midi du 3, à cause d’une dénonciation calomnieuse, le Maire, accompagné du Procureur de la République et de gendarmes, sonne à sa porte et lui dit : « Au nom de la loi, je vous arrête et je vous remets entre les mains de l’autorité militaire. » « Par ordre du Conseil Général Commandant de la 17ème Région militaire à Toulouse, arrêtez immédiatement Robach, dentiste, photographe et perquisitionnez son domicile ». La perquisition de la maison d’une durée de trois heures n’ayant rien donné, le procureur permet à Louis Robach de rester chez lui, protégé par les gendarmes car la foule devant la maison est menaçante. Les interventions du Maire, d’un prêtre, ont un peu calmé la foule – quelqu’un avait même crié « à mort ». Au bout de 8 jours, les choses, petit à petit, rentrent dans l’ordre. Le 15 août 1914, Louis Robach tire à cent exemplaires une lettre de protestation, clamant son innocence et son attachement à la Patrie (1).

C’est certainement ce problème condomois qui l’incite à aller s’installer à Montréjeau en 1921 où il meurt le 8 mars 1959 avec ce dernier « bon » mot : « ni bridge ni couronne ».

Cham, Amédée Charles-Henri, Comte de Noé
(1819–1879)
Danger de s’approcher du cadre renfermant les rateliers mécaniques s’ouvrant et se fermant tout seul.

Et pour finir un dessin de Cham (1819 – 1879), de son vrai nom Amédée Charles Henri, Comte de Noé, fils d’un Pair de France. Il prend le pseudonyme de Cham en souvenir du 2ème fils du Patriarche Noé blâmé par ses frères pour son irrévérence envers leur père qui s’était étendu dans une posture indécente après s’être enivré. Il passe de nombreux séjours dans le Château de la famille à L’Isle-de-Noé dans le Gers. Comme Daumier et Gavarni, il publie de nombreux dessins dans le CHARIVARI et s’en prend très souvent à la chirurgie-dentaire.

Références

BEYRIS P. « Les mésaventures du Pyréneiste Louis Robach à Condom », Bulletin de la Société Archéologique Historique Littéraire et Scientifique du Gers, 2ème trimestre 2003, p. 196-209.
BORDES M., CORTES G. Histoire de Lectoure. Bouquet, Auch 1972.
CECCONI C.-J. Notes et Mémoires pour servir à l’Histoire de l’Art Dentaire en France, L’Expansion Scientifique Française, 75006 Paris 1959.
PENISSON E. J.-L. Rouméguère 1863-1925 – Chercheur de Lumière, Musée d’Auch, Sud Écritures. ISG, Miélan 1994.
TILLOS G. Le Comté d’Armagnac Une Région Historique ″d’Argent au Lion de Gueules″, Lacour, Nîmes 2003.
VILLAS Ch. L’A. Dentaire, janvier 1926, n° 11, p2.