Javier SANZ, Président de La Sociedad Espanola de Historia de la Odontologia (MADRID)
C/. Tutor, 7 y 9, 2.°C, 28008 MADRID
jsanz@med.ucm.es

Resumé

 

Après la parution du « Colloquio » en 1557 de Francisco Martinez , il faudra attendre 1795 pour qu’un autre livre d’auteur : « El Tratado de las enfermemedades de la boca » de Francisco Antonio PELAEZ, voit le jour. En 1700, Philippe V inaugure l’instauration de la Monarchie des Bourbons en Espagne. Arrivent alors de France des architectes, des médecins, des chirurgiens et des dentistes. Ces derniers vont occuper, pendant tout le XVIIIème siècle, la charge prestigieuse de « Dentistes du Roi ».

Dans la première moitié du siècle, opéraient de nombreux charlatans. A l’instar de la France, les Collèges Royaux de Chirurgie, vont stipuler en 1764 à Barcelone, que les dentistes devront être examinés pour leur connaissances en Odontologie et faire la preuve d’un apprentissage chez un dentiste diplômé. A la fin de la deuxième moitié du siècle, Pelaez et Pérez Arroyo s’inspirent des savoirs médicaux et chirurgicaux contenus dans « Le Chirurgien-Dentiste » de Pierre Fauchard. On peut dire qu’en général, à cette époque, presque toutes les connaissances odontologiques proviennent de la plume de dentistes français.

Mots clés : XVIIème siècle, odontologie espagnole, influence française.

Abstract

INTRODUCTION OF FRENCH ODONTOLOGY IN SPAIN AT THE BOURBONS’S COURT.

After the publication of the « Colloquio » in 1557 by Francisco Martinez, one will have to wait until 1795 for an other book to be published: « El Tratado de las enfermemedades de la boca  » by Francisco Antonio PELAEZ, .

In 1700, Philippe the Vth inaugurates the introduction of the Bourbon’s Monarchy in Spain. Arrive then from France architects, doctors, surgeons and dentists. The latter will occupy, during all the XVIIIème century, the prestigious title of « Dentists of the King ». In first half of the century, many charlatans operated. To the instar of France, the Royal Colleges of Surgery, will stipulate in 1764 in Barcelona, that the dentists will have to be examined for their knowledge in Odontology and to prove a training with a graduate dentist. At the end of second half of the century, Pelaez and Pérez Arroyo take as a starting point the medical and surgical knowledge content in « Le Chirurgien-Dentiste » published by Pierre Fauchard. One can say that in general, at that time, almost all odontological knowledge comes from the writings of French dentists.

Keywords : XVIIth century, spanish odontology, french influence.

Introduction

Après l’oeuvre excellente de Francisco Martínez de Castrillo, le Colloque bref et abrégé sur l’oeuvre merveilleuse de la denture et de la bouche (Valladolid, 1557), on peut supposer, bien que ce soit une certitude, que ce fut un moment resplendissant pour l’odontologie espagnole de la Renaissance. Durant tout le siècle suivant, dans l’ignorance de ce livre, les connaissances odontologiques entrent dans une léthargie manifeste qui les ramènera au niveau le plus bas des époques passées. (1)

Au siècle des lumières, la situation évoluera peu à peu grâce aux progrès qui toucheront la chirurgie espagnole (2). Pour J. Riera (3), l’un des témoignages les plus éloquents de l’européanisation croissante de l’expérimentation du savoir chirurgical en Espagne du XVIIIe est la présence massive de professionnels, de préférence français au service des Monarques Bourbons. Ceci qui n’existe pas au siècle précédent. D’autres présences de même importance historique, concernent quelques peintres de la Maison Royale, des architectes, des précepteurs ou des ministres. Pour cet auteur, deux raisons permettent d’expliquer cette arrivée : l’origine française de la nouvelle dynastie et la demande croissante de professionnels c’est-à-dire, l’existence d’un marché du travail pour l’Europe du XVIIIe, dans l’Espagne de l’ancien régime

Ce phénomène apparaît plus que dans aucune autre discipline. Dans ce siècle, les dentistes qui s’occupent de leurs Majestés sont tous des étrangers et six d’entre eux sont français, ce qui vient confirmer aussi bien cette tendance que la preuve de l’inexistence d’un quelconque niveau de l’odontologie dans notre pays.

Mon exposé sera axé sur deux aspects fondamentaux auxquels je me rapporterai plus en détails par la suite :

  1. La présence de dentistes français dans notre pays et leur accomplissement professionnel dans les meilleurs places comme celles de la Maison Royale.

  2. L’importance des textes odontologiques français, et spécialement l’oeuvre de Fauchard, comme source de connaissances théoriques pour les dentistes espagnols.

L’étonnement français devant le panorama espagnol

L’exercice professionnel à cette époque peut être qualifié, plutôt que pittoresque, de chaotique. En plus des professionnels les mieux situés, sur les places des villages, circulent les charlatans empiriques qui offrent des services les plus variés dans le cadre d’une tolérance que l’on tentera de redresser que bien plus tard dans le siècle, quand se développeront les Collèges Royaux de Chirurgie. Ceux-ci par des « Ordonnances » organiseront, bien qu’avec une importance relative, la formation des sages-femmes, des accoucheurs, des dentistes et des oculistes. C’est seulement par le premier règlement du Collège de Barcelone (1764) que s’obtiendra le titre de « Dentiste » après le passage d’un examen correspondant, et par les ordonnances de 1795 sera exigé un temps minimum d’expérience, préalablement à l’examen, auprès d’un dentiste agréé.

Malheureusement, cette bonne voie initiée par ces dispositions a été interrompue, lorsqu’en 1797 un Ordre Royal a réglementé le métier de « barbiers » en promulguant des règles d’examen pour leur permettre d’accéder au titre de « Chirurgiens-barbiers » ; lesquels, à la condition de quelques travaux odontologiques pouvaient s’arroger le titre de « Chirurgiens-dentistes ». Divers dentistes arrivés de pays voisins ont montré leur surprise et leur préoccupation pour ces groupes hétérogènes d’espagnols s’adonnant à l’art dentaire.

Le français Abadie a écrit dans son livre : À Paris, les Dentistes sont diplômés, et distingués des arracheurs de dents, puisque pour obtenir ce titre ils doivent connaître l’Anathomie, autant que l’Ethymologie de la Denture pour non seulement opérer des soins palliatifs, mais aussi de plus importants, connaître et différencier les maladies, et la manière de les soigner, savoir perfectionner aussi bien le naturel que l’artificiel de la Denture (4).

Des connaissances de l’anatomie régionale, des maladies bucco-dentaires et de leur traitement, ainsi que de la prothèse étaient nécessaires pour pouvoir se présenter à l’examen pour l’obtention du titre de « Dentiste ». Rien à voir avec ce qui se passait dans notre Royaume.

Blas Beaumont déclare pour sa part avec fermeté que la qualité d’un Chirurgien est de savoir exécuter toutes les opérations de la Chirurgie, en ne méprisant pas celles que, peut-être, il ignorerait et n’oserait pas réaliser ; personne ne se déshonore en exécutant tout de sa profession; et ceux qui méprisent une opération, c’est parce qu’ils savent qu’ils sont très loin de pouvoir l’exécuter avec perfection, et ils sauvent leur honneur en ne faisant que ce qui leur est facile à faire. Ce chirurgien très remarquable, outre d’autres travaux chirurgicaux, laissera un témoignage de son exercice odontologique : j’ai extrait beaucoup de molaires à tous nos Princes, et Princesses, et à toutes les personnes de grande distinction, et celui qui a l’adresse et le courage de bien arracher une molaire à un Prince doit être considéré, adroit, et capable d’entreprendre n’importe quelle autre opération (5), avec une claire allusion aux chirurgiens qui méprisent ces interventions.

Que se passait-il en France ? En ce qui concerne la stricte légalité, il faut rappeler l’Édit royal de Louis XIV, en date du 11 mai 1699, Statuts des maîtres dans l’art et la science de Chirurgie de Paris, selon lequel les « médicaux de moindre importance », comme les chirurgiens herniaires, les oculistes, les Experts pour les dents et les autres, devaient passer un examen devant un jury composé d’éminents chirurgiens. Cet édit disait d’une manière implicite que ces « chirurgiens particuliers » devaient se limiter à une ou à quelques parties de la chirurgie. De la même manière, ils promettaient de se vêtir décemment, loin de l’exagération des charlatans, et ne pas se faire annoncer dans les rues, dans les foires ou les marchés.

Cela se passait dans la capitale, mais qu’en était-il dans le reste du pays ?

La situation était assez différente. L’article XXI du règlement du 28 février 1719 (enregistré au Parlement le 16 mars suivant) pour la communauté de Versailles, étendu à toutes les villes du royaume par un édit de 1723, laissait aux employés des communautés la possibilité d’approuver l’exercice de seulement une « partie » de la chirurgie et de même, le règlement de 1730 concerne les experts pour les dents. Selon la déclaration du 3 septembre 1736, le procédé à suivre serait semblable à celui mentionné pour Paris. De même, dans le cas concret de Montpellier, étudié par L.Dulieu, il était établi selon le règlement de 1770 que les aspirants passeront l’examen devant les Maîtres chirurgiens de la ville et seront reçus dans le Collège de Chirurgie correspondant.

Revenons à la capitale, les statuts du Collège de Chirurgie de Paris, datés de 1768 parlaient de l’exercice de la chirurgie. Ils stipulaient dans l’article 126 : ceux qui veulent seulement s’occuper des soins des dents et des molaires, seront obligés, avant de pouvoir exercer, d’être reçus dans le Collège de Chirurgie en qualité d’experts. L’article 127 exprimait comment avant l’examen, l’aspirant devait être pendant deux années entières dans une maison de Maître en Chirurgie ou dans la maison d’Experts établis dans les quartiers de Paris, mais s’ils le faisaient dans des maisons d’autres villes, ce temps serait majoré d’une année de plus. L’examen se composait de deux parties, théorique et pratique. Quelques célèbres dentistes au service de grands personnages ont essayé d’esquiver cette étape en s’appuyant sur la protection de leurs maîtres, mais ils ont été poursuivis par Saint Côme.

Cette situation a duré un peu moins d’un quart de siècle, jusqu’à ce qu’un Décret promulgué en 1791 abolisse les corporations en France, supprimant donc celle des dentistes ; l’art dentaire devient libre d’exercice, comme la médecine et toutes les autres professions.

Dentistes de Palais

La préférence de la nouvelle monarchie pour les chirurgiens français s’est traduite par l’arrivée dans notre pays d’un bon nombre de ces professionnels comme on l’a déjà dit. Dans le cas des dentistes, comme nous avons eu l’occasion de le vérifier, cela s’est produit d’une façon massive (6). Donc, parmi les dentistes qui approuvaient l’oeuvre de Pierre Fauchard, Le chirurgien dentiste (Paris, 1728), apparaît « Monsieur Laudumiey », Chirurgien Dentiste de sa Majesté Catholique, Philippe V. Roy d’Espagne (7). Comme il est précisé, fait à Paris le 9 juin de cette même année, nous pensons qu’il demeurait avec lui, en étant son dentiste. Nous n’avons pas de preuve de ses activités dans notre pays et son dossier n’apparaît pas parmi les employés de la Maison Royale.

Pedro Gay (8)

Dès 1729 il exerce sa profession à la Cour. Le 17 mai 1736, ce chirurgien dentiste français succéde à Félix de Bozarraiz au poste de dentiste de la Maison Royale

Ricardo Le Preux (9)

Dans la lettre conservée dans son dossier, on apprend qu’il « a été en service pendant 39 années Il a débuté en 1703 en tant que Chirurgien de la Reine, Marie Louise de Savoie jusqu’à ce qu’il soit nommé en 1724 premier Chirurgien du roi Louis I – que Dieu le garde

Après l’abdication du monarque, le 10 janvier 1724, par Décret royal, le 13 du même mois, son fils Louis nomme Le Preux au grade de sangrador (barbier) avec celui de Premier Chirurgien, avec un salaire annuel, à partir du 23 avril, égal à celui dont profitait Legendre, soit 46.134 réaux de billon

Il meurt le 23 janvier 1747, à l’âge de 82 ans.

En 1717 Le Preux publie à Madrid sa Doctrine moderne pour les sangradores ce sera le livre de référence obligatoire pour cette corporation durant plus d’un siècle, comme le prouvent, les dix éditions publiées jusqu’en 1840 : Madrid, 1717, ?, 1760, 1775, 1778, 1802; Valence, 1825; Madrid, 1825 et 1840. Dans le neuvième et dernier chapitre, De la denture et des accidents qui obligent à extraire des canines et des molaires, il expose sous forme d’un memento, 38 questions – réponses, sur le savoir odontologique dans tous ses aspects, depuis l’anatomie, la physiologie, la prévention, etc…jusqu’au traitement des affections et soins conservateurs – obturation – ou extractions. Tout cela sous l’influence, certaine, pour ne pas dire plagiat, du livre de Pérez de Bustos, comme on peut s’en rendre compte en confrontant les deux traités.

Blas Beaumont (10)

Personnage illustre de la chirurgie espagnole du XVIIIe siècle (11), Blas Beaumont sur la couverture de son oeuvre Le bien de l’homme, cherché et trouvé en lui même (Madrid, 1739) donne certains de ses titres traduisant son importance : « Chirurgien et Sangrador de la personne Royale du Roi notre Seigneur, Examinateur des sangradores de tout le Royaume, Académicien de la Royale Académie de Séville, et Premier Démonstrateur devant le Roi d’Anatomie des Hôpitaux Royaux de Madrid ».

En effet, l’étude de son dossier personnel précise son activité en Espagne : Sangrador de Philippe V à partir de 1714. Il occupe aussi le poste de dissecteur et démonstrateur d’anatomie de l’Hôpital Général de Madrid auquel il se rend ponctuellement : durant 14 ans Chirurgien de Velt avec pour devoir de servir le Prince notre seigneur . et ses enfants sans que pour cela il ne cesse d’enseigner publiquement l’Anatomie à la chaire, créée dans le même hôpital par Philippe V et où il exerce comme directeur.

D’après Riera, il assume également la même charge auprès de la Société Royale de Médecine et d’autres sciences de Séville, de 1730 à 1742. Le 3 décembre 1733 il monte en grade, il est nommé Examinateur du Protobarberato (Tribunal Royal pour régler la profession.)

Beaumont est en plus du «  Bien de l’homme, cherché et trouvé en lui même « … que nous venons citer, l’auteur de bien d’autres oeuvres : « Pratique des opérations essentielles et anatomiques de chirurgie » avec un bref résumé pour les instruments et les bandages (Madrid, 1728), constitue le premier volume de son « Anatomie » ; le second volume sur les « Instructions chirurgicales et anatomiques, pour éclairer ceux qui essaient de parvenir à la connaissance des maladies, de ses causes et de ses guérisons, au moyen des lumières de la raison et de l’expérience » (Madrid, 1753.) Celui-là, est le premier qui ait un contenu clairement odontologique et qui, parmi les nombreuses « réflexions » qui le composent, s’occupe de la pathologie des structures de la bouche, de ses annexes et du massif maxillo-facial, et apporte la solution thérapeutique méritant une attention particulière à l’abondante casuistique personnelle qu’il présente.

Juan David (12)

Ce dentiste, arménien, est nommé Chirurgien Dentiste, arracheur de dents de la famille Royale de V.M. en 1736, comme il est écrit dans sa lettre adressée au Roi un an plus tard. Dans celle-ci, il signale des éléments biographiques intéressants que nous exposons : « ayant exercé depuis l’âge de 14 ans cet Art, en nettoyant les Dents, en mettant des dents artificielles, en plombant des molaires endommagées, en arrachant les racines, soigner les accidents scorbutiques et les altérations osseuses dans la bouche, et d’autres différents accidents de cet exercice, tout le monde sait à la Cour qu’il y a douze ans qu’il fait cela, ainsi que dans les autres royaumes où il a exercé. Et après examen a été reçu par devant le Roi, Protomedicato de V.M ».

Des feuilles de salaire apparaissent de 1749 à 1761 dans son dossier bien qu’il ait occupé cette charge plus longtemps, Il meurt le 13 mai 1763.

Il a vécu dans la rue madrilène de Silva comme le confirme son voisin Pierre Abadie dans son Traité odontalgique… (Madrid, 1764) qui lui succédera à sa mort : « Pendant le temps où j’ai habité Rue de Sylva, j’avais pour voisin Don Juan David. Quand ce maître est décédé, je me suis occupé de ses paroissiens en ce qui concerne mon Art » (13). 

 

Guillermo Petit (14)

Nous connaissons peu de choses sur la biographie et les activités de ce dentiste au nom français. Dans Le Pardo, en date du 16 mars 1739, Philippe V le nomme son dentiste : «  J’ai admis dans ma Maison royale, Guillaume Petit Chirurgien Dentiste de Profession pour y exercer moyennant le traitement annuel de vingt-deux mille réaux de billóns » Il prête serment le 6 novembre suivant.

 

En 1747, un congé de six mois lui est accordé par le monarque, pour aller à Montpellier recouvrer la santé, suite à une missive dans laquelle il invoque « les nombreux malaises dûs à sa surdité, pour laquelle les médecins lui ont conseillé les Eaux de Bagnères, et aussi d’y prendre des Bains ». Nous ignorons quand cela a pris fin.

Jean Baptiste Rouyer (15)

Ce chirurgien originaire de Dorville (Lorraine), commence à servir dans la Maison royale en 1753, en vertu d’une ordonnance de Ferdinand VI, avec un traitement annuel de quinze mille réaux de billions, plus deux mille livres pour payer son voyage. Préalablement, il signe le 8 juillet à Paris un contrat de 8 clauses. Jean Riera a pu constater les ordres de paiement émis par les Finances Royales à Rouyer en tant que « chirurgien-dentiste » depuis la date de son contrat et ce sans interruption jusqu’en 1802, (16). Le dossier mentionne son décès à la date du 27 janvier 1803.

Thomas Clanet

Le dossier personnel de ce dentiste n’apparaît pas parmi ceux du personnel de la Maison Royale, mais il y a son serment de Chirurgien Dentiste de la Chambre daté du 11 janvier 1789 (17). Il avait antérieurement servi le monarque, alors prince. Le 24 décembre de l’année précédente lui est attribué le salaire annuel de 15.000 réaux de billions.

Jean Baptiste Gariot (18)

Dans la feuille de service gardée dans son dossier, il est établi qu’il est né à Ste-Menehould, diocèse de Chalon. Compte tenu qu’en 1835 il signe une feuille en disant avoir 74 ans, il est donc né en 1761. Il meurt le 21 décembre 1835. M. Ring nous informe que Gariot est l’inventeur d’un articulateur simple à charnière (19). Il est l’auteur du livre Traité des maladies de la bouche (Paris, 1805), illustré de gravures représentant des instruments odontologiques ainsi que divers types de prothèse. Y sont abordées les connaissances de la spécialité en quatre parties : Structure de la bouche, Histoire des maladies, Hygiène et Thérapeutique, Opérations dentaires.

Nous connaissons son dossier de purification, à la suite des événements de 1808, dont nous obtenons quelques informations importantes : en 1793 je me suis établi à la Cour afin d’y exercer ma profession comme indiqué par Ordonnance Royale. Le 19 décembre 1798 il est nommé Chirurgien de la Chambre. Le 15 avril de l’année suivante, il est nommé par S.M. Don Carlos 4 º (Q.E.G.E.) chirurgien dentiste avec les honneurs de la cour avec un traitement de 15.000 réaux de billions et il commençe à travailler.

En 1808 il se voit obligé de traverser les Pyrénées, sa vie étant mise en danger ainsi que celle de sa famille, encourant de plus, selon sa propre confession, le risque d’être inculpé d’infidélité à son monarque, en étant pris au service du gouvernement intrus. Il s’installe à Toulouse où il reste pendant huit ans et demi.

Une Ordonnance Royale de juin 1814 dispose que la Trésorerie générale de la Maison Royale continuerait de payer les traitements et les soldes anciens aux serviteurs de la Maison Royale, de la Chapelle et de la Chambre qui n’auraient pas démérité et parmi lesquels se trouvait Gariot, après qu’il se soit justifié de sa conduite politique.

Cependant il a mis quelques années à revenir à la Cour : par un dernier effort je me suis résolu à entrer par Barcelone en m’arrêtant un mois dans cette capitale et ensuite à Valence pour gagner ma vie et celle de ma femme et de mes enfants, encore près de Toulouse, en attendant ma réhabilitation pour rejoindre la Cour. Le voyage a eu lieu en 1818 comme le prouve l’annonce parue dans le DIARIO DE BARCELONA dans laquelle il proclame ses mérites et rend compte de ses activités. En 1819 il sollicite son retour à son ancienne affectation, ce à quoi le Roi accède.

En dehors de quelques-uns qui fabriquaient leurs propres prothèses dans leur cabinet, dans un atelier adjacent, nous trouvons déjà des prothésistes dentaires occupés uniquement à la confection d’appareils, sans aucune intervention dans la bouche. C’est le cas du Français Juan Nicolas Gardet qui s’annonce dans la presse, en 1802, comme fabricant de « dents et molaires artificielles » sans aucune intervention chirurgicale, autre particularité qui vient confirmer la pénétration française dans le domaine de ce qu’aujourd’hui nous dénommons les « professions auxiliaires » du dentiste.

La diffusion de l’oeuvre de Pierre Fauchard en Espagne. Son importance dans les textes de Peláez et de Pérez Arroyo

En plus de tout ce qui a été exposé antérieurement, un nouveau facteur vient confirmer l’influence de l’odontologie française sur l’espagnole : la reconnaissance de la qualité scientifique du traité de Fauchard « Le chirurgien dentiste, ou Traité des dents » (Paris, 1728), livre de chevet de l’odontologie occidentale durant plus d’un siècle, ce qui n’encouragea pas les auteurs espagnols à l’édition de leur propre manuel. Mais en revanche, en deux parties, Peláez et Pérez Arroyo vont le traduire littéralement et le mettre à la disposition de leurs compagnons espagnols. En définitive cela signifie la reconnaissance de la suprématie de Fauchard et de ses successeurs dans l’odontologie du moment et l’abandon de toute intention de production autochtone

Le « Traité des maladies de la bouche … » de Francisco Antoine Peláez

F.A.Peláez, (Benia dans les Asturies 1736 – Madrid 1805) passe une bonne partie de sa carrière professionnelle, sinon toute sa carrière à Madrid (21). Comme on peut le voir sur la couverture de son livre, il exerce dans la capitale comme « Dentiste des Hôpitaux Royaux » en se qualifiant de « Chirurgien » bien qu’il ait dû être un chirurgien de moindre importance. Par l’annonce qu’il envoie à la presse nous savons qu’il exerçe dans le privé, rue de Juanelo, n º. 10, il réside rue San Dámaso, à sa mort en 1805. Dans l’une de ses annonces insérées dans la Gazeta de Madrid, en 1772, il parle des « effets puissants produits par le puissant médicament que son travail et ses études lui ont permis de découvrir pour soigner toutes sortes d’ulcères ou de plaies résultants du scorbut, dans un délai de huit jours », aussi bien dans sa consultation qu’à son poste dans les Hôpitaux Royaux où son disciple Pierre Fernand Rodríguez lui succédera.

Sans observer les règles préliminaires de l’époque, au contraire de Pérez Arroyo qui ne soumettra pas son texte à l’examen et à l’approbation de l’Académie Royale de Médecine, Peláez, auteur du livre intitulé « Traité des maladies de la bouche, sur toutes les parties de l’Art du Dentiste » le publie à la Cour en 1795, et le dédie à son mécène, le Marquis de Miravel.

Comme il le souligne dans la préface, « l’observation et l’expérience de plus de trente ans », et dans le même temps, le manque de textes similaires dans notre langue, l’ont conduit à écrire ces 258 pages. Ne voulant pas frauder il avertit de sa fidélité à ceux qui font autorité sur le sujet principalement Pierre Fauchard et ses disciples : Bunon, Mouton et Bourdet en mentionnant aussi Pierre Abadie, et c’est sur ces autorités là qu’il s’appuie pour construire son oeuvre. Le livre est divisé en cinq chapitres. Le premier : « Physiologie des dents. Des moyens de l’art pour corriger les imperfections », transmet quelques notions d’anatomie dentaire, d’embryologie, sur l’éruption des dents temporaires et permanentes, ainsi que des accidents qui peuvent survenir au cours de l’éruption.

Le deuxième chapitre est dédié aux maladies proprement dentaires : érosion et carie, fractures dentaires et les dix-neuf modalités de l’odontalgie, en n’oubliant pas quelques traitements conservateurs comme le plombage de la cavité, parfois après la destruction pulpaire par le cautère. Le chapitre central traite des maladies et des causes qui altèrent la blancheur des dents, en recommandant des formules de dentifrices. Un quatrième chapitre aborde les maladies alvéolaires et gingivales et le dernier présente une série de vingt-et-une préparations pharmacologiques, dentifrices, antalgiques et anti-inflammatoires, etc.. Dans tout le livre, comme on peut s’en rendre compte, il suit le maître français, si bien que l’on peut considérer ce livre comme la version de sa « partie médicale »

Le « Traité des opérations … » de Pérez Arroyo

« Chirurgien herniaire » des Hôpitaux Royaux de la Cour, c’est ainsi que se qualifie sur la couverture, Félix Pérez Arroyo (Alovera,Guadalajara 1755, Madrid 1809) : un professionnel de la petite chirurgie dédiée, bien que non exclusivement à la dentisterie. Le 20 septembre 1798, son œuvre terminée, la Royale Académie de Médecine madrilène reçoit un ordre du Conseil, « exigeant la censure de l’œuvre de Don Feliz Perez Arroyo Chirurgien Herniaire des Hôpitaux Royaux sur les opérations des dents » (23) pour lequel sont nommés censeurs les académiciens Durand et Somosa.

Dans ce dit acte, on remarque une recommandation d’importance capitale pour le jugement critique de l’oeuvre après sa parution : « il est passé devant le Conseil en disant que, pour juger du mérite de la traduction, l’Académie a besoin de l’original » qui en « reconnait le succès » : le traité est, pratiquement dans toute son étendue, une traduction du livre de Fauchard. Ce qui fait tout le mérite de l’oeuvre même si d’autres auteurs comme Dionis, Riviere, Heister ou Verduc sont mentionnés. Après la censure de Somoza, recueillie à l’Assemblée du 18 avril 1799, à laquelle Durand donne son accord une semaine après, l’oeuvre étant prête à l’imprimerie, parait la même année avec le titre « le Traité des opérations qui doivent être pratiquées dans la denture … » Même le matériel odontologique contenu dans les quatre planches dépliantes qui illustrent le texte est, pratiquement, une copie de Fauchard, en se permettant un apport comme celui du pélican (24) et en le modifiant légèrement.

Parlons nous d’un plagiat ?

Dans les livres de Peláez et de Pérez Arroyo, on a voulu voir pour chacun des deux un partage éhonté de l’oeuvre de Fauchard ; Peláez, comme nous avons déjà dit, pour la partie « médicale » et Arroyo, la partie « chirurgicale ». Bien que globalement cela puisse être exact, on peut néanmoins faire quelques observations.

Aucun de deux auteurs ne cache ses sources, tout au contraire, Pérez Arroyo soumet le texte à l’approbation des autorités scientifiques et enrichit la version espagnole. Il ne semble pas que cet auteur n’ait eu d’autre objectif que celui de compléter l’édition espagnole, dans sa partie chirurgicale, du meilleur traité général sur l’art dentaire publié jusqu’à cette date, en le mettant ainsi entre les mains de tous les dentistes du pays. Cependant, il faut constater la très grande qualité du texte de Pelaéz puisque ce n’est pas une traduction littérale et l’expérience professionnelle de l’auteur apparaît dans ses propos.

Conclusions

Nous avons vu précédemment, la relation qui semble indéniable, entre la renaissance qui touche l’odontologie espagnole au Siècle des Lumières et la pénétration de cette science dans notre pays à travers les Pyrénées. Cette affirmation est corroborée par quelques faits, s’y rapportant, comme par exemple ceux-ci :

1. Le désintérêt des autorités pour cette branche du savoir médical est palpable, du fait que ce n’est qu’à partir du siècle déjà bien entamé, qu’on essaie de légiférer par réglementation des Collèges Royaux de Chirurgie, une formation académique minimale et sa transcendance correspondante dans l’exercice légal.

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2. La perte de prestige de la profession, en la laissant aux écrivains satiriques, est dénoncée par des médecins illustres et des chirurgiens dans leurs oeuvres, tous d’accord sur l’abandon incompréhensible qu’elle subit.

3. Longuement instaurée et bien assise la monarchie des Bourbons, préfère pour son service l’importation massive de dentistes français ne faisant aucune confiance aux Espagnols qui sont sans formation et ni tradition.

4. L’offre thérapeutique que nous avons pu vérifier dans les annonces de presse constitue un fait sans précédent. Les Français ne se limitent pas à la réalisation d’extractions dentaires, mais commencent à aborder des traitements très différents: obturations, prothèses partielles et complètes, transplantations (greffes) dentaires, etc.., en proposant même la pratique de médecine préventive.

5. La description de techniques spécifiques dans certaines des oeuvres françaises comme celles d’Abadie, peut-être de moindre importance, Beaumont, qui décrit minutieusement la chirurgie du bec de lièvre, ou Gariot, qui dessine pour la première fois un articulateur dentaire, sont de bons exemples du niveau atteint dans des parties aussi concrètes que celles-là et apportent une information d’une énorme valeur à ceux à qui veulent se consacrer à la dentisterie.

6. La production scientifique odontologique écrite en Espagne est nulle durant pratiquement tout le siècle. Seulement à l’extrême fin, en 1795 et 1799, sont publiés les deux livres qui ne sont pas autre chose que la traduction du célèbre texte de Fauchard, augmentée d’autres auteurs en majorité aussi, d’origine française.

Tout cela n’empêchera pas l’odontologie espagnole d’opérer sa récupération, après l’héritage lamentable du siècle antérieur. Les nouvelles connaissances et les techniques venues de France dans les mains des dentistes français, apportant en même temps de nouveaux instruments, ont ouvert l’éventail des possibilités préventives et thérapeutiques destinées à une amélioration de la santé bucco-dentaire de nos ancêtres en essayant d’en finir, bien que très lentement, avec les spectacles anachroniques des charlatans sur beaucoup de places espagnoles

Références

(1) Cfr. SANZ J. La odontología española en el siglo XVII. Asclepio. 1993. 45. 1. (95-124.)
(2) Sobre el estado de la odontología española en el siglo XVIII, consultar: IRIGOYEN CORTA M. La odontología española en el siglo XVIII. Salamanca, 1967. GRANJEL L.S. « Textos odontológicos españoles del siglo XVIII. » Boletín de la Sociedad Española de Historia de la Medicina. Madrid, 1967. Págs. 28-31. DEMERSON P. Del sacamuelas al dentista. Saber y práctica en el siglo de las luces. Asclepio. 1989. 41. 1. (3-92.)
(3) Cfr. La cirugía española y su comunicación con Europa en la segunda mitad del siglo XVIII. Medicina Española. 1970. 64. (322-328.) Médicos y cirujanos extranjeros de cámara en la España del Siglo XVIII. Cuadernos de Historia de la Medicina Española. 1975. (87-104.)
(4) ABADIE P. Tratado odontálgico… Madrid, 1764. (36-37.)
(5) BEAUMONT B. El bien del hombre… Madrid, 1739. (120-121.)
(6) Cfr. nuestra obra La Odontología y la Casa Real española. Madrid, 1995. En ella se da noticia más detallada de todos estos personajes.
(7) FAUCHARD P. Le chirurgien dentiste… París, 1728. « Preface. »
(8) Cfr. Archivo del Palacio Real (A.P.R.) Caja 429. Expte. 11.
(9) Cfr. A.P.R. Caja 543. Expte. 29.
(10) Cfr. A.P.R. Caja 109. Expte. 38.
(11) Juan Riera elogia de esta manera a Beaumont: hemos de reseñar con el interés que merece, la presencia de dos figuras capitales en el cultivo de la anatomía y cirugía madrileña de los primeros cincuenta años del siglo. Nos referimos al médico y anatomista Martín Martínez y al ilustre cirujano francés, avecindado en Madrid, Blas Beaumont. (Anatomía y cirugía española del siglo XVIII. Valladolid, 1982. (40.)
(12) Cfr. A.P.R. Caja 286. Expte. 29.
(13) ABADIE P. Op. cit. (28.)
(14) Cfr. A.P.R. Caja 828. Expte. 12.
(15) Cfr. A.P.R. Caja 922. Expte. 41.
(16) RIERA J. Anatomía y cirugía española… (80.)
(17) A.P.R. Carlos V Rey. (Cámara.) Legº. 12. Nº. 29.
(18) Cfr. A.P.R. Caja 12.062. Expte. 18.
(19) RING M.E. Historia de la Odontología. Barcelona, 1989. (265.) (Ed. española.)
(20) Sobre este asunto proporciona buena información el trabajo de SERRAT CARBALLEIRA A.M. El inicio de la estomatología científica: Pierre Fauchard. Medicina e Historia. 1976. 62
(21) Sobre este autor consultar preferentemente: SANZ J. Francisco Antonio Peláez (1736-1805). Su vida y su obra. Revista de Odontostomatologia e Implantoprotesi. 1993. 6. (321-325.)
(22) Sobre este autor, consultar principalmente: LOPEZ PIÑERO J.M., PASTOR GONZALBEZ J.M. La posición del Tratado de Félix Pérez Arroyo en la odontología española del siglo XVIII. (Estudio introductorio a la edición facsímil de la obra.) Valencia, 1985. SANZ J. El cirujano y dentista Félix Pérez Arroyo (1755-1809.) Su vida y su obra. Wad-al-Hayara. 1993. (253-264.)
(23) Archivo de la Real Academia Nacional de Medicina. Libro de Acuerdos de 1791 a 1814. Fº.209 vº.
(24) Cfr. RUIZ ESQUIU E. Instrumentos dentales del siglo XVIII. El pelicán de Heister perfeccionado por Pérez Arroyo. Odontoiatría. 1947. 46. (462-467.)