François VIDAL
Docteur en Chirurgie Dentaire,
Diplômé de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes,
IVe section, Sorbonne, Paris

On sait que la saignée, la phlébotomie, était parmi les traitements celui que l’on prescrivait le plus souvent. Son éventail thérapeutique était pratiquement universel. Plusieurs raisons – plusieurs bonnes raisons justifiaient son usage – la grande polyvalence dans la cure de la plupart des maladies et aussi son ancienneté qui remontait aux origines mêmes de la thérapeutique. Le grand Esculape, le dieu de la médecine, aurait révélé aux hommes ce merveilleux et facile moyen de guérir. Jamais l’efficacité de la saignée n’avait été mise en doûte, sinon le retard ou l’insuffisance de ce geste, qui pouvait être responsable de l’échec et de la mort du malade.

Guy Patin – le doyen de la Faculté écrivait: «  Mr.de Belièvre, premier président est mort par la faute et l’ignorance de ses médecins. Trois mois avant de mourir il fut attaqué de la goutte et ne fut point saigné à cause qu’il faisait froid. Voyez la belle raison « .

Les médecins de la Cour, au moment de la mort de Monsieur, expliquaient qu’il était mort d’apoplexie, tandis que Louis XIV se portait bien grâce aux saignées que ce dernier acceptait quand il était malade.

Parmi les raisons avancées on faisait bien référence à Galien qui aurait consacré plus de dix traités à la monition, et qui plaçait cette thérapeutique au tout premier rang.

 

Quels étaient les effets de la saignée sur l’organisme sain du malade ?

A. En premier lieu de désemplir les vaisseaux. De cette façon la circulation était rendue facile – la masse des liqueurs coulait plus librement entre les solides.

B. La pression sanguine affaiblissait la chaleur naturelle ou pathologique. En effet nonbreux étaient, selon Quesnay, les médecins qui voyaient dans cette manoeuvre  » une ventilation de la chaleur des humeurs « .  » L’ouverture de la veine constituait un soupirail par lequel s’échappait la chaleur « . Les actions physiologiques de la saignée étaient doubles! Spoliation donc. En retirant une certaine quantité de sang on désemplit les vaisseaux d’une part, mais aussi on modifie l’équilibre entre la partie rouge et blanche du sang, rendant celui-ci plus fluide, plus coulant, et rendant ainsi les embarras de circulation trop grâve fâcheux. La saignée, manoeuvre thérapeutique particulièrement utile permettait, grâce à l’ouverture d’une veine, de déplacer, de résorber une humeur qui s’étant arêtée sous forme d’épanchement, aurait provoqué un aposthème ou une zône inflammatoire.

Les médications étaient multiples. Si on se réfère aux points choisis par Quesnay pour faire les saignées, voilà ce qu’on pouvait soigner. En saignant sur 15 veines de la tête on traitait les céphalées, les maux des yeux, ceux des oreilles, les odontalgies (temporales ou canines), l’esquinancie.

En saignant au creux du coude on agissait sur toutes les maladies en général, sauf s’il s’agissait d’un mal provoqué par un excès d’humeur froide, dans ce deiner cas c’est à la marge de l’anus qu’il fallait saigner.

Dix veines pouvaient être saignées au pied. Cette manoeuvre se voulait souveraine dans les douleurs intenses, celles de la tête en particulier, le mal des reins, celui des hanches. La saignée au pied ramenait les règles paresseuses, mais pouvait aussi provoquer l’avortement. On l’utilisait, selon le principe de la révulsion, pour arrêter des mentrues trop abondantes.

La saignée faite entre le petit doigt et l’annulaire était dite salvatelle. C’était celle que devait pratiquer tout chirurgien en cas de danger de mort. C’était celle qui sauvait la vie.

Voyons un peu plus en détails les grandes médications de la saignée:

En premier lieu venaient les inflammations. Gariot aurait adressé une communication à l’Académie Royale de Chirurgie dans laquelle on pouvait lire:  »  Les liquides quels qu’ils soient doivent conserver leurs qualités normales. S’il se produit une modification sur les qualités des liquides, les solides qui les cautionnent sont irrités, un échauffement du sang s’ensuit et on observe alors la viscosité inflammatoire « .

La saignée souvent pratiquée, souvent largement, dégarnira la masse du sang d’une portion de sa partie rouge, et par l’apport du liquide des tisanes et des bouillons, le médecin rendra cette masse plus fluide et plus coulante.

 

Les fièvres

La saignée est indispensable dans la cure des fièvres. C’est la première chose par où on doit commencer, écrivait Pringle, dans les maladies des armées. On connait l’étendue de cette entité nosologique, fièvres ardentes, hectiques, inflammatoires, continues d’été, rémittentes d’été, d’automne, quarte, tierce, épidémique, des camps etc…

Dans ce genre de choses la règle était simple «  modérer la chaleur par des remèdes humectants et par les saignées « . La fièvre, accélérant la circulation, risque toujours de provoquer des engorgements mortels. En vidant les vaisseaux on procure à la masse de sang un plus grand espace et on évite les désordres que font courrir une circulation trop rapide.

L’action curative était immédiate puisqu’on observait, immédiatement après la ponction sanguine un ralentissement du jeu pulmonaire et de celui du pouls. Ces modifications étaient pour les médecins d’alors la preuve d’une diminution de la fièvre. Aussi soumettait-on le fièvreux à une répétition infernale de la saignée, souvent plusieurs fois dans la même journée.

Guy Patin écrivait en 1639: « Mr. Montel a été fort malade, d’une fièvre continue, pour laquelle nous l’avons fait saigner trente deux fois – il est parfaitement guéri, dont je loue Dieu.  » 

 

La mort de Marie Thérèse, 31 juillet 1683

L’Histoire raconte que la Reine, rentrée d’un voyage dans le Berry où elle aurait accompagné le Roi, s’était rendue à la tombée du soir dans le parc de Versailles pour y admirer les grandes eaux. Après le repas du soir, elle se sent très fatiguée, n’en parle à personne. Le lendemain, d’Aquin, le Premier Médecin, prévenu, après avoir tâté le pouls de la Reine, prescrit une saignée au creux du coude, qui est renouvellée en fin de soirée. Le lendemain, le 27 juillet, la situation ne s’améliorant pas, Fagon, l’autre médecin de la Cour, atteste de l’examen de la malade. La fièvre est forte, c’est donc la sagnée qu’il convient de faire et on lui tire plusieurs onces de sang du bras, le matin et le soir. Les médecins décident de revoir la malade tôt le lendemain. Le 28, la question est de savoir si on ne va pas tenter la saignée au pied. Finalement Dionis, le chirurgien de la Reine, fait à nouveau, dans la matinée, une nouvelle ponction au creux du coude. En prenant le bras de la malade il découvre au creux de l’aisselle une grosse tuméfaction qu’il montre aux médecins. Ceux-ci, avec rudesse, font taire Quesnay, il n’est que le chirurgien et n’a pas son mot à dire. Il tire à nouveau le sang des veines dans la palette. Cette manoeuvre sera renouvellée le soir et le 29 deux fois. Deux jours plus tard la Reine expiait.

L’examen post-mortem révélait l’existence d’un abcès sous axillaire qui aurait fait irruption dans la cavité pulmonaire. Une seule chose aurait guidé les médecins: la fièvre et pour celle-ci une seule thérapeutique, la saignée.

La douleur, toutes les douleurs étaient justiciables de la pratique de la saignée. Quesnay écrivait: les douleurs disparaissaient facilement par un petit nombre de saignées, ordinairement par une seule. La physiologie d’alors expliquait la rapidité et la permanence des résultats de cette action sédative, bien naturelle, puisqu’on tirait du liquide de la veine en faisant baisser la pression du sang artériel et par voie de conséquence celui du liquide normal. Comme c’était par le tiraillement, la tension de la fibre nerveuse qu’intervenait la douleur, il était bien normal que, par ce moyen, il soit toujours possible de calmer la douleur, quelle qu’en soit l’origine et quel qu’en soit le lieu. N’oublions pas que depuis Galien, et tout particulièrement depuis l’adaptation du principe circulatoire, la physiologie nerveuse dépendait du système circulatoire. Il y avait un circuit à trois niveaux.

 

Qu’était le traitement habituel de la douleur ?

Dans ce que nous appellons aujourd’hui « la traumatologie « , la saignée était une médication formelle. Deux exemples: le premier tiré du mémoire de la Reine Marie Amélie en date du 1er avril 1823.  » Nous nous sommes rendus dans le couvent du Temple pour voir la pauvre Princesse Louise de Condé, qui a fait une vilaine chute samedi soir, en tombant sur la poitrine dans l’escalier, elle a été gravement atteinte. Nous l’avons trouvée alitée, mais mieux par suite des saignées répétées. « 

En 1729, le chirurgien Ravaton aurait été appelé de Paris pour porter remède à un jeune garçon qui en rentrant des champs était tombé de sa charette dont la roue lui était passée sur l’épaule et la mâchoire. Malgré tous les soins que Ravaton lui prodigue le blessé meurt. Très sérieusement, alors que la gravité des lésions était grande et que les chances de guérison auraient pu sembler faibles, le chirurgien pense et écrit – et cette attitude est très significative – que le jeune garçon était mort parce qu’il n’aurait été saigné que le surlendemain de son accident. Voilà ce que l’on pensait des hautes vertus de la saignée et du risque que l’on faisait courrir au malade en attendant.

Le choc, la blessure entrainant des dégats aux tissus, donc aux solides, provoquait le ralentissement ou l’arrêt du passage sanguin, une stase inflammatoire. En tirant une suffisante quantité de sang on pouvait éviter cette grâve éventualité.

Dans le même ordre d’idée, une saignée, faite préventivement, avant une opération, rendait le pronostic meilleur.

 » Par ce moyen, on détend conjointement toutes les parties  » écrivait le dentiste Bunon. La sonde passait plus facilement dans l’urètre et l’accouchement, selon Mauriceau, allait mieux.  » La saignée au bras, faite à une femme qui a un travail laborieux, lui est utile. Elle accouche plus facilement et évite de trop grandes pertes de sang. « 

Le brillant et valeureux secrétaire de l’Académie Royale de Chirurgie Louis prépare ainsi un blessé dont il doit réparer une fracture de la jambe.  » Je prescrivis des saignées copieuses que je fis réitérer jusqu’à ce qu’il ne restât plus, pour ainsi dire, que la quantité de sang absolument nécessaire pour le soutien de la vie du malade. « 

Lorsqu’on envisageait de soumettre un malade à une cure de longue durée on le préparait en opérant quelques saignées préalables. Ainsi le traitement du mal vérolique consistant en général à imprégner le malade de mercure, par des frictions répétées, en affirmant, qu’en tirant quelques onces de liquide, les solides étaient mieux disposés à laisser passer la   « graisse mercurielle « . La plupart des textes concernant cette pathologie comportaient ce préalable.

La merveilleuse saignée qu’utilisaient avec tant de bonheur les chirurgiens et les médecins pour leurs malades, la pratiquaient aussi ceux qui voulaient rester en bonne santé.

La saignée de précaution, celle d’automne et de printemps, concernait les gens bien organisés. Des évènements inhabituels, -peines, joies, voyages- étaient justiciables de cette mesure salutaire. Les ordres religieux soumettaient leurs membres à cette obligation,  » post octavas pasenas, post solemnitatem apostolarum Petri et Pauli, et hebdomada ante quinquegisinam « . Mais l’indication la plus étonnante pour nous est bien la saignée dans le traitement des hémorragies accidentelles.

On connaît l’histoire du Duc de Berry, grièvement blessé à l’Opéra, qui perd son sang en abondance et à qui le médecin de l’Opéra ouvre les veines du bras. Inconscience, irréflexion, ce n’est pas certain. Quesnay explique: au moment où le chirurgien ouvre la veine se produit un resserrement, une vaso-constriction réflexe, qui pourra être bénéfique.

La ponction provoquait souvent une syncope qui arrêtait l’émission du sang de la blessure. Un caillot providentiel poivait se faire,  » par la faiblesse qu’elle cause et par le resserrement subit des vaisseaux, la saignée contribue à faire cesser l’hémorragie  » et Quesnay précise  » qu’il ne faut chercher à réveiller les forces du malade « .