Henri MORGENSTERN
Docteur en
chirurgie dentaire, Docteur es Lettres (histoire de la médecine), Ecole Pratique des Hautes Etudes, Sorbonne, Paris

Le sujet

Cette communication répond à une recherche d’environ deux ans que j’ai menée sur le sujet universitaire suivant :

Les cabinets dentaires des Juifs, chirurgiens-dentistes et stomatologistes, de Paris et de ses environs (1940-1945)

Cette étude a été réalisée dans le cadre de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (4ème section – histoire de la médecine) à la Sorbonne, en vue du diplôme de l’Ecole. Le Directeur de recherche est Madame le Professeur Danielle Gourévitch, à qui je rends hommage et que je remercie pour ses encouragements.

La motivation de ma recherche

On peut dire que le facteur déterminant de ma recherche, ce qui en fut la motivation principale, fut une curieuse explication historique publiée dans les Bulletins officiels du Conseil national de l’Ordre des Chirurgiens Dentistes portant les indications chronologiques suivantes : 1994-2 des mois d’Avril-Mai-Juin 1994 et 1994-3 des mois de Juillet-Août-Septembre 1994. Je crois utile rappeler ici ces éléments, afin d’expliquer ma propre recherche historique. Le bulletin N°2 publiait un éditorial à la première page, signé par le Dr E. Saint-Eve, président du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens dentistes. Le président de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes ne pouvait décemment passer sous silence le cinquantenaire de l’institution d’Etat qu’il présidait, alors que, deux années auparavant, avait été célébré avec éclat le centenaire du diplôme de chirurgiens-dentiste. Depuis 4 années, puisque nous sommes en 1998, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, et le rappel de ces textes n’est pas inutile.

Je cite :

L’Ordre fut créé en 1945, au lendemain d’un conflit qui laissa la France exangue et avait profondément délité les valeurs d’une société à reconstruire. Rétablir la discipline, l’honorabilité d’une profession, remettre à l’honneur la probité et le dévouement nécessaire à son exercice, défendre son indépendance, s’opposer aux puissances d’argent, telles furent les premières motivations à l’origine de la création de l’Ordre. Cinquante ans ont passé. La France a évolué. Elle a vu ses lois sociales se développer. Elle s’est ouverte à la Communauté, puis à l’Europe. Elle a confronté ses idéaux à ceux de ses voisins proches et éloignés. Les hommes ont peu à peu assuré leur primauté sur l’événement.

Il est remarquable de constater que cet éditorial, publié en guise de commémoration du cinquantenaire de la création du Conseil de l’Ordre des chirurgiens dentistes, occultait un événement historique fondamental. Cet événement occulté était la création par Vichy de la section dentaire du conseil de l’ordre des médecins, institution de l’Etat Français gouverné par le maréchal Pétain, ayant précédé chronologiquement le conseil de l’Ordre actuel. Ce dernier étant la suite, formant continuum, de la précédente section dentaire. L’action principale de la section dentaire de l’ordre des médecins, fut, selon les termes de l’article 1er la loi du 17 novembre 1940 signée Philippe Pétain, « d’éliminer toute influence juive dans l’économie nationale ». C’est cette mission qui fut mise en pratique par la section dentaire de l’ordre des médecins, qu’elle fut nationale ou que ces sections fussent départementales. Cette action fut menée en symbiose avec le C.G.Q.J., à partir de textes de lois officiels antijuifs, en France entre 1940 et 1944. Cette action consista à éliminer, grâce à des textes de lois, les dentistes juifs de l’exercice de leur profession, à les spolier intégralement de leurs biens et de leurs ressources. Les dentistes juifs, à l’instar des autres Juifs de France, se retrouvèrent donc rapidement, par des dispositions légales, et grâce à des institutions dotées d’une efficacité criminelle, sans domicile ni ressources. La police française faisait le reste, c’est-à-dire arrêtait les Juifs, et les affamait dans des camps de concentration français. Puis, les Juifs arrêtés, français et étrangers, étaient déportés, hommes, femmes et enfants, dans des camps d’extermination afin d’y être assassinés par les Allemands.

L’omission de la génèse et de l’existence de la section dentaire par le président Saint-Eve était une falsification historique. Cette manière de présenter l’Histoire devait, dans la foulée, entraîner quelques retombées ! Elles ne se firent pas attendre !

En effet, le bulletin suivant intitulé CONSEIL NATIONAL – 1994-3 daté des mois de Juillet-Août-Septembre 1994 publia une lettre d’un confrère un peu plus regardant sur la valeur des mots et des faits. La rubrique Courrier, page 30, apporta, dès le préambule, à ce contestataire, une explication péremptoire dont l’ultime vérité historique était destinée à mettre définitivement les points sur les i de ce questionneur mal intentionné. Je rapporte cette page in extenso, car c’est dans le but de résoudre ce point d’Histoire que j’ai pris la décision d’entreprendre ma recherche universitaire.

Je cite :

Quand l’Ordre a-t-il été créé ?

Nous publions la lettre d’un confrère de l’Isère dont les allégations ne sont malheureusement étayées par aucune réalité historique. Que ce confrère fasse preuve d’une méconnaissance malheureuse, qu’il ignore les textes et l’Histoire à ce point, c’est déjà regrettable de la part d’un représentant de notre profession. Mais qu’il se prévale de son ignorance pour porter de très graves accusations contre l’Institution qui regroupe l’ensemble des chirurgiens-dentistes, est tout simplement lamentable.

Ce préambule insultant était destiné à présenter la lettre d’un confrère :

« Je prends connaissance dans le dernier bulletin… que l’Ordre a été créé en 1945 ! J’ai sous les yeux le certificat d’inscription de mon père à la « section dentaire du Conseil départemental de l’Ordre national des médecins de l’Isère », sous le N°49, le 1er décembre 1942. L’Ordre existait donc à cette date…

Deux hypothèses :

– soit vous ignorez que les Ordres ont été créés par l’Etat français en 1942 et c’est grave…,

– soit vous falsifiez sciemment l’Histoire auprès des confrères, ce qui est indigne…

Je vous demande avec beaucoup d’insistance de rectifier dans le prochain bulletin l’historique de l’Ordre ; vous avez des archives et cela vous sera facile de remonter aux sources. Je vous prie de croire…

M. A.B. (Grenoble) »

La question avait été posée brutalement par un confrère. La préambule de l’Ordre à cette lettre était cinglant : comment un confrère ignorant à ce point l’Histoire pouvait-il se permettre de mettre en doute la parole du président ? Pourtant le document de son père, daté de 1942, était là, apportant la preuve de l’existence de la section dentaire du conseil de l’Ordre des médecins.

Bref, à des questions aussi précises, le Conseil national était contraint d’apporter une réponse. Elle vint. Je la cite :

L’Ordre national des chirurgiens-dentistes a été créé en 1945, très exactement le 24 septembre 1945 par l’ordonnance N° 45-2184 « relative à l’exercice et à l’organisation des professions de médecin, de chirurgien-dentiste et de sage-femme ».

Cette ordonnance du Gouvernement provisoire de la République française porte les signatures de Charles de Gaulle, du Garde des Sceaux Pierre-Henri Teitgen, du Ministre des Travaux publics et des Transports (ministre des Affaires étrangères par intérim) René Mayer, du ministre du Travail et de la Sécurité sociale (ministre de l’Intérieur par intérim) Alexandre Parodi, du ministre de l’Education nationale René Capitant, du ministre des Colonies Pierre Giaccobi et enfin de François Billoux, ministre de la Santé publique.

C’est l’article 47 de cette ordonnance qui institue un « Ordre national des chirurgiens-dentistes groupant obligatoirement tous les chirurgiens-dentistes habilités à exercer leur art en France et en Algérie ». Ce même article précise que l’Ordre national des chirurgiens-dentistes possède, en ce qui concerne les chirurgiens-dentistes, les attributions de l’Ordre national des médecins ».

Dans un exposé des motifs, l’ordonnance rappelle que les textes successifs mis en place par l’autorité de Vichy « sont contraires à la légalité républicaine et ne peuvent être maintenus ».

Ainsi, la loi N°794 du 10 septembre 1942 signée par Philippe Pétain et Pierre Laval, relative à l’Ordre des médecins et à l’organisation des professions médicales et dentaires du Conseil national de l’ordre des médecins, a été jugée illégale par le législateur républicain.

Il s’est donc attaché par l’ordonnance du 24 septembre 1945 à « recréer » l’Ordre des médecins et à créer, en tant que tel, un Ordre des chirurgiens-dentistes autonome là où n’existait qu’une section dentaire de l’Ordre des médecins. » (Fin de citation)

L’essentiel était dit. Le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens dentistes avait parlé, tout en maintenant le silence complet sur les activités de la section dentaire du conseil de l’Ordre des médecins créée par Vichy !

L’illégalité des textes antijuifs de Vichy

Il nous faut reprendre l’expression du président Saint-Eve, car elle nécessite de mettre en lumière les notions fondamentales de légalité et de légitimité. Je la rappelle : « les textes successifs mis en place par l’autorité de Vichy « sont contraires à la légalité républicaine et ne peuvent être maintenus ».(Fin de citation)

Il s’agit en fait d’un tour de passe-passe d’interprétation juridique.

Voici ce qu’en pense Dominique Rémy dans son livre Les lois de Vichy – Actes dits « lois » de l’autorité de fait se prétendant « gouvernement de l’Etat français » – Romillat – Paris – 1992 (p.11,12,13).

En droit, la République n’a jamais cessé. Cette affirmation, qui peut sembler aussi péremptoire que contestable, cette négation de l’existence des quatre années noires de Vichy n’est pas un postulat politique ou une affirmation philosophique. C’est un constat de droit positif. A ceux qui lui demandaient, à Alger, si de retour à Paris, il entendait proclamer la République, le Général de Gaulle répondait déjà qu’il n’en était pas question, celle-ci n’ayant jamais cessé. Les ordonnances du 3 juin 1944 et du 9 août 1944, à Alger, proclament et rétablissent cet état de droit ; elles précisent même les conditions historiques du transfert de la légitimité nationale depuis le 18 juin 1940 jusqu’au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental lors de l’été 1944… Vichy n’a donc rien été de plus qu’un pouvoir de fait, dont les actes obéissent à ce régime. A l’exception de ceux qui, parce qu’ils étaient de nature purement techniques, ont été maintenus à la libération « validés rétroactivement et recevant force d’ordonnance » par le Gouvernement provisoire de la République française, les actes d’apparence législative ou réglementaire du pouvoir de Vichy sont nuls et de nul effet. » Dominique Rémy ajoute : »Si par ce miracle de l’esprit juridique qu’est la disparition rétroactive d’un texte par la proclamation, juridictionnelle ou politique, de leur nullité, on peut nier qu’ils aient jamais été autre chose que des « actes dits lois », leurs effets ont coûté la vie à des centaines de milliers d’hommes pour la plupart français. Réfugiés antifascistes livrés, juifs enregistrés soigneusement puis « régulièrement » livrés, gaullistes ou communistes exécutés, maçons persécutés, la rétroactivité n’efface rien des crimes commis.

Il n’en reste pas moins que le dispositif de persécution des Juifs, tout illégitime qu’il fut, a fonctionné de 1940 à 1944 :

  • par l’adoption d’un appareil législatif et réglementaire destiné à discriminer une partie de la population,
  • par l’action de services créés spécialement en vue de l’exécution de la discrimination et de la persécution ;
  • par un système de recensement et de mise en fiches destiné à mettre en oeuvre la discrimination,
  • par l’existence de camps d’internement en territoire français,
  • par les contacts établis avec les services allemands chargés de l’extermination des Juifs.

Les lois criminelles antijuives furent cependant exécutées d’une manière zélée par l’administration française. On lira avec intérêt Servir l’Etat français – L’administration en France de 1940 à 1944 – Marc-Olivier Baruch – Fayard – Paris – 1997, ainsi que l’article : Le droit, arme de Vichy – Pierre Birnbaum – L’Arche – N° 467 – novembre 1996.

On peut cependant remarquer qu’un point de droit important est soulevé par le président Saint-Eve à l’occasion de ce rappel historique. Le raisonnement du président Saint-Eve est extrêmement intéressant. L’illégalité des dispositions de Vichy invoquée entraîne leur annulation et la reconnaissance de l’état de droit « quo ante » de 1940. Ce raisonnement constitue un point de droit très important. Il semble, de surcroît, étayé par le droit international reconnaissant l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité dont furent victimes les Juifs entre 1940 et 1945. Il en résulte l’imprescriptibilité des droits de propriété de leurs biens. S’il est évident que le droit ne rendra pas la vie aux victimes ; il apparaît néanmoins que leurs biens appartiennent toujours à leurs héritiers.

Le président du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens dentistes propose donc officiellement une voie de droit allant dans le sens d’une reconnaissance officielle de la permanence des droits des héritiers des victimes juives déportées dont les cabinets dentaires ont été spoliés. Si l’on tient compte de cette démonstration, une voie est donc ouverte quant aux spoliations dont furent victimes les dentistes juifs déportés. Cette voie de droit entraîne l’annulation immédiate des acquisitions des cabinets dentaires spoliés aux Juifs, et leur restitution aux héritiers ; ou du moins oblige à un dédommagement aux héritiers des dentistes spoliés. Il s’agit, en premier lieu, d’établir un inventaire des spoliations, puis de le publier. Le Conseil de l’Ordre des chirurgiens dentistes,. les historiens, ainsi que les juristes auront à cœur de mettre à plat ce problème.

Les documents

Il s’agissait, afin d’asseoir les preuves de l’action criminelle, autant de la section dentaire que du C.G.Q.J., de trouver des documents originaux qui en émanaient, et qui constituaient le fondement incontestable des crimes de ces institutions contre les Juifs. Qui eût pu soupçonner que de tels document existaient encore ?

Cette tâche difficile, bien que fragmentaire, fut réalisable grâce aux documents que recèlent le Centre de Documentation Juive Contemporaine (C.D.J.C.), la Faculté de médecine, ainsi que les Archives Nationales. Le conseil national de l’Ordre des chirurgiens dentistes m’a déclaré ne posséder aucun document antérieur à sa création en 1945. Quant au conseil national de l’Ordre des médecins, seuls ses bulletins des années antérieures à 1945 me furent accessibles, et non ses archives. Cependant, il demeure à souhaiter que ces institutions auront eu le souci de conserver et de préserver les documents antérieurs à 1945 dont elles sont, de par leur création, dépositaires et responsables car ces archives constituent les preuves juridiques et historiques de la vérité.

Les lois régissant les archives sont actuellement la loi N°79-18 du 3 janvier 1979 et le décret N°79-1038 du 3 décembre 1979. Depuis le décret du 7 septembre 1790, la loi a toujours protégé les documents administratifs en fixant leur conservation.

Les documents de la période de Vichy ne sont accessibles aux chercheurs, aux Archives Nationales, que sur dérogation. La photocopie, la photographie, la scanérisation des documents est totalement interdite. Seule la copie est autorisée ; j’ai dû recopier les documents.

Les documents se rapportant aux actions antijuives du Commissariat Général aux Questions Juives figurent aux Archives nationales sous la cote AJ38. La spoliation des cabinets dentaires des dentistes juifs fait partie de la section VIII au C.G.Q.J.

Les documents se rapportant à la spoliation des cabinets dentaires des dentistes et stomatologistes juifs que j’ai mis au jour se trouvent dans mon ouvrage. Ils émanent essentiellement des dossiers de spoliation aussi bien que des dossiers des administrateurs provisoires. Nombre de ces documents portent la signature de Chactas Hulin, président de la section dentaire de l’Ordre national des médecins. En particulier, nombre de documents portent la signature d’André B., de Jérome D. dit Jean D., de Robert L. et de Georges C., tous chirurgiens-dentistes, qui furent des administrateurs provisoires, liquidateurs antijuifs féroces des cabinets dentaires de leurs confrères juifs.

La section dentaire du Conseil de l’Ordre des médecins

Un document vient confirmer son existence. Il s’agit de la page 273 du BULLETIN OFFICIEL DE L’ORDRE DES MEDECINS – 1ère année, N°6, décembre 1941 :

LOI DU 17 NOVEMBRE 1941 organisant l’exercice DE LA PROFESSION DENTAIRE

(J.O. du 6 décembre 1941.)

De la Section dentaire du Conseil supérieur.

Art. 2. – Il est créé, auprès du Conseil supérieur de l’Ordre des Médecins, une Section dentaire du Conseil supérieur de l’Ordre. »

De la Section dentaire du Conseil départemental de l’Ordre.

Art. 5 – Il est établi, auprès de chaque Conseil départemental de l’Ordre des Médecins, une Section dentaire du Conseil de l’Ordre.

Art. 6 – Les membres de cette Section, au nombre de trois à sept, sont nommés par le Secrétaire d’Etat à la Famille et à la Santé, sur la proposition de l’assemblée constituée par la réunion du Conseil supérieur de l’Ordre des Médecins et de sa Section dentaire.

Ils sont renouvelables par tiers tous les deux ans.

Ils sont choisis parmi les médecins, stomatologistes et les chirurgiens-dentistes qui exercent leur art dans le département.

DECRET DU 19 DECEMBRE 1941 nommant les membres de la Section dentaire du Conseil supérieur de l’Ordre des Médecins (J.O. du 26 décembre 1941, p. 5550.)

Nous, Maréchal de France, Chef de l’Etat français,

Vu la loi du 7 octobre 1940, instituant l’Ordre des Médecins ;

Vu la loi du 17 novembre 1941, créant la Section dentaire de l’Ordre des Médecins et notamment l’article 3 ; Sur la proposition du Secrétaire d’Etat à la Famille et à la Santé,

Décrétons :

ARTICLE PREMIER. – M. HULIN, de Paris, docteur en médecine, chirurgien dentiste est nommé Président de la Section dentaire du Conseil supérieur de l’Ordre des Médecins.

ART. 2. – Sont nommés membres de la Section dentaire du Conseil de l’Ordre des Médecins :

M. BELIARD, docteur en médecine, stomatologiste des Hôpitaux de Paris ;

M. BILLORET, chirurgien dentiste, ancien Président de la Confédération nationale des syndicats dentaires ;

M. DUBREUIL, chirurgien dentiste, ancien Président du Syndicat des chirurgiens dentistes de la Somme ;

M. RACHET, de Paris, docteur en médecine, chirurgien dentiste ;

M. le professeur VIALLIER, professeur de clinique odonto-stomatologique à la Faculté de Médecine de Lyon.

ART. 3. – Le Secrétaire d’Etat à la Famille et à la Santé est chargé de l’exécution du présent décret.

Fait à Vichy, le 19 décembre 1941.

Ph. PETAIN.

Par le Maréchal de France, Chef de l’Etat français :

Le Secrétaire d’Etat à la Famille et à la Santé,

Serge HUARD.

Les sections dentaires départementales, la section dentaire nationale de l’ordre des médecins, marchant la main dans la main avec le C.G.Q.J., effectuèrent le listage des praticiens juifs. Elles prononcèrent l’interdiction de l’exercice de leur profession aux dentistes juifs. Ces institutions autorisèrent également la spoliation par la vente ou la liquidation des cabinets dentaires des dentistes juifs grâce aux pouvoirs des administrateurs provisoires-chirurgiens dentistes et du Commissariat Général aux Questions Juives. Elles favorisèrent la vente du matériel spolié des dentistes juifs. Elles favorisèrent les soins aux soldats allemands. Elles gérèrent, en particulier, la distribution des métaux précieux. Ce point d’histoire devra mettre au jour qui bénéficia des allocations d’or non distribuées aux dentistes juifs.

On trouvera dans mon ouvrage de nombreux documents sur l’action des sections dentaires dans la spoliation des dentistes juifs. Ces documents constituent autant de preuves accablantes du caractère criminel de leur activité.

Le Commissariat Général aux questions juives

Afin de le définir, je citerai ces quelques lignes d’Edmond Vermeil, tirées du livre de Joseph Billig : LE COMMISSARIAT GENERAL AUX QUESTIONS JUIVES (1941-1944) – Editions du Centre – Paris – 1955 :

S’il est dans l’histoire de notre pays, une sombre page, c’est bien celle où prend place le Commissariat Général aux Questions Juives, le fameux C.G.Q.J. organisé à l’instigation des autorités allemandes d’occupation par le régime de Vichy. Il n’est pas de Français qui, lisant avec attention ce triste récit, n’en rougisse de honte, pour sa patrie, pour cette France qui, au cours des siècles avait toujours su lier à son élite propre les destinées de l’élite juive.

Au lieu d’un organe nazi uniquement composé de traîtres français à la solde du vainqueur, c’était un service qui impliquait une coexistence donnée entre les autorités d’occupation et un groupe de personnalités qui se donnaient le nom de gouvernement français. Cet organe s’inscrivit donc, de par sa création, dans la logique du régime vichyssois.

Ce qui reste tristement vrai, c’est que les antisémites français convaincus ont vu dans le nazisme un maître aussi compétent que puissant et volontaire. Ils se sont engagés avec lui dans une sorte de « guerre sainte » (antijuive) qui devait durer jusqu’à l’effondrement du troisième Reich et faire d’eux de véritables criminels.

Les Juifs n’étaient plus des citoyens ordinaires de par les lois françaises du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941 portant statut des Juifs. Le Commissariat Général aux Questions Juives (C.G.Q.J.) fut créé le 29 mars 1941. Il s’est trouvé être l’institution criminelle la plus caractéristique du régime vichyssois. Ses fonctions furent la spoliation, euphémiquement appelée « aryanisation économique », le listage, en vue de leur arrestation, de leurs victimes désignées comme juives, ainsi que la propagande antijuive.

C’est là qu’apparaissent les administrateurs provisoires, agents de l' »aryanisation économique », c’est-à-dire la vente à vil prix ou la liquidation pure et simple des entreprises juives. Dans sa crainte d’être floué par les Allemands dans le domaine économique, Vichy, prenant les devants a accéléré le processus, surenchérissant, contre les Juifs, le jeu de l’occupant.

L’aryanisation économique, ou la spoliation des Juifs de France, qui fut mise en application entre 1940 et 1944 peut être divisée en trois phases chronologiques auxquelles correspondent des dispositions légales scélérates :

  • la phase I : le dessaisissement, juin-novembre 1940
  • la phase II : la dépossession, novembre 1940 – 1941
  • la phase III : la confiscation et la spoliation, avril 1941 – septembre 1941

Consulter à ce propos le livre Le droit antisémite de Vichy – Le genre humain – Le Seuil – Paris – 1996.

Conclusion

L’ouvrage que je viens d’achever, au sens universitaire du mot, ne l’est évidemment pas en réalité. Il n’est qu’une approche et ne dévoile qu’une partie infime du problème historique de la spoliation des dentistes juifs de France. On peut considérer cependant cette recherche comme une étape qui s’insère dans une histoire plus générale des spoliations des Juifs de France entre 1940 et 1945. Ce sujet des spoliations, en particulier celui des dentistes juifs, est maintenu dans épais silence. Ce silence est destiné à protéger beaucoup de monde, si l’on veut bien penser à tous ceux qui, en toute impunité, ont prêté leur main criminelle au système. Qui? Les spolieurs bénéficiaires de la part du gâteau qui, pour une bouchée de pain, ont acquis leur cabinet dentaire, les administrateurs provisoires (chirurgiens-dentistes diplômés) qui ont rançonné et dépouillé leurs malheureux confrères juifs, les institutions officielles. Force est donc de prendre acte que ce sujet de la spoliation des dentistes juifs a été littéralement gelé, alors que cinquante-six ans se sont écoulés depuis les crimes. Les spoliations des cabinets dentaires, du matériel, des allocations d’or, de la clientèle, étaient également agrémentées de l’interdiction d’exercice des dentistes juifs. Toutes ces procédures légales aboutissaient, pour la plupart des spoliés, comme pour les membres de leurs familles, à la chambre à gaz et à la cheminée des crématoires d’Auschwitz.

Les documents les plus criminels, les plus scandaleux, les plus compromettants, les plus déshonorants, se rapportant aux spoliations des dentistes juifs, restent encore à découvrir. Je fais, en particulier, allusion aux archives de la section dentaire du conseil national de l’Ordre des médecins dont les anciens de la profession doivent bien savoir quel est leur sort. Il faut également publier le dossier d’épuration du Dr Chactas Hulin, dont la date du jugement est postérieure à la Libération. Est-il nécessaire de rappeler que quelques personnages, ayant plongé à fond dans les spoliations des dentistes juifs, bénéficièrent, après 1945, en toute impunité, des plus grands honneurs, firent partie des institutions officielles ainsi que de l’Académie dentaire ?

Les principes fondamentaux de l’éthique professionnelle invoqués au début gardent toujours leur actualité : Rétablir la discipline, l’honorabilité d’une profession, remettre à l’honneur la probité et le dévouement nécessaire à son exercice, défendre son indépendance, etc… Tous ces principes de la morale confraternelle seront mis en oeuvre pour sortir d’une obscurité de près de soixante années l’histoire des dentistes juifs de France durant les années 1940-1945. Monsieur le Président de la République Jacques Chirac a déclaré dans Le Monde du samedi 6 décembre 1997 (p.18) : « Assumer le passé, c’est se donner les moyens de construire l’avenir. »

Le sujet de ma communication au prochain congrès de la S.F.H.A.D. (1999)

Quatre stars de l’Administration Provisoire et de la spoliation des dentistes juifs (1940-1945) : les chirurgiens-dentistes diplômés A. B., J.D. dit Jean D., R. L., G.C.