Danielle GOUREVITCH
Docteur es Lettres,
Directeur d’Etudes à l’Ecole Pratique de Hautes Etudes, IVe section,
Histoire de la Médecine, Sorbonne, Paris

Dès la fin de la République, l’homme romain porte une grande attention à son apparence: son corps, né imparfait et inachevé, doit s’éloigner de l’animalité, par l’éducation et l’effort. Ce sera un corps lavé, habillé, maîtrisé, raisonnablement nourri, aux cheveux et à la barbe entretenus. Le mot qui désigne les soins du corps est d’ailleurs cultus qui désigne aussi la culture. Au contraire celui qui n’accepte pas ces contraintes est sordidus, inculte, sale, répugnant. Car soigner son apparence est un devoir à l’égard de soi-même et à l’égard d’autrui.

Les Romains convenables sont notamment très sensibles aux odeurs corporelles : celle de la bouche et celle des aisselles, ne voulant pas incommoder les autres. Ovide (43 av. – 18 apr.) dans l’Art d’aimer (I 510 – 520) veut notamment « qu’une haleine désagréable ne sorte pas d’une bouche malodorante, et que l’odeur du mâle, père du troupeau, ( = le bouc), ne blesse pas les narines ». Et quant à la femme, « celle qui a l’haleine forte ne doit jamais parler à jeun, mais se tenir toujours à distance de l’homme auquel elle s’adresse ».

Ce qui peut troubler notre vision des choses, c’est que, dans leur esprit anti-grec, certains écrivains comme Sénèque (27 av.JC – 65 apr. JC) ou Martial (40 -104) prennent la position contraire: se soucier de sentir bon serait une marque de corruption; celui qui se parfume chercherait à dissimuler l’odeur de corruption de son corps. Ainsi le philosophe dans Ep. 86, 12-13 vante les coutumes hygiéniques peu raffinées des vieux Romains :

Au témoignage de ceux qui ont rapporté les us et les coutumes de l’ancienne Rome, on se lavait chaque jour les bras et les jambes, tout bonnement, en raison des souillures contractées dans le travail ; on ne prenait un bain complet qu’aux jours de marché … Quelle était à ton avis l’odeur de ces gens-là ? Ils sentaient la guerre, le labeur, toutes odeurs viriles.

Et dans une autre lettre à Lucilius, il proclame (Ep. 108, 16) :

interdiction pour toute la vie de se parfumer, parce que la plus exquise senteur du corps est de ne rien sentir.

Quant à Martial, il se fait un plaisir de prendre à parti ses contemporains, confondant malignement raffinement et débauche. Il attaque ainsi Fescennia en I 87:

Pour ne pas sentir, Fescennia, le vin que tu as bu hier, tu avales sans modération les pastilles de Cosmus. Ces drogues blanchissent tes dents, mais elles restent sans effet quand un rot remonte du fond de ton coffre intérieur. mais que dis-je ? Ne sent-elle pas plus mauvais, cette infection mêlée à des parfums, et, se chargeant d’une double odeur, ton haleine ne porte-t-elle pas plus loin ? Renonce à des tromperies (fraudes) connues de tous et à des subterfuges déjà découverts: sois ivre franchement ».

Et Postumus en Ep. II 12 :

Que faut-il en penser ? Tes baisers sentent la myrrhe et autour de toi flotte invariablement une odeur étrangère. Ceci m’est suspect, Postumus, que tu sentes toujours bon. Postumus, il ne sent pas bon celui qui sent toujours bon.

La position générale est en fait que, dans la vie de relation, il faut soigner son apparence mais sans l’exagération qui fabriquerait une fausse image de soi, susceptible de tromper autrui. Sans nous restreindre strictement aux soins de la bouche et des dents, c’est dans cette spécialité que nous choisirons de préférence nos exemples. Ainsi pour les dents des petits enfants, Celse prévoit que, si la seconde dentition commence à pousser avant le chute des dents de lait, il faille arracher les premières et aider les autres à pousser dans la bonne position (Celse VII 12 I F: « si quando etiam in pueris ante alter dens nascitur quam prior excidat, is qui cadere debuit circumpurgandus et evellendus est; is qui natus est in locum prioris cotidie digito adsurgendus , donec ad justam magnitudinem perveniat »). Le geste ne doit pas être très efficace mais l’idée est louable.

Pour la blancheur et la solidité des dents définitives, les Romains utilisent des eaux et des poudres aux ingrédients les plus divers. Scribonius Largus (règne de Claude, 41-54) se vante que les recettes qu’il a rassemblées au chapitres 59 et 60 de ses Compositiones aient servi pour Octavie, l’Augusta de son temps et Messaline. Ainsi en 59, il détaille un dentifricium quod splendidos facit dentes et confirmat c’est-à-dire qui rende les dents d’un blanc brillant, mais aussi les fasse bien tenir, comportant farine d’orge, vinaigre, miel brûlé, sel minéral et huile de nard. En 60, le même double but est recherché, ad dentium candorem et confirmitatem , avec un produit dangereux,uitrum candidum, quod simile crystallo est, Dans la troisième recette, au même paragraphe, entre de la pariétaire macérée puis desséchée au four et enfin parfumée; dans le 4ème, du bois de cerf brûlé avec de la poix de Chios, et du sel ammoniaque (dans des recettes parallèles chez d’autres auteurs, on ajoute souvent du poivre blanc). Ces dentifrices sont, malgré des ingrédients parfois bizarres, présentés et dosés « scientifiquement » , en setiers, onces et demi-onces. Notons aussi que le bois de cerf brûlé se retrouve dans des collutoires, dans des gargarismes au vinaigre (par exemple chez Celse à la grande époque classique, déjà cité, et aussi Marcellus en Gaule, à la fin de l’Antiquité). Sans doute ce choix relève-t-il de la puissance particulière attribuée aux cendres (on fait usage aussi de cendre de tête de loup, tête de lièvre, rat, astragale de bœuf, sabots de porc, coquillages dont les huîtres), mais pourquoi cette cendre-ci ? Il faut penser sans doute aux particularités étranges de ses bois qui meurent et renaissent régulièrement, ainsi qu’à la couleur blanche de leur sciure. Pline (en 36, 153 et 37, 145) fait appel de façon analogue à la magie de l’analogie, en signalant un dentifrice à base de « pierre arabe » brûlée, pierre qui fait penser à l’ivoire, mais qui est encore plus dure. Et pour avoir bonne haleine, on conseille de se frotter la bouche avec un flocon de laine brute imbibé de miel, ou de la cendre de laine en suint avec du sel. On peut lire aussi que le nitre de calastre, cuit avec du poireau et brûlé, rend une belle couleur aux dents qui deviennent sombres (Pline 31, 117). On conseille de frotter les dents avec l’herbe appelée halimon (= pourpier de mer) pour faire devenir blanches les dents (Pline 22, 75)

Quant à l’état des dents et l’odeur de la bouche, il arriva une extraordinaire aventure à Apulée, au milieu du IIème siècle, aventure qu’il raconte non pas dans les très célèbres Métamorphoses ou l’Ane d’or, mais dans l’Apologie qu’il est contraint d’écrire pour sa propre défense lorsque ses concitoyens l’accusent de pratiquer la magie. le procès a lieu vers 160 de notre ère. Apulée est riche, il est beau, il se livre à des recherches pour la plupart certainement scientifiques, à d’autres qui sont non moins certainement magiques. Et il utilise de mystérieuses poudres; il en a même fait tenir à un certain Calpurnianus, – qui le trahira lors du procès -, accompagnant l’envoi d’un charmant mot de billet :

Calpurnianus, ces vers ailés t’apportent mon salut. Sur ta prière, je t’envoie la propreté des dents et l’éclat de la bouche; c’est un produit tiré des plantes d’Arabie, une poudre fine et légère, de noble origine, qui blanchit comme neige, qui rend lisse une gencive enflée, qui balaie les restes de la veille, pour n’en laisser paraître aucune trace repoussante s’il arrive que tu ries les lèvres entrouvertes (1).

Ne vaut-il pas mieux utiliser une telle poudre plutôt que d’adopter la manière des Ibères, qui se nettoient les dents avec leur propre urine et vendent à Rome ce qui leur en reste? Catulle l’avait écrit (2) dentem atque russam defricare gengivam; Apulée le cite de mémoire, en substituant pumicare à defricare. Ce qui est une erreur textuelle, mais n’est point sot, pumicare venant de pumex, la pierre ponce qui, finement broyée et parfois brûlée, servait en effet au nettoyage des dents, pure ou mêlée à d’autres ingrédients.

S’il est vrai que le philosophe doive être propre de sa personne, poursuit Apulée dans une perspective finaliste très amusante, sa bouche requiert ses soins particuliers, cette bouche « bien en évidence dans le visage, exposée aux regards, organe dont l’homme se sert le plus souvent, soit pour donner un baiser soit pour entretenir une conversation, soit pour parler en public, soit pour adresser des prières aux dieux dans leur temple ». L’orateur soignera sa bouche, « vestibule de l’âme, porte de la parole, laboratoire des pensées ». Bref, « rien n’est plus indigne d’un homme libre et de mœurs libérales qu’une bouche malpropre » (3).

Mais c’est avec Galien que le problème de l’esthétique physique entre véritablement dans le domaine de la médecine. Selon ce médecin en effet beauté et santé vont de pair. Plus précisément la beauté fait partie de la santé. Or chacun a le devoir d’entretenir sa santé, donc aussi sa beauté. Mais jusqu’où? Masquera-t-on la réalité? Trichera-t-on? Jusqu’où va le devoir du médecin ? Si l’apparence corporelle est le reflet de l’être intérieur, le praticien va-t-il accepter de tricher ? A-t-il le droit de tromper les autres ?

Pour éviter cette accusation, Galien veut préalablement faire comprendre après Homère

l’inutilité des plus beaux hommes, lorsqu’ils ne possèdent aucune des autres choses utiles à la vie. La beauté n’est même pas utile pour s’acquérir des richesses, s’il est vrai qu’il y a de mauvais génies pour oser le dire. En effet, c’est l’art qui fait le gain digne d’un homme libre, honnête et sûr. Mais le gain qu’on tire de son corps et de sa beauté est honteux et en tout point indigne. Il faut donc que le jeune homme, suivant le vieux précepte, regarde sa propre apparence dans le miroir, et, s’il se trouve beau à voir, s’exerce à ce que belle aussi soit son âme, en pensant qu’il est absurde d’abriter dans un beau corps une âme laide. Mais s’ils e trouve lui-même laid quant à l’aspect de son corps, il faut qu’il s’occupe d’autant plus de l’aspect de son âme (4).

N’empêche que si l’ordre du monde et donc le bon ordre corporel comportent la beauté, si le patient demande une intervention, le médecin agira, et par fidélité à ses principes et pour faire plaisir à sa clientèle. Dans le traité De l’utilité des parties (trad. Daremberg, XI 8, I p. 667-668), il écrit:

… Supposez une seule modification dans les dents, vous verrez aussitôt leur utilité anéantie. .. Changez la disposition des dents, et voyez ce qui en résultera. Supposez que les molaires soient situées en avant, les incisives et les canines (5) en arrière et examinez quelle serait encore l’utilité de ces dents, quelle serait celle des dents larges.

Et plus loin (trad. Daremberg XI 13, I p. 683)

Dans l’œil, partie bien plus belle que toutes celles que nous venons d’énumérer, on dédaigne la beauté, parce qu’on admire grandement l’utilité de l’organe. On dédaigne aussi la beauté du nez, des lèvres et de mille autres parties, parce que la beauté de l’utilité est bien supérieure au plaisir des yeux. Toutefois si une partie des lèvres ou du nez avait été retranchée, on ne saurait dire à quel degré de laideur toute la face serait réduite.

Mais, si dans l’œil d’un enfant qui voit pourtant clair, il y a quelque chose qui ne plaît pas à sa mère, le médecin ne restera pas passif: par exemple en cas de cicatrices oculaires, de petits nuages en surface, de leucomes, qui sont des défauts acquis, il est permis de chercher remède, pour obtenir ou tout au moins simuler une « restitutio ad integrum ».

Si un petit enfant a un leucome, que la mère de l’enfant mâche de la gomme ammoniaque pour son œil et souffle dans l’œil de l’enfant. Ou encore qu’elle enduise son œil avec du sang menstruel d’une femme de sa propre famille. Ou encore que la mère s’entaille le petit doigt, et qu’elle imbibe l’œil avec le sang qui en coulera (6).

On a du mal à croire que Galien ait confiance en de telles prescriptions; mais dans d’autres cas il se lance dans des opérations plus risquées: « pour colorer les leucomes », il recommande une préparation à base de vitriol et de noix de galle appliquée à l’aide de « l’extrémité d’une sonde, en faisant préalablement chauffer la sonde » (7).

Connaissant ses positions sur l’esthétique médicale, on comprend l’importance qu’accorde Galien à la physiognomonie (8), cette fausse science particulièrement en vogue au IIème siècle de notre ère, qui croit pouvoir mettre en rapport le caractère de l’individu et son apparence physique. En tant que médecin des corps, Galien est extrêmement sensible à l’influence qu’exerce sur l’état de l’âme celui du corps, ainsi que, plus indirectement, la prise de médicaments, l’alimentation, le contexte écologique. C’est dans le Quod animi mores que Galien expose cette doctrine, inspirée notamment par le traité hippocratique Airs, eaux et lieux. L’action médicale sur les humeurs du corps perturbe inévitablement l’état de l’âme et les apparences physiques.

Les traités grecs de physiognomonie ne sont que très fragmentairement conservés, mais un traité latin (éd. Budé 1981) draine une longue tradition. Celui-ci il n’évoque malheureusement pas les dents, mais les lèvres et la bouche (48).

Les lèvres minces dans une grande bouche, si la lèvre supérieure est légèrement plus saillante, comme si elle surplombait la lèvre inférieure, indiquent la noblesse et le courage: c’est le type du lion. Le meilleur type de bouche est celle qui n’est ni trop saillante ni trop plate… Quand les lèvres ont soulevées par les dents que les Grecs appellent kunovdonte » (canines), c’est l’indication d’un esprit médisant, irascible, braillard et prompt à commettre des actes injustes… Les lèvres qui pendent mollement trahissent le manque d’énergie. Ce signe se trouve chez les vieux ânes et les vieux chevaux »… (52) On évitera ceux qui ont un tout petit menton, car ils sont par-dessus tout cruels et insidieux: c’est le type des serpents.

Galien a voulu établir les principes d’une médecine esthétique dans un rapport logique avec ses théories physiologiques. Il a particulièrement cherché à les appliquer dans la lutte pour retarder le vieillissement. Cependant il échoue. Et ceci pour trois ordres de raisons :

1°. Il y a un très grand nombre de connaissances qu’il n’avait pas et ne pouvait pas avoir: ainsi il n’a pas les moyens de ses ambitions.

2°. Malgré certaines réticences intellectuelles, il se laisse entraîner, sous la pression de la clientèle, à prescrire parfois des remèdes magiques traditionnels. Ou guère mieux,

à cause du caractère répandu de ces pratiques, il arrive parfois que des femmes de la cour et que des princes eux-mêmes exigent de nous des interventions relevant de la commôtique; comme il ne nous est pas possible de refuser à ces gens-là, nous expliquons que la commôtique diffère de la partie cosmétique de l’art médical (9).

Aussi,

je viens de dire qu’à mon avis un médecin ne devrait pas s’occuper de pareils produits, mais comme il arrive que des femmes de la cour, à qui il n’est pas possible de refuser, veuillent se teindre les cheveux en noir ou en blond, je pense que c’est pour cette raison qu’Archigène, homme pieux s’il en fut, écrivit là-dessus… (10)

3°. Surtout, il est gêné par le cadre moral qu’il s’est lui-même tracé : nous sommes choqués aujourd’hui qu’il ait pu écrire qu’aux femmes qui veulent être belles pour leur propre bonheur il ne faut pas apporter d’aide, alors qu’il faut aider les braves épouses qui ne veulent pas, par une apparence trop médiocre, faire baisser le « standing » de leur mari! Galien s’est enfermé dans un carcan intellectuel et moral qu’il s’est lui-même fabriqué, celui de l’opposition entre cosmétique et commôtique. Cette dernière, celle dont de la grand maître fut Criton (11), n’est pas permise: c’est l’art d’arranger les gens, et même de les camoufler en quelque sorte; on risque alors de ne plus savoir à qui l’on a affaire, de ne plus reconnaître les identités authentiques, ce qui contrevient au bel ordre du monde.

La commôtique a pour but de produire une beauté artificielle, mais celui de la partie de la médecine appelée cosmétique est de conserver tout ce qui est conforme à la nature, but dont la beauté naturelle n’est qu’une conséquence (12).

Dans ces quatre livres, Criton a mis tous ses soins à donner par écrit la liste d’à peu près tous les produits cosmétiques dignes d’être notés; et il leur a même ajouté les produits commôtiques, qui apportent une beauté empruntée et non une beauté authentique.

C’est pourquoi, quant à moi, je laisserai de côté ces derniers, et je mentionnerai seulement ceux qui conservent la beauté naturelle.

En effet, même si je connais parfaitement bien les produits qui blanchissent la peau du corps, ceux qui préservent le plus longtemps possible les seins des jeunes vierges, ceux qui conservent aussi tard que possible de petits testicules aux jeunes gens impubères, ceux encore qui empêchent la pousse des poils, j’ai honte cependant d’écrire sur de pareils produits, et plus encore sur les cataplasmes de plantes aromatiques pour les vêtements, dont Criton a dressé la liste; les teintures parfumées pour les vêtements; les aspersions pour les chambres et les portiques; les variétés de toutes sortes de parfums, onguents et huiles parfumées. Ces produits en effet sont étrangers à l’art médical. Mais lorsque Criton a décrit des préparations destinées à conserver la beauté naturelle, si l’occasion s’en présente, j’en ferai mention… (13)

Ainsi la cosmétique rend à chacun sa vraie beauté si celle-ci a été altérée par les vicissitudes de l’existence. Cette vraie beauté et l’ordre du monde portent tous deux le beau nom de « kovsmo »: c’est là le vrai champ du médecin. L’autorité de Galien et la hauteur de son ambition philosophique lui permettent donc de fonder en droit la médecine esthétique (ainsi que la chirurgie réparatrice dont il faudrait aussi parler). Ce fut là une des acquisitions les plus avancées de la déontologie médicale de l’Antiquité. mais cette rigueur morale, alliée à une pointe d’anti-féminisme (14), portait en elle-même les limites de cette branche de l’Art. On ne pouvait s’attendre qu’à l’époque post-galénique, quand la médecine devint essentiellement une affaire de compilation, cette spécialité « de confort » pût faire de grands progrès. mais elle se survit tant bien que mal. Et c’est ainsi qu’Oribase, au Vème siècle, écrira, justement à propos de vieillissement. Les rides et les taches de la peau chez le vieillard vont souvent de pair avec une pâleur désagréable et Oribase consigne les vieilles recettes qui empêchent de désespérer :

Une vie enjouée et une alimentation douce diminuent la pâleur du corps ; on mêlera aux aliments des radis, des poireaux et des pois chiches verts. Le suc de grenade d’un goût sucré donne aussi une bonne couleur quand on l’avale. C’est encore un bon remède que de l’huile dans laquelle on fait bouillir pendant longtemps de la racine de couleuvrée. Ce remède rend aussi (15) le corps ferme et luisant. On mêlera aux détersifs dont on se sert dans le bain des pains faits avec quelque farine détersive, des bulbes de narcisse et de la racine de couleuvrée. La racine de l’amandier aux fruits amers et ces fruits eux-mêmes donnent aussi une bonne couleur à qui peut de les procurer, s’il les fait bouillir dans l’eau qui lui sert pour le bain.

Évoquons enfin le problème des dents : le vieillard qui les a conservées les a noires ou complètement cariées. Pour éviter les caries, il aurait dû refuser « les aliments qui ne sont pas profitables aux dents, comme les figues sèches ou le miel cuit, (…), les dattes (…) et toutes les substances glutineuses » (16). Si le gourmand n’a pas résisté à la tentation, l’art balbutiant du dentiste fera peut-être quelque chose pour lui, mais la cosmétologie n’y peut pas grand- chose. Tout au plus, si les dents sont devenues noires, le médecin qui s’intéresse à la cosmétique pourra-t-il encore proposer quelques dentifrices, bien peu différents de ceux que nous connaissions déjà : la cendre un peu grosse des huîtres, des buccins, des pourpres, la pierre ponce, les têtes de fourneau blanchissent les dents. Si l’on brûle ces substances avec du sel, elles font encore plus d’effet sur les dents, en même temps qu’elles dessèchent les gencives très humides. L’os de seiche non brûlé et pilé donne aussi de l’éclat aux dents. La corne de cerf ou de chèvre blanchit les dents et tarit l’humidité des gencives. (17)

L’antiquité finissante n’a donc pas renié les idéaux romains de la grande période du devoir de décence envers soi-même et envers les autres, qui va de pair avec l’obligation de consulter avec bonne foi un thérapeute honnête qui agira sans excès dans les cas où il ne peut faire grand chose.

La beauté des corps et la médecine antique, bibliographie choisie

( par ordre alphabétique)

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  • BAIN (D. M.), Katwnavkthn to;n coi’ron ajpotetilmevna (Aristophanes Ekklessiazousai 724), Liverpool classical monthly, 7, 1982, p. 7-10.
  • BLIQUEZ (L. J.), Classical prosthetics, Archaeology, 36 (5), 1983, p. 25-29.
  • Prosthetics in classical Antiquity : Greek, Etrsucan and Roman prosthetics, in ANRW, 37.3, Berlin, 1996, p. 2640-2676.
  • DULIERE (W. L.), La seconde circoncision pratiquée entre Juifs et Samaritains. Les problèmes du circoncis dans l’Antiquité, L’Antiquité classique, 36, 1967, 553-565.
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  • L’esthétique médicale de Galien, Les études classiques, 57, 1985, 267-290.
  • L’obésité et son traitement dans le monde romain, History and philosophy of the Life sciences, 7, 1985, 195-215.
  • Se mettre à trois pour faire un bel enfant, ou l’imprégnation par le regard, L’évolution psychiatrique, 52, 1987, 559-563.
  • La cosmétologie du vieillissement dans la médecine galénique, Communication non publiée, prononcée devant médecins spécialistes de chirurgie esthétique et d’esthétique, et esthéticiennes, à l’occasion du symposium sur la prolongation non chirurgicale de la jeunesse, Genève, 1988.
  • Is it beautiful, is it ugly ? Considerations on the aesthetics on new-born babies during the Roman empire, Forum, 2 (5), 1992, History of medicine, 5-11.
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