Lydie BOULLE
Docteur en Histoire de la Médecine,
Ecole Pratique des Hautes Etudes, IVe section,
Sorbonne, Paris

Le Morvan est une contrée géographique bien déterminée. Elle est située dans la zone tempérée, presque à égale distance entre le pôle Nord et l’Équateur. Château-Chinon, l’ancienne capitale, est à la même latitude qu’Angers et Nantes. Pourtant la différence entre les deux régions est profonde.

C’est par la rudesse de son climat, plus que par son altitude et sa topographie, que le Morvan est appelé  » montagne « , avec ses forêts sombres. L’étymologie celtique du terme Morvan consacre le sens de  » montagne Noire ». A noter, que l’expression  » morvan  » se retrouve dans d’autres pays celtiques, comme la Bretagne. Près de Ploermel, de Landernau, on trouve la  » Roche Morvan « ;  » Méniac Morvan  » est présent à proximité de Saint-Malo.

La topographie est usée, bosselée et les champs longtemps stériles. Il a des caractéristiques d’un pays de pâturages, occupé par une population rurale de petits propriétaires, sans industrie, dispersés dans une infinité  » d’écarts  » ou de hameaux, d’accès difficile aux mouvements de la civilisation.

Le pays est sans unité historique ou administrative. La  » Constituante  » a partagé le Morvan en quatre départements: Côte d’or, Nièvre, Saône et Loire, Yonne. Aujourd’hui, toujours administrativement divisé, le Morvan est rattaché à la Bourgogne, l’une des 22 régions de l’espace France. Tandis que la Bourgogne est un ensemble historique prestigieux, le Morvan est une marge marquée par les contraintes naturelles. Les regards se sont tournés vers des périphéries au rendement économique plus favorable, ou, et surtout, vers les possibilités humaines parisiennes.

La géographie physique et la démographie spécifiques au Morvan s’imposent particulièrement à notre attention. Le Morvan appartient au socle géologique de la France, et a subi les mouvements hercyniens et alpins. Il est une avancée du Massif Central, en somme, un coin primaire, perçant la Bourgogne sédimentaire. Le socle est taillé pour l’essentiel dans les gneiss, granit, et porphyre. Les sols sont acides, peu épais, imperméables, gorgés d’eau. La montagne domine des plaines périphériques, dégagées des couches sédimentaires.

Ces zones sont

  • au Nord : Terre plaine,

  • à l’l’Est : l’Auxois accidenté de buttes,

  • à l’Ouest : le Bazois,

  • au Sud : l’aspect est plus complexe, avec le Charolais et ses annexes.

Il faut distinguer

  • la zône du  » Haut Morvan « , au sud, avec ses hauts sommets:

  • Le Mont Bevray

  • Le haut Folin, avec le point culminant à 901 mètres d’altitude. C’est ce sommet qui donne de l’Autunois l’impression de  » Montagne « .

Au Nord, c’est avec discrétion que le Massif est abordé. Un plateau bosselé apparaît. Au point de vue hydrographique, le Morvan est un véritable château d’eau. Trois bassins aboutissent à trois mers.

Ces bassins sont :

  • La Seine, avec ses crues brusques de l’Yonne.

  • La Loire, avec la Bourbince.

  • La Saône, avec la Dheune.

Le climat est rude avec ses hivers longs, glacés, enneigés. L’observation a donné 180 jours de neige en altitude; les pluies sont abondantes et fréquentes. Le sol, imperméable, est recouvert d’arène granitique et puis, il y a des forêts encore denses, refuges des légendes anciennes. Face à des contraintes naturelles sévères, le morvandeau a cédé à l’exode vers des régions plus rentables. Château-Chinon, ancienne capitale, n’atteint pas aujourd’hui 3000 habitants. D’une manière générale, les cités sont des bourgs, marchés, où on admire des sites pittoresques et un passé que l’histoire et la tradition racontent. Ces groupes démographiques sont tous en périphérie. Ainsi Saulieu (moins de 3000 habitants) a gardé le souvenir du passage de Madame de Sévigné et reste une véritable capîtale gastronomique. Dans le sillage du souvenir d’un port de flottage du bois et de possibilités d’avenirs confirmés, il est intéressant de citer Clamecy avec ses 6000 habitants. Hier, la vie dans le cadre naturel d’une région de France que nous évoquons, était très dure. L’alimentation était insuffisante, les maladies et les épidémies à la merci d’une médecine non évoluée et peu présente.

Capital pour comprendre, et peu étudié, est la psychologie des morvandeaux d’hier, dont la tradition a longtemps marqué la vie quotidienne. Aujourd’hui, les secrets et la manière de vivre avec ses échos, des profondeurs du passé sont à analyser. Est à remarquer la lenteur des progrès de la civilisation, du confort, de l’hygiène, des connaissances et de leur compréhension.

Dans le lointain de l’histoire du Morvan, au IVème siècle, il est appelé le pays des démons et des ours. Au Moyen-Age, l’exploitation de la terre est misérable. Au XVIIème siècle, Vauban (1633-1707), qui habitait les abords du Bas Morvan, note que le seigle, l’avoine et le blé noir n’assurait qu’une nourriture insuffisante aux humains du Morvan. La ration ne dépassait pas six mois de l’année. Les cahiers de doléances relèvent les mêmes carences. Arthur Young (1741-1820) de passage dans le Morvan, écrit que le rendement des terres peuvent s’améliorer avec les connaissances, l’instruction et un assolement approprié. Quoiqu’il en soit, ce n’est que vers le milieu du XIXème siècle que sont intervenus les changements décisifs. Il s’agit du chaulage des terres, du brabant avec ses labours plus profonds. Quant aux engrais, ils ne pénètrent dans le Morvan qu’après la deuxième guerre mondiale. Bien entendu, l’élevage détient depuis longtemps la première place dans la vie rurale. Le boeuf est, longtemps, le seul moyen de transport et de transaction. Jadis le boeuf était de race néolithique, rouge sang.

Quant au morvandeau, à sa famille et à son bétail, l’abri était la chaumière au sol de terre battu, sans confort et sans hygiène. Souvent une seule porte laissait pénétrer l’air et la lumière dans la maison. La chaumière souvent surpeuplée permettait la diffusion des épidémies. De sinistre réalité était le choléra en 1849. L’insalubrité était de règle et le tas de fumier aussi. Particulièrement résistantes au changements restent les tentatives de l’administration. Vers 1940/1950 les aménagements d’un habitat conforme aux progrès s’imposent par obligation et suivi administratif. L’installation de la salubrité dans les ateliers connait aussi son heure. Les contacts s’établissent avec les terres et régions voisines. Dans le passé des ressources complémentaires sont aménagées, tel le flottage du bois vers Paris, dès le XVIème siècle. Si au départ de Clamecy, le dernier flottage a eu lieu en 1923, une porte importante des ressources du Morvan d’hier est fermée. Peu à peu aussi s’est installée une ressource fondamentale, avec la nourrice du Morvan, qui assurait au XIXème siècle l’élevage des enfants parisiens.

Aujourd’hui, l’évolution du Morvan vers une vie économique et sociale compatible avec le progrès, et à la mise en oeuvre de techniques valorisant des possibilités naturelles, tentent l’orientation du service de l’homme moderne: calme, beauté, eau, électricité, tourisme. L’actualité révèle la mise en vedette de l’intérêt de la forêt. Celle-ci couvre, parfois, la moitié du territoire d’une commune. En maints cantons, elle est aussi compacte qu’à l’époque romaine. Comme à l’époque des Eduens, le bois et son industrie, restent la richesse. Toutefois le problème de la modernisation des forêts, grâce à un reboisement avec de nouvelles espèces botaniques, adaptées au succès commercial et technique, est, en dépendance du temps, dont seuls les grands propriétaires peuvent disposer. Ils disposent des réserves financières indispensables. Dans l’immédiat, d’autres moyens économiques et sociaux sont intéressants: l’industrie hydroélectrique, la chimie. A la mode, et très recherché, est le tourisme. Depuis 1970, est à la disposition du touriste un musée de la flore forestière. Un parc naturel mérite son intérêt et un aménagement avec promenades et loisirs organisés. Souvent le voyageur est encore heureux de rencontrer une vieille chaumière à l’ancienne avec ses bocages, les prés et les forêts sombres. Le Morvan reste encore une terre gauloise dans un cadre sollicitant le rêve, en marge du bruit et des paysages industriels.