Jacqueline CAROLUS
Docteur en médecine, D.E.A.d’histoire de la médecine (EPHE)
Francis HOUZELOT
Docteur en chirurgie dentaire, Vice-Président d’honneur du Conseil de l’Ordre des Vosges, Membre titulaire de l’Académie Nationale de Chirurgie dentaire

Les Ducs de Lorraine ne sont pas les Rois de France et leur anatomie est imparfaitement connue. Nous n’avons malheureusement pas en Lorraine, comme en France, pour Louis XIII, un journal d’Herouard nous confiant par le menu, les moindres rages de dents du Prince. En l’absence de documents sur les pathologies des Ducs, on ne peut que raconter quelques épisodes, glanés ici ou là dans les livres de comptes, témoignant de soins donnés ou de gages d’un dentiste … Cependant la prognathie de la famille de Lorraine, héritée des Habsbourg semble une évidence pour tout te monde.

La prognathie inférieure (de pro : en avant et de gnathe : mâchoire) est l’anomalie en vertu de laquelle les mâchoires cessent d’avoir des rapports normaux, la mandibule étant projetée en avant donnant à la physionomie, selon Galippe, un aspect rappelant la malformation des bull dogs Cette anomalie s’accompagne d’un allongement de la face et d’un rétrécissement de toutes les cavités du massif facial, nez hypertrophié, grands yeux , cernés et parfois béance de la bouche, les incisives inférieures chevauchant en avant les incisives supérieures.

(Depuis les travaux d’Angle qui propose une classification des dysmorphoses cranio-faciales en 3 classes, le terme de « classe III » est actuellement universellement employé et préféré à celui de prognathie mandibulaire.)

Au début du XXe siècle, les Docteurs GALIPPE, RUBRECHT et DONNADIEU ont étudié la prognathie des familles souveraines.

La prognathie des Ducs, mythe ou réalité

Depuis Donnadieu, la légende veut donc qu’on affuble la Maison de Lorraine de la prognathie héritée des Habsbourg.

Nous voulons ici faire une contre-proposition à l’hypothèse de Donnadieu. Les Ducs de Lorraine ne sont-ils pas tout simplement des « ventilateurs buccaux » par obstruction nasale ? à l’exception de Léopold et François III qui eux, semblent être de vrais prognathes. Nous savons que l’hérédité ne se manifeste pas uniquement par des similitudes squelettiques, mais aussi par des similitudes de dysfonction ou d’allergie 2.

Le Docteur Donnadieu (Hérédité de la Maison Ducale de Lorraine – 1922) – très sévère – cherche et trouve (?), vraisemblablement en choisissant les représentations les moins flatteuses, un grand menton, une lèvre inférieure débordante, un étage moyen de la face rétréci, des yeux à fleur de tête, un air mélancolique à tous les Ducs de Lorraine… depuis le Duc Raoul dont la mère est une Habsbourg jusqu’à François III … Mais surtout il affirme , avec certains auteurs comme Manouvrier ou Lombroso, et c’est ce qui nous fâche, que ce prognathisme est un signe de dégénérescence physique et de débilité intellectuelle (voire un stigmate de criminalité).

Nous refusons cette conclusion hâtive et soumettons à votre jugement, les portraits les moins avantageux et les moins flattés par le peintre de :

René Ier sur le dyptique du Louvre, attribué à Nicolas Froment, présente une « anomalie de l’oreille droite, la face refoulée dans les étages supérieur et moyen, le bas de visage est anormalement développé : mâchoire inférieure haute, large et saillante … et pour Donnadieu :  » son intelligence est lacunaire, et son insuffisance militaire et politique est totale … » .

René 1er d’Anjou, le Bon Roi René (1409-1480) a une ascendance Habsbourg (Juditte de Habsbourg à la 5ème génération) et Valois (Philippe VI de Valois, 4ème génération). Donnadieu prétend que les Valois sont eux aussi prognathes avec une grosse lèvre inférieure, un grand nez, que Saint Louis a un grand nez, et une grosse lèvre inférieure. Nous le trouvons plutôt « hyper divergent que Classe III ».

Sa femme Isabelle de Lorraine a les mêmes ascendances Habsbourg et Valois.

Leur fille, Yolande d’Anjou va épouser Ferry II de Vaudémont lui aussi d’ascendance Habsbourg.

De leur fils René II : on a peu de représentations. L’enluminure sur parchemin de la Vita Christi ou cette médaille de Saint-Urbain (donc réalisée à postériori), le représentant de profil montre un nez fort et busqué, un menton développé, une lèvre inférieure renversée en dehors (prognathie ou prochéilie ?).

Sa femme Philippe de Gueldres, (gisant de Ligier Richier), vraisemblablement édentée totale, présente un grand menton « en galoche ». C’est une Bourbon.

Pour le bon Duc Antoine, (1489-1544), Donnadieu choisit le portrait de La Faye où le Duc est vraiment laid, vieilli avant l’heure, l’expression triste et fatiguée. Haut menton, grosse lèvre inférieure, c’est « l’hérédité Valois » dit l’auteur. Alors que sur le portrait du château de Chantilly, il a 30 ans, l’air triste, mais assez beau et pas prognathe du tout.

Voici l’hérédité Habsbourg renforcée par l’arrivée de Chrestienne de Dannemark, (dessin du recueil d’Arras, bru d’Antoine, épouse du Duc François et mère de Charles III. Elle est fille d’Isabeau d’Autriche, petite fille de Maximilien d’Autriche et selon Brantôme « a la bouche grande et advancée à la mode d’Autriche ». Sa tante Marie d’Autriche (Musée Jacquemard André) et son oncle Charles Quint (Galerie Borghese – Rome) sont évidemment prognathes. Chez Charles, le prognathisme entraîne une béance de la bouche et sa prognathie s’accentuera avec l’âge alors que celle de son frère Ferdinand se compensera. (ce qui serait en faveur d’une origine fonctionnelle)

Si on choisit la gravure de Jacques Callot représentant le Duc âgé, Charles III présente une lèvre inférieure débordante et un menton haut. Donnadieu lui trouve toutes les anomalies faciales Habsbourg : visage blafard, tristesse du regard, yeux à fleur de tête, long nez … et rapproche du fait de l’expression de lassitude, sa physionomie de celle de Charles Quint vieilli et désabusé.

Leur fils aîné, Henri II (tableau de Claude Chaveneau au Musée de Bar le Duc) aurait le type Habsbourg, apparence sombre et triste, yeux à fleur de tête … on le dit peu intelligent, triste et plein de complexes, il croit à la sorcellerie, à la magie, encourage l’alchimie, tandis que son frère cadet, François II (tableau de la galerie de Versailles ) n’est pas avantagé par l’artiste. Mais il n’a pas le type Habsbourg, bien que Donnadieu affirme que « son expression est celle d’un dégénéré physique » (petit, bossu, malingre ) et que » l’orgueil des Habsbourg et leur esprit d’intrigue se retrouvent dans les actes du Duc François ».

Le fils de François, Charles IV, ( gravure de Jean Valdor), le condottiere de la guerre de Trente ans a plutôt un bec d’oiseau et les caractères Habsbourg n’apparaissent pas, sauf le grand nez, Donnadieu voit dans son regard un dérèglement d’esprit typique de la lignée.

Tandis que son petit neveu, le Duc Léopold (d’après un dessin de Saint Urbain) a vraiment la lippe Habsbourg, le visage allongé, les yeux gros et à fleur de tête. Quant à François III, (tableau de Liotard), le dernier de la dynastie, il est tellement Habsbourg qu’il épouse l’Autriche et sa Marie-Thérèse, et brade la Lorraine à Stanislas qui a, lui, un profil d’édenté ! (pas vraiment sur ce portrait de Pillement – Musée historique lorrain)

Conséquences de la prognathie

Si on admet qu’ils sont prognathes, sans affirmer, comme Donnadieu qu’ils sont débiles, il faut admettre que leur dysmorphisme, lié à des anomalies de posture a pour conséquences :

  • des troubles de la mimique faciale ( la bouche ouverte et le menton pendant ne donne pas l’air éveillé), des troubles de la ventilation aérienne et de la respiration buccale et des troubles de l’articulé.
  • des troubles de la déglutition.( bruit en mangeant )
  • des troubles de la phonation : élocution altérée (s, d et t : tes apico-dentales) … sigmatisme interdental : »cheveu sur la langue » (chuintement) sigmatisme latéral « schlintement » : l’air passe sur les côtés.
Les Dents des Ducs

Les Ducs de Lorraine sont embaumés et enterrés en grande pompe, mais les descriptions de leur état physique n’existent pas. On sait qu’ils sont éviscérés, les viscères embaumés et le coeur scellé dans un coffret de plomb. C’est tout. On n’a donc pas grand-chose à se mettre sous la dent (c’est le cas de dire ! ! ), si ce n’est les publications de l’abbé Guillaume relatant au milieu du XIXe, la « translation des restes mortels des princes Lorrains dispersés par la tourmente révolutionnaire ».

L’abbé Guillaume désigne trois lieux d’inhumation temporaire, où on a déposé les restes des Ducs pour les sauvegarder pendant la révolution .

En 1826, après restauration de la Chapelle Ronde, on rassemble toutes ces reliques. Malheureusement, le « lot Simonin « ne comporte que des crânes sans description (Duc Raoul , Mathieu Ier, Ferry IV, Eric, le fameux évêque de Verdun), des coeurs embaumés ( François II, Christine de Salm et sa mère venant de l’église Notre-Dame) et un paquet contenant 278 os, 190 fragments d’os, une touffe de cheveux, quelque lambeaux d’étoffe de soie, des morceaux de fer et de plomb provenant du caveau ducal aux Cordeliers …

Dans le cimetière de Boudonville où se trouvent Madame Royale, Charles V, … les fossoyeurs retrouvent des dents et des restes osseux qu’on exhume et place au hasard dans 5 cercueils.

Plus intéressantes sont les reliques inhumées dans le caveau particulier de l’église des Cordeliers et saccagées sur place 8 . Il s’agit des princes inhumés dans un caveau proche de celui de René II en 1554, 1577, 1587 et 1602, dépouilles de Nicolas de Lorraine, de sa première épouse Marguerite d’Egmont et de ses deux fils Philippe-Emmanuel, Duc de Mercoeur et Charles de Lorraine, Cardinal de Vaudémont, 81ème évêque de Toul . On trouve ici en vrac, parmi les décombres, une portion de crâne « scié pour l’embaumement », un fragment de mâchoire supérieure, et quatre mâchoires inférieures dont une avec toutes ses dents , mais on ne peut attribuer à personne la mandibule intacte.

Des relevés de l’Abbé Guillaume on ne peut conclure qu’une chose : les Princes Lorrains n’étaient pas tous édentés .

Hygiène, Soins dentaires et antalgiques

Les inventaires et les comptes du Duché aux XVIe et XVIIe nous ont fournis de précieux renseignements sur ce sujet.

Nous avons pu trouver dans les inventaires du XVIe siècle, la description de coffres, contenu et contenant, semblant être des trousses de toilette :

– 1532 : inventaire ordonné par la duchesse de Calabre, Renée de Bourbon, épouse d’Antoine. Après une description détaillée des pièces du château, des meubles, du linge de table … on trouve dans la galerie des armoires … « une layette de velours rouge doublée de damas blanc, ferrée d’argent, garnye dedans de ce qu’il faut pour une chambre de filles : verges à manches d’argent, broces, poinçons à faire la grève (à faire la raie dans les cheveux) , myroirs ronds à manche d’ivoire, carlet à mettre espingles, bougeoirs, bougies, habillements de tête, ung estuy doré où il y a trois pingnes et une broce qui a le manche en argent doré, 2 pots à pisser d’argent …  » … et  » 2 ciels à mettre sur selles percées chargés de A et de R (brodés aux initiates d’Antoine et de Renée) et 2 petits ciels de cheyr à pisser de velours cramoisy chargés de petits enfans qui portent les armes de Mgr et de Madame… »

– 1532 encore  » une grande layette en cuir pour homme, doublée de taffetas incarnat dans laquelle il y a ung bonnet de nuict, une coiffe de nuict, une paire de vergettes magnificques, ung estuy de pingnes, deux myroirs, ung pot à pisser d’argent … »

-1543, toujours dans les meubles du Duc Antoine : un coffre couvert de trippes de velours vert …  » 2 couvrechefs de nuict en toille de hollande, un mantelet à pingner … un carlet à mettre les espingles, un espongeoyr d’argent doré, une brosse accoustrée d’argent doré, un myroir garni d’argent, des vergettes couvertes d’argent, un bougeoir d’argent, un pingne d’or …  »

On a donc essentiellement des outils pour se coiffer, brosses, peignes et miroirs. Pas de brosses à dents dans les coffres, leur emploi ne deviendra courant en Europe, qu’à partir de la Restauration. Il semble que la première brosse à dents « moderne » soit l’invention d’un papetier anglais vers 1780 et que Napoléon soit un précurseur. Au XVIe siècle , quand on soigne ses dents, on les frotte comme Montaigne, avec un petit linge trempé dans l’eau  » j’ai appris dès l’enfance, à les frotter de ma serviette, le matin et à l’entrée et yssue de la table » 17 . Nous allons trouver des petits linges pour les dents dans un siècle seulement, chez la duchesse Nicole.

Peut-on affirmer qu’au XVIe S. à la Cour de Lorraine on ne se lave pas les dents ? Peut-être se rince-t-on la bouche avec du vin ou du verjus ?

A la même époque, on connait cependant à la cour de France, soins dentaires, prothèses et spécialistes : François ler a de très mauvaises dents qui le font souffrir. Son médecin Goëvrot le soulage en lui administrant le lait d’une nourrice qui allaite une fille. Henri III fait des lavements de bouche avec du vin un peu couvert, rude et bien trempé. On lui fixe tous les matins, un petit râtelier qu’on retire pour les repas. Et Henri IV, sujet aux fluxions et aux maux de dents, achète tous les mois pour 20 sous de cure-dents. Il a un chirurgien, opérateur pour les dents, qui obture ses caries à l’or !

-1606 Inventaire fait du commandement de Charles III en l’état de partage… Après les meubles, joyaux, tapisseries, on trouve un coffre quarré, couvert de lames d’argent … La serrure est garnie de perles, le fond est doublé de satin cramoisi où est attaché un miroir rond garni d’argent doré. Dans le coffre : un petit pigne d’or esmaillé de noir, un poinçon d’argent doré, un petit miroir d’acier en forme de livre, un bougeoir d’argent doré, une petite cassolette d’argent doré, une vergette de poil emmanché d’argent doré, la broussette de mesme … deux ventouses d’argent doré, une coquille servant de bougeoir, argent doré, deux bourses à mettre les bougies, cinq éventails, un petit sachet à mettre roses … On commence au XVIIe à utiliser les parfums, lavande, romarin, roses séchées.

Charles III ne se brosse pas les dents, il se contente de frotter sa langue avec cette curieuse « raclet » que Claude Pillard, orfèvre « grossier » (?) lui a fabriqué en 1602 : « ung raclet avec au bout de la raclet une cuiller pour nettoyer la langue » (La raclette à langue connaîtrait actuellement un renouveau d’intérêt.)

Au XVllème, les Duchesses, plus soucieuses de leur beauté prennent soin de leurs dents. On en trouve la preuve dans les factures d’apothicaires.

En 1602, Catherine de Bourbon, la soeur d’Henri IV épouse d’Henri II de Lorraine, est une raffinée. Quand son beau-père Charles III qui l’aime bien, malgré son entêtement à ne pas vouloir abjurer sa religion protestante, l’emmène avec lui aux eaux à Plombières, elle se fait préparer par l’apothicaire du Duc, de la cannette en poudre pour mettre dans l’eau chaude des bains. L’apothicaire lui renouvelle tous les trimestres une préparation subtile de « pouldre » pour blanchir les dents, composée de perles fines broyées, de musc, d’ambre gris …

En France, les dames se mettent des « boules musquées » dans la bouche pour que leurs joues paraissent moins creuses et que leur haleine soit parfumée.

On commence à se rincer la bouche au « succus agrestis ». Il s’agit de verjus. On utilise aussi l’eau de plantain -qui ne coûte pas bien cher ! Billault, l’apothicaire en fournit à 1 gros l’once . En rinçages de bouche, l’eau de plantain remplace avantageusement l’urine . Madame de Sévigné en fut une fervente utilisatrice. Elle recommande à sa fille d’utiliser à titre préventif « quelques cuillerées de son urine fraichement rendue » … tandis que le célèbre Nicolas de Lemery préconise carrément « l’excrément de l’homme sec et pulvérisé ». On va pulvériser pour en faire des poudres dentifrices les plus diverses substances : coquilles d’œufs, d’escargot, d’écrevisse, corne de cerf, ivoire, qu’on mèle à de l’alun, à des racines de lentisque …

A la génération suivante, toujours pas « d’instrument propre à nettoyer les dents ». En 1629, la Princesse Nicole frotte ses dents avec « de petits lienges à nestier les dents » et fait confectionner à l’apothicaire Jean Pavé « une pouldre pour blanchir les dens composée de perles, coral,(ill.), bois de lentisq etc … » à 5 fr l’once. On lui fournit aussi de l’eau de plantain .

Antalgiques

A Plombières, pendant la cure, en 1602, une rage de dents oblige à prescrire à Catherine des emplâtres à mettre sur les dents, puis la douleur faisant mal jusqu’à l’oreille, on essaye de la soulager par une « fomentation seiche à mettre sur l’aureil » et une « eau.. (ill.) à mettre dans l’aureil » . Comme elle a une fluxion, un peu de chaleur grâce à deux sachets de laine « grasse » « entrebassée » à appliquer sur la joue, et des gargarismes au poivre entier (déja préconisés par Hippocrate) auront peut-être quelque effet. Toutes ces prescriptions seront réitérées.

Marc de Billault est l’apothicaire de Madame de Vaudémont et de ses enfants. A lire les factures d’apothicaire en cette année 1609, la Comtesse semble bien souffrante. Un « torticolis » nécessite la confection d’un « carquant » – de l’ordre des médecins. On lui fournit aussi un double ducat à mettre dans le feu pour « exhauffer » et amortir ses breuvages ! et puis, elle souffre des dents, il faut en extraire deux.

En 1616, Madame de nouveau a bien mal aux dents. Rien d’étonnant, son apothicaire lui fournit régulièrement de nombreuses sucreries : cotignac (pâte de coings), fruits confits, bouchet (eau sucrée à la cannelle) à prendre à chaque repas, confitures liquides de toutes sortes et du réglisse « choisi » à tenir en sa bouche . Le 25 janvier, comme antalgique, il faut lui prescrire une bouteille d’eau de  » fraize » faisant cinq onces (environ 150 gr), qui ne suffit pas à la soulager puisque le 2 février, il faut employer les grands moyens et utiliser l’opium. On lui prescrit un emplâtre opiacé, le 4, il faut lui « ramolyr son oppiatte » pour les dents et lui en préparer sans « thériac » mais au double de la « recepte ».

Son fils Charles IV n’est pas bien en 1629, après une plaie à la cuisse qu’on traite en janvier et février (emplâtres composés, eau thériacale, aloès et baume du Pérou), il a des ennuis digestifs (on lui prescrit moult clystères laxatifs, des sirops de coings, de pommes, et même une fomentation stomacchale composée à appliquer sur le ventre et l’estomac). Mais il a aussi mal aux dents, ces deux onces de fine eau de vie pour les dents vont-elles réussir à le soulager ?

Les autres personnalités de la famille ducale ne pensent à leurs dents qu’à la dernière extrémité quand il faut extraire. La pauvre Elisabeth-Charlotte, dans ses lettres à son amie Madame d’Aulède, se plaint entr’autres misères, de bien fréquents maux de dents : juillet 1717 « je suis accablée d’un violant mal de dants et par dessus cela, je crois être grosse … « . Durant toute sa vie, ses varices, abcès aux aisselles et dents gâtées occasionnant des fluxions qui la défigurent et lui gâtent la vie.

Au XVIIe et XVIIIe S. on extrait les dents avec brutalité à l’aide de pélicans, de déchaussoirs, de poussoirs ou même carrément de pieds de biche. Ces extractions brutales emmènent quelquefois des dents voisines et parfois même un fragment de mâchoire.

Protheses ?

Bien qu’il existe des tabletiers à Nancy depuis 1617, on ne trouve pas trace du moindre dentier. Pourtant à la Cour de France fréquentée par nos Princes, on connaît le « râtelier » depuis Henri III – à qui son valet de chambre attache tous les matins dans sa bouche édentée de « petits ossements », peu fonctionnels puisqu’il faut les retirer pour les repas.

Plus tard au XVIIIe, Stanislas reste édenté pendant 30 ans, imitant en cela sa nièce, Madame Adélaïde (l’une des 8 filles de Louis XV), « grande taille sèche, robe violette à plis, bonnet à papillon, et 2 grandes dents, les deux seules qui lui restassent ». Stanislas glouton, avalait « tout rond » et ses indigestions au melon sont restées célèbres.

Traitements conservateurs

La première Lorraine qui en parle est Madame de Graffigny. Elle vient d’arriver à Paris et souffre des dents. Elle écrit à Panpan Devaux : « je me suis fait plomber deux dents et accommoder les autres qui sont belles comme le jour, mais qui m’ont fait et me font des douleurs presque insupportables … je ne sais si c’est fluction ou une drogue qu’on m’y a mise mais j’enrage… (le lendemain même lettre} : j’ai dansé toute la nuit j’ai eu la rage aux dents… « .

Quelques années plus tard (1748 à 1752), Lécluze, si on l’en croit, fait des merveilles à Lunéville : traitements conservateurs et même « transplants ».

Mais nos Ducs ne semblent pas en avoir bénéficié.

Qui sont les dentistes de nos Ducs ?
Titres et diplômes !

La chirurgie en Lorraine est en principe réglementée par de nombreux édits, plus ou moins appliqués. En 1163, le Concile de Tours défend aux ecclésiastiques toute opération sanglante. Dès lors toute la chirurgie est exercée par des laïques illettrés et barbiers ne trouvant dans le Duché aucun enseignement.

Déjà au XIVe s., le Duc Raoul promulgue un édit ayant pour but de punir les charlatans qui se mêlent de faire de la chirurgie. L’édit de René Ier du 21 novembre 1430, impose aux barbiers-chirurgiens de la ville, d’élire un Maître de leur métier qui sera chargé de visiter tous les ouvriers et compagnons dudit métier et s’assurera de leur aptitude. René II en 1482, nomme des « cirurgiens-jurés ». Les statuts synodaux de Hugues des Hazards, évêque de Toul, en 1515, défendent que  » de telles personnes qui se disent chirurgiens ne soyent sy hardies de faire acte de chirurgie sous peine d’excommuniement …  » . Philippe de Gueldre donne le 8 septembre 1513, de nouvelles lettres aux Maîtres chirurgiens-barbiers, dans le but d’écarter les empiriques. En 1535, nouvelles lettres d’Antoine s’élevant contre les abus.

Les chirurgiens et barbiers sont alors soumis aux mêmes statuts, mais on voit par les actes de ces temps-là que la chirurgie est considérée comme un art, et que l’état de barbier est un métier. (Servais)

Le 10 février 1596, Charles III établit la Maîtrise de chirurgie et en 1602, il nomme un démonstrateur d’anatomie à Pont-à-Mousson. Du fait des temps troublés les cours destinés aux chirurgiens ne seront pas suivis. Léopold rétablira la chaire de chirurgie en 1707. Il y nomme son protégé, Malissain, qui n’est pas Maître, ce qui n’empêche pas le Duc en 1708 dans son « Réglement sur la Médecine et la pharmacie », d’interdire toute fonction de chirurgie aux Barbiers-Perruquiers.

Alors que les Ducs publient régulièrement des édits réglementant la chirurgie, créant une communauté, une maîtrise et veillant à l’encadrement des charlatans, il est étonnant de constater qu’au fil des siècles, leurs hommes de confiance, barbiers et dentistes ne sont ni diplômés, ni membre de confrérie ou de Communauté (ils n’ont donc de comptes à rendre à personne en ce gui concerne les « Bonnes Pratiques »). Ce sont leurs valets de chambre qui font quotidiennement la barbe, la petite chirurgie, les extractions dentaires et les commissions … ( voir Jean Belhoste ou La Tour ).

Il faut admettre que les Ducs ne respectent pas les règlements qu’ils promulguent, ou bien qu’ils ne considèrent pas les extractions dentaires comme de la chirurgie. Les cheveux et les dents sont de modestes phanères que l’on confie à son valet de chambre et barbier, homme de confiance, toujours présent quand on voyage.

Anoblissement

Son barbier, on l’aime et parfois même en témoignage de satisfaction (ou pour minimiser son salaire), on l’anoblit … (Il faut toutefois remarquer que sur les 1992 anoblissements lorrains – publiés par Lepage et Germain -18 soit 0,9% seulement concernent des barbiers et chirurgiens).

René II anoblit son fidèle Jean Belhoste, Antoine distingue trois de ses barbiers : Nicolas Gillet, Jacques de la Mesche, et son cher Estienne Le Gros, le régent Nicolas anoblit Jacques Brunehaut et Pierre Le Tellier.

Charles III titre Nicolas Picart, le chirurgien de sa mère Chretienne Danemark et Michel de Saint-Pierre, son chirurgien-barbier pendant 30 ans. « … en considération des services que ledict Saint-Pierre luy a faict depuis son jeune aage jusques a present signamment en divers et plusieurs véiages dans lesquels il l’a tousiuors suivy … « . Sous Henri II, François de Vaudémont fait anoblir san barbier-chirurgien César Maldisné , pourquoi pas Vesne ? Charles IV récompense ses compagnons de captivité : Français Sellier et François Charles. Tous sont « valets de chambre et barbiers », pas un seul Maître en chirurgie.

Enfin François III, après la mort de son père, donnera à Claude Duban, « chirurgien ordinaire » de Léopold, des lettres de noblesse du 22 août 1736.

Les « dentistes » des Ducs sont difficiles à détecter.

Autant pour les pathologies médicales, on trouve trace du passage de médecins célèbres qu’on fait venir de l’étranger, autant saignées, cautères et extractions dentaires, considérés comme des actes mineurs sont rarement signalés. Il faut étudier minutieusement les livres de comptes pour trouver par-ci par-là des gages ou des récompenses attribués pour soins dentaires.

René II ( 1451-1508) succède à son grand-père le Roi René, il règne de 1473 à 1508, René II est un ambulant. Tantôt à la cour de France ou en Italie (il est capitaine général des troupes de Venise, allié au Téméraire puis chassé par lui de Lorraine avant de l’anéantir devant Nancy), il passe très peu de temps à Nancy, résidant parfois à Neufchateau, Mirecourt, Dompaire ou Vézelise … on imagine bien son cher Jean Belhoste qui ne le quitte pas, lui faisant la barbe, réalisant les extractions dentaires, lui « accoultrant » les cheveux – bref s’occupant des phanères et fournissant à Monseigneur des « honnetz chappeaulx, lassets, esguillettes, … gants, mouffles … » .

René II emploie quelques barbiers-chirurgiens : Voisin, Vincent, Olry et Raoullet-qui « accoultrent » -eux-aussi- quelquefois les cheveux, mais ceux-ci sont sédentaires et n’accompagnent pas le Duc.

Antoine ( 1489-1544) comme son père fait de bien courts séjours en Lorraine. Il se couvre de gloire en Italie à Marignan , avec son capitaine Bayard, et séjourne longuement à la Cour de France. C’est Estienne le Gros, son barbier et valet de chambre qui l’accompagne dans ses voyages et soigne ses phanères. On lui connaît aussi quelques barbiers-chirurgiens sédentaires : Nicolas Gillet, Jacques de la Mesche, qu’il anoblit. Poirot Houart est le chirurgien de la Duchesse.

Son fils François ne règne qu’un an. Il meurt à Remiremont en 1545 au décours d’une cure à Plombières. C’est la première fois qu’apparaît la notion de « chirurgiens par quartiers » (Dhorat, Henry) et de chirurgien ordinaire (payé à l’année) 38 . Ses barbiers-chirurgiens ordinaires sont Jacques de la Mesche, Lallemand, Michault. On ignore le nom de celui qui s’occupe de ses cheveux et de ses dents.

Charles III est le plus acharné à lutter contre l’empirisme. Il impose en 1596 des Ordonnances réglementant la chirurgie, définissant les modalités de l’examen de la Maîtrise, et donnant toute puissance à la Communauté des Maîtres-chirurgiens pour former, surveiller et punir les ignorants. Mais il continue à employer ses barbiers pour les petits actes de chirurgie le concernant.

Ainsi Charles III (1543-1608) salarie au cours de son long règne, 16 valets de chambre-barbiers-chirurgiens qui pansent, saignent, cautérisent le bon Duc et lui arrachent les dents. Le préféré est Michel de Saint-Pierre.

Le 22 may 1575, Me Michel, (le fils de Michault, barbier du Duc François) , reçoit 18 francs pour avoir traité Charles III d’une rage de dents .

Me Michel est donc payé à l’acte alors qu’il apparaît dans la liste des gages aux domestiques, recevant comme Valet de chambre et barbier des gages annuels. Charles III est un patient agréable. Quand son dentiste se trompe et extrait une dent saine, le Duc, bienveillant propose froidement à l’opérateur interdit, comme punition d’arracher la dent malade. Il apprécie son « sirurgien » puisque l’année suivante, il l’anoblit (porte d’azur à une tête de licorne d’argent accornée d’or écartelé en sautoir …). Ce Michel de Saint-Pierre sait se faire valoir. En 1573, il loge gentiment le géographe du Roi (Henri III, beau-frère de Charles III), on lui confie ainsi par la suite des missions en France. Puis, précurseur des charlatans du Pont-Neuf, il se met à confectionner une « Eau céleste », sa fortune est faite. On le voit l’amasser : en 1586, il reçoit 100 escus (B 1208), et encore 475 fr pour drogues et eau céleste (B 1226) etc… Il meurt riche en 1605.

Charles III règne près de 50 ans. Il se rend fréquemment en France, mais séjourne habituellement à Nancy où il meurt en 1608, à l’age de 65 ans. Combien lui reste-til alors de dents?

En 1609, la comtesse, née Christine de Salm, est l’épouse de François de Vaudémont, qui deviendra François II à la mort de son frère Henri II . Vesne est le « chirurgien ordinaire » de François de Vaudémont – c’est-à-dire qu’il est payé à l’année, par opposition aux chirurgiens « par quartiers », payés au trimestre -.

Vesne  » tire deux dents » à la Comtesse de Vaudémant le 4 janvier 1609, séjourne à Nancy pendant trois semaines, pour surveiller sa patiente. On lui promet 200 fr et le malheureux ne sera payé qu’en 1623.

(200 fr c’est abusif, à la même époque, Thillemann Foulon, Maître- chirurgien, arrache 6 dents à un pauvre de l’hôpital pour 6 gros … et Didier Bruyer, Maîtrechirurgien soigne les pages de Monseigneur de Vaudémont, leur coupe les cheveux et soigne Thomas le sot, bouffon du Comte d’une fluxion qu’il a sur les « dans » partie senestre faisant un gros « apses sur ung gros dens » pour 5 fr qu’on lui rabaisse à 3 fr 6 gros.

Pas plus que Michel de Saint Pierre, Vesne n’est diplômé, mais bien outillé, puisque la même année on l’appelle pour les cors de Monseigneur ! et pour 24 fr, « il vaque 6 jours » !

Vesne est vraiment apprécié et Charles IV n’est pas ingrat : 50 ans plus tard on trouve en 1665 et 1669 dans les comptes de la cellerie :… » bailler et livrer à Barbe Vesne jeune fille demeurant à Nancy, la quantité de 3 rezeaux de bled, mesure de nostre ville, … en considération des services à Nous rendus par deffunct notre cher et amé chirurgien et Valet de chambre des Nostres Claude Vesne son père … »

Au milieu du XVII ème, on ne trouve pas de dentistes de la cour, parce qu’il n’y a pas de cour. Charles IV est « en cavale », la Lorraine subit l’occupation française de 1633 à 1661 et de 1670 à 1697. Deux valets de chambre et barbiers du Duc vont le suivre fidèlement pendant ses pérégrinations , y compris pendant la captivité en Espagne. Ils en seront récompensés. Il s’agit de François Charles que le Duc anoblit en 1655, il meurt noyé « au cours d’un funeste voyage », alors qu’il se rendait à Madrid pour chercher ses titres de noblesse.

L’autre, François Sellier, lui aussi anobli, se voit propulser au rang de « Premier chirurgien », alors qu’il n’a jamais passé la Maîtrise. La Communauté ne l’acceptera pas.

Léopold revient après Ryswyck. La Lorraine est ruinée, on vend toutes sortes de charges, y compris de nombreuses lettres patentes à de soi-disant dentistes, non titrés. (entre 1697 et 1787, 84 lettres patentes au moins donnent la permission de s’installer sans titre, de vendre un élixir miracle, d’obtenir un poste …. c’est un moyen pour les Ducs de récupérer de l’argent ).

Ces « dentistes » se parent du titre de « dentiste ordinaire » du Duc,(comme les fournisseurs de la Reine d’Angleterre se parent du titre de « Royal Warrants ») et sous la protection du Premier chirurgien du Duc, exerçent leur art en ville, tout en percevant de modestes gages annuels. Ils sont, dans les livres de comptes, couchés parmi les domestiques et font généralement une brève carrière.

C’est ainsi qu’on rencontre les gages de :

– Rainville dit Charles Mansard, dentiste de Léopold, en 1707.

On voit Charles Rainville payer ses impôts à Nancy Ville Neuve de 1709 à 1725. Il est l’époux d’Andrée Fenelan. En 1717, son fils épouse Anne Petihan à la paroisse Notre-Dame, d’où un fils Charles Rainville, baptisé le 7 mars 1719. Le grand-père est parrain, il signe Reinville et le rédacteur de l’acte écrit « Mansardhyrenville ».

-André Fenelan dentiste de Léopold en 1712. 47 (est-il le beau-frère de Charles Mansard ?)

-Jacques Moreau. le 15 may 1721, il a deux ans d’expérience à la cour, le Duc le reconnait comme un de ses dentistes ordinaires, sous le contrôle de son Premier Chirurgien Le Voyer. Il recevra 400 livres de gages.

– « S.A.R. étant bien informée de l’habileté et de la dextérité avec lesquelles le Sieur Grimaldy entretient , nettoye et arrache les dents… le prend pour son dentiste ordinaire » … en 1725.

Ces différents personnages gardent une mentalité d’opérateurs ambulants, ils ne font pas une longue carrière à la Cour et, hormis la trace de leurs gages dans les livres de comptes ne laissent pas un souvenir impérissable en Lorraine.

A signaler en mai 1718 le séjour à Lunéville et Nancy de Gérauldy valet de chambre et dentiste du Régent qu’on gratifie de 1800 livres, c’est énorme. Philippe d’Orléans est le beau-frère de Léopold qu’il a reçu en visite officielle à Paris en février 1718. Pourquoi a-t-il envoyé son valet de chambre en Lorraine ?

En 1732, Léopold est mort. S.A.R. Elisabeth-Charlotte s’attache un dentiste, qui est également décorateur de la comédie ! C’est La Tour. Ce doit être son homme de confiance, elle l’envoie à Presbourg (Bratislava), près de son fils François, en mission secrète ? Mission pour laquelle il est richement payé (1000 livres) . « Le trésorier des revenus payera à La Tour, dentiste et décorateur de la comédie, la somme de 1000 livres pour son voyage à Presbourg où il est mandé de la part de S.A.R. »

Stanislas encourage lui aussi des  » patentés » qu’il place sous la direction de son Premier chirurgien Bordenave .

– Nicolas Raffet, né à Commercy en 1727, se pare du titre de « dentiste du Roy de Pologne ». « Il soignait , dit Boyé, Stanislas quand celui-ci séjournait dans son château de Commercy ». Plus tard Raffet s’établit à Paris (1761) où il meurt en 1789. (Son fils, Nicolas Raffet sera Général de la convention ).

La dentisterie est à cette époque bien séparée de la chirurgie, puisque Pantaléon La Paillotte est chirurgien ordinaire à la résidence de Commercy.

Lécluze, acteur et arracheur de dents formé à la foire de Saint-Germain, s’installe à Lunéville sous la protection du Roy de Pologne, fuyant Paris et attiré par le théâtre et la présence de Voltaire.ll vient de participer à la guerre de succession d’Autriche comme dentiste et directeur des troupes de théatre du Maréchal de Saxe. Quand il arrive à Lunéville, vers 1747 (ou en 1739 puisqu’il a vu naître Melle La Galaisière?), Lécluze prétend que Stanislas vient de perdre sa dernière dent. Pendant 4 ou 5 ans, il se recommande de son titre de « dentiste du Roy de Pologne » et se dit « pensionnaire de la ville de Nancy », il exerce à Lunéville, en clientèle privée, vend son élixir, publie son premier traité . (ouvrage de prévention où Lécluze préconise l’hygiène dentaire, la surveillance des dents des enfants … ). Puis il retourne à Paris en 1752, pour passer l’examen devant Saint Côme et devenir expert pour les dents. ( En 1699, Louis XIV par décret , avait crée « les experts ». Après un examen de leur spécialité, le Collège de Saint-Côme recevait des experts herniaires, lithotomistes, oculistes ou des experts pour les dents. En pratique les premiers experts français ne sont nommés que vers 1740). En Lorraine, cet examen sanctionnant les compétences n’existe qu’après la création du Collège de chirurgie, c’est à dire après 1770. La première promotion d’experts nancéiens sort en 1772.

Muni d’un titre officiel d’expert, Lécluze exerce à Paris dès janvier 1753, publie un 2ème (1754), puis un 3ème traité (1755), met au point des instruments, en particulier sa langue de carpe, achète la petite seigneurie du Tilloy (il devient LECLUZE DU TILLOY). Après un séjour à Ferney en 1760, chez Voltaire qui le trouve génial dans ses chansons grivoises, il reprend sa vie aventureuse de comédien, vendeur d’orviétan, écrit des comédies, compose des romances à succès. Puis se fixe à nouveau à Paris où il monte un théatre au nord de la foire Saint-Laurent, fait bâtir une salle au coin des rues de Bondy et de Lancry , mais fait finalement faillite et meurt ruiné en 1792, dans ses terres du Tilloy.

– Jean -Claude-Fidèle La Forgue (1730-1802) appartient à une longue dynastie de Maîtres-chirurgiens. Son arrière grand-père Benoit avait reçu la maîtrise à Metz en 1604 . Louis, le grand-père, Maître de Paris et son père Charles lui avaient appris dans sa jeunesse la partie de chirurgie qui concerne la cure des dents.

C’est cette partie qui lui avait mérité la charge de chirurgien ordinaire de S. M. le Roy de Pologne en 1764. ( Il s’était marié à Lunéville avec Marie-Anne Herny , dont un fils Charles Martin en 1763).

Après le rattachement à la France en 1772, il est reçu expert devant le Collège Royal de chirurgie de Nancy et part poursuivre sa carrière à Paris, puis à Metz et Stasbourg. Mais il n’abandonne pas ses habitudes d’ambulant et le « Journal de Nancy » annonce son passage en 1780, 1781, 1782. Il se déplace avec son attelage personnel, effectue des soins dentaires et se livre à la vente d’yeux artificiels et de « Vinaigre des 4 voleurs pour la peste ». Il descend généralement sur la Place Royale, chez le sieur Meunier, orfèvre. Madame Masson, au café Royal, prend les rendez-vous.

La Forgue est un homme cultivé, chasseur, collectionneur d’objets d’art, et signataire d’un système de construction d’une montgolfière Son fils, admis comme expert à Nancy en 1782, sera dentiste à Strasbourg, puis acteur de théâtre, peintre et miniaturiste à Paris.

Laforgue est donc le premier expert lorrain pour les dents, dont les compétences sont validées par un examen, mais il n’y a plus de Cour de Lorraine depuis 6 ans. Tous les dentistes de nos Ducs, auparavant, étaient des empiriques, barbiers à l’image d’Ambroise Paré, dont ils copiaient les techniques et les instruments – et ça ne se passait peut-être pas si mal …

Le bon peuple n’est pas mieux soigné. Si les bourgeois se rendent dans la boutique de quelque maître chirurgien expérimenté (?), l’extraction est souvent confiée à l’apprenti et exécutée avec l’unique davier de la boutique qu’on voit ici traîner à terre. Les pauvres gens s’adressent au forgeron du village, au charlatan de passage qui installe ses trétaux pour quelques jours ou à l’opérateur pour les dents qui annonce sa venue à Nancy pour une « quinzaine » .

Il faudra attendre la loi de 1892 pour que les chirurgiens-dentistes reçoivent une vraie formation spécialisée et ne soient plus « des arracheurs de dents »… bien que cette expression ait la vie dure !

Résumé

Les Ducs de Lorraine ne sont pas les Rois de France et leur anatomie est imparfaitement connue. Nous n’avons malheureusement pas en Lorraine, comme en France, pour Louis XIII, un journal d’Herouard nous confiant par le menu, les moindres rages de dents du Prince. En l’absence de documents sur les pathologies des Ducs, on ne peut que raconter quelques épisodes, glanés ici ou là dans les livres de comptes, témoignant de soins donnés ou de gages d’un dentiste … Cependant la prognathie de la famille de Lorraine, héritée des Habsbourg semble une évidence pour tout le monde.

Le Docteur Donnadieu (Hérédité de la Maison Ducale de Lorraine- 1922) trouve, vraisemblablement en choisissant les représentations les moins flatteuses, un grand menton, une lèvre inférieure débordante, un étage moyen de la face rétréci, des yeux à fleur de tête, un air mélancolique à tous les Ducs de Lorraine … depuis le Duc Raoul dont la mère est une Habsbourg jusqu’à François III … Mais surtout il affirme, que ce prognathisme est un signe de dégénérescence physique et de débilité intellectuelle ( voire un stigmate de criminalité).

Nous refusons cette conclusion hâtive et voulons faire ici (à l’aide de portraits) une contre-proposition à l’hypothèse de Donnadieu. Les Ducs de Lorraine ne sont-ils pas tout simplement des « ventilateurs buccaux » par obstruction nasale ?

Les Ducs de Lorraine sont embaumés et enterrés en grande pompe, mais les descriptions de l’état physique de leurs dépouilles n’existent pas. Seules les publications de l’abbé Guillaume relatant au milieu du XIXe, la « translation des restes mortels des princes Lorrains dispersés par la tourmente révolutionnaire » pourraient nous renseigner. Malheureusement, en 1826, les dents relevées avec les reliques ont été réparties au hasard dans les cercueils.

Des relevés de l’Abbé Guillaume on ne peut conclure qu’une chose : les Princes Lorrains n’étaient pas tous édentés.

Soins dentaires, hygiène et antalgiques

Les livres de comptes du Duché et les factures d’apothicaires nous donnent connaissance de poudres dentifrices et d’antalgiques à partir de 1602.

Quant aux dentistes des Ducs, signalés eux aussi dans les comptes, on les trouve à partir de René II (XVe siècle). Habituellement valets de chambre, pas toujours barbiers, ils n’ont reçu aucune formation et ne subissent aucun contrôle des connaissances. Léopold (1697), puis Stanislas (1737) vendront des brevets à des ambulants qui deviendront leurs « dentistes ordinaires ». Les premiers experts ne seront reçus qu’en 1772, qu’après le rattachement de la Lorraine à la France.