Marguerite ZIMMER
Docteur en Chirurgie Dentaire,
DEA, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Sorbonne, Paris

Presque tous les auteurs considèrent la division congénitale de la voûte du palais et de son voile comme une complication du bec-de-lièvre.

Galien appelait le vice de conformation des lèvres, constitué par la non-réunion congénitale de celles-ci, Colobama; Celse aurait parlé d' » equarta labia « . Abulcasis (1) aurait apporté quelques précisions sur la manière de réparer cette difformité dans un ouvrage intitulé:  » De chirurgia arabini et latini « , cura J. Channing, t. I, lib. II, p. 179, 526, Oxonii, 1778. Pierre Franco (1506-1579) donne des préceptes sur la «  lèvre fendue de nativité « , dans un «  Traité sur les hernies « , publié à Lyon en 1561; Ambroise Paré parle de «  lèvre fendue par défaut de vertu formatrice ou bec-de-lièvre « , nom que l’on a conservé jusqu’à nos jours.

 

Classification

La division congénitale de la lèvre se présente soit sous une forme simple, double ou composée, soit sous un aspect très compliqué; elle est assez fréquemment verticale, mais elle peut aussi être oblique, conséquence de l’inégale rétraction des bords divisés de la lèvre.

La division du palais peut s’étendre jusqu’au voile du palais, occuper toute la hauteur de cette cloison ou n’intéresser qu’une portion de celle-ci. Lorsque la voûte palatine manque dans sa totalité, les auteurs parlent de gueule de loup. On distingue différentes formes de divisions :

  • Division de l’ensemble du voile du palais, alors que la voûte palatine garde son intégrité.
  • Division du voile du palais sur le tiers de sa longueur ou sur la moitié postérieure de sa longueur, la moitié antérieure, ainsi que la voûte palatine étant bien conformée.
  • Division de la luette.
  • Absence de la luette.
  • Division du voile du palais associée à une division de la voûte palatine, dans son premier tiers ou dans toute sa longueur.

 

Les méthodes opératoires

La division simple de la lèvre supérieure n’entraîne pas une impossibilité de téter; le problème est bien différent lorsque cette division atteint la voûte palatine. Une communication entre la cavité buccale et les fosses nasales occasionne, soit une simple gêne pouvant aller jusqu’à l’impossibilité d’exercer le mouvement de la succion, soit des difficultés majeures de déglutition ou de prononciation. Lorsque la luette est nettement séparée en deux moitiés, l’occlusion imparfaite de l’ouverture postérieure des fosses nasales contrecarre le mouvement de la succion. Le voile du palais divisé vient se plaquer sur la paroi postérieure du pharynx, ce qui entraîne le reflux des liquides et des aliments par le nez.

Dans le cas d’un écartement partiel ou total de la voûte palatine, le chirurgien proposait souvent d’exercer une pression permanente de part et d’autre de la mâchoire supérieure. Il pensait qu’il était bon d’aviver les bords de l’organe, soit par une méthode chirurgicale, soit par l’emploi de caustiques. Pierre Franco conseillait d’appliquer immédiatement deux ou trois aiguilles, de les fixer avec des fils, puis de provoquer le rapprochement des berges à l’aide de coussinets. Les avis divergeaient totalement losqu’on abordait le problème de l’âge auquel il convenait de pratiquer l’opération. Jacques Charles Dionis (1710-1776), René Jacques Croissant de Garengeot (1688-1759), Nicolas Andry (1658-1742), et surtout Pierre Lassus (1741-1807), pensaient qu’il fallait attendre que l’enfant ait au moins 5 ou 7 ans. Fabrice d’Aquapendente (1537-1619) et Raphaël Sabatier (1732-1811) s’opposaient aux sutures dans le jeune âge; ils préféraient augmenter l’élasticité des lèvres par la pose d’emplâtres ou de bandelettes agglutinatives. Daniel Louis (1625-1680) cautérisait les bords avec de l’acide nitrique; d’autres auteurs provoquaient des escarres à l’aide d’une dissolution de potasse caustique. Inutile de dire que ces opérations étaient fort douloureuses, même lorsqu’elles faisaient suite à une pré-médication à base de narcotiques. Ces substances provoquaient de la constipation, suivies de violentes coliques. Il en résultait des cris et des pleurs qui n’arrangeaient en rien la cicatrisation. Les berges de la plaie tendaient alors à s’écarter, et l’enfant, incapable de s’alimenter, mourait bientôt de dénutrition.

 

Evolution des obturateurs palatins

Les médecins grecs désignent les obturateurs palatins sous le nom d’Hyperorë (2).

C’est dans le Traité des maladies vénériennes, publié en 1565, qu’Alexandre Pétronius (?-1585) parle pour la première fois d’un appareil susceptible de combler les trous formés par la carie ou par pertes osseuses d’origine syphilitique. Pétronius conseille de les boucher avec du coton, avec de la cire, ou éventuellement avec une plaque d’or. Mais il n’indique pas de quelle manière cette plaque d’or devrait être maintenue en place. M.J.C. Cullerier (1758-1827) (3), chirurgien de l’hospice des vénériens, émet l’hypothèse suivante: si Pétronius n’a donné aucun détail sur la manière de fixer les plaques d’or, c’est que ces appareils étaient déjà connus.

Dix années s’écouleront, avant qu’Ambroise Paré(1510-1590) (4) ne donne le nom d’obturateurs palatins aux instruments que dans l’édition de 1561 du «  Traité des playes de la teste « , folio 261, il avait intitulé:  »  Figure des instruments pour le palais troué et pertuisé « ; dans  »  Les dix livres de chirurgie « , paru en 1564, les mêmes figures portaient le titre: «  Instruments appelez couvercles, propres pour couvrir et estouper les trouz des os perdus au palais de la bouche « . Que le palais ait été détruit par les armes à feu ou par la syphilis, ou que la perte osseuse ait été d’origine héréditaire, Ambroise Paré y appliquera  » un instrument un peu plus grand que le trou où l’os defaudra. Et ledit instrument sera fait d’or ou d’argent, et de figure voûtée, et délié, d’espaisseur comme d’vn escu: auquel sera attachée vne esponge, par laquelle estant mis ledit instrument au trou où manquera l’os, ladite esponge assez tost s’imbibera et s’enflera par certaine humidité, et puis apres tiendra ferme: et par ce moyen la parolle se formera mieux  » (Fig 1).


Fig 1 et 2

Sous l’action de l’humidité, l’éponge, placée dans cette sorte d’anneau que constituent les deux tiges, se gonfle, et maintient la plaque dans la bonne position. Le deuxième obturateur (Fig.2) d’Ambroise Paré, se compose de deux plaques estampées, aux dimensions inégales, mais montées sur une tige mobile qui sert de pivot. Lorsqu’on exerce un mouvement de rotation sur les extrémités de la plaque à l’aide du bec à corbin, cette dernière vient s’appuyer sur les parois des fosses nasales.

Dans le cas d’une saillie particulièrement importante de l’arcade alvéolo-dentaire, les chirurgiens Daniel Louis, Pierre Franco, Johannes Van Horne (1621-1781), George Lafaye (1699-1781) et Gérard procédaient à son ablation à l’aide d’une tenaille à incisives. Pierre Joseph Desault (1744-1795) se bornait à exercer une compression au moyen de bandelettes de taffetas gommé. C’est à cette technique que J. Augustin Fouilloy (5), de la Ciotat, donnera la préférence en 1820; elle évitera en effet très souvent l’extraction des incisives.

Les chirurgiens de la fin du XVII ème et du début du XVIII ème siècle n’ont pas vraiment amélioré la méthode des obturateurs à éponge. Scultet (1621-1680) en parlera très peu dans son Arsenal de Chirurgie. Dans le «  Traité des instruments  » publié en 1715, Garengeot ajoutera un écrou à la tige qui maintient l’éponge; Lorenz Heister (1683-1758) se contentera de fixer l’éponge à l’aide de fils sur une tige à canon percée de plusieurs trous. Les éponges absorbaient la salive et les liquides, se dégradaient rapidement, dégageaient une odeur fétide; il fallait par conséquent les remplacer au bout de quatre heures. Autant dire que cet exercice était réservé à l’élite.

En 1728, Pierre Fauchard (1678-1759) (6) présente cinq nouveaux obturateurs. Les deux premiers sont réalisés en or ou en argent; le troisième, le quatrième et le cinquième présentent une plaque base en os (Fig. 3).

Fig 3a Premier et deuxième obturateur de Pierre Fauchard
Fig 3b Troisième obturateur de Pierre Fauchard

Fig 3c Quatrième et cinquième obturateur de Pierre Fauchard

L’obturateur de Fauchard se compose d’une plaque palatine concave, plus grande que les bords de la perforation, et de deux ailes mobiles. Elles sont articulées par des charnières et fixées à la base par une tige à canon. Une vis de rappel, actionnée par une clé de montre, permet de relever ou d’abaisser les ailes. Fauchard eut l’idée remarquable de leur donner une forme ovale, d’y percer des petits trous permettant le passage du fil qui retiendrait l’éponge. La mise en place de cet obturateur se fait en relevant les ailes, en les approchant l’une de l’autre, jusqu’à ce qu’elles puissent passer au travers de la fente du palais. Une clé sert ensuite à positionner l’appareil.

Pour combler deux trous séparés par une cloison nasale intacte, un certain Colas ira jusqu’à construire un obturateur monté sur deux tiges à canon.

La guerre de Vendée avait causé des blessures buccales, provoqué des pertes osseuses, enfoncé des sinus maxillaires. Il fallait donc trouver un moyen de combler ces trous. On eut alors l’idée de souder une feuille de métal sur la convexité de la plaque palatine en lui donnant la forme d’un cylindre ou d’une olive. On eut aussi recours aux obturateurs à verrou, qu’on plaçait transversalement au-dessus de l’ouverture. Louis Laforgue (7) dira que, pour réaliser un appareil de ce type, on perce la plaque palatine avec un emporte-pièce, N°74; puis, «  on prend un bout de fil de métal rond, du diamètre du trou de la plaque, où on l’amincit pour qu’il soit juste: on applatit avec le marteau un bout, pour en faire une platine qui l’empêche de passer par le trou, et qui puisse être saisie pour faire tourner à volonté l’autre partie… ensuite on la passe à travers l’obturateur, fait en entonnoir…, puis on la courbe en coude angulaire « …  » Dans les grandes pertes de substances, on met deux de ces verroux, qu’on place dans un sens opposé « . Pour éviter le passage des aliments et de l’air, la plaque était garnie d’éponges et de gomme élastique. Il suffisait de réunir ensuite le tout par quelques points de couture (Fig 5) et d’adapter la longueur du verrou à cette nouvelle épaisseur. Dans certains cas, c’est une plaque de liège qui couvre l’éponge; dans d’autres, du métal dont on a couvert les parties latérales avec de l’éponge. Une agrafe peut faciliter le remplacement de l’éponge prise entre la plaque rigide et la plaque élastique.

D’autres systèmes prévoyaient de fixer la plaque en extrayant deux dents saines, ou en enfonçant des pivots métalliques dans les racines des deux incisives centrales. Faute de traitements radiculaires, la méthode était rapidement vouée à l’échec.

L’observation avait permis de voir qu’en se fermant, ou en rétrécissant, la perforation prenait la forme d’un entonnoir. Un certain Dr. H. Petit proposa d’aplatir le centre de l’obturateur de manière à favoriser le rétrécissement de l’ouverture palatine, mais ce type d’appareil eut l’inconvénient d’accumuler le mucus salivaire.

Un dentiste (dont le nom nous est inconnu) inventa des obturateurs à chapeaux. Ils étaient constitués par un cylindre creux de la dimension de la perforation.

Remplacer le palais mou était une opération encore plus délicate. M. J. C. Cullerier (8) parle d’un homme qui, après avoir perdu le nez et tout le palais dur et mou, avait su réparer lui-même la perte de ces organes. Le bijoutier Cordan aurait élaboré un obturateur muni d’un ressort à boudin (Fig 4). (Selon Delabarre, ce bijoutier se nommait Cadot). Cet orfèvre aurait ensuite amélioré le procédé, en donnant la forme de trois ailes de papillon à cet obturateur réalisé à l’aide de fils métalliques.

Fig 4 Obturateur réalisé par le bijoutier Cordan

 

 

Tous ces appareils comprimaient les bords des perforations, amincissaient ou détruisaient les berges, et développaient des bourgeons charnus ulcéreux qui dégénéraient en cancer.

Fig 5

 

En 1815, Christophe François Delabarre (1787-1862) se rend compte que tous ces appareils s’opposent au rapprochement naturel des berges. Il (9) propose donc de réaliser des obturateurs à plaque qui viendront s’arc-bouter sur les molaires (Fig 5). Ces compresseurs métalliques, réalisés en or, sont fixés aux molaires à l’aide de crochets et d’éperons. Ces derniers seront ancrés dans une rainure soigneusement taillée dans la molaire.

En surdimensionnant la longueur des branches de l’obturateur, on pourrait arriver à le pousser contre la voûte palatine. L’idée était bonne, mais cet obturateur à crochets sera réservé aux cas exceptionnels.

Dans le même temps, la chirurgie fit des progrès. Roux présenta sa nouvelle méthode de ligatures dans la pratique de la staphyloraphie. Graeffe à Berlin et Mason Warren à Boston, en amélioreront le procédé.

En 1842, le médecin-dentiste J.M. Alexis Schange (1807-?) (10) perfectionne le procédé de François Delabarre. Après avoir pris une empreinte à la cire et coulé un moule en plâtre, Schange fabrique une plaque en or à laquelle il soude un feuillet métallique avec de fausses alvéoles. Il y fixe les dents, soit à l’aide de goupilles si ce sont des dents naturelles, soit par de la soudure si ce sont des dents minérales. L’innovation consiste à remplacer l’éperon susceptible de blesser la langue par un fil d’or triangulaire. Il lui fera suivre le contour naturel de la dent, et soude en croix un fil plat qu’il fait passer entre les cuspides des deux molaires contiguës (Fig 6).

Fig 6 Obturateur à crochets et éperons de J.M. Schange

 

 

Schange réalisera également un obturateur brisé (Fig 7). Les deux parties de cet obturateur sont réunies par un ressort très doux, qu’il place sur la surface buccale de l’appareil.

Fig 7 Obturateur brisé de J.M. Schange

 

Par un savant système de tubes creux, de ressorts et de crochets, on arrivera même à maintenir en place un nez artificiel et un obturateur.

En 1851, les nouvelles applications de la gutta-percha et du caoutchouc vulcanisé permettront enfin de résoudre les problèmes de phonation.

Le 5 juin 1852, Joseph Armand De Villemur (11), docteur en médecine, rue du Faubourg Montmartre, à Paris, dépose un brevet d’invention pour un perfectionnement dans le mode opératoire de la staphyloraphie. Roux, Graefe (1787-1840) et Dieffenbach (1792-1847), dit-il, ne réussissaient qu’une fois sur six dans cette intervention. Au cours de ses études de médecine, Villemur avait été frappé par les multiples difficultés rencontrées dans l’opération de la staphyloraphie. «  Les deux chirurgiens distingués qui inventèrent de coudre le palais (Roux et Greef), avaient sans doute pensés qu’une fois ces parties réunies, le plancher qu’ils auraient formé, forcerait les sons à passer par la bouche au lieu de s’échapper par les fosses nazales, mais ce but n’a presque jamais été atteint…Donc plus tard, lorsque les chirurgiens ont eu réuni ces parties à l’aide de la suture, ils n’ont formé qu’un plancher ou voûte trop imcomplète pour forcer les sons à venir passer au-dessous, au lieu de s’échapper par les fosses nazales. « 

Au lieu de faire passer les fils de suture du voile du palais de l’arrière vers l’avant, Villemur invente deux instruments qui permettent de les passer de l’avant vers l’arrière. Cette technique facilitait certes le mode opératoire, mais fut un échec sur le plan de la phonation. Il fallait trouver une matière souple, inaltérable, ne blessant ni les parties sensibles de la voûte palatine, ni celles de la paroi postérieure du pharynx. La gutta-percha se révèlera être le matériau idéal pour fabriquer des appareils phonogènes.

Quel fut le procédé de De Villemur ?

Dans le cas d’une division simple du voile du palais, De Villemur vient prendre un appui dentaire, en entourant  » une ou deux dents de chaque côté de l’arcade dentaire avec des embrasses d’or; de ces embrasses d’or partent des fils d’or méplats, qui vont dans le haut de la voûte palatine rejoindre une plaque d’or qui ne doit pas dépasser la partie osseuse du palais, mais de laquelle partent deux cornes, comme celles d’un scarabé, rendues très minces et flexibles au moyen d’un récrouissage au marteau « . Après avoir soudé ces différentes pièces, il entoure l’élément qui doit reposer sur les parties osseuses avec de la gutta-percha colorée, tout en lui donnant la forme exacte de la voûte palatine; il façonne ensuite la partie destinée à remplacer le voile du palais, en enveloppant les deux lamelles d’or flexible de caoutchouc coloré. L’appareil sera vulcanisé, de manière à le rendre inaltérable et flexible.

Dans les cas plus complexes, De Villemur prolonge la gutta-percha en forme de gouttière le long du bord de la division et soude à ces gouttières une lame de caoutchouc. Au dessus de la voûte palatine, il fixe un ressort en or,   » qui a la forme d’un compas, dont les deux branches ont tendance à s’écarter par le moyen de deux tours de spirale que je leur ai donné au centre sur un mandrin. L’extrémité de ces deux branches ramenées sur elles-mêmes, et venant se fixer sur la moitié de la longueur des coulisses qui embrasse les rebords du voile, du côté des fosses nazales, forcent la bandelette de caoutchouc vulcanisé qui ferme l’ouverture, à se dilater; la contraction des parties latérales du voile forçant sur les branches du rassort, le ferment, et la bandelette de caoutchouc vulcanisé dilatée par l’extension des branches du ressort, revient alors sur elle-même, en vertu de la contractilité que lui a donné la vulcanisation « .

Avec Jules Roux était née une chirurgie réparatrice douloureuse, très dangereuse pour le patient. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire le rapport de la réunion de la Société de Chirurgie du 29 février 1860, où Charles Marie Edouard Chassaignac (1805-1879) (12) dira qu’un bec-de-lièvre compliqué d’une division palatine <<inspirait encore toujours une sorte d’horreur>>. Les chirurgiens étaient convaincus que les enfants atteints de cette pathologie n’avaient que peu de chances de survie. On ne savait toujours pas s’il fallait opérer l’enfant à la naissance, à un an, à dix-huit mois, ou plus tard. A l’hôpital des Enfants, Louis Guersant (fils) s’opposera aux interventions précoces; Chassaignac et la majorité des chirurgiens allemands soutiendront le contraire. Faute de moyen pour les maîtriser, les praticiens redoutaient avant tout les convulsions consécutives à l’éruption dentaire. En 1861, Roux conseillera de patienter jusqu’à l’âge de dix-huit ou vingt ans pour pratiquer une staphyloraphie. En octobre de la même année, Charles Sédillot(1804-1883) (13) proposera de remédier aux petites perforations de la voûte palatine en utilisant la technique du dédoublement et de la migration du lambeau. La méthode consistait à inciser obliquement le pourtour de la perforation. La cicatrisation provoquait alors un mouvement d’appel vers le centre de l’ouverture.

Apoléonie Pierre Préterre (14), dira que «  le voile du palais ainsi restauré, n’était plus d’aucune utilité fonctionnelle, et les malades parlaient tout aussi mal qu’auparavant « . Seules 26 des 50 opérations de staphyloraphie et de palatoraphie exécutées par Roux, furent un succès. A partir de 1865, Nélaton, Maisonneuve, Michon, Velpeau, Ricord, Broca, Gosselin, Chassaignac, Demarquez, Denonvilliers, Simpson, Monod, Marjolin, renonceront de plus en plus à la suture du voile du palais. Leur attention se tournera vers les obturateurs du voile.

Alexandre Nasmyth, dentiste de la Reine d’Angleterre, eut alors l’idée de réaliser un obturateur dont la portion palatine serait formée d’une plaque rigide, alors que la portion postérieure, correspondant au voile, serait constitué de lames d’or superposées, comme les écailles des poissons. L’appareil, trop lourd, ne permit pas d’obtenir une phonation correcte. En 1845, le chirurgien américain Stearn, qui était né avec une division palatine, réalise pour lui-même un obturateur fort complexe (Fig 8). Cet appareil était muni de deux ressorts susceptibles d’activer un voile en caoutchouc. A. P. Préterre va s’inspirer de ce modèle, en supprimant les défauts les plus importants; il enlève les ressorts à spirale, change la forme trop approximative du voile du palais, ainsi que le mode de fixation de l’appareil, qui laissait tomber le voile en arrière (Fig 9).

Fig 8 Obturateur de Stearn

 

Fig 6 Premier obturateur de A. P. Preterre

 

Les appareils, que Preterre réalise, sont entièrement métalliques, d’autres sont réalisés avec un matériau plus ou moins souple; d’autres enfin sont mi-rigides, mi-souples, soutenus dans leur portion antérieure par des ressorts en or trempé. Ils peuvent être plus ou moins résistants et destinés, soit à s’opposer à l’abaissement produit par les contractions pharyngiennes, soit à relever l’appareil quand cessent ces contractions. Ils servent avant tout à remplacer le jeu des muscles absents.

Dans le cas d’une division palatine d’origine syphilitique, l’obturateur se compose d’une plaque en or, soigneusement emboutie sur les rugosités palatines et fixée aux dents par des crochets. Une fenêtre, aménagée sur la partie antérieure, permet à la fois de dégager les papilles et d’alléger l’appareil.

  • La partie postérieure est composée d’une lame de caoutchouc souple, coincée entre la plaque en or à 3 tenons (N°3) et la plaque métallique (N°4) qui porte les mortaises et le système de ressorts, eux-mêmes maintenus en place par 6 écrous (3 de chaque côtés). La lame de caoutchouc est moulée sur les parties molles et sur les limites de la fissure du voile; son épaisseur varie de l’avant vers l’arrière.
  • Sur la ligne médiane, un pendule à lentille, mobile, dont on peut rapprocher ou éloigner le centre d’oscillation au moyen d’un pas de vis, agit comme un ressort. Ce pendule subit l’action d’une lame d’or trempé enroulée sur un treuil. L’écrou est lui-même actionné par un ressort horizontal.
  • Sur le côté, deux ressorts plats en or, se portent très en arrière sur les parties amincies du caoutchouc.
  • Aux extrémités de l’appareil, deux ressorts plats en or, plus courts, soutiennent la partie plus épaisse du caoutchouc.

Préterre réalisera également des obturateurs pour des divisions palatines d’origine traumatique. L’appareillage, exécuté pour Antoine Bouloc, permit de résoudre à la fois les problèmes de la mastication, de la déglutition, de la phonation et de la respiration.

Préterre portera aussi son attention sur les divisions congénitales de la voûte et du voile du palais, associées à un bec-de-lièvre. Le cas de Lemaitre, que l’illustre naturaliste Isidore Geoffroy de St. Hilaire avait confié à Roux, en est l’exemple le plus marquant. La staphyloraphie, opérée en 1847, avait malheureusement échoué. Le 1er novembre 1861, c’est-à-dire 14 années après l’intervention, Préterre confectionne un appareil d’une extrême flexibilité. Ce cas sera présenté à la Société de Chirurgie de Paris (15). Preterre en présentera d’autres en 1865 (16).

L’étude des mouvements exercés par les muscles pharyngiens lui permettent surtout de simplifier la conception des appareils.

Le 14 décembre 1865, Préterre rédige un mémoire. Le 20 décembre de la même année, il sera suivi d’un brevet d’invention. Enregistré sous le N° 69795, ce brevet  »  pour un palais artificiel, employé dans les cas d’absence congénitale ou accidentelle du voile du palais et d’une partie de la voûte palatine, et pour le mode d’adaptation dudit palais « , révèle que :

 » Les palais artificiels qui ont été faits jusqu’à présent l’ont été généralement en matière rigide; ils s’adaptaient soit à la commissure antérieure de la fissure, soit à cheval sur ses bords, et avaient invariablement leurs points d’appui sur les dents elles-mêmes; dans les cas d’absence complète des dents, ils étaient soutenus par des ressorts à la façon d’un dentier. Ce mode d’adaptation occasionnait toujours une grande gêne et présentait peu de garanties de durée, attendu que les crochets ne tardaient pas à altérer les dents; l’emploi du palais artificiel devenait alors très pénible et presque impossible. Un de leurs nombreux inconvénients était encore de receler dans les gouttières servant à les fixer, des débris de la nutrition; de là une odeur fétide insupportable pour le malade. On doit mentionner encore les nombreux désordres survenant à chaque instant dans un mécanisme compliqué.

Le palais artificiel objet de ce brevet est habituellement rigide dans sa partie antérieure et flexible dans sa partie postérieure, celle qui s’élève dans la région du voile du palais. Il peut, dans certains cas, être entièrement flexible. La situation de la ligne marquant la jonction de la partie rigide et de la partie flexible est variable selon la forme et l’étendue de l’ouverture que l’on se propose d’obturer. C’est sur la partie rigide que se trouvent les moyens d’attache; cette partie est pourvue extérieurement, c’est-à-dire sur sa partie convexe d’éminences ou apophyses inclinées latéralement et suivant la forme de la voûte palatine, lesquelles pénètrent au delà de la fissure et viennent s’appuyer de chaque côté sur la partie supérieure de la portion existante de la voûte palatine et quelquefois contre l’os vomer. L’adaptation du palais est complétée par un point d’appui pris sur la lèvre supérieure, sur l’alvéole de la partie antérieure du maxillaire, à l’aide d’une lame métallique courbe, laquelle passe dans un espace interdentaire et est réunie à la partie rigide du palais, par une charnière pourvue d’un ressort. La partie flexible est, vers son extrémité, recourbée en arrière, en formant un angle obtus avec la voûte palatine; elle traverse la fissure, s’appuie contre les piliers postérieurs du voile du palais et va rencontrer la partie postérieure du pharynx. Cette dernière disposition est sans aucun précédent et complètement nouvelle; dans les palais artificiels faits jusqu’à présent on a toujours voulu reproduire le voile du palais; ici, au contraire, il est complètement supprimé, tel du moins qu’il se trouve à l’état normal.

En résumé, le palais artificiel et l’adaptation particulière objet de ce brevet, présente une construction neuve, surtout en ce qui concerne le mode de terminaison de la partie flexible et les moyens d’attache ou d’adaptation dans la bouche du malade. Il présente sur ceux qui ont été faits jusqu’à ce jour les avantages suivants: réduire des deux tiers au moins le volume et le poids de l’appareil, ce qui le rend beaucoup plus facilement supportable; être d’une plus grande fixité et de se prêter mieux à tous les mouvements nécessités par la phonation et la déglutition; ne causer aucune gêne par les points de contact; pouvoir facilement et même instantanément être remis en place; supprime toute cause de mauvaise odeur.

Les matières employées pour la construction sont l’or, le caoutchouc souple et le caoutchouc durci  » .

Le procès verbal du brevet, valable pour quinze ans, fut dressé le 20 décembre 1865, à 2 h. 55, au Secrétariat général de la Préfecture du Département de la Seine. Préterre y fut représenté par Vittoz.

Le  » Traité des divisions congénitales ou acquises de la voûte du palais et de son voile « , qu’il (17) publiera en 1884, est un condensé de plus de vingt années de recherches.

A une époque où la chirurgie restauratrice de la voûte palatine, la staphyloraphie et la cheiloraphie, puis la palatoraphie à double pont (mise en place par Baizeau en 1858, et améliorée par Langenbeck en 1860), n’ont pas donné tous les résultats qu’on en attendait, notamment sur le plan de la phonation, les obturateurs de Préterre semblent avoir apporté une aide très précieuse.

Si les moyens d’investigation actuels – imagerie médicale, techniques tridimensionnelles, orthodontie – nous permettent de mieux appréhender les pathologies liées aux divisions palatines et au bec-de-lièvre, il me paraît primordial de rappeler que ces affections nécessitent encore à ce jour des interventions chirurgicales répétitives, fort complexes.

1  PERIAT (Hector Hippolyte), Recherches historiques sur l’opération du bec de lièvre, Paris, 1857, p. 11.
2
  DELABARRE (C. F.), Traité mécanique de l’art du dentiste, Paris, 1820.
3
  CULLERIER (M. J. C.), Mémoire sur les obturateurs du palais, avec la description d’un nouvel instrument de ce genre, Journal général de Médecine, de Chirurgie et de Pharmacie, Paris, 1804, XIX, p. 12-36.
4
  MALGAIGNE (J. F.) , Oeuvres complètes d’Ambroise Paré, Paris, Tome II, 1840, p. 602-608.
5
  FOUILLOY (J. A.) , Dissertation sur la division congénitale des lèvres et du voile du palais, Thèse de Paris, 1820.
6  FAUCHARD (P.) , Le Chirurgien-Dentiste ou Traité des dents, Tome II, Paris, 1728, p. 292-338.
7  LAFORGUE, L’art du dentiste, Paris, 1802, p. 365-382.
8  CULLERIER (M. J. C. ), op. cit.
9  DELABARRE (C.F.) , Traité mécanique de l’art du dentiste, Paris, 1820, p. 298-322.
10  SCHANGE (J. M. A.) , Précis sur le redressement des dents ou exposé des moyens rationnels de prévenir et de corriger les déviations des dents, suivi de quelques réflexions sur les obturateurs du palais, Paris, 1842, p. 145-176.
11 VILLEMUR (J. A. de) , Brevet d’Invention N° 13.815.
12  Rapport de la Société de Chirurgie du 29 février 1860, sous la Présidence de Marjolin, Gazette des Hôpitaux Civils & Militaires de Paris, du 10 mars1860, p. 119.
13  SEDILLOT (C.), Rapport de la Séance de la Société de Chirurgie de Paris du 30 octobre 1861, Bulletin de la Société de Chirurgie de Paris, 1861-62, 2 s, p. 642.
14  PRETERRE (A. P.) , Division congénitale du voile du palais, Gazette des Hôpitaux Civils & Militaires, 1865, p. 11.
15  PRETERRE (A. P.) , Présentation de malades, Bulletin de la Société de Chirurgie de Paris, 1863, Tome III, p. 325.
16  PRETERRE (A. P.), Présentation de malades, Gazette des Hôpitaux Civils & Militaires de Paris, juin 1865, p. 259.
17  PRETERRE (A. P.), Traité des divisions congénitales ou acquises de la voûte du palais et de son voile, Paris, 1884.