Claude ROUSSEAU
Docteur en Sciences Odontologiques,
Président de la SFHAD,
Conservateur du Musée Pierre Fauchard

 

 

Page de couverture de la revue américaine Items of Interest (1895)

C’est grâce au Dr Ottolengui, Directeur de la Revue américaine  » Items of Interest  » que nous possédons une exceptionnelle documentation sur l’agencement des cabinets dentaires de la fin du XIXe siècle.

La série d’articles publiés dans la rubrique  » office and laboratory  » comprend 17 descriptions de cabinets dentaire réparties sur les années 1897, 1898 et 1899. Un article est encore publié en 1909 et le dernier en 1913.

Les dentistes concernés sont en majorité américains à l’exception d’un confrère anglais, allemand et turc. Aucun cabinet dentaire français ne rentre malheureusement dans le cadre de cette étude.

L’idée du Dr Ottolengui n’est pas d’apporter une note distrayante à la présentation un peu sévère de ce magazine, mais de susciter la modernisation des cabinets et laboratoires dentaires par la présentation de cabinets de dentistes bien connus pour l’originalité de leur installation.

La plupart des praticiens concernés réservent un bon accueil à ce projet.

Le Dr Ottolengui montre l’exemple en publiant la présentation de son propre cabinet.

 

Le cabinet du Dr Ottolengui de New York

Le cabinet dentaire du Dr Ottolengui

Son équipement comprend un fauteuil de Wilkerson avec crachoir métallique de Butler sans alimentation d’eau, une tablette porte instrument sur bras mural, un tour à pédale et un tabouret d’opérateur.

L’originalité du cabinet affecte essentiellement la baie vitrée et le meuble de rangement.

La baie vitrée

Elle est constituée par deux panneaux vitrés coulissants. Le panneau inférieur comprend deux vitraux représentant deux scènes de la vie de Shakespeare. Le cabinet étant situé au rez-de-chaussée côté rue ; il évite de la sorte, le regard des curieux et assure aux patients une vue plus agréable que celle de la façade en briques de l’immeuble d’en face.

Le meuble de rangement

Le meuble de rangement

Il a été réalisé d’après les plans du Dr Ottolengui ; ce meuble en noyer très compact semble suffir au rangement de l’arsenal opératoire du praticien. Le plan de travail est recouvert de cuir et d’une plaque en opaline au centre. Les portes sculptées donnent une certaine majesté à ce meuble.

Le cabinet du Dr King de New York

Ce cabinet ayant déjà été décrit dans le bulletin du conseil national, nous nous contenterons d’apporter quelques informations complémentaires.

Le cabinet

Le cabinet dentaire du Dr King

Les éléments de l’équipement sont à première vue difficile à discerner parmi ce cloisonnement d’éléments décoratifs en tout genre.

Rappelons la présence des traditionnels fauteuils de Wilkerson avec les crachoirs fontaines et les tours à pédale de Parson Shaw.

Dans le recoin à gauche, on distingue à gauche de la fenêtre un appareillage à protoxyde d’azote.

Les deux lampes à incandescence remplacent les becs de gaz désaffectés.

Le meuble de rangement d’Archer

A droite, en entrant, le bureau avec ses étagères chargées de potiches de toutes formes.

Dans un ancien placard désaffecté un petit établi de laboratoires a été aménagé ; on distingue un tiroir pour recueillir ces déchets de plâtre, un étau et une étagère avec des modèles en plâtre. Au-dessus, une série de pinces sont accrochées à un support.

Le laboratoire

Le laboratoire de prothèse

Pour communiquer avec le laboratoire situé au sous-sol, le Dr King dispose d’une sonnette fixée sous la fenêtre à côté du meuble opératoire.

Un tube acoustique avec son porte voix accroché au meuble permet au praticien et au prothésiste de correspondre entre eux.

Deux places, pour prothésistes ont été agencé au niveau des deux fenêtres. Des lampes électriques remplacent ici aussi les anciens becs de gaz.

On remarque à droite un tour à pédale pour l’utilisation d’instruments rotatifs.

Un meuble de rangement a été installé entre les deux fenêtres, pour recevoir les modèles et plâtres et les articulateurs.

À gauche, une autre établi comprend un important tour à pédale à polir. Un étau de grande taille est fixée à l’établi.

Le cabinet flottant du Dr Houghton

Le bateau-cabinet dentaire du Dr Houghton

Ce praticien faisant encore parti de ces dentistes itinérants que parcouraient encore de ville en ville le continent américain à la fin du XIXe siècle. C’est par le train et en bateau qu’il sillonnait la côté est de la Floride jusqu’au jour où il prit conscience qu’il perdait beaucoup de temps lors des nombreux transfert de matériel de son installation.

C’est alors, qu’il eut l’idée de construire un bateau qu’il baptisera du nom très suggestif de  » Dentos  » et d’aménager un cabinet dentaire flottant.

Le bateau (longueur 13m, largeur 5m)

Le salon d’attente

Le cabinet dentaire

Le salon d’attente lui sert de secrétariat ; le cabinet est sommairement équipé :

  •  d’un fauteuil de Wilkerson de 1877

  • d’un tour à pédale à bras flexible

  • une tablette porte instrument murale

  • et d’une meuble de rangement

Malgré la mobilité du bateau, il prétend, que mis à part les jours de tempête ou de grand vent, il arrive à travailler sans problème.

Le cabinet du Dr Thomas Hinman d’Atlanta

De la Floride, nous remontons un peu vers le nord jusqu’à Atlanta où exerce le Dr Thomas Hinman.

La présence d’un grand ventilateur plafonnier au centre du salon d’attente, nous rappelle que nous sommes encore dans le sud avec sa chaleur étouffante et humide les mois d’été.

Le salon d’attente du Dr Thomas Hinman

La sobre décoration du vaste salon contraste avec celle du cabinet du Dr King. Une très belle vitrine agrémente l’attente des malades.

Le cabinet

Le cabinet dentaire

La photographie donne de prime abord, l’impression d’une installation conventionnelle. Or, il n’en est rien. La présence de plusieurs appareils fonctionnant à l’électricité conforte notre opinion : c’est d’abord la présence insolite d’un stérilisateur électrique que nous n’avons jamais rencontré lors de l’étude des 17 cabinets de cette fin du XIXe siècle. Il s’agit vraisemblablement d’une bouilloire. Il est situé à gauche du lavabo sur lequel repose un chauffe eau électrique avec robinet qui fournit de l’eau chaude instantanément.

A gauche et au premier plan un luminaire sur pied est positionné à gauche du fauteuil; il supporte deux bras flexibles qui restent en place dans la position donnée sur lesquels sont fixés deux lampes avec réflecteurs.

Le moteur électrique d’ S.S. White n° 2

A droite du fauteuil, on distingue une partie de la cloche en verre du nouveau moteur électrique n°2 spécifique à ce modèle de moteur. Le transformateur qui fournit du courant à basse tension est logé dans la petite armoire murale à portes coulissantes vitrées située au-dessus du meuble de rangement avec le cautère, la lampe buccale, la seringue à air chaud et le maillet électrique.

Parmi les éléments conventionnels de l’équipement nous citerons le classique fauteuil de Wilkerson à pieds à griffe avec le crachoir fontaine fixé sur la base, et la tablette porte instruments d’Holmes avec bras mural. Le réservoir à air comprimé à générateur hydraulique est ici fixé à gauche de la fenêtre. Le tube aboutissant à une valve est soutenu par un rail plafonnier qui assure une très grande souplesse d’utilisation.

Pour communiquer avec le laboratoire de prothèse un tube acoustique avec porte voix est à la porté du praticien, à gauche du meuble opératoire.

Un  » Lamson carrier  » est utilisé pour amener jusqu’au laboratoire des petites pièces sans se déplacer.

Ce transfert d’objet peut s’effectuer dans les deux sens. Le mécanisme d’utilisation n’est pas décrit.

Le laboratoire

Le laboratoire de prothèse

Au fond du laboratoire, un panneau est porteur d’une tête de mort et de la mention  » Hands offs « . De nombreux fils émergent par ailleurs dans tous les sens et une chaîne de protection est mise en place de part en part. Pour un visiteur non averti, un tel dispositif ne peut être qu’inquiétant. Il faut en effet, savoir qu’Atlanta fait partie des quelques villes des États-Unis de cette époque où le courant électrique urbain est de 500 volts.

« Danger de mort »

Le Dr Hinman utilisant des appareils électriques en 110 volts fut dans l’obligation de mettre en place une installation pour la transformation du courant. Sur les murs et au plafond, les fils électriques sont posés dans de multiples directions pour alimenter les tours électriques, le four en porcelaine et les nombreuses lampes électriques qui remplacent les becs de gaz.

L’alimentation en gaz reste malgré tout en place comme l’attestent les tubes souples qui émergent des fixations plafonnières pour alimenter les brûleurs à gaz des établis de prothèse.

Le cabinet du Dr Osmum de Newark (Newjersey)

Ce cabinet a été décrit dans le dernier numéro de la revue  » Clinic « 

Je rappellerais néanmoins que quatre préoccupations ont déterminé l’aménagement de ses deux cabinets dentaires, elles affectent :

  • l’intensité de la lumière ambiante ;

  • le contrôle du flux lumineux ;

  • la climatisation ;

  • la bonne accessibilité au meuble opératoire.

L’ancien cabinet

L’ancien cabinet dentaire du Dr Osmun

La spécificité se situe au niveau :

      • de la mise en place de nombreux réflecteurs électriques

      • du choix du meuble rotatif de Clark qui résout le problème posé par la fenêtre située à droite du fauteuil

L’installation d’éclairage

 

 

 

La Nouvelle installation du Dr Allen Osmun

Le nouveau cabinet est installé dans une extension du bâtiment principal spécialement construite pour réaliser une installation en fonction des quatre impératifs énoncés par le Dr Osmun au début de sa présentation.

L’extension du bâtiment

Éclairage et climatisation : une réalisation d’avant-garde

Le cabinet dentaire principal et le plafonnier

L’originalité de cette structure satellite concerne en premier lieu la conception architecturale du toit et du plafond. Ces deux plans sont constitués l’un et l’autre par des panneaux en verre soutenus par des armatures en cuivre.

La surface plafonnière située à sept centimètres de celle du toit forme un espace vide qui est judicieusement utilisé pour la climatisation.

Trois ventilateurs qui font communiquer sur un côté le volume libre et l’extérieur fournissent un apport d’air frais continu entre le toit et le plafond.

Un autre ventilateur fixé sur le toit juste au-dessus des deux grilles d’aération plafonnière (très visible sur la photo) permet d’évacuer l’air chaud de l’espace libre vers l’extérieur.

Ce ventilateur crée par ailleurs une dépression au niveau des grilles du plafond en évacuant l’air vicié du cabinet.

L’aération de la pièce est réalisée à l’aide de plusieurs ventilateurs situés sous les fenêtres derrière les grilles qui font face au fauteuil et qui fournissent de l’air frais extérieur en abondance. Pendant l’hiver, l’air extérieur est réchauffé par les éléments du chauffage à vapeur avoisinants.

Cet agencement très original du toit et du plafond contribue pour une grande part à la diffusion de la lumière du jour tout en participant activement à la climatisation du cabinet.

Les trois fenêtres de la rotonde en façade et celle du mur près du meuble de rangement participent aussi au très bon éclairage du cabinet.

La régulation lumineuse s’effectue à l’aide de deux tentures installées au centre de l’espace libre et de part et d’autre de la pièce : le réglage de leur mise en place s’opère à l’aide de cordons situés de chaque extrémité du local.

Quant aux fenêtres, elles sont munies de rideaux réglables en hauteur.

L’éclairage nocturne est assuré par neuf lampes électriques plafonnières régulièrement réparties sur toute l’étendue de cette surface.

Le meuble de rangement

La seconde originalité du nouveau cabinet concerne l’important meuble de rangement que le Dr Osmun a fait réaliser d’après ses propres données.

Il s’étend sur toute la surface du mur à droite du fauteuil, du sol au plafond ; c’est grâce à la largeur réduite de la pièce déterminée à la construction (2m 25) que le meuble, tout en étant mural, est accessible au praticien sans quitter le voisinage du fauteuil.

Il est composé d’un nombre impressionnant de tiroirs.

Trois plateaux en verre situés à la limite des grands et petits tiroirs s’escamotent en coulissant dans le meuble après leur utilisation.

Les deux grands compartiments supérieurs sont destinés à la pharmacie et au stockage des modèles en plâtre.

Les portes en verre cloisonné sont dotées de charnières à ressorts que permettent leur fermeture automatique.

Le fauteuil

Il s’agit ici du modèle le plus récent de la série des fauteuils du Dr Wilkerson (6).

Le socle circulaire est désormais définitivement adopté.

Un nouveau mécanisme situé en haut du piston autorise une surélévation du fauteuil de 25 cm supplémentaires.

Il remplace avantageusement le modèle utilisé par le Dr Rhein qui nécessitait un aménagement du plancher rarement réalisable.

Il faut aussi noter la présence inhabituelle d’un tabouret d’opérateur à colonne orientable.

  • Le tour électrique columbia de Ritter de 1895 (7) (8)
  • Le modèle de Ritter utilisé par le Dr Osmun présente plusieurs particularités qui affectent le moteur, la transmission et le rhéostat ou régulateur à pédale.

Le moteur

Le moteur électrique suspendu de Ritter

Il est suspendu par le câble conducteur du courant électrique qui passe par les deux poulies d’une potence murale.

Le moteur est équilibré par un contrepoids permettant de l’élever ou de l’abaisser sans effort suivant ainsi les mouvements du fauteuil.

La suspension du moteur est assurée par une griffe en demi-cercle qui l’entoure.

Il pivote ainsi librement dans l’axe de la griffe, ce qui lui permet de répondre à tout mouvement de la pièce à main.

Le carénage de protection du moteur remplace avantageusement la cloche en verre du moteur d’S.S. White.

La transmission

Elle est à câble flexible ; celui-ci pend verticalement du moteur.

La pièce à main est simplement lâchée après le fraisage sans obligation d’accrochage.

Une transmission à corde sera introduite par la suite.

Le rhéostat

Le rhéostat variateur de vitesse

Il permet le contrôle de la vitesse du moteur par l’intermédiaire de boutons de cuivre qui font contact avec les différentes résistances fixées à l’intérieur du rhéostat.

Les vitesses obtenues s’échelonnent entre 1000 et 5000 révolutions par minute. La pédale est double, ce qui permet de l’actionner des deux côtés du fauteuil sans avoir à changer le rhéostat de position.

Elle assure les marches avant et arrière avec un retour automatique de la pédale au point mort.

Conclusion

Le premier enseignement qui se dégage de cette étude relève de la grande diversité des installations bien que l’on puisse noter certaines parentés qui affectent aussi bien l’agencement que la composition de l’équipement.

C’est ainsi que l’on remarque que :

  • les cinq praticiens orientent le fauteuil face à la lumière du jour ;

  • la majorité des dentistes utilisent un modèle de fauteuil conçu par le Dr Wilkerson ;

  • trois praticiens sur cinq disposent d’un tabouret d’opérateur ce qui implique la pratique au moins partielle de la position assise.

Quant à la disparité des installations, c’est surtout entre celles des Drs King et Osmun qu’elle éclate aux yeux de l’observateur.

Certes, le Dr Hinmam fait preuve d’une grande originalité dans le choix de l’appareillage électrique et dans l’utilisation de l’air comprimé.

C’est portant dans le cabinet du Dr Osmum que l’on découvre les innovations les plus pertinentes. Elles affectent la conception du plafonnier réactualisée dans la réalisation des vérandas contemporaines, du meuble opératoire et du tour électrique de Ritter qui domine nettement tous les modèles concurrents.

Sa supériorité se manifeste surtout sur le plan ergonomique par l’adoption de la position suspendue du moteur et de la pièce à main principe qui fait aujourd’hui le succès des portes instruments à fouet inauguré par l’équipement  » Colibri « .

La double pédale du rhéostat d’S.S. White utilisée par le Dr Hinmam est activée par une impulsion verticale en générant une tension permanente de la jambe du praticien. Par contre, la pédale unique du rhéostat de Ritter qui est actionnée latéralement avec le pied posé à plat sur le sol, réduit considérablement la fatigue du dentiste. Ce modèle sera par la suite adopté par tous les fabricants d’équipements jusqu’aux années 1950.

Pour toutes ces raisons, nous pensons que l’on peut décerner le qualificatif d’avant-garde au cabinet du Dr Osmun.