Xavier DELTOMBE
DCD, DEA Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sorbonne
Secrétaire de la SFHAD

L’étude des différents articles, thèses et livres (1) sur Pierre FAUCHARD, né au 17ème siècle et décédé en 1761, ne permet pas de connaître ses origines familiales, ni son enfance, ni sa formation. De nombreuses recherches ont été faites, sérieuses et moins sérieuses (avec la radiesthésie par exemple), et il persiste des domaines inconnus dans la connaissance du grand homme que fut FAUCHARD, surnommé parfois l’HIPPOCRATE de la dentisterie.

La curiosité de mieux connaître ce praticien, la constatation d’erreurs écrites et recopiées dans la littérature, et surtout la participation au Groupe de Recherche Européen sur la Chirurgie Dentaire au 18ème siècle (2) , m’ont amené à étudier des éléments biographiques concernant Pierre FAUCHARD, venant compléter ou corriger les informations que nous connaissons déjà.

  • Sur les origines de la famille de Pierre FAUCHARD.
  • Sur la généalogie de Pierre FAUCHARD.
  • Sur la date de naissance de Pierre FAUCHARD.
  • Sur le nom de FAUCHARD de GRANDMESNIL.
  • Sur la formation de chirurgien-dentiste de Pierre FAUCHARD.
  • Sur le château de GRANDMESNIL.

Sur les origines de la famille de Pierre FAUCHARD

On a souvent évoqué un mystère Pierre FAUCHARD parce qu’on ne savait rien de ses origines, de son enfance. Seule l’imagination guidait la plume. Jean ANGOT, dans sa thèse (3) , dit que nous ne savons rien de ses origines.

A ce jour, la seule source d’information à ce sujet est l’ouvrage écrit par lui-même: « Le chirurgien-dentiste ou traité des dents » dans ses trois éditions. Or Pierre FAUCHARD nous parle de ses observations médicales bien connues. Ces premières observations sont datées: 1711, 1712: NANTES, 1713: RENNES, 1715: ANGERS. NANTES et RENNES sont deux villes de BRETAGNE.

Il n’y a aucune trace du nom de FAUCHARD :

  • dans les registres des communautés de chirurgiens de Rennes,
  • dans les rôles de capitations de Rennes et des grandes villes bretonnes,
  • dans les ouvrages de biographie bretonne.

Les recherches se sont donc portées sur le triangle formé par ces trois villes, où Pierre FAUCHARD commença son exercice:  » je fus mandé », « je me suis rendu », et puis plus tard (1715): « M. de ROMATET vint chez moi », etc…

Une lecture de toutes les tables des actes de mariages a permis de localiser précisément le seul berceau de famille FAUCHARD au milieu de ce triangle, dans la vallée de la SEICHE, une rivière affluent de la VILAINE. Un premier recensement (4) de toutes les familles FAUCHARD au 18ème siècle a été réalisé: CHATEAUGIRON, JANZE, ESSE, PIRE SUR SEICHE, RETIERS, MARCILLE-ROBERT, ARBRISSEL, DROUGE, RANNÉE, AVAILLES, MOUTIERS, GENNES SUR SEICHE, BRIELLES, MOULINS, DOMAGNE, BAIS, ERBRÉE, BALAZE, CHATILLON EN VENDELAIS, VISSEICHE, PARCE, LA CHAPELLE-JANSON, et CHERRUEIX.

Tous ces lieux, villes, villages ou hameaux sont en BRETAGNE.

Nous avons procédé alors à un suivi généalogique de ces familles au 17ème siècle: il n’y a que quatre registres faisant référence au nom de FAUCHARD : ARBRISSEL, AVAILLES, ESSÉ, MOUTIERS, dans un rayon de 7 kilomètres en suivant la Seiche.

Le berceau de la famille FAUCHARD se trouve dans cette campagne bretonne, région de culture et d’élevage, assez riche.

Le seul mariage qui corresponde à la date de naissance de Pierre FAUCHARD, est celui de Jean FAUCHARD et de Renée GRASFARD, le 01-07-1675: simple supposition. Il manque les années 1633, 1664, et 1668 à AVAILLES, et des parties d’années en 1599, 1663 et 1669. Le premier mariage connu est celui de Jean FAUCHARD et de Jeanne TRUBLET en 1603, lesquels pourraient être les arrière-grands-parents.

Certains documents ne sont pas communicables car ils sont en trop mauvais état, mais seront un jour microfilmés et permettront de relever certains détails pour continuer ce travail.

Sur la généalogie de Pierre FAUCHARD

L’ensemble des documents généalogiques, d’archives de la faculté de médecine de Paris, et d’archives familiales, permet d’établir le tableau suivant :

Il persiste une incertitude sur les ascendants de Pierre FAUCHARD.

Le mystère Pierre FAUCHARD

Pierre FAUCHARD serait né dans une région au sud-est de Rennes, à la limite de la Mayenne, où la langue est très marquée par un accent bien typique. Les voyelles é, è, ê sont remplacées par les phonèmes « eu », ( exemple: « je suis allé au marché » devient : »je suis alleu au marcheu »), et l’utilisation du passé simple extrêmement fréquente dans la conversation courante est très surprenante. Bien sûr la langue a évolué en 200 ans, mais il est vraisemblable que FAUCHARD avait un accent campagnard typé aussi accroché à ses lèvres que la terre à ses sabots, dans son enfance et à ses débuts. En était-il gêné pour faire carrière dans la capitale ? Toujours est-il qu’il n’a jamais parlé de ses origines. C’est peut-être cela le « mystère Pierre FAUCHARD » dont parlent certains auteurs.

Sur la date de naissance de Pierre FAUCHARD

Pierre FAUCHARD décède le 21 mars 1761 à PARIS, rue des cordeliers, d’après l’extrait de la paroisse Saint- Côme et Saint-Damien à Paris.: « le 21 mars 1761 a été inhumé , nef du Saint Sacrement, le corps de sieur Pierre FAUCHARD, ancien maître chirurgien-dentiste, seigneur de GRAND-MESNIL, veuf en seconde noce d’Élisabeth CHEMIN et époux de Louise ROUSSELOT, décédé avant-hier, âgé de 83 ans, rue des Cordeliers de cette paroisse… ».

L’extrait de naissance permet de situer la naissance entre le 22 mars 1677 et le 21 mars 1678. Du 22 mars 1677 au 31 décembre 1677, il y a 297 jours, et du 1 janvier 1678 au 21 mars, il y a 79 jours. Il y a donc une probabilité de 297 à 79 ( huit chances sur dix) pour que la date de naissance soit 1677, et non 1678 comme le donne, par exemple, le timbre sorti pour son centenaire.

Sur le nom de FAUCHARD DE GRANDMESNIL

En août 1734, Pierre FAUCHARD achète le château de GRANDMESNIL (écrit également GRAND-MENIL); c’est un château construit sur une seigneurie située à BURES sur YVETTE, dans la vallée de Chevreuse. L’histoire du fief de GRAND-MENIL est relaté dans le livre de Jules LAIR:  » Histoire de la seigneurie de BURES ».

FAUCHARD n’est pas anobli par Louis XIV. Il ajoute son nom à celui de son château, sa seigneurie. La particule ne donne pas l’anoblissement, mais l’apparence, bien des biographes de FAUCHARD s’y sont laissé prendre, c’est peut-être ce que souhaitait FAUCHARD.

Sur la formation et le début de l’exercice de Pierre FAUCHARD

Pierre FAUCHARD a exercé pendant plus de 50 ans le métier de chirurgien-dentiste, au 18ème siècle. Nous avons étudié la formation et la pratique de plus d’une centaine (5) de « dentistes » ou chirurgiens-dentistes au 18ème siècle, c’est-à-dire toute personne exerçant régulièrement, qu’il soit diplômé ou non. Les sources d’information sont les annuaires, les almanachs et les journaux.

    • Nous avons pu constater que presque tous les praticiens, quelque soit leur formation, vendent des remèdes, et cela a une grande importance économique. Or Pierre FAUCHARD fait comme beaucoup d’autres, il passe une annonce dans le MERCURE DE FRANCE en Mars 1735, et il vend une « eau singulièreÂ….dont la vertu est souveraine contre les affections scorbutiques des gencives ». La diffusion des journaux étant assez tardive au 18ème siècle (6) , nous avons beaucoup moins d’informations sur le début du 18ème siècle que sur la fin.

  • Certains dentistes, bien qu’étant maîtres en chirurgie et parfois même auteurs d’ouvrages, ont un exercice itinérant ; c’est le cas de GARIOT à RENNES, TOULOUSE, etc. Il est certain que FAUCHARD a exercé à Rennes au moins en 1713, puisqu’il l’écrit dans son livre; il aurait pu se faire recevoir par la communauté des maîtres en chirurgie de Rennes, mais ce n’est pas le cas, nous en aurions des traces dans les registres de la Communauté. Il aurait pu louer un local, mais il n’y a pas de trace dans les rôles de capitation. Il est donc possible de penser qu’il a eu un exercice itinérant comme bien d’autres à Rennes: soit en s’installant chez un particulier (exemple BEAUSOLEIL, De MUNAULT, MOREL, GONDRAIN), ou en s’installant à l’hôtel pendant 15 jours à trois semaines comme De CUVILLIER (à l’hôtel de la Corne du cerf), GARIOT (à l’hôtel de la Tour d’Argent).

Il est possible que son exercice soit devenu sédentaire en 1715 à ANGERS, quand il écrit: « Monsieur de ROMATET vint chez moi ».

Le château de GRANDMESNIL

Le château de GRANDMESNIL est antérieur à 1382. A cette date, on y trouve Jacques de Valles, conseiller du roi Charles V, propriétaire d’une maison seigneuriale, colombier, grange, pressoir, avec trente arpents de terre. Vers la fin du XIVème siècle, la seigneurie de BURES est un grand fief comprenant le Grand-Mesnil et le Petit-Mesnil. En 1481, l’acte de vente du fief de Grand-Mesnil précise l’état de délabrement du fief:  » à l’occasion des guerres, le Grand-Mesnil se présente en friche et sans valeur! ».

Le Grand-Mesnil connaît d’autres propriétaires: Antoine SANGUIN, cardinal de MEUDON, Anne de PISSELEU, dame d’HEILLY, favorite de François 1er, Pierre de VALLES en 1564, maître des Comptes à Paris, et anobli par Louis XI en 1482. Pierre de VALLES, son fils, fut commissaire des guerres, conseiller du Roi; c’est lui qui prit le titre de « sieur de Grandmesnil », titre repris par Pierre FAUCHARD quand il devint propriétaire. Vint ensuite Antoine de Valles, receveur général des finances en 1621 et secrétaire de la reine d’Autriche en 1636; c’est lui qui a agrandi le domaine. En 1655, nous retrouvons Pierre de CREIL, maître des Comptes, propriétaire du fief de Grandmesnil d’une superficie de 58 hectares. Le château repasse à la famille de Valles, puis aux Lhérault en 1719, lieutenant général au bailliage et capitainerie de France. Son fils Louis, à la suite d’un procès, dut vendre le domaine. Et c’est là qu’apparaît Pierre FAUCHARD.

Le début des enchères est à 62000 livres, le 25 mai 1734, et se termine le 17 août, à 70000 livres, auxquelles il faut ajouter 22000 livres pour droit de seigneurie et de justice.

Ainsi Pierre FAUCHARD s’achète un château qui a eu tant de prestigieux propriétaires, mais aussi un nom : seigneur de GRANDMESNIL, comblant ainsi ses ambitions sociales en même temps que ses ambitions intellectuelles. Alors il est humain de comprendre qu’il ait passé sous silence ses origines modestes. C’est aussi cela le mystère Pierre FAUCHARD.

Jeanne-Héloïse de LOUVIÈRE vend le château de GRANDMESNIL à une autre famille de banquiers en 1919 : la famille FOULD.

1 Voir bibliographie en fin d’article.
2 Groupe de travail créé par Christine HILLAM à Liverpool, et dirigé par Pierre BARON, vice-président de la SFHAD.
3 Thèse n° 2532 Université de Paris VII, 1985.
4 Archives départementales, série E, état civil, dépôt.
5 Malgré les recherches, le recensement est très incomplet.
6 Par exemple “les nouvelles de Rennes, de Dijon…� etc.