Xavier DELTOMBE et Yves LEON

A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, nous voyons apparaître différentes revues comme moyen de communication entre nos confrères d’alors. La première de ces revues, «l’Art Dentaire » paraît à partir de 1857. Elle est l’œuvre de Préterre, le plus français des dentistes américains de l’époque. D’autres suivront rapidement, notamment l’Abeille et le Progrès Dentaire, dont sont issus les articles qui illustrent ces propos. L’avantage de ces journaux est qu’ils offrent un large éventail d’auteurs aussi bien français qu’étrangers, principalement américains, anglais et allemands.

n°1 de l’Abeille 1862

Quand on lit les différents articles concernant les matériaux d’obturation, la question de cette fin de XIXème siècle est de savoir quelle substance peut-on opposer à l’or ? Car force est de reconnaître que si l’or est le plus utilisé des matériaux à cette époque, son emploi reste problématique et il semble cristalliser à lui seul tous les problèmes qui puissent être rencontrés pour faire adhérer une substance dans une cavité dentaire.


Différentes sortes d’or
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Le Progrès dentaire, 1888

Deux sortes d’or sont utilisées en dentisterie : le cohésif et le non cohésif. On doit l’introduction de l’or cohésif au Docteur Robert ARTHUR qui l’a présenté pour la première fois en 1855. Souvent, l’or cohésif était qualifié d’adhésif ! Un auteur anglais, HUNT de Londres, dans un article de 1874 dans le Progrès Dentaire nous donne l’explication de cette confusion et il réclame

[…] la substitution du terme cohésion au mot adhésion pour exprimer le fait qu’un fragment d’or pur s’unisse à un autre fragment d’or pur, au simple contact des particules de l’un et de l’autre.

Le terme adhésion ne s’applique proprement dit qu’à l’union de particules dissemblables ; il ne saurait donc convenir pour exprimer l’agglutination de deux particules d’or pur.

Ce mot cohésion ne s’emploie d’une manière correcte que pour indiquer l’union réciproque de particules de nature similaire.

En fait, cette faculté cohésive permet de fouler de très fines feuilles d’or dans les dents et obtenir pour finir un bloc unitaire d’or épousant les formes des cavités.

fouloirs d’or

La différence entre les deux formes d’or se fait surtout sur la dureté. L’or non cohésif est qualifié de « mou » ce qui le rend plus facile de manipulation en raison de ses propriétés d’adaptation et de malléabilité qui permettent d’obtenir une obturation plus dense qu’avec l’or cohésif.

Un article de 1892 du Progrès dentaire, d’un Américain, le Docteur CURTIS de New York résume les critères de choix entre ces ors :

C’est, si je ne me trompe, au Docteur Robert Arthur que revient le mérite d’avoir fait connaître les avantages de l’or cohésif sur l’or non cohésif. Il a publié, aux environs de 1876, un petit volume sur ce sujet, qui se répandit beaucoup et contribua à révolutionner la pratique dentaire ; depuis nous avons vu s’établir une lutte acharnée entre les partisans des deux variétés d’or, et à quoi ont abouti les flots d’encre et tout le papier noirci ? A ce que les praticiens conservateurs ont pris ce qu’il y avait de bon de chaque côté, les uns concédant que, pour les restaurations de contour, l’or cohésif était préférable, les autres que, pour les cavités à parois fragiles et aux bords cervicaux, l’or non cohésif pouvait s’enfoncer dans les interstices avec moins de danger de fracture ou de désintégration mécanique du pourtour de la cavité ; et aujourd’hui bon nombre des meilleurs opérateurs emploient l’or mou aux parois cervicales et pour le corps de la cavité, et réservent l’or cohésif pour finir l’obturation et restaurer le contour, en faisant ainsi une combinaison qui est parfois désirable.

QUELLES ETAIENT LES SOLUTIONS DE SUBSTITUTION FACE A L’OR ?

 


Les plombages
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Le Progrès dentaire, 1884

Le premier de ces matériaux était, bien sûr, le « plombage » terme qui a la vie dure puisque toujours utilisé à notre époque ! Il semblerait que l’on regroupait sous ce terme, tous les autres matériaux d’obturation puisqu’on y retrouve les premiers amalgames mais aussi les ciments, notamment ceux au phosphate de Zinc.

Dans un article de 1886, un dénommé DUNN, de Florence, compare l’or et le ciment au phosphate de Zinc.


Le Progrès dentaire, 1886

Au début de l’article, il faut noter les interrogations de l’auteur sur l’avenir du ciment : grâce à ses avantages et à ses inconvénients, plutôt que matériau d’obturation, son usage serait plutôt celui d’un ciment de scellement des reconstitutions métalliques ou bien encore celui d’un « fond de cavité » (mauvais conducteur, présence utile aux parois, etc.). Cette notion de fond protecteur était alors une nouveauté !

Quant à l’or, il faut surtout revenir sur ses difficultés d’utilisation comme matériau de reconstitution :

  • Il est difficile à insérer et son efficacité est médiocre quand l’aurification est mal faite : dans les causes d’échec, entre en jeu l’action néfaste de « l’humidité condensée de l’haleine et de la présence de salive ou de sécrétion gingivale » : cette humidité peut induire un courant galvanique qui désagrège la dent.
  • sont aussi considérés comme redoutables, tous les problèmes de rétraction que l’on tente de contrer par de subtils dosages entre les différents métaux des amalgames.
Dr Chase
Le Pprogrès dentaire, 1878

 

L’opération est longue et ennuyeuse pour le sujet et pour le patient. Surtout que cette aurification peut être extrêmement douloureuse : pour preuve cette citation du Docteur Foster Flagg en 1878 :

Que de fois, n’ai-je pas entendu dire à des clients que leur motif pour se faire arracher leurs dents était la crainte invincible d’avoir à subir de nouveau la peine que leur avaient fait endurer les tentatives pour les conserver avec « la meilleure substance » : l’or !

Tout n’était pas encore idyllique pour les patients. Cependant, la confrontation des expériences qu’offraient les colonnes de ces revues était un élément prépondérant pour le développement éclairé de l’Art Dentaire en cette période d’absence d’écoles spécialisées.

Bibliographie

Le Progrès Dentaire (Paris) Paris Londres : C Ash, 1874 – 1909
L’Abeille (Orléans), 1860