Jean ROMEROWSKI
Ancien Professeur à la Faculté de
Chirurgie Dentaire de l’Université Paris VII

RésuméLes organisateurs du deuxième Congrès de la National Society of Denture Prosthodontics à Boston en août 1920 étaient parvenus à réunir un nombre important de sommités intéressées par la mise en œuvre d’articulateurs. Ils espéraient obtenir, à la suite de cette rencontre, la réalisation d’un articulateur universel qui aurait pu être mis entre les mains de tous les praticiens. Deux chercheurs éminents: Ruppert Hall de Houston et Alfred Gysi de Zurich participaient à cette tentative. Ce fut un échec retentissant: les concepts s’affrontèrent. R. Hall s’appuyant sur des données géométriques pensait que les faces occlusales des dents guidaient le mouvement de la mandibule au cours de la mastication. De son côté A. Gysi affirmait que les condyles étaient le facteur le plus influent de la fonction manducatrice. La controverse débuta par l’attribution de la paternité de l’invention de la tige incisive et de son corollaire: la table antérieure. L’un comme l’autre défendait l’antériorité de cette innovation en se référant aux dates d’enregistrement des différents brevets. Elle s’étendit par la suite à l’ensemble des conceptions des deux auteurs et perdura pendant plus de dix années. A la fin de sa vie, R. Hall participa à l’élaboration de l’articulateur « Tripod » de Stansberry tandis que A. Gysi voyait ses recherches reprises et approfondies par l’École Gnathologique de Beverly Mac Collum, ouvrant ainsi la voie aux simulateurs actuels.

Mots clés : Histoire / Articulateurs / Occlusion / Concepts géométriques / Concepts anatomiques

 

A STRUGGLE OF TITANSSummary

The organizers of the Second Meeting of the National Society of Denture Prosthodontics in Boston (August 1920) managed to gather an important number of prominent dentists interested in the development of articulators. They hoped that, after this meeting, they could achieve a universal instrument that could be used by all the practionners. Two eminent investigators: Ruppert Hall from Houston (Texas) and Alfred Gysi from Zurich (Switzerland) took part to this attempt. It was a tremendous failure: two concepts clashed. Referring to geometrical theories, Ruppert Hall thought that the occlusal surfaces of the teeth guided the mandibular movements during mastication while Alfred Gysi was convinced that the condyles were the major factors of the masticatory function. The controversy began with the claim of the invention of the incisal pin and its additional anterior table. For this authorship, reference was given to the different patents registrations in USA. Afterwards the opposition between the two parties concerned their global concepts and lasted on for more than ten years. Later, Ruppert Hall contributed to develop the Stansberry’s Tripod articulator while Alfred Gysi had his researches deepened by the B.B. Mac Collum’s Gnathological Society that opened the road to the modern articulators.

Key words: History / Articulators / Occlusion / Geometrical concepts / Anatomical concepts

 

Pour regarder le futur,
il faut regarder derrière soi
Le Livre d’Isaïe

Afin de comprendre les questions posées par les connaissances actuelles en occlusodontologie, il paraît intéressant d’étudier l’évolution des articulateurs et des concepts qui se rattachent à leur élaboration. Les controverses qui opposèrent Rupert Hall de Houston (U.S.A.) et Alfred Gysi de Zurich (Suisse) au cours des années 1915 – 1930 illustrent un chapitre important de l’histoire de l’occlusodontologie. La difficulté à laquelle se heurtaient les professionnels de cette période concernait essentiellement la réhabilitation de l’édenté total bimaxillaire. Avant cet affrontement, de nombreuses essais d’interprétation du mouvement très particulier de la mandibule avaient vu le jour.

 

L’état des connaissances avant cette rencontre.

Dès 1858, W.G.A. Bonwill avait décrit le mouvement en avant de la mandibule1 (fig. 1) et avait développé un instrument qui reproduisait ce déplacement mandibulaire (fig. 2).

Fig. 1 Le mouvement en avant décrit par W.G.A Bonwill en 1858

Fig. 2 L’articulateur W.G.A Bonwill Les déplacements horizontaux des arcs de fixationdes modèles permettent de corriger les erreurs éventuelles d’enregistrement des relations mandibulo-maxillaires.

 

En 1897, W. E. Walker imagine un instrument extra oral d’enregistrement des mouvements de la mandibule: le clinomètre 2-3-4 (fig. 3).

Fig. 3 Le clinomètre élaboré par W.E. Walker

 

L’articulateur qui en résulte, trop complexe à programmer, n’a pas été commercialisé. Toutefois, il revient à ce chercheur d’avoir décrit le mouvement mandibulaire vers le bas (fig. 4) et plusieurs simulateurs simples tentant à reproduire le mouvement en avant et vers le bas peuvent s’inscrire à l’actif de cet auteur

Fig. 4 Le mouvement en avant et vers le bas décrit par W.E. Walker en 1897

Fig. 5 Articulateur de W.E. Walker permettant un mouvement mandibulaire en avant et en bas 1896

Fig. 6 Articulateur de W.E. Walker permettant un mouvement mandibulaire en avant et en bas

 

Au cours de la même année, N.G. Bennett 5-6 , aidé par son frère, enregistre à l’aide d’un arc facial porteur d’un petit projecteur le mouvement en bas, en avant et en dedans du condyle non travaillant (fig. 7).

Fig. 7 Original de l’enregistrement du mouvement en bas, en avant et en dedans de Norman Bennett 1866

 

Ce déplacement forme avec la trajectoire de propulsion ce qui est de nos jours appelé l’angle de Bennett. Il faut cependant signaler que, dès 1866, F.H. Balkwill 7 avait déjà relevé le caractère particulier de ce déplacement: il serait donc plus juste de parler de l’angle de Balkwill-Bennett.

Fig. 8 Dans le mouvement de propulsion, le condyle non travaillant se déplace de A en B. Dans le mouvement de latéralité, le condyle non travaillant se déplace de A en C. L’angle ABC correspond à l’angle de Balkwill Bennett.. Du fait de la relative constance de la distance intercondylienne, dans le mouvement de latéralité le condyle travaillant effectue un mouvement en dehors (l): il s’agit de la translation latérale mandibulaire ou encore du mouvement de Bennett.

 

Au cours de cette même année 1866, F.H. Balkwill avait caractérisé l’arcade dentaire mandibulaire par un triangle équilatéral (fig. 9), triangle que W.G.A. Bonwill a étendu en 1899 à l’ensemble de la mandibule. De nombreuses mesures de différentes pièces anatomiques ont permis à ce dernier de fixer une valeur moyenne de 4 pouces au côté du triangle mandibulaire (fig. 10).

Fig. 9 Le triangle équilatéral de Balkwill concerne l’arcade dentaire 1866

Fig. 10 Le triangle équilatéral de Bonwill intéresse l’ensemble de la mandibule.Son côté mesure 4 pouces.

 

En 1890, l’anatomiste F. Graf Spee de Berlin (Allemagne) décrit la courbe qui porte son nom et qui intéresse les vallées intercuspidiennes de l’arcade mandibulaire 8 (fig. 11). Ce qui laisse supposer que la dite courbe concerne plutôt les cuspides linguales maxillaires et non comme l’usage actuel le laisse penser, les cuspides vestibulaires maxillaires.

Fig. 11 La courbe de Graf Spee décrite par l’auteur en 1890

 

Cette dernière description se retrouve dans la théorie de la sphère 9 (fig. 12) que développe George S. Monson au cours de la même année et qui préside à la mise au point , en 1923, d’un articulateur correspondant (fig. 13).

Fig. 12 La théorie de la sphère développée par G.S.Monson.

Fig. 13 L’articulateur de G.S. Monson en application de la théorie de la sphère1923

 

 

En vue du Congrès de Boston (1920)

Les organisateurs du deuxième Congrès de la National Society of Denture Prosthodontics à Boston en août 1920 étaient parvenus à réunir un nombre important de sommités intéressées par la mise en œuvre d’articulateurs 10-11-12. Ils espéraient obtenir, à la suite de cette rencontre, la réalisation d’un articulateur universel qui aurait pu être mis entre les mains de tous les praticiens. Deux écoles s’opposent dans les discussions: l’une d’elles s’appuie sur des concepts géométriques avec pour chef de file Rupert Hall et l’autre, avec Alfred Gysi, donne toute son importance aux données anatomiques.

Par quel cheminement ces deux éminents praticiens en sont arrivés à cette étape?

 

Rupert Hall et les concepts géométriques

Rupert Hall 13 a dans un premier temps essayé d’associer triangle équilatéral de Bonwill et théorie de la sphère de Monson (1914) (fig. 14). Il met au point une série d’articulateurs que la profession surnomme « Alligator » en raison de la forme particulière de l’instrument (1916-1917) (fig. 15).

Fig. 14 Association du triangle de Bonwill et de la théorie sphérique de Monson effectuée par R. Hall en 1914

Fig. 15 Articulateur de R. Hall ou « Alligator » 1916

 

Ne pouvant pas totalement rejeter le mouvement de Balkwill-Bennett, Rupert Hall adopte un axe de rotation mandibulaire autour d’un point situé au milieu de la base intercondylienne du triangle de Bonwill (fig. 16) et met au point un simulateur qui répond à ce nouveau critère: le cadre dentaire d’occlusion (1917) (fig. 17 et 18). Si un brevet est déposé à cet effet, il n’en existe aucune réalisation commerciale.

Fig. 16 Selon R. Hall, au cours du mouvement de latéralité, la mandibule effectuerait une rotation autour du point A, ce qui répondrait au mouvement de Balkwill Bennett du condyle non travaillant (D ==> D »),alors que le condyle travaillant effectuerait un mouvement en arrière ( C ==> C »)

Fig. 17 Le cadre dentaire d’occlusion de R. Hall. Un brevet a été déposé et accepté en 1917 pour ce simulateur, qui n’a jamais été commercialisé. (31 = axe de rotation 29 = boîtier de réception de l’axe 31)

Fig. 18 Le passage dans l’espace d’une conception dans un plan des paramètres de l’occlusion par la mise en place d’une double pyramide (1914)

 

L’évolution de ce concept conduit R. Hall à son développement dans l’espace par la construction de deux pyramides opposées par leur base. Il situe alors le centre de rotation non plus dans un plan proche du plan d’occlusion, mais à la base du crâne dans un secteur proche de la fosse pituitaire (1918) (fig. 18).

Ce concept donne naissance à ce qui est communément appelé la « théorie du cône » (fig. 19). En 1918, Rupert Hall met au point l’Articulateur Anatomique Automatique (fig. 20) qui est mis sur le marché en 1924 (fig. 21).

Fig. 19 Illustration de la théorie du cône de R. Hall par lui-même. (1914)

Fig. 20 Théorie de l’Articulateur Anatomique Automatique de Rupert Hall répondant aux critères de la théorie du cône (1918)

Fig. 21 L’Articulateur Anatomique Automatique de Rupert Hall (1924)

 

 

Alfred Gysi et le concept anatomique

Dans sa conception d’un articulateur, Alfred Gysi n’avait pas échappé à la réalisation d’un premier instrument à l’image de l’articulateur de W.G.A. Bonwill (fig. 22), mais très vite ses recherches le porte à mettre en œuvre des enregistrements extra-oraux des déplacements mandibulaires 14-15-16-17-18-19 (fig. 23) .

Fig. 22 Un des premiers articulateurs d’A. Gysi à l’image de l’articulateur de W.G.A. Bonwill

Fig. 23 Arc facial d’enregistrement des mouvements mandibulaires d’A. Gysi

 

Ses enregistrements mettront en évidence l’arc gothique au niveau du secteur antérieur (fig. 24 et 25) et retrouve la pente condylienne (fig. 26) et le mouvement de Balkwill Bennett (fig. 27).

Fig. 24 Enregistrement de l’arc gothique:le stylet scripteur.

Fig. 25 Enregistrement de l’arc gothique:la tablette enregistreuse

 

Fig. 26 Enregistrement de la pente condylienne

Fig. 27 Enregistrement du mouvement de Balkwill Bennett

 

Ces travaux ont donné naissance dès 1908 à un articulateur à pente condylienne réglable (fig. 28 et 29).

Fig. 28 Articulateur à pente condylienne ajustable d’A. Gysi (1908)

Fig. 29 Guide condylien ajustable de l’articulateur d’A. Gysi (1908)

 

Plusieurs articulateurs, dits « adaptables« , cherchant à répondre aux paramètres anatomiques ont été réalisés par Alfred Gysi en 1912 et 1913 (fig. 30, 31 et 32)

Fig. 30 Articulateur adaptable d’A. Gysi (1912)

Fig. 31 Articulateur adaptable d’A. Gysi (1913)

Fig. 32 Articulateur Simplex déjà réalisé par A. Gysi en 1912)

 

 

Le congrès de Boston (11-21 août 1920)

A l’opposé de ce que les organisateurs du congrès espéraient, l’affrontement entre les deux chefs de file fut particulièrement violent et se poursuivit jusqu’au delà des années 1930 9-10-11. La controverse débuta par la revendication de la paternité de l’invention de la tige incisive et de son corollaire: la table antérieure. Rupert Hall s’appuyait sur la date du brevet de son « Alligator: 1916 (fig. 15) et surtout en raison de son brevet déposé en 1917 pour son « cadre dentaire d’occlusion) (fig. 17). La réponse d’Alfred Gysi fut la présentation d’une illustration parue en 1908 à Berlin dans un ouvrage intitulé « Problems of articulation » (fig. 33). Il signalait que C.E. Luce de Stuttgart avait dès 1911 fait breveter un articulateur porteur d’une tige incisive 19 (fig. 34).

Fig. 33 Reproduction d’un article d’A. Gysi paru dans le Dental Cosmos en janvier 1910 décrivant l’utilisation d’une tige incisive et d’une table antérieure dès 1908.

Fig. 34 Articulateur de C.E. Luce breveté en novembre 1911

 

Hall rétorquait que même si cela était véridique, Gysi n’avait pas revendiqué la tige incisive dans son brevet de l’articulateur « Adaptable » en 1912. La réponse de Gysi est surprenante: il constatait que quoique il ait été le premier à revendiquer des droits pour la tige incisive, le brevet n’avait pas été accepté par le bureau US des brevets, au prétexte que l’articulateur de Kerr (fig. 35) comportait une tige de butée en arrière des modèles en plâtre et que le fait de déplacer cette tige en avant des modèles en plâtre ne constituait pas en soi une nouvelle invention.

Fig. 35 Articulateur de Kerr 1902

 

Plus tard, R. Hall devait effectuer une concession en parlant de la « tige incisive de Luce-Gys  » 21.

Leur affrontement se poursuivait par ailleurs sur le caractère de l’enregistrement de l’arc antérieur. R. Hall défendait l’idée que cet arc ne pouvait être qu’une portion de cercle et que ceci s’inscrivait parfaitement dans sa théorie conique (fig. 36 et 37).

Fig. 36 Selon R. Hall et sa théorie d’un axe de rotation central, le point incisif ne pouvait décrire qu’une trajectoire arciforme

Fig. 37 La trajectoire arciforme de R. Hall selon ses propres enregistrements

 

A. Gysi soutenait de son côté que, d’après ses enregistrements, la trajectoire du point interincisif décrivait un arc gothique. Dès les années 1901, Gysi avait reconnu la relation entre l’angulation des mouvements de latéralité au point inter-incisif (« arc gothique« ) et la distance entre les axes de rotation verticaux postérieurs. Il les a appelés « points pivotants » (fig. 38).

Fig. 38 Selon A. Gysi, l’angulation de la trajectoire incisive permet de déterminer la distance intercondylienne

 

Par ailleurs, Gysi déclarait que l’un de ses collaborateurs,

« Carl Rumpel avait été le premier à suggérer de modifier les centres de rotation sur la corde condylienne pour un guidage réglable de la tige incisive« .. « Cette suggestion a été publiée en juin 1913 dans Die Deutsche Monatsschrift fur Zahnheilkunde, et qu’un articulateur totalement programmable avec ce système de guidage incisif réglable apparaîssait dans Die Schweizerische Vierteljahrschrift fur Zahnheilkunde en 1911 » (fig. 39 et 40).

Fig. 39 Articulateur de Gysi – Rumpel

Fig. 40 Détail de la table antérieure de l’articulateur de Gysi – Rumpel

 

En fait l’opposition fondamentale entre ces deux chercheurs reposait sur deux concepts différents. Pour R. Hall et ceux qui le soutenaient:

« … ce sont les plans d’occlusion des dents qui représentent la route et non pas les trajets condyliens« .

G. Wilson n’avait-il pas affirmé en 1916 dans le Dental Cosmos 22-23 que

« Ce sont les dents qui guident le déplacement des mâchoires et non les condyles« .

De leur côté, A. Gysi et ses collaborateurs attachaient toute leur importance aux guidages condyliens et au guide antérieur. La dénégation des réalités condyliennes fera dire plus tard à A. Gysi que

 » Par exemple, sur la base de faits purement historiques, l’existence réelle du Christ ou de notre héros national, Guillaume Tell, a été mise en doute et jusqu’à des jours récents, toutes les raisons ont été accumulées pour prouver que le grand Napoléon Ier n’a jamais existé« .

Ne pouvant nier le rôle des condyles, R. Hall considérait que le condyle travaillant avait une importance particulière alors qu’A. Gysi pensait que le mouvement de Balkwill-Bennett effectuait un jeu majeur dans le déplacement de la mandibule.

R. Hall contestait le caractère tridimensionnel de l’articulateur de Gysi par rapport à son Articulateur Anatomique Automatique (fig. 21) au prétexte que toutes les démonstrations effectuées par ce dernier étaient réalisée dans un plan (fig. 38) . Ce à quoi A. Gysi rétorquait qu’il lui suffisait d’incliner la feuille de démonstration à 15° ou 20° au dessus du plan horizontal pour que ses recherches deviennent tridimensionnelles. A. Gysi déclarait que

 » Toutefois comme le Bolchevisme, il est possible que l’articulateur de Hall trouve lui aussi de nombreux partisans« .

Et avec une ironie encore plus acérée, il préconisait la mise en place sur l’Articulateur Anatomique Automatique de Hall d’un système de fente pour introduire des pièces de monnaie et alors

« il faut espérer qu’au cours de son prochain voyage, Barnum emportera un tel automate, lequel, en une seule fois, vulcanisera le dentier et le délivrera prêt à l’emploi au patient« .

Que reste-t-il de cette querelle ?

L’opposition entre les deux géants de l’époque devait durer au-delà des années 1930 24-25-26 . R. Hall travaillant avec J.W. Needles et C.I. Stanberry s’orientera vers des enregistrements positionnels des mouvements mandibulaires. En 1929, il mettra au point un simulateur des mouvements mandibulaires (fig.41) qui sera amélioré par C.I. Stansberry avec son instrument « Tripod » 27-28 (fig. 42).

Fig. 40 Détail de la table antérieure de l’articulateur de Gysi – Rumpel

Fig. 42 Articulateur « Tripod » de C.I. Stansberry 1929

 

De son côté A. Gysi, entouré d’E. Muller, H. Schröder, C. Rumpel et R. Fisher 29, a poursuit ses recherches et a développé plusieurs articulateurs de type adaptables (articulateur Trubyte de 1928) (fig. 43 et 44) .

Fig. 43 Théorie de l’articulateur « adaptable » de Gysi 1928

Fig. 44 Articulateur « adaptable » de Gysi 1928

 

L’expérience clinique de Gysi qui a pu contrôler plus de 22000 prothèses amovibles totales bimaxillaires entre 1888 et 1929 le conduit à une simplification de son articulateur « Simplex« , lequel répond selon lui à 80% des cas cliniques courants 30.

Ses travaux anticipent de manière remarquable les travaux de l’École Gnathologique sans que celle-ci lui fasse référence 31-32-33 (fig. 45 et 46).

Fig. 45 Dés janvier 1910, A. Gysi avait mis en évidence la relation entre l’angle décrit par les trajectoires travaillantes et non travaillantes avec la distance intercondylienne: ici, plus la distance intercondylienne est grande, plus l’angle est aigu

Fig. 46 Dés janvier 1910, A. Gysi avait mis en évidence la relation entre l’angle décrit par les trajectoires travaillantes et non travaillantes avec la distance intercondylienne: ici, plus la distance intercondylienne est petite, plus l’angle est ouvert

 

Ses recherches lui permettent de mettre au point une morphologie des dents artificielles adaptées aux situations d’édentement total (fig. 47 et 48).

Fig. 47 Sur ce schéma, A. Gysi montre la relation qui existe entre l’inclinaison des versants centraux des cuspides des unités postérieures et l’inclinaison du guide antérieur: à gauche, moins le guide incisif est prononcé, plus les cuspides doivent être courtes à droite, plus le guide antérieur est incliné, plus les cuspides doivent être hautes. (rappelons qu’il s’agit ici de prothèse amovible totale)

Fig. 48 Sur ce schéma, A. Gysi reprend les différentes trajectoires des dents au cours des mouvements mandibulaires et en tire les conséquences sur la morphologie occlusale des dents artificielles qu’il préconise. (en rouge: les trajectoires travaillantes, en bleu: les trajectoires non travaillantes, en violet; les trajectoires de propulsion les colorations des flèches sont dues à l’auteur de cet article)

 

Mais plus remarquable encore est une des conclusions qu’A. Gysi tire de ses travaux: en effet, dans un article paru en janvier 1929, il écrit:

 » Sur la plupart des mandibules, les deuxièmes molaires se situent approximativement à mi-distance entre le point inter-incisif et les condyles, de telle sorte que pratiquement toutes les dents se situent dans la moitié adjacente au point inter-incisif et sont fortement influencées par ses mouvements latéraux, alors que les condyles sont tellement éloignés qu’ils influencent vraiment peu les déplacements de ces dents. Le contrôle par le point inter-incisif rend l’influence postérieure pratiquement négative« .

Ce constat, qui est développé par ailleurs dans un article à paraître, a été largement oublié par nos contemporains qui portent une attention particulière aux déplacements condyliens, tel qu’il est possible de le relever dans les différentes techniques d’utilisation des simulateurs actuels des mouvements de la mandibule.

En conclusion, l’étude des travaux de nos prédécesseurs montrent que, trop souvent, comme le dit si bien, non sans humour, Jean Cocteau :

« Nous n’avons pas de chance, nous les modernes. Chaque fois que nous inventons quelque chose de nouveau, le passé nous copie« .

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