Au début de l’année 1851, le « Crystal Palace » de Londres manifestait une activité bruyante et insolite ; la première exposition dentaire de la métropole anglaise se mettait en place dans le cadre prestigieux de l’Exposition universelle.

Cet événement n’est pas resté inaperçu des chroniqueurs américains, étant donné que les « Dental news letters » et l’ « American journal of dental science » consacrèrent chacun un article à cette exposition (1).


Gravures de présentation du fauteuil de Betjemann par Barret le 6 avril 1857.

 

Sur cinquante médailles décernées lors de cette manifestation, aucune ne récompensa les représentants de l’art dentaire. Ce qui laisse supposer que la dentisterie n’avait pas encore conquis ses lettres de noblesse auprès des pouvoirs publics européens. Nous constatons par ailleurs, que les firmes Ash and sons, S.W. Stockton et Jones, White and Mac Curdy, sont répertoriées dans la catégorie des fabricants de dents en porcelaine, alors que celles de J.D. Chevalier, de J.M. Evrard et Simon, seul exposant français, apparaissent dans la liste des fabricants d’instruments.

A la lecture de ces comptes-rendus, il s’avère qu’aucune mention n’est faite aux équipements. Faut-il en déduire que l’aménagement opératoire avait peu de chance de susciter l’intérêt des praticiens ?

Quelques mois après la création de l’ « Odontological society », première société professionnelle londonienne, la séance du 6 avril 1857 (2) avait au programme la présentation par H.J. Barret, d’un nouveau fauteuil opératoire réalise par Henry Betjemann.

Le fauteuil de Betjeman de 1857.

 

Plusieurs éminents confrères comme Edwin Sanders, dentiste de la famille royale et John Tomes, bien connu pour ses recherches sur la structure de la dent, participèrent à cette soirée. Il déclara qu’il utilisait déjà un fauteuil mécanique, tout en reconnaissant qu’il n’était pas aussi pratique que celui de Betjemann.

Quelques mois plus tard, deux articles (3 et 4) révélaient que d’utiles améliorations avaient été réalisées. Un perfectionnement suggéré par Tomes, apporté à la têtière, était particulièrement remarqué. L’acquisition. des équipements du cabinet de Tomes, avec le fauteuil de Betjemann, par le musée de la British dental association, nous indique que Tomes s’était porté acquéreur de ce fauteuil (5).

le fauteuil de Tomes
Portrait de John Tomes

Le fauteuil de Tomes

 

Ce modèle en noyer est recouvert du traditionnel velours rouge. Il est reproduit dans le « British journal of dental science » de 1857 (6) et dans le catalogue d’Ash de 1858.

Le siège

Il est solidaire des appuis-bras, comme sur l’ancien modèle de Betjemann, en formant ici un ensemble monobloc dissocié du piétement. Le réglage en hauteur s’effectue en manœuvrant au pied un volant circulaire, dont le mouvement de rotation est transmis à un mécanisme à vérin à vis différentiel, situé sous le siège.

Malgré un débattement de 22 cm très réduit, ce dispositif constitue la grande originalité de ce fauteuil.

Le réglage en hauteur de l’assise peut s’effectuer sans effort et sans interrompre la marche du travail en bouche.

Ce procédé sera malheureusement abandonné, et ne réapparaîtra qu’en 1877 avec le fauteuil de Wilkerson de Johnston’s brothers.

Le dossier

Son inclinaison s’opère en manoeuvrant une petite manivelle située à l’arrière du dossier, dont le réglage conditionne la longueur de deux chaînes du type bicyclette, entre le dossier et les deux accotoirs. Ce mécanisme est semblable au premier fauteuil de Betjemann.

Le mécanisme de levage

Le dossier

 

La têtière

Sa conception est tout à fait originale ; cet appui tête de forme cylindrique et déprimée au centre, pivote sur un axe en générant un mouvement excentré qui assure un débattement de huit centimètres.

le crachoir

Il est apparenté au modèle d’Ash, présenté dans le même catalogue. Il se compose d’une vasque en verre incorporée dans un petit meuble qui dissimule le réservoir.

Le crachoir et le tabouret d’opérateur

 

le tabouret d’opérateur

Il est constitué d’un piétement comprenant quatre pieds cambrés se terminant en volute. La galette, qui n’est pas réglable en hauteur, est dotée d’un mouvement de rotation qui s’effectue sur un axe excentré ; une partie de l’assise se trouve ainsi en porte à faux, peut-être dans le but de faciliter la bascule vers l’avant en rotation sur deux pieds.

le meuble de rangement (7)

Il est reproduit sur le même encart publicitaire de la revue anglaise de 1857.

Cette illustration en forme de diagramme, représente le meuble en positions ouverte et fermée.

Fabriqué par Henry Betjemann, l’originalité de ce meuble tient à son aspect de table circulaire capable de pivoter sur son axe et soutenu par un trépied.

En position ouverte, les deux étages de rangement sont développés.

Le niveau inférieur comprend une série de tiroirs, alors que l’étage supérieur se compose d’une série de compartiments accessibles lorsque le plateau supérieur est en position haute.

En position fermée, l’étage supérieur est abaissé et sert de plan de travail, alors que les tiroirs de rangement de l’étage inférieur sont toujours opérationnels.

La conception très ergonomique de, ce meuble se rapporte :

  • à sa double fonction, meuble de rangement compartimenté et plan de travail
  • à son accessibilité en postures érigée et assise – à sa mobilité.
Le meuble de rangement pour l' »Operating boudoir »

 

les daviers de Tomes

Tomes a longtemps été pressenti comme l’inventeur des daviers à mors anatomiques.

S’il est maintenant admis que la paternité de ces daviers revient à Cyrus Fay, il faut aussi reconnaître que les daviers de Tomes ont atteint un degré de perfection inégalé, et que la fabrication par Jean-Marie Evrard, ancien collaborateur de Charrière, a largement contribué à la notoriété de ces instruments.

Le musée Pierre Fauchard possède de nombreux daviers d’Evrard, alors que le musée de la British dental association expose une facture d’Evrard destinée à John Tomes.

La facture d’Evrard à Tomes

 

Conclusion

L’absence de références d’équipement dentaire dans les catalogues du fabricant Ash and sons avant 1858, nous révèle que le fauteuil mécanique n’était utilisé en 1851 que par une minorité de praticiens éminents comme Snell, Tomes et Sanders, et que la majorité des dentistes restait fidèle aux fauteuils à dossier droit.

Cette constatation explique l’absence d’équipement sur les stands de l’exposition de Londres, bien que les firmes américaines présentes à cette manifestation distribuaient déjà aux Etats-Unis quelques modèles de fauteuils et de crachoirs.

Lorsque l’on évoque les travaux de Tomes, on se rapporte, le plus souvent, à ses recherches sur les fibres dentinaires et à sa participation à l’établissement du « dentist act » de 1878 qui reconnaissait l’indépendance de la profession dentaire en Angleterre, en instaurant l’obligation de posséder le diplôme de L.D.S. pour exercer l’art dentaire.

Par contre, sa contribution au perfectionnement de l’instrumentation et à l’amélioration de conditions de travail du praticien, en préconisant l’exécution des soins en posture assise, est moins bien connue. L’éventail étendu de ses recherches met en évidence une personnalité à vocation universelle spécifique des hommes de génie.

Bibliographie

1 The dental news letters – Jan. 1852 p. 266-268
American journal of dental science – Juillet 1852 p. 571-576
2 Transaction of the odontological society -6 avril 1857 p. 67- 74
3 British journal of dental science – 1956-57 vol. n° p. 335-337
4 British journal of dental science – 1857 vol. n° p. 495
5 British dental association museum, 64 wimpole street – London
6 British journal of dental science – vol. n° 17 nov. 1857 p. 534
7 British journal of dental science – vol. n° 17 nov. 1857 p. 534
8 On the construction and application of forceps for extracting teeth by John Tomes 1841 -London medical gazette – vol. n° 28 p. 424
9 John Tomes – A dental pioneer – B.D.A. news – 4 mars 1989 p. 7