Le coffret

Le coffret de chirurgie dentaire de l’Empereur

 

Il s’agit d’un coffret de chirurgie dentaire ayant appartenu à l’antiquaire parisien Charles Marchal qu’il présenta à la 2ème Biennale internationale des antiquaires à Cannes en avril 1979.

Grâce à l’initiative de Mme Nicole Kramer, les visiteurs de l’exposition de 1982 ont eu le privilège de l’admirer pendant plusieurs semaines.

Un article de Charles Marchai et de Sophie Michel fut publié dans la presse professionnelle des antiquaires (2) au moment de cette Biennale.

Le coffret est en loupe de thuya de couleur brun clair et protégé par une gaine en maroquin vert.

Les armoiries de l’Empereur

Charles Marchal nous en fait une belle description :

« En son centre : les armoiries impériales incrustées d’argent

Le grand écu est entouré du collier de la légion d’honneur et coiffé d’un heaume surmonté de la couronne impériale à huit arceaux. Au milieu, se détachant sur fond d’azur  l’aigle impérial empiétant un foudre, les ailes abaissées et regardant vers Sénestre. Il se détache sur le grand manteau impérial semé d’abeilles et doublé d’hermine deux hampes se croisent derrière l’écu, l’une surmontée de la main de la justice, l’autre d’un aigle. »

Ces armoiries sont entourées d’un décor de godrons et de feuillages. Les incrustations d’argent se retrouvent aux deux angles du coffret d’une part, avec quatre lyres à la serrure, d’autre part. L’entrée et la clef de serrure sont en trèfle.

Sur la bordure intérieure du coffret est gravée l’inscription suivante : « Grangeret, coutelier de S.M. l’Empereur rue des Saints-Pères n° 45 ».

L’aménagement intérieur
L’aménagement intérieur du coffret

Il est gainé de velours couleur crème et comprend les instruments suivants :

  • une sonde double de Ricci le corps est en or ciselé,
  • une lancette avec manche en ébène, embout et virole en or ciselé,
  • deux daviers en acier poli signés sur la branche droite d’un « H couronné », et « Grangeret » sur le davier de gauche.
  • deux pélicans

Le petit modèle est un pélican à quatre branches sur le corps duquel est gravée la mention « Dubois invenit », Ce label indique implicitement que Dubois est l’auteur de cet instrument. Néanmoins, ce modèle, qui a la particularité d’avoir des appuis en corne, réglables en longueur, ressemble étrangement au pélican reproduit dans le « Recueil des planches du dictionnaire de chirurgie de 1799 », planche 46

Le pélican à quatre branches

Le pélican du recueil des Planches du Dictionnaire de Chirurgie (1799)

Le second modèle constitue la pièce maîtresse de cet ensemble. Le manche en ébène est richement orné d’incrustations de nacre gravées, parsemées d’étoiles en or. L’embout et la virole sont en or ciselé finement décorés de feuilles d’acanthe. Le corps de l’instrument est signé sur une face :  Grangeret coutelier » et sur l’autre face est gravée la mention : « rue des Saints-Pères à Paris. »

Technique d’extraction d’une

Le pélican à branche unique réglable et à appui articulé amovible

Une vis sans fin, fixée au manche, autorise le déplacement longitudinal du support de crochet. Ce dispositif permet l’interchangeabilité des sept modèles de crochets disponibles dans ce coffret. Cependant, l’originalité de ce pélican se situe au niveau du support de l’appui qui est amovible et dont la fixité est assurée par un système à cliquet.

Trois supports sont disponibles :

  • un support sur lequel est fixé un élévateur,
  • un support avec appui en corne concave,
  • un support avec appui convexe articulé.

Ce dernier porte la mention : « Dubois perfecit » ce qui signifie que Dubois est l’auteur des perfectionnements apportés au pélican d’Heister introduit en 1719.

Quelles étaient les fonctions de ce dénommé Dubois ?

Jean Joseph Dubois (1748-1830) (3)

Né le 19 février 1748 à Toulon, il fut élève en chirurgie à l’hôpital de Toulon et à l’hôpital de la Charité à Paris (aujourd’hui nouvelle faculté de médecine).

Reçu membre du collège royal de chirurgie de Paris, le 22 juillet 1771, il exerça l’état de chirurgien-dentiste depuis cette époque. Il fut nommé par Louis XVI « son opérateur pour les dents » par brevet décerné à Versailles, le 4 mai 1783. Une proposition de nomination au titre de chirurgien-dentiste de l’Empereur sans traitement fut effectuée en pluviôse de l’an XIII (janvier 1805) (4).

Etat des titres et services de Jean-Joseph Dubois du 3 mars 1819.

Son premier état de traitement n’apparaît qu’en 1808. Il se montait à 600 F par an : sommes modiques par rapport au traitement du Dr Corvisart le premier médecin de l’Empereur qui s’élevait à 30 000 F !

Le règlement pour le service de santé de la maison de leurs Majestés impériales et royales, établi en 1811 (5), précise au titre 8e les fonctions du chirurgien-dentiste Dubois-Foucou :

« Art.1er – le chirurgien-dentiste est tenu de se présenter à la cour lorsqu’il est appelé immédiatement ou par le premier médecin ou le premier chirurgien.

« Art. 2 – Il est également tenu de se présenter à l’infirmerie impériale lorsqu’il en est requis par le premier médecin ou d’après la demande du premier chirurgien ou du médecin ou du chirurgien de quartier pour y faire quelque opération de son ministère dans les cas urgents il s’y rendra sur leur invitation immédiate ».

Il a soutenu, par ailleurs, en 1775 une thèse qui résultait de ses recherches sur la fabrication des dents en porcelaine dites « incorruptibles » ce qui l’opposa violemment aux travaux de Dubois de Chemant.

Une lettre de Dubois-Foucou (6), du 14 janvier 1815, adressée au Comte de Blacas, Ministre de la maison du Roi, atteste qu’il avait commandé au coutelier Grangeret, quelque temps avant l’arrivée de Louis XVIII, « une boite d’instruments pour soigner la bouche » destinée au Roi.

Il termine ainsi son attestation :

 » Tout a été exécuté conformément aux modèles que je lui avais donnés et avec beaucoup de soins « .

Délivré à Paris, le 14 janvier 1815. Signé : Dubois-Foucou chirurgien-dentiste du Roi.

Cette commande d’instruments, effectuée par Dubois-Foucou à Grangeret avant l’arrivée de Louis XVIII, atteste qu’il avait la responsabilité de la composition des coffrets d’instruments dentaires destinés à la maison de l’Empereur.

Le coffret de l’Empereur et le testament de Napoléon 1er

Norvin, dans son histoire de Napoléon, reproduit le testament de l’Empereur (7).

L’état b est ainsi libellé : « je donne à mon fils : le Nécessaire d’or pour les dents, resté chez le dentiste ».

Le libellé laconique de ce document nous amène à nous interroger sur la composition de ce « Nécessaire à dents » et sur son origine.

Comme le coffret de l’Empereur ne comprend pas d’instruments à détartrer, on peut supposer qu’un second Nécessaire à dents, destiné aux soins d’hygiène, était à la disposition de l’Empereur.

Cette hypothèse va dans le sens de la grande rigueur que Napoléon manifestait pour maintenir sa bouche en bon état, – comme le rapporte Frédéric Masson, l’historiographe le plus autorisé de l’Empereur (8).

« Sa figure et ses mains lavées, il curait soigneusement ses dents avec un cure-dents en buis, puis les brossait longuement avec une brosse trempée dans de l’opiat, revenait avec du corail fin et se rinçait la bouche avec un mélange d’eau de vie et d’eau fraîche. Il se raclait enfin la langue avec un racloir d’argent de vermeil ou d’écaille. C’était à ces précautions qu’il attribuait la parfaite conservation de ses dents qu’il avait fortes, belles et bien rangées jamais, durant son règne, il ne semble avoir eu recours, que pour des nettoyages, à Dubois son chirurgien-dentiste ».

Afin de vérifier les allégations de cet auteur nous avons compulsé les pièces de la « maison de l’Empereur ». Dans un premier temps, nous avons recherché les mémoires des deux parfumeurs officiels de Napoléon se rapportant aux produits nécessaires au maintien d’une bonne hygiène dentaire.

En ce qui concerne l’usage des cure-dents, un mémoire de son parfumeur Gervais-Chardin, en date du 25 octobre 1808 (9) atteste que vingt-quatre douzaines de cure-dents fin en buis lui avait été fournis.

Le mémoire de Gervais-Chardin du 25 octobre 1808

Les nombreux Nécessaires de toilette comprenaient le plus souvent un cure-dents en or, comme l’atteste le mémoire de l’orfèvre Biennais du 17 décembre 1813, où un cure-dents à lancette d’or et un cure-oreilles ont été fournis pour le Nécessaire n° 5 à raison de 12 francs (10).

Quant à l’opiat, un mémoire du Parfumeur Teissier révèle (11) qu’il avait passé commande de trois boites d’opiat en bois d’ébène pour la somme de 18 francs et de vingt-huit pots d’opiat à la rose, chiffrés 56 francs.

Le mémoire de J. Teissier du 20 mars 1815

Sur les mémoires de Gervais-Chardin, déjà cités, on peut noter la fourniture de vingt-quatre boîtes d’opiat superfin : à raison de 168 francs d’une part, et de six autres boîtes pour 36 francs, d’autre part.

Son usage de la poudre de corail est aussi confirmé par le mémoire de Gervais-Chardin du 25 octobre 1808 déjà cité avec la fourniture de six « boites de poudre de corail fin pour les dents » se montant à 36 francs.

Les mémoires de Biennais, l’orfèvre à l’enseigne du singe violet, révèlent la fourniture de nombreuses brosses à dents et de gratte-langue. Ainsi, son mémoire du 17 décembre déjà cité comprend la fourniture de

  • quatre brosses à dents en or ou en vermeil,

  • deux brosses pour brosses à dents,

  • quatre gratte-langue en vermeil,

  • réparé et redoré un gratte-langue,

pour le réappareillage de ces Nécessaires de toilette.

Dans un second temps, nous avons recherché des témoignages d’une instrumentation destinée aux soins dentaires conservateurs. La collection du musée Napoléon de Fontainebleau comprend plusieurs exemplaires des fameux « Nécessaires de toilettes » de Biennais. Le musée Carnavalet possède le Grand Nécessaire de voyage porté sur son testament et exécuté par le même orfèvre.

Tous ces coffrets, ainsi que la plupart de ses mémoires, se composent systématiquement de quelques rugines à détartrer. Mais, nos recherches se sont surtout orientées vers les « Cartons » du service de santé de la maison de l’Empereur dans l’espoir de découvrir des mémoires de Grangeret, réputé pour la confection de ses instruments de chirurgie.

Parmi ceux que nous avons mis à jour, nous avons eu la chance de découvrir deux mémoires de réparation « du Nécessaire à dents de sa Majesté ».

Mémoire de réparation du « Nécessaire à dents » de 1810 (12) certifie :

Le mémoire de Grangeret de 1810

Avoir vendu pour le service de sa Majesté l’Empereur et Roi

– fait deux instruments manquant au Nécessaire de sa Majesté… 36F
– fait six tiges à rugines en remplacement sur des manches montés en nacre garnis en or… 54 F
– fait un manche avec virole en or sur le miroir portatif du Nécessaire… 15 F

Signé Grangeret avec la mention  « approuvés les objets ci-dessus mentionnés ».

Signé Dubois-Foucou chirurgien-dentiste de leurs Majestés impériales et royales.

Les rugines et le miroir portatif mentionnés dans ce mémoire attestent que ce « Nécessaire a dents » de l’Empereur était destiné aux soins dentaires conservateurs.

Mémoire du 27 mars 1815 (13)


Le mémoire de Grangeret du 27 mars 1815

Vendu pour le service de sa Majesté l’Empereur, et d’après les ordres de Monsieur Gourrean et Monsieur Dubois, dentistes de sa Majesté :

réparation complète a neuf des instruments et du Nécessaire à dents de sa majesté… 94 F

« Certifié véritable » Signé : Grangeret avec la mention « reçu le tout en bon état » Signé Dubois-Foucou.

Le Nécessaire de ce mémoire dont nous ignorons la composition correspond, vu toute logique, à celui du mémoire de 1810, étant donné l’état exceptionnel du coffret d’instruments de chirurgie dentaire. Ce constat s’accorde avec les témoignages de Frédéric Masson et de ceux qui ont approché l’Empereur à Sainte Hélène. Ainsi. Mrs Betsy Halcombe (14) affirme que le Dr O’Meara a dû procéder à une avulsion de dents de sagesse lors de sa captivité.

Le lieutenant-colonel Gorrequer (15), secrétaire de Sir Hudson Lowe prétend que ce fut la première intervention chirurgicale jamais exécutée sur la personne de l’Empereur.

Napoléon 1er en costume de sacre
Musée Napoléon 1er
Chateau de Fontainebleau

 

Conclusion

Bien que nous n’ayons découvert aucun document dans les archives de la maison de l’Empereur se rapportant au coffret d’instruments de chirurgie dentaire de Napoléon, son origine impériale ne fait aucun doute. Elle est attestée par les armoiries de l’Empereur portées sur le coffret et confirmée par les marquages de Dubois-Foucou et de Grangeret.

La participation de Dubois-Foucou a la confection des coffrets de leurs Majestés met en évidence la polyvalence de ses activités et le degré de confiance témoigné par Napoléon a son chirurgien-dentiste.

Les mémoires de deux réparations successives de rugines a détartrer confirme le recours fréquent de Napoléon à Dubois-Foucou pour des séances de nettoyage.

L’apparente contradiction entre la très bonne hygiène dentaire de l’Empereur et l’absence d’instruments de nettoyage dans la composition du coffret de chirurgie dentaire s’explique par la découverte de l’existence d’un second coffret consacré aux soins conservateurs et à l’usage exclusif de Napoléon.

Aucun indice ne permet jusqu’à ce jour de déterminer lequel des deux coffrets correspond au « Nécessaire d’or pour les dents » porté sur le Testament de Napoléon.

Bibliographie

1) Art et Curiosités , mai-juin 1979
2) Etat des titres et services- C.A.R.A.N., O3-348
3) C.A.R.A.N.,O2-150
4) C.A.R.A.N., O2-816
5) C.A.R.A.N., O2-349
6) NORVIN Histoire de Napoléon , p 518
7) MASSON Frédéric; Napoléon chez lui, ch.III
8) C.A.R.A.N., O2-34
9) C.A.R.A.N., O2-236
10) C.A.R.A.N., O2-233
11) C.A.R.A.N., O2-816
12) C.A.R.A.N., O2-815
13) BALCOMBE Betsy: Napoléon à St Hélène, Paris Plon 1898 p 22-23
14) Revues des curiosités révolutionnaires 1911, 28 cf: chroniques médicales 1.01.1912