La dernière décennie du XIXe siècle est certainement celle où apparaissent les plus grands bouleversements technologiques qui modifient considérablement les conditions de travail du praticien. C’est d’abord l’implantation en milieu urbain des premières centrales génératrices d’air comprimé qui précèdent en France a construction des centrales thermo et hydro-électriques.

Quelques années plus tard, les premières centrales électriques et leur réseau de distribution urbain sont à leur tour progressivement installés. C’est en décembre 1895 que Wilhelm Roentgen annonce au monde la découverte d’un nouveau rayonnement qui va bouleverser les modalités du diagnostic médico-dentaire.

Les années 1890 sont aussi marquées par l’ascension commerciale de la jeune société Ritter au point qu’elle va devenir la principale concurrente de la célèbre firme de S.S. White. Cette évolution qui se manifeste dans la plupart des équipements de cette période seront développés dans le cadre de la présentation de cabinets dentaires allemands, américains, français et turcs.

Le cabinet du Dr H.A. King de New-York en 1898

La description du cabinet de ce dentiste et du docteur Rhein sont présentés, comme ceux des docteurs Allan et Finney, d’après les articles publiés par le docteur Ottolengui intitulés « Office and Laboratory »


La salle d’opération

Le laboratoire

Le salon d’attente du Dr King

 

La décoration victorienne très chargée du salon d’attente du docteur King est plutôt surprenante ! Cette hypertrophie décorative se retrouve, dans une certaine mesure, dans le cabinet du praticien. La plupart des composants de l’installation, fauteuils de Wilkerson, crachoirs fontaine, tablettes murales, meuble d’Archer ont déjà été décrits dans les chapitres précédents. Les éléments spécifiques du cabinet du docteur King se matérialisent dans la situation des deux fauteuils placés côte à côte, séparés par un simple rideau ; dans l’éclairage buccal composé d’une lampe à incandescence fixée sur l’ancien bras du bec de gaz; dans les deux tours à fraiser à pédale. Un examen minutieux du cliché photographique nous permet d’affirmer qu’il s’agit du tour de Parsons Shaw.

Le cabinet du Dr M.-L. Rhein en 1897

Le Hall d’entrée

Portrait du Dr Rhein

La salle d’opération


Les laboratoires

 

Praticien éminent de la ville de New York, le docteur M.-L. Rhein reçoit le diplôme de docteur en médecine en 1880 et celui de D.D.S. de l’université de Pennsylvanie en 1881. Il se rend ensuite en Europe pour se perfectionner à la faculté de Vienne. La profession le reconnaît comme un brillant spécialiste de la périodontie. Il s’attache aussi à développer la dentisterie préventive et a promouvoir la création des  » dental hygienists « . Sa grande notoriété le conduit à installer un cabinet de grand standing doté d’un équipement fonctionnel.

En examinant la photo de son cabinet on est frappé par l’importance de la lumière ambiante. Aux trois fenêtres succède un dôme vitré qui surplombe le fauteuil opératoire.

Le fauteuil opératoire

On remarque à première vue que le socle circulaire de ce modèle remplace le traditionnel piétement composé de quatre pieds à griffe du fauteuil de Wilkerson déjà décrit. Il s’agit du nouveau modèle dit  » High-Low  » commercialisé par S.S White à partir de 1889. Afin de remédier au faible débattement vertical des fauteuils munis de mécanisme de levage situé sous le siège, le docteur Wilkerson présente un nouveau modèle muni d’un dispositif piston-cylindre beaucoup plus long mais qui nécessite l’insertion de la partie basse sous le plancher. Cette servitude ne pose pas de problème au docteur Rhein étant donné que son cabinet est situé au dessus d’un sous-sol.

Le fauteuil high-low (position basse)

Le fauteuil high-low (position haute

 

Le tableau de la figure permet de comparer le débattement vertical et les positions extrêmes du siège obtenues par les trois bases conventionnelles et celle du modèle « High-low ». Le crachoir fontaine est fixé à un bras attenant au fauteuil. Sur la tablette murale d’Holmes on remarque la présence d’un petit bras articulé muni d’une lampe incandescente avec réflecteur pour l’éclairage buccal.

Diagramme des débattements des différents modèles du fauteuil de Wilkerson

 

Les autres modèles de fauteuil

Le fauteuil à pédale à levier de S.S. White et de Wilkerson

 

Le Dr Wilkerson a aussi contribué à la réalisation de ce modèle.

La crémaillère des modèles précédents est ici remplacée par un système à crampons qui enserrent le piston lorsque le pied de l’opérateur sollicite la pédale. Ce modèle, commercialisé en 1879, n’a pas remporté le même succès que le précédent, comme l’atteste son absence dans tous les cabinets présentés dans la série « Office and Laboratory » du Dr Ottolengui.

Le fauteuil d’Ash n° XXVIII

Reconstitution de cabinet avec un fauteuil d’Ash n° XXVIII (1888)

 

Ce modèle à deux pédale, entièrement mécanique, est encore commercialisé en 1888 à cause de son prix moins élevé que les fauteuils à système de levage hydrostatique.

L’appareillage électrique

Au niveau du placard situé sous le rebord de la fenêtre centrale on découvre un tableau électrique qui est connecté à une batterie installée au sous-sol. Elle alimente en courant à basse tension le maillet électromagnétique, la lampe buccale, le miroir frontal et le thermocautère. Sur le rebord de la paroi vitrée entre le porte disque et le meuble d’Archer on remarque la présence d’un double rhéostat à lampe qui transforme le courant urbain de 110 volts en 6 et 12 volts. À gauche de l’illustration apparaît le nouveau moteur n° 2 de S.S. White avec un bras Doriot conçu pour le courant électrique urbain de 110 volts 10. Un voltmètre de Wheeler et un ampèremètre sont posés sur la petite table située au voisinage du fauteuil. Cet appareillage est utilisé pour obtenir l’anesthésie dentaire électrique par  » cataphorèse  »

L’utilisation de l’air comprimé par le docteur Rhein

Le cabinet de ce praticien est doté d’un générateur d’air comprimé à pompe hydraulique et régulation automatique de la pression. Comme l’appareil est situé au sous-sol les connections aboutissent au voisinage du meuble de rangement.

Générateur d’air comprimé hydraulique

 

En tant que spécialiste en périodontie, le docteur Rhein utilise l’air comprimé non seulement pour alimenter le  » chip blower  » mais aussi pour le traitement des poches parodontales, le contrôle du saignement, l’évacuation des débris et l’alimentation des sprays médicamenteux. Pour le séchage des cavités, il a confectionné une seringue rudimentaire ou l’air insufflé est chauffé par une pointe de cautère.

 

Historique de l’air comprimé

La France peut s’enorgueillir d’avoir expérimenté le premier réseau urbain d’air comprimé destiné aux particuliers. La compagnie POPP à qui l’on doit cette implantation s’était déjà rendue célèbre avec ses pendules fonctionnant à l’air comprimé. Elle voulut ensuite étendre son activité en distribuant des petits moteurs à air comprimé d’installation facile et d’un prix peu élevé. jusqu’alors l’insufflation d’air était obtenue au moyen d’une poire en caoutchouc. Au congrès de Berlin de 1890, Telschow présente une installation d’air comprimé qu’utilise déjà la plupart des brasseries pour le soutirage de la bière.

Berlin ne possédant pas encore de station centrale, Telschow utilise la pression d’eau pour obtenir cette énergie. La reproduction de cet appareillage est rapporté dans le compte rendu de la séance de la société d’odontologie du 12 janvier 1897. Quelques mois plus tard, la même année, il adopte un nouveau générateur d’air à pompe hydraulique beaucoup plus compact avec un plus grand débit. Le réservoir d’air est par surcroît plus réduit en volume compte tenu du remplissage plus rapide de la cuve et de son automatisme de fonctionnement (photo 6). Les catalogues Justi et Lee S. Smith and sons de 1901 présentent un compresseur d’air hydraulique analogue.

Celui utilisé par le docteur Rhein doit vraisemblablement correspondre à ces modèles. C’est pourtant le docteur Michaels de Paris qui se sert pour la première fois d’air comprimé urbain en art dentaire 10. Le rapport de la Société odontologique du 4 décembre 1888 nous révèle que Michaels a eu l’idée d’utiliser l’air comprimé distribué à Paris par la Société POPP. Après avoir fait effectué le raccordement du réseau jusqu’à son cabinet, un compteur à air comprimé est installé pour fournir l’énergie motrice à un moteur à air de 6 kilogrammètres vendu par la compagnie concessionnaire.

Placé sur le balcon, l’arbre de transmission du moteur à air fournit l’énergie motrice: à une dynamo électrique qui va fournir le courant à une lampe à incandescence, au fil d’un injecteur à air chaud et d’un thermocautère; à un tour dentaire mural. Trois autres connections d’air comprimé sont utilisées: pour refroidir le Godiva lors de la prise d’empreinte; pour alimenter une pompe à salive qui fonctionne d’après le principe d’aspiration produit par le système de Giffard; pour pulvériser l’éther dans l’appareil de Richardson.

Développement du tour à fraiser à pédale pendant la décennie 1890Trois modèles perfectionnés sont proposés aux dentistes.

Le tour à roulement à bille et à bras flexible dit à câble de S.S. White.L’ancienne fourche en appui sur l’axe du volant est remplacée par une potence unique, déjà proposée par Bonwill en 1882. La mise en place de la corde se trouve ainsi facilitée. La substitution du palier lisse par un roulement à bille améliore la force motrice.

Le tour de Parsons Shaw Ce modèle commercialisé à partir de 1881 est composé de deux bras jouant le rôle d’arbre de transmission du tour. Ils sont articulés par un ressort à spirales gainé. Ce dispositif relie aussi le second bras à la pièce à main. La présence de deux arbres de transmission réduit la longueur du ressort a spirales du modèle précédent et diminue par surcroît l’importance de la friction du ressort dans sa gaine. La puissance de ce tour se trouve de la sorte augmentée.


Le tour de Constant Doriot Ce modèle commercialisé en 1893 reprend en l’améliorant le concept de transmission par corde et poulies de Bonwill. Un dispositif original permet à la corde de rester en contact avec les 516 de la circonférence du volant. Cet agencement associé à celui de la transmission par corde et poulies fournit une force motrice inégalée.

Conclusion

De la description de ces deux cabinets dentaires américains, on peut déduire, que les docteurs King et Rhein s’opposent par des personnalités très différentes. Le docteur Ottolengui qui décrit le cabinet du docteur Rhein ne manque pas de le présenter comme un confrère éminent alors que le docteur King ne relève pas de la même notoriété. Le conservatisme de ce dernier contraste avec la mise en pratique des thérapeutiques les plus récentes et la constitution d’un poste de travail fonctionnel. Sans parler de l’évidente supériorité du fauteuil opératoire et de la force motrice du moteur électrique, ses solutions pour assurer de bons éclairages ambiant et buccal s’avèrent plus fonctionnelles.

Bien que ces deux praticiens aient recours aux nouvelles lampes à incandescence d’Edison, celle du docteur Rhein bénéficie d’un réflecteur et d’un support beaucoup plus maniable. Malgré l’utilisation judicieuse de l’air comprimé par le docteur Rhein, il faut néanmoins mentionner que la technologie française est très performante dans ce domaine. Le docteur Brasseur, directeur de l’École dentaire de France présente le premier injecteur électrique à air comprimé au congrès de Washington de 1887. Alors que les centrales génératrices d’air comprimé sont implantées dès 1885 dans les principales ville de France, les docteurs Poval et Freeman signalent dans des articles publiés en 1900 et 1906 que les dentistes américains ne disposent que de générateurs d’air comprime a pompes a main ou hydrauliques. Nulle mention n’est faite par eux de l’existence de réseau urbain de distribution d’air comprimé.

Bibliographie et notes

1 Items of interest, vol. XX, 1898, p. 663 à 666.
2 Docteur Meyer L Rhein’s obituary, Dental Cosmos, sept. 1828, vol. LXX n° 9 p. 943. Items of interest 1897, vol. XIX, p 517 à 522.
3 Ce tour électrique sera décrit dans les articles consacrés à l’historique du tour électrique dentaire avec la description de deux cabinets anglais, et de deux cabinets américains dans les n’3 et 4 des 1er mars et 1er avril 1997 de la revue  » Clinic  » publiée par les éditions CdP.
4 Catophorese par Henry Gillett, Dental Cosmos, July 1899, vol. XLI, p. 634-636.
5 Présentation de l’installation à air comprimé du docteur Michaels: – à la Société odontologique le 4-12-1888: Progrès Dentaire, fèv. 1889, p. 54 ; – à la Société d’odontologie le 8-1-1889: l’Odontologie, jan. 1889, p. 11 – 16.
6 Compressed air in dentistry par W.H. Poval, Dental Cosmos, fev. 1900, vol XVII n’2, p. 164-167.
7 The use of compressed air in operative dentistry par S. Freeman, Dental Cosmos, may 1906, vol XLVIII n’S, p. 588-590.