Dans le cadre de la célébration du centenaire du diplôme de chirurgien-dentiste, la plus importante exposition rétrospective sur l’art dentaire s’est tenue au Couvent des Cordeliers, du 25 novembre 1992 au 19 janvier 1993.

Cette présentation constituait un événement sans précédent, tant par le nombre d’objets présentés que par la qualité des pièces, en majorité inédites.

Un des temps forts de cette exposition se rapportait à l’ensemble d’instruments ayant fait partie du coffret d’instruments dentaires offert par Napoléon à l’Impératrice Marie-Louise.

La vente londonienne de Sotheby’s du 5 mai 1989
Catalogue de la vente chez Sotheby’s

 

Lors de cette vacation, Sotheby’s mettait aux enchères un important ensemble d’instruments dentaires se référant au numéro 89 du catalogue.

Catalogue de la vente chez Sotheby’s n° 89

 

Une photographie en couleur d’une demi page illustrait la légende suivante :  » a fine set of Savigny dental instruments, english, mid 19th century « , suivie d’une courte description.

Ce lot qui suscita une belle bataille d’enchères, fut finalement adjugé au profit d’un collectionneur parisien. Cet ensemble comprend deux groupes d’instruments de factures différentes :

  • un groupe de treize instruments qui est composé de rugines à détartrer, de fouloirs, de brunissoires et d’un porte-lime.
  • Les Instruments du plateau supérieur

     

     

  • Les manches sont en nacre et incrustés d’un écusson gravé des initiales « ML » surmontées d’une couronne.
    Le porte-lime au chiffre « ML » couronné de l’Impératrice Marie-Louise

     

    Les viroles et les embouts sont en or ciselé.

  • un groupe de deux instruments d’extraction qui comprend :
La clé de Fox et le pélican de Knaur de l’étage inférieur du coffret
  • un pélican de type  » tiretoir  » apparenté à celui qui figure dans le catalogue de Knaur de 1796. Le crochet est réglable et relié à une vis sans fin et à un bouton de préhension en nacre. Il porte un écusson gravé comme les précédents dont la fixation est assurée par un tenon rétentif au sein de la nacre.
  • une clef dentaire munie de deux tiges amovibles. La première est apparentée à la clef reproduite dans l’ouvrage de Fox de 1806 et porte la marque de Savigny. La seconde correspond au modèle illustré dans l’ouvrage de Benjamin Bell de 1786 avec crochet orientable. Le manche est en nacre avec embouts en or ciselé. Un pertuis révèle l’emplacement du tenon de l’écusson manquant.
La dernière exposition du coffret et l’article du Dr Breuer de 1911
Annales du Congrès de Vienne (1911) Page de couverture.

 

En 1967, le F.E.R. de Maar, conservateur à l’époque du musée dentaire d’Utrecht, publiait dans la Revue française d’odonto-stomatologie, un article consacré au coffret de la collection Klein qui avait appartenu à l’archiduchesse d’Autriche Marie-Louise, et que le musée exposait.

Annales du Congrès de Vienne (1911) Article du Dr Breuer.

 

Il décrit par ailleurs le premier coffret de Grangeret que Napoléon aurait offert à l’Impératrice Marie-Louise entre 1810 et 1816 mais dont on avait perdu la trace depuis 1913.

C’est Proskauer qui signala le premier l’existence d’un article du Dr Breuer, publié en 1911 à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de la fondation de l’Association des dentistes autrichiens, décrivant le coffret de Grangeret de l’Impératrice.

Trois photographies d’excellente qualité parachèvent la description.

coffret

plateau supérieur

plateau inférieur

Le coffret de Grangeret de l’Impératrice Marie-Louise reproduit dans l’article du Dr. Breuer (1911)

Cette publication est capitale car elle nous apporte la preuve que l’ensemble d’instruments dispersés par Sotheby’s en 1989 correspond en fait à la majeure partie des instruments du premier coffret de l’Impératrice Marie-Louise.

Cet article nous permet de résoudre aussi l’énigme des deux marquages ; l’un de Grangeret attesté par la gravure de la serrure du coffret, et l’autre de Savigny signé sur la tige de la clef dentaire de Fox.

La participation de deux couteliers pour la réalisation d’un même travail n’est pas exceptionnelle pour les personnages haut placés. Cette double signature est matérialisée par la différence de facture d’exécution entre les instruments des plateaux supérieurs et inférieurs.

Malencontreusement le lot 89 de la vente de Sotheby’s ne comprenait pas le coffret relatif aux instruments dispersés ; le tube en or du plateau supérieur qui renfermait un porte-crayon de nitrate d’argent, les deux flacons en cristal, les deux boîtes en or aux armes de l’Impératrice et le plateau intermédiaire contenant bistouris, brosses à dents, paires de ciseaux et sonde de Ricci, étaient aussi manquants.

Dans les années 1960, le Dr F.E.R. Maar se mit en quête de rechercher le coffret de Grangeret. Il tenta à maintes reprises de se mettre en rapport avec le Dr Mathé, dentiste à Vienne et marié à l’une des descendantes de l’Impératrice et du comte de Neipperg, mais sans succès.

Les mésaventures d’un dentiste brésilien de Sao Paulo

En 1968, le Pr Bobbio de Sao Paulo était interrompu dans son travail par un appel téléphonique d’un confrère :  » Cher ami, j’ai dans mon cabinet un antiquaire qui me propose un bel ensemble d’instruments dentaires acquis au Canada. J’ai pensé que cela pouvait intéresser le collectionneur averti que vous êtes « .

Intrigué par ces propos, ce confrère brésilien se rendit aussitôt au domicile de son ami. Au premier regard il constata avec stupeur qu’il s’agissait des instruments du coffret de l’Impératrice Marie-Louise, réalisés par Grangeret dont il avait récemment pris connaissance dans l’article du Dr Maar.

Afin de dissimuler son émotion et l’intérêt qu’il attachait à cette trouvaille, il modéra son enthousiasme prétextant le prix élevé demandé et l’absence du coffret. Son émotion était d’autant plus intense que le marchand semblait ignorer l’origine impériale de cet ensemble.

Pour arracher l’affaire, il lui proposa de lui confier les pièces pendant quarante huit heures et de fixer un nouveau rendez-vous chez son ami.


Photographies du Dr Bobbio

 

Cette proposition était pertinente pour les deux parties, car elle permit à l’intéressé de photographier les instruments et d’établir avec certitude l’intime parenté avec ceux du coffret décrits et photographiés par le Dr Breuer.

Contre toute attente, l’antiquaire ne se rendit pas au rendez-vous ; le confrère fut néanmoins obligé de déposer la collection comme convenu avec un message précisant qu’il acceptait ses propositions et le priait de le recontacter dès son retour.

Sans nouvelle de cette affaire, le collectionneur rappela son confrère qui lui révéla que la marchand était bien passé à son cabinet pour récupérer les instruments, mais qu’il avait dû partir précipitamment en précisant toutefois qu’il repasserait dans quelques jours.

L’attente fut vaine. Après plusieurs mois de recherches infructueuses, il perdit tout espoir de retrouver l’antiquaire et d’acquérir les prestigieux instruments.

Ce n’est qu’à la fin de l’année 1989 qu’il eut connaissance de la vente du lot d’instruments dentaires dit de Savigny de chez Sotheby’s et qu’il réalisa sans amertume que l’ensemble dispersé à Londres correspondait dans les moindres détails à celui qu’on lui avait proposé à Sao Paulo … vingt ans plus tôt !

A la recherche du coffret manquant

Le dernier témoignage concernant le coffret de Grangeret de l’Impératrice Marie-Louise date de 1913. Le prince Alfred Montenuevo autorisa Proskauer à photographier le coffret à Breslau, comme il le fit avec le Dr Breuer à Vienne en 1911 ; que s’est-il passé entre 1913 à Breslau et 1968 à Sao Paulo ?

Pour répondre à cette question, nous avons cherché à rencontrer la princesse Julia Mathe-Montenuevo, petite-fille d’Alfred Montenuevo, lui-même petit-fils de l’Archiduchesse Marie-Louise et du Comte de Neipperg. Pour cette mission, nous avons bénéficié des recherches du Dr de Maar qui nous a très aimablement confié ses archives et d’un heureux concours de circonstances qui aboutirent à l’entrevue que nous accorda la princesse Julia à son domicile de Vienne en février 1990.

Il résulte de cet entretien que la princesse Julia et son mari le Dr Mathé, aujourd’hui décédé, ainsi que ses deux soeurs n’avaient jamais eu connaissance de l’existence de ce coffret.

Néanmoins, à la suite de notre intervention elle fit des recherches dans ses archives qui aboutirent à l’importante découverte d’un inventaire des objets d’arts de la famille, effectué par sa grand-mère, l’épouse d’Alfred Montenuevo.

Notre émotion fut vive lorsqu’elle nous montra le libellé décrivant sommairement un coffret d’instruments dentaires de Grangeret dont la description correspondait à celle du coffret photographique et décrit par le Dr Breuer.

Elle nous révéla aussi qu’au début de la deuxième guerre mondiale, sa famille avait cru mettre en sécurité leurs objets d’art dans les locaux de l’ambassade de Suède à Vienne, pays resté neutre dans ce conflit. Malheureusement à l’arrivée des Russes à Vienne en 1945, cette ambassade fut aussi pillée.

La princesse suppose comme ses cousines Schwarzenberg et Dobrzensky, que le coffret a très vraisemblablement été volé à cette époque par un soldat russe et revendu à un Américain ignorant la signification des marquages du coffret.

Ce qui expliquerait dans une certaine mesure la même lacune chez l’antiquaire de Sao Paulo et le vendeur de la vacation de 1989. Ces derniers ne détenaient par ailleurs ni la boîte en or aux armes de Marie-Louise, ni le coffret gravé du libellé :  » Grangeret, coutelier de S.M. l’Empereur « , seuls éléments d’identification de l’origine impériale de ces instruments en dehors de l’article du Dr Breuer de 1911.

Conclusion

Après une disparition de plus de trois-quarts de siècle, la réapparition fortuite lors de la vente londonienne d’une partie importante des instruments du coffret de l’Impératrice Marie-Louise, constitue un événement inespéré.

De tous les coffrets de Grangeret que nous avons décrits, ce sont les instruments du coffret de l’Impératrice que nous considérons comme les plus remarquables. Le caractère féminin de la nacre et le raffinement de sa gravure contribuent sans aucun doute au charme qui émane de ces objets.

L’absence d’usure des tranchants des instruments révèle une utilisation limitée qui s’accorde avec la tradition historique relative au bon état dentaire de l’Impératrice Marie-Louise.

Au cours de nos recherches sur Grangeret, dans les archives de la  » Maison de l’Empereur « , nous n’avons jamais trouvé de mémoires de Dubois-Foucou concernant les soins dentaires donnés à Marie-Louise.

Si nos démarches engendrées par cette rocambolesque histoire nous ont permis de donner une réponse positive à l’énigme de l’origine de l’ensemble d’instruments dispersés par Sotheby’s en 1989, les réponses proposées pour résoudre le mystère de la disparition du coffret et le partage de son contenu demeurent encore conjoncturelles.

 

 

Avis de recherche

Cette présentation d’instruments dentaires ayant appartenu à l’Impératrice Marie-Louise ne constitue qu’une partie du contenu du coffret offert par Napoléon à sa seconde épouse.

Il manque :

  • le coffret ainsi que les deux boîtes en or aux armes de l’Impératrice et les deux flacons en cristal.
  • le fourreau en or du plateau supérieur.
  • le plateau inférieur comprenant : deux paires de ciseaux, deux bistouris avec leur écusson gravé du chiffre ML, deux sondes et deux porte-sondes.

Toute personne ayant connaissance de l’existence de ces pièces est priée d’en aviser le

Docteur Claude ROUSSEAU, Chirurgien-Dentiste,
Tel. et Fax : 01.39.18.05.99
E-mail : Claude.ROUSSEAU7@wanadoo.fr