par le Prof. Josep M. Ustrell
Faculté d’Odontologie
Université de Barcelone

Nous allons voir l’odontologie qui se pratiquait au dix-huitième siècle dans le sud de l’Europe et l’influence de pays comme la France et l’Italie dans notre pays. Cette influence a des antécédents remontant au Moyen-âge.

Durant l’autorité comtale, les moines et particulièrement les Bénédictins ont garanti la continuité de la médecine et ont rendu possible l’assistence des malades, dans le cadre d’un compromis entre aspects religieux, par le fait de ne pas voir en la maladie un châtiment, et en la guérison un miracle. (L’image en bas à droite est celle du recteur de Bernac, village proche d’Albi (Toulouse) qui offre les reliques de Sainte Apolonie pour prévenir les problèmes dentaires des enfants.)

Pendant cette période du Moyen-âge,certaines universités se distinguent comme celle de Montpellier et de Bologne, par leur progrés en anatomie et en chirurgie.

On considère encore que l’affection dentaire la plus fréquente: la carie est causée par les vers, et la plus fréquente complication immédiate: la douleur est traitée par la mandragore officinale, entre autres produits naturels.

 

De la fin du douzième siècle jusqu’au quatorzième siècle, on rencontre les auteurs les plus remarqués de cette période.

Les premiers chirurgiens prestigieux sont Roger de Salerne, au douzième siècle, Roland de Parme au treizième siècle et Théodore de Serbie au quatorzième siècle.

Dans leur oeuvre ils se montrent partisan de l’avulsion dentaire seulement en dernier recours, et conseillent la fumigation et la cautérisation. Ils parlent aussi des fractures et luxations mandibulaires.

A la fin du douzième siècle Roger de Salerne a été un chirurgien des plus notoires. Il a appartenu à l’Ecole de Salerne et son oeuvre « Pratiques de Chirurgie », s’inspire clairement d’une influence arabe et juïve.

Comme dans l’oeuvre de Roland de Parme qui vécut au début du treizième siècle.

L’oeuvre de Théodore de Serbie qui vécut au quatorzième siècle ne montre pas une si grande influence arabe et traite surtout de fractures et de dislocations de la mandibule.

La France contribue également par les écrits de trois membres du corps médical appartenant à l’université de Montpellier. Un médecin et deux chirurgiens.

Le médecin anglais Bernard Gordon écrit le traité « Lilium Medicinae » qui fut très publié. En odontologie, il décrit les causes internes ou externes.

Dans les causes externes il cite entre autres la mauvaise hygiène buccale, et dans les causes internes, les humeurs descendant du cerveau jusqu’aux dents. Il informe de l’usage sans discrimination des opiacés et conseille de soulager la dent avant l’avulsion.

Durant le quatorzième siècle Henri de Mondeville écrit « Chirurgie » et dans le premier livre décrit la langue et les dents.

Mais Gui de Chauliac est le chirurgien le plus célèbre de l’époque. Il publie son oeuvre « Chirurgie Vel Inventarium » pour la première fois à Avignon en 1363 qui fut pendant trois siècles le « livre de textes » des chirurgiens . Il fut édité jusqu’au dix-septième siècle.

 

L’inventaire ou recueil de chirurgie est divisé en sept livres. Dans le quatrième, il décrit les aphtes, dans le cinquième il explique les symptômes des fractures de la mandibule et le sixième est consacré aux maladies qui ne sont pas des ulcères, comme celles qui affectent la langue et les dents.

En Catalogne se distinguent Arnaud de Villeneuve, Simon Virgili et Micer Johan.

Arnaud de Villeneuve est un galéniste qui doit sa réputation à ses oeuvres scientifiques et médicales, éditées jusqu’à la fin du seizième siècle. Ces oeuvres se basent comme toute la médecine médiévale, sur les théories des symboles, les humeurs, les propriétés et les éléments universels où se reflètent en plus les inquiétudes théologiques.

 

Il a étudié à Barcelone, Montpellier et Salerne et a exercé à Barcelone, en Sicile et à Avignon.

Dans le « Breviarium Practicae », il explique que la douleur dentaire provient parfois du vice du cerveau à cause des humeurs froides qui descendent de la tête jusqu’au nerfs dentaires et produisent une douleur sourde avec une lourdeur de la tête, inflammation et pâleur du visage. Quand elles sont chaudes, la douleur est aigüe et pulsatile, avec une rougeur du visage.

Arnaud de Villeneuve s’est aussi préoccupé de l’esthétique féminine. Dans « De Ornatu Mulierum » et « De decoratione », on trouve des prescriptions pour blanchir les dents, renforcer les gencives et les colorer.

Dans le « Regimen Sanitaris ad Regem Aragonum », il conseille pour conserver les dents de les laver deux fois par mois avec du vin dans lequel aurait bouilli une racine de thym.

En résumé l’oeuvre d’Arnaud de Villeneuve traite des problèmes hygiéniques et dentaires en se basant sur l’oeuvre hippocratique.

Au niveau de la reconnaissance sociale de la profession odontologique, le quatorzième siècle fut très pauvre. La profession est ambulante et les études ne sont pas nécessaires. Par ailleurs à cette époque confluent chirurgien, barbier et dentiste, bien que ce dernier ait une considération particulière.

Sous le règne de la couronne d’Aragon du roi Pierre III le Cérémonieux (1319-1387), apparait la spécialité de « mestre caxaler » dans la chirurgie.

Ses activités professionnelles consistent en nettoyer les dents, traiter la douleur et faire des extractions. Elles peuvent aussi se partager entre la saignée et l’application de lavements, bien que selon le diplôme, elles semblent être des activités exclusives.

A la mort de Martin l’Humain, sous les coutumes et prérogatives de la dynastie des Trastamaras, les « caxalers » se sont vus privés du prestige qu’ils avaient et ainsi finit une singulière période de l’histoire de l’odontologie.

Au quinzième siècle ce sont les registres d’ordonnance comme le « Receptari de Micer Johan », certainement une copie du « Trésor des Pauvres », compilation initiée en 1466, selon ce qu’avait prêté le roi Alphonse V le Magnanime. (La photo en bas à gauche est une gargouille du « Palais de la Généralité » qui date du quinzième siècle.)

Durant la Renaissance, la science est favorisée par les grands changements qui permettent à la médecine de développer sa méthode scientifique.

La médecine espagnole ne s’adonne pas à ces changements ou seulement les classes dominantes. Les guérisseurs et les charlatans continuent à fasciner les classes les plus humbles de la société.

L’odontologie va aussi vivre des moments parallèles, mais avec certaines différences. L’oeuvre du bachelier Francisco Martinez est pionnière au niveau mondial et expose le niveau scientifique de la profession.

 

Son oeuvre « Colloque bref et abrégé » (1557) est écrite sous forme de dialogue et contient tout le savoir odontologique du moment. Il est le livre de référence pendant tout le siècle.

Au dix-septième siècle, l’odontologie est peu florissante, seulement quelques auteurs tels que Alonso Muñoz et Diego de Bustos apportent quelques progrés.

L’oeuvre de ce dernier, « Traité bref de phlebotomie », est écrite, comme celle de Martinez, sous forme de dialogue et contient aussi quelque enregistrement.

Le dix-huitième siècle constitue une époque que nous pouvons qualifier de renaissance de l’odontologie. Cette résurrection est la conséquence en partie, de l’avancée que la chirurgie dans notre pays avec l’incorporation de chirurgiens étrangers qui trouvent ici des conditions idéales pour leur travail.

 

La renaissance de l’odontologie est parallèle à celle de la chirurgie, et l’influence européenne est l’induction la plus importante après des décennies d’isolement scientifique. Cette influence ouvre un passage grâce à la présence de nombreux professionnels, essentiellement français au service des monarques bourbons.

Deux raisons peuvent expliquer ce phénomène : d’une part , durant la guerre de sucession les exercices de Philippe V, sont en grande partie français, d’autre part l’existence d’un marché du travail différent, notamment au service de la nouvelle organisation militaire des Bourbons.

Les premiers dont nous avons connaissance sont le gênois José Rotondo et le napolitain José Angel Fonzi, tous deux dentistes de la Maison Royale.

José Angel Fonzi est né Orsogne et mort à Barcelone, et a travaillé dans différents métiers jusqu’à ce que l’intervention d’un arracheur de dents l’encourage à se consacrer à l’odontologie.

 

Fonzi a réussi à améliorer la réalisation des dents de porcelaine en les dotant d’un tenon de platine individuel qu’il soudait aux bases, à la différence des dentures partielles ou totales de Dubois de Chêmant qui étaient d’une seule pièce. On lui doit aussi la première application odontologique du caoutchouc, pour recouvrir la face alvéolaire des bases métalliques dans le but de cacher les défauts.

On entend également parler de deux dentistes diplomes du Collège Royal de Chirurgie de Barcelone Michaele Filipo Adorno (1770) et Giovani Domenico Bonacorsi (1771).

Il y a aussi de nombreux dentistes français comme Pierre Gay, Richard le Preux, Blas Beaumont, Pierre Abadie et Thomas Clanet, tous dentistes de la Maison Royale.Quelques uns apportent une oeuvre écrite.

On peut également citer les suivants et leur origine : Jean-Baptiste Rouyer de Lorraine, Jean-Baptiste Gariot de Sainte-Machoul, Georges Simitier de Marseille et Guillaume Petit de Montpellier.

Un des plus remarqués est Jean-Baptiste Gariot qui exerce à Barcelone, Valence et Madrid. En plus du « Traité sur les maladies de la bouche », il invente un articulateur pour simuler la position des dents, précurseur de celui de Luis Subirana au dix-neuvième siècle.

 

Apparaissent aussi deux dentistes diplomés du Collège Royal de Chirurgie de Barcelone : Paul Maurice Darnès en 1775 et Benoît Descroix Niset en tant que dentiste-oculiste en 1777.

Pierre Fauchard, en France, fut l’âme de l’odontologie française du siècle et créa l’Ecole Dentaire.

 

Dans l’oeuvre de Fauchard « Le Chirurgien Dentiste » sont exposées d’une forme ample et systématique les possibilités de l’art dentaire, et après sa publication son influence s’étend dans divers pays et donne une impulsion nouvelle à l’odontologie. Cette influence se ressent chez ses contemporains.

Un de ses disciples, Etienne Bourdet, nous apporte la « clé de Garengeot ».

 

Quelques espagnols se virent également influencer par l’oeuvre de Fauchard. Leurs oeuvres sont un refflet de la sienne.

Francisco Antonio Pelaez (1736-1805) dans le traité des maladies de la bouche, traduit la partie médicale et Feliz Perez Arroyo (1755-1809) dans le ‘Traité des interventions se pratiquant au niveau de la dentition et la méthode pour la conserver en bon état‘, la partie chirurgicale.

Conclusions

  • Quatre chirurgiens (trois Italiens et un Français) ont écrit des oeuvres dont l’influence fut décisive pour la dentisterie du Moyen-âge.
  • L’université de Montpellier est celle qui connait la plus grande influence en Catalogne.
  • Durant la période de transition Francisco Martinez (seizième siècle) fut une source d’inspiration pour son homologue Diego Perez (dix-septième siècle) et pour le Français Richard le Preux (dix-huitième siècle). Tous utilisent le dialogue comme ressource littéraire.
  • L’Italien vient en Espagne pour être diplomé du Collège Royal de Chirurgie ou pour exercer la dentisterie à la Maison Royale espagnole.
  • Fonzi contribue au développement de la dent de porcelaine et à l’usage courant du caoutchouc.
  • Les Français viennent en Espagne pour les mêmes raisons que l’Italien, mais en plus ils laissent des écrits.
  • La contribition de Gariot est l’articulateur charnière, pour Simitier c’est l’anti-scorbut et Bourdet la clé de Garengeot pour l’avulsion des dents.
  • L’oeuvre de Fauchard influence la dentisterie espagnole. Francisco Antonio Peláez pour la partie médicale et Féliz Pérez Arroyo pour la partie chirurgicale.
  • La contribution de la France est la plus importante pour l’odontologie du dix-huitième siècle.