par Gérard TILLES et Daniel WALLACH

SUMMARY

Born in Paris in 1858, Edouard Jeanselme was appointed as Interne des Hôpitaux de Paris in 1883, doctor in medicine in 1888 and Médecin des Hôpitaux de Paris in 1896.

Returning from a two years research tnp in the For East, Jeanselme became Professor at the Institute for tropical diseases in Paris in 1902. Specialist 0f the lepra, Jeanselme published many articles on this topic and an essential treatise in 1935.

Appointed as Professor of dermatology in 1918 at the Faculty of Medicine in Paris, Jeanselme became head of one the medical departments in Hôpital Saint Louis. Author of many articles on syphilis, he published from 1931 a treatise in 7 volumes on this topic.

Devoting a special interest in the history of medicine, Jeanselme was elected as Président of the french society for the hîstory 0f medicine in 1919. Publishing more than 30 articles in the historical field, he organized the International Congress of the History 0f Medicine held in 1922 in Paris. Elected as member of the Academy of Medicine in 1919, Edouard Jeanselme died in Paris on april 9th 1935.

Né le 14 juin 1858 à Paris, c’est au cours de son internat à Saint-Louis, que Jeanselme eut les premiers contacts avec la dermatologie dont il allait devenir le troisième titulaire de la Chaire à la Faculté de Médecine de Paris (1, 2, 3).

Interne des hôpitaux de Paris en 1883, c’est en effet dans le service de Hallopeau, chef de service à Saint-Louis, candidat malheureux à une chaire de dermatologie séparée des maladies syphilitiques, que Jeanselme prépara sa thèse sur Les dermites et l’éléphantiasis consécutifs aux ulcères variqueux et à l’eczéma des membres, qu’il soutint en 1888 (4). Chef de laboratoire à Saint-Louis de 1894 à 1896, il fut nommé Médecin des hôpitaux de Paris en 1896, et c’est en 1898 que survint le premier événement qui marqua durablement sa carrière.

C’est en effet en 1898 que Jeanselme fut chargé par le Ministre de l’Instruction Publique et le Ministre des Colonies, à l’initiative de Brouardel, doyen de la Faculté, de rechercher les moyens de la prophylaxie anti-lépreuse dans les colonies françaises de l’Extrême-Orient. Ce voyage, écrit-il dans sa leçon inaugurale, venait à point remplir « des loisirs forcés par la retraite de Fournier », dont il était l’agrégé et dont il ne fut cependant pas le successeur immédiat. Ce fut en effet Ernest Gaucher qui succéda àAlfred Fournier à Saint-Louis.

Il accomplit donc pendant deux ans un grand et dangereux voyage au cours duquel il visita l’Indochine française (Cochinchine, Cambodge, Annam, Tonkin), traversa le sunnan puis redescendit l’Irraouadi jusqu’à Rangoon. De là, il visita les établissements sanitaires de Java puis le Siam et remonta le Mékong depuis son embouchure jusqu’à la frontiere chinoise.

Le projet de Jeanselme en Indochine était de dresser la carte pathologique du pays. Il s’intéressa particulièrement à la lutte contre la toxicomanie à l’opium en préconisant des mesures d’ordre pédagogique et social (comportant notamment la mise en place d’un enseignement anti-opiacé sur le mode de l’enseignement anti-alcoolique), tout en soulignant la complexité du problème et l’importance de ses intrications culturelles qui rendaient la mise en place de cette politique de prévention très difficile.

Parmi les autres centres d’intérêt de Jeanselme, on retiendra ses préoccupations concernant l’habitat et les conditions de l’hospitalisation et de l’instruction médicale.

Ce voyage lui permit de recueillir les matériaux d’un grand nombre de publications concernant la pathologie exotique, qu’il s’agisse des leishmanioses, du paludisme, du pian, et bien sûr de la lèpre.

Il décrivit les nodosités juxta-articulaires, décrites au cours des tréponématoses et de la lèpre, auxquelles il donna son nom (nodosités de Jeanselme encore parfois appelées nodosîtes de Lutz-Jeanselme).

Les acquisitions qu’il fit au cours de cette expédition furent ensuite rassemblées dans trois ouvrages, le Cours de dermatologie exotique publié en 1884, une monographie sur le béribéri éditée en 1886 et un classique précis de pathologie exotique écrit en collaboration avec Rist en 1889.

Ce voyage fut également l’occasion de travaux d’intérêt historique et surtout préhistorique; Jeanselme rapporta en effet de son voyage en Extrême-Orient des documents préhistoriques sur le Laos qu’il communiqua au Congrès colonial de 1904.

Au retour de ce voyage, Jeanselme fut nommé en 1902 professeur à l’Institut de Médecine Coloniale.

Jeanselme et la lèpre

C’est donc en fait surtout la lèpre et surtout sa prophylaxie souhaitée dans un but médical et colonialiste, qui furent une des principales motivations de la mission extrême orientale de Jeanselme. La lèpre, comme la syphilis, écrit-il,  » sont des facteurs de dépopulation et d’abâtardissement de la race d’où découle l’insuffisance de main d’œuvre indigène sans laquelle l’expansion coloniale ne saurait être réalisée(S).

En France l’intérêt de Jeanselme pour la lèpre, se traduisit par de nombreuses publications mais surtout par deux oeuvres.

D’une part la création à Saint-Louis d’un  » Pavillon de lépreux », remplissant une fonction médicale et sociale, le « Pavillon de Malte » édifié grâce à l’appui de l’Ordre de Malte et dont la pose de la première pierre eut lieu le 25juin 1918. Il fut détruit en 1982 au moment de la construction du nouvel hôpital Saint-Louis.

D’autre part, le Traité de la lèpre (5), ouvrage de 700 pages qui constitue une véritable encyclopédie de la lèpre tant médicale qu’historique, tant géographique que socio-économique (5). Dans un important chapitre historique, Jeanselme s’attache à décrire les circonstances d’apparition de la maladie, les conditions de la vie sociale des lépreux en Occident au retour des Croisades, et les aspects historiques de l’internement en léproserie.

Lorsque Jeanselme rédige son ouvrage, la prise en charge sociale des lépreux reste proche de celle des syphilitiques, passant par ce qu’il appelle « une surveillance discrète des lépreux » comportant cependant l’exclusion des écoles et de certaines professions (…) l’interdiction de l’entrée en France des lépreux étrangers ».

La question de l’internement des lépreux dans des léproseries suscite à l’époque, également des discussions proches de celles qui divisèrent les règlementaristes et les abolitionnistes au sujet de la prophylaxie de la syphilis. Jeanselme, quant à lui, adopte une position médiane tenant compte de la nécessité de laisser plus de libertés aux lépreux, sans toutefois supprimer les léproseries, tout en conservant à l’égard de certaines catégories de malades moins faciles à surveiller, ce qu’il appelle une « coercition adoucie » (5).

Comme le montre Jeanselme, en matière de prophylaxie, la thérapeutique de la lèpre offre de nombreuses analogies avec celle de la syphilis. En effet, en l’absence d’un traitement véritablement efficace, l’arsenal thérapeutique antibacillaire se multiplie et se diversifie en raison inverse de la crédibilité que les médecins semblent lui accorder.

Si des léprologues proposent l’iodure de potassium, les arsenicaux ou encore le mercure, d’autres suggèrent les antimoniaux, les sels d’or, les sels de cuivre, la tuberculinothérapie, une sérothérapie ou une hypothétique vaccination antilépreuse.

Toutefois, ces différents essais ne remplacent pas dans l’esprit des léprologues la référence thérapeutique que représente l’huile de chaulmoogra, extraite d’un végétal appelé Taraktogenos Kursii king. L’huile de chaulmoogra est prescrite per os, mélangée a du rhum en raison d’un goût et d’une odeur qui provoquent chez beaucoup de malades « un dégoût insurmontable » (5). Les injections intramusculaires peuvent être utilisées sans discontinuer. Les injections intraveineuses, indolores, sont moins utilisées car responsables d’embolies pulmonaires.

Comme le mercure pour le traitement de la syphilis, l’huile de chaulmoogra est le médicament, dont chacun, tel Jeanselme, proclame l’efficacité tout en admettant que le mode d’action est inconnu et que les critères d’évaluation de ce traitement restent à déterminer.

Autre analogie, l’ancienneté de l’huile de chaulmoogra (prescrite probablement dès le XVe siècle, voire avant) et la tradition qui s’attache à sa prescription sont autant de facteurs qu’il conviendrait d’évaluer.

Nommé professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris en 1901 et après avoir assuré un cours complémentaire de dermatologie en 1901 et 1902, Jeanselme assura des leçons cliniques de dermatologie à l’hôpital Broca de 1910 à 1917, avant d’être nommé en 1918, professeur de Clinique des Maladies cutanées et syphilitiques.

Il devient ainsi chef de service à Saint-Louis après avoir été chef de service à Hérold en 1901, à Tenon en 1903 et à Broca en 1908 et la lecture de la liste des travaux publiés avant 1918 donne la mesure du travail accompli et des milliers de pages rédigées au cours de près de 400 publications et d’une dizaine d’ouvrages de plusieurs centaines de pages chacun.

Au cours de sa leçon inaugurale (6), Jeanselme trace ce qui doit constituer les horizons nouveaux de la dermatologie, c’est-à-dire essentiellement la recherche de l’étiologie et les études biologiques, accordant une valeur restreinte à la morphologie qu’elle soit clinique ou histologique. « La dermatologie, écrit-il, ne doit pas se contenter d’un examen morphologique clinique ou histologique, mais elle doit utiliser toutes les méthodes du laboratoire. Les recherches biologiques doivent être considérées avec le même intérêt que la clinique ».

Président de la Société française de Dermatologie et de la Société française de Prophylaxie Sanitaire et Morale, Jeanselme expérimente, un des premiers en France, le 606, 606e dérivé de la molécule d’atoxyl, à l’hôpital Broca en 1910, puis à Saint-Louis s’écartant en cela des habitudes de son prédécesseur Gaucher, fidèle au mercure et résolument hostile à l’arsénobenzène, qu’il dénommait « la drogue allemande » découverte par Ehrlich.

Jeanselme publia ainsi à partir de 1910 plusieurs articles notamment avec LaignelLavastine et Albert Touraine sur l’efficacité de ce nouveau médicament.

Mais, c’est la publication en 1931 du premier tome du monumental Traité de la syphilis en 7 volumes, dont il assura la direction qui marqua l’aboutissement de la carrière syphiligraphique de Jeanselme (7). Ce premier tome concerne pour l’essentiel l’histoire de la syphilis, à qui Jeanselme consacre plus de 400 pages, accompagnées de près de 1000 références bibliographiques, qui en font un ouvrage fondamental pour qui s’intéresse à l’histoire de la syphilis.

Il n’est évidemment pas possible de résumer en quelques minutes un travail aussi considérable ; il faut cependant souligner que Jeanselme s’affirme comme un partisan convaincu de l’origine américaine de la syphilis, concluant qu’elle était totalement inconnue en Europe avant la découverte de l’Amérique et qu’elle existait dans le Nouveau Monde avant l’arrivée de Colomb.

Jeanselme accorde une importance toute particulière à l’enseignement de la syphilis, dont il a la charge. En l’absence de thérapeutique véritablement efficace et du fait du caractère considéré héréditaire de la maladie, celle-ci reste pour lui, comme pour ses prédécesseurs, un véritable fléau social aux conséquences individuelles et nationales de première importance.

Ainsi à la fin de la Première Guerre Mondiale, Jeanselme stigmatise les ravages de la syphilis à la fois parmi les soldats, défenseurs de la Patrie, et parmi les survivants dont elle met en danger non seulement la santé mais également celle de leur descendance, aboutissant à une baisse de la natalité déjà affaiblie par ailleurs, à l’abâtardissement puis à l’extinction de la race.

Jeanselme s’efforça de fortifier la prophylaxie antisyphilitique tant à la Société Française de Prophylaxie Sanitaire et Morale qu’il dirigea pendant une dizaine d’années qu’à la Ligue nationale française contre le Péril vénérien dont il fut le premier président en 1923.

De plus, se basant sur le fait que les arsénobenzènes constituent la meilleure arme prophylactique contre la syphilis, Jeanselme s’appliqua à substituer à l’hospitalisation le traitement ambulatoire. Il accordait en effet une place toute particulière aux dispensaires dont les heures d’ouverture adaptées permettaient à la population ouvrière de bénéficier régulièrement des soins, mais également en raison de leur rôle formateur pour les étudiants et les médecins (8).

Jeanselme soulignait à quel point ces dispensaires, véritables écoles pratiques de vénéréologie, permettaient aux étudiants d’avoir un rôle actif, d’acquérir en un minimum de temps « l’éducation de l’oeil et de la main » (6).

La mise en place de ces structures d’enseignement pratique, que Jeanselme avait déjà développées au dispensaire Fracastor annexé à son service de Broca, devait participer à une restauration de l’influence internationale de l’école dermato-vénéréologique française, affaiblie depuis les années 1860, au profit des écoles germaniques. Enfin, complétant l’usage des dispensaires dans la formation des médecins, il demanda à la Faculté qu’un stage de dermatologie et de vénéréologie soit obligatoire au cours des études médicales (9).

Edouard Jeanselme historien (10)

Jeanselme fut élu président de la Société française d’Histoire de la Médecine (SFHM), le 21juin 1919. Il assura pour la première fois cette présidence à la séance du 4 octobre suivant, après cinq années d’interruption de la Société pour cause de guerre. Il quitta la présidence le 4 février 1922, cédant la place au Dr G. Hervé (11).

Jeanselme donna près de 30 publications au Bulletin de la Société française d’Histoire de la Médecine de 1920 à 1934 et c’est au cours de sa présidence que la SFHM organisa le Congrès de Paris en 1921. Ses premières publications à la SFHM, bien antérieures à sa nomination à la présidence, datent de 1905 et se rapportent à son voyage en Extrême-Orient, qu’il s’agisse de la médecine dans le code annamite, de procédés anthropométriques en usage chez les indigènes de la presqu’île indochinoise, ou encore d’une étude historique sur le scorbut.

On notera également dans les publications de caractère historique de Jeanselme, un goût très prononcé pour la médecine byzantine, qu’il s’agisse des questions relatives à la vie monastique, à l’épilepsie, à la cosmobiologie, à l’assistance aux pauvres. Ce sont surtout les questions diététiques auxquelles il accorda le plus d’attention l’alcoolisme chez les Gaulois, la goutte dont furent atteints un quart des souverains de Constantinople ou encore les rations alimentaires des pélerins se rendant en Terre Sainte.

Ainsi, il faut souligner l’intérêt constant que Jeanselme manifesta pour l’Histoire de la Médecine, intérêt qui accompagna toujours ses travaux médicaux et qui lui permit de donner de ceux-ci une vision globale, scientifique et culturelle.

Membre de l’Académie de Médecine en 1919, président de la Société française d’Anthropologie la même année, Edouard Jeanselme mourut le 9 avril 1935 à Paris, quai Malaquai, près des bouquinistes qu’il fréquentait assidûment.

BIBLIOGRAPHIE
  • 1. JEANSELME E, In : HUGUET F. Les Professeurs de la Faculté de Médecine de Paris. Dictionnaire biographique. 1794-1939. Institut National de Recherche Pédagogique, Editions du CNRS, 1991.
  • 2. BRODIER L. Nécrologie du Pr E. Jeanselme. Bull. Soc. Fran. d’Hist. de la Méd., 1935, 29,137-142.
  • 3. WICKERSHEIMER E. Jeanselme. .Janus, 1935, 39, 49-50.
  • 4. Toui~ii~e A., Edouard Jeanselme 1858-1935. Ann, Dermatol. Syphil. 1935, S: 385-390
  • 5. JEANSELME E. La lèpre. Paris, 1934.
  • 6. Leçon d’ouverture de Mr le Pr Jeanselme. Presse Médicale, 1918, 71 653-656.
  • 7. JEANSELME E. Traité de la Syphilis. Paris, Dom, 1931.
  • 8. JEANSELME E. Les grandes étapes de la syphiligraphie française. Presse Médicale, 1919, 49:489-492.
  • 9. GOUGEROT H., BRODIER L. L’Hôpital Saint-Louis et la clinique d’Alfred Fournier. Paris, J. Peyronnet, 1932.
  • 10. LAIGNEL-LAVASTINE M. Edouard Jeanselme historien. Bull. Soc. Fran. Hist. Méd. 1939, 33 145-192.
  • 11. Chronique de la société. Séance du 4 février 1922. Bull. Soc. Fran. Hist. Méd., T. XVI: 3-5, 1922.