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À André Falconet,
le 12 octobre 1669

Monsieur, [a][1]

La santé de M. le Dauphin [2] va toujours en amendant. On dit que la Gazette d’Hollande [3] assure que les Turcs ont levé le siège de Candie. [1][4] Je n’en lis jamais aucune, pas même des nôtres, mais je souhaite que celle-là ait dit vrai. M. le chancelier [5] était hier si fort malade que l’on parlait déjà de son successeur, et même on le nommait. Dies die truditur, dies diem docet : Iuvenes mori possunt, senes diu vivere non possunt[2][6] On publie que M. de Beaufort [7] n’est point mort, qu’il est prisonnier chez les Turcs, qu’il a écrit au roi [8] sa déroute et son désastre. [3] On dit qu’il est aujourd’hui à Larisse, [9] ville de Grèce dans laquelle est jadis mort notre grand Hippocrate. [10] Idem ipse meminit Larissææ cuiusdam Virginis, lib. 3. Epidem., cuius historia est admodum memorabilis, utpote quæ iudicata fuit sexto die, et tamen feliciter evasit triplicis evacuationis beneficio[4] Le fait est rare et merveilleusement remarquable, sur quoi méritent d’être lus les commentaires de Galien, [11] Foesius, [12][13] Mercuriali, [14] Vallesius, [15] et Phrygius. [16] Je vous prie de les faire lire à monsieur votre fils, Noël Falconet, [17] que je salue de tout mon cœur. Cette histoire vient fort à propos et souvent, chez nos malades et en consultation. [18] Depuis huit jours est ici morte une bonne veuve de plus de 83 ans, [19] fille de M. Riolan, [20] qui mourut l’an 1606, et sœur de Mme Bouvard [21][22] comme aussi de feu M. Jean Riolan, [23] mon prédécesseur, que vous avez connu. [5] L’automne est appelée par Tertullien [24] temptator valetudinum[6]

On dit que le vin nouveau [25] est fort bouillant. [7] Cela fera tâter le pouls aux quartanaires [26] et aux dysentériques, [8][27] et fera venir ici des rhumatismes [28] et des péripneumonies. [29] Le bon ami d’Agrippine [30] a fort bien dit à ce propos Gravis annus medicis in quæstu est[9][31] Il y a de la peste [32] en Flandres, [33] et une méchante fièvre épidémique [34] en Hollande qui emporte beaucoup de monde. Ils sont si sots en ce pays-là, et si grossiers qu’ils aiment mieux se laisser mourir que d’être saignés, væ miseris ! [10][35]

M. le maréchal de Bellefonds [36] est parti pour Candie, il est allé à Chambord [37] pour prendre congé du roi. Puisse-t-il être plus heureux que les autres ! [11][38] Mme la duchesse d’Orléans [39] a écrit au roi de grosses plaintes contre Vallot, [40] de ce qu’il a tué la reine d’Angleterre, [41] sa mère, avec sa pilule d’opium, [42][43] et demande qu’il soit chassé de la cour. M. le duc d’Orléans [44] est dans le même sentiment et l’a menacé pareillement. Je ne sais ce qui en arrivera, mais on dit que cela est remis au retour du roi. Voilà le bruit de la cour. Feu M. Merlet [45] disait que l’opium et l’antimoine [46] étaient de méchantes drogues, qu’il ne voulait ni de l’un, ni de l’autre. Il a vécu 80 ans et n’en a jamais pris. Il eut en une même année deux grandes maladies avec fièvre continue ; [47] en chacune desquelles, il fut saigné 18 fois, c’est 36 fois en un an, et purgé [48] plusieurs fois avec casse [49] et séné, [50] absque stibio, manna et scammoniatis[12][51][52]

Ce 5e d’octobre. Enfin le roi a voulu que la chaire de philosophie [53] vacante par la mort de M. Des Auberis [54] fût disputée. M. l’abbé de Bourzeis [55] en a été établi le juge avec six hommes savants et six professeurs du roi. La dispute a été publiée par affiches. Sept hommes se sont présentés qui ont demandé à la disputer. Ces Messieurs les treize juges établis par le roi les ont voulu voir et les ont entendus parler en leurs prétentions. Trois d’iceux ont été congédiés doucement en leur faisant connaître qu’ils n’y étaient pas propres. Les quatre autres ont été retenus pour parler publiquement, chacun une heure d’horloge ad clepsydram[13] savoir chacun sur un point différent tiré de la doctrine d’Aristote, [56] de immortalitate animæ, de motu, de præstantia philosophiæ peripateticæ[14][57] Le quatrième a été contre la prétendue nouvelle philosophie de M. Descartes [58] qui dictus est magis indulsisse novitates, quam veritates[15] Je les ai entendus tous quatre fort attentivement et tous les quatre ont fort bien fait. Néanmoins, il y en a deux qui ont plus paru que les deux autres, savoir ceux qui ont agité les deux premiers points. Maintenant ils attendent le jugement qui en sera fait par Messieurs les treize juges députés du roi, mais nous ne savons pas quand ce sera ; peut-être que l’on attendra le retour du roi, qui sera, à ce qu’on dit, le 17e de ce mois.

Le roi de Pologne [59] doit bientôt arriver. Il est depuis quelques jours à Chantilly où M. le prince de Condé [60] l’est allé recevoir. L’on dit qu’il n’entrera pas dans Paris en grande cérémonie, d’autant qu’il a désiré que le roi lui donnât la droite, [16] ce qui lui a été refusé ; ainsi il ne fera que passer et s’en ira passer l’hiver à Avignon. [61] On ne parle ici que de voleurs, de receleurs et de gens qui tuent. Les exécutions publiques ne manquent point, pour l’exemple ; néanmoins, il y a toujours quelqu’un qui y est attrapé. Les fréquents supplices m’étonnent, et me font connaître la malice des hommes et la vigilance des juges qui travaillent pour le bien public. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 12e d’octobre 1669.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 12 octobre 1669

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(Consulté le 14/10/2024)

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