[Ms BIU Santé no 2007, fo 174 vo | LAT | IMG]
Au très distingué M. Johann Wepfer, docteur en médecine à Schaffhouse. [a][1][2]
Notre ami M. Glaser m’a remis votre lettre hier matin ; [3] en y apprenant que vous vous souvenez de moi, elle m’a plongé dans une immense joie. Dieu fasse que je puisse vous être utile en quelque façon. Je n’ai aucun traitement pour votre homme dur d’oreille [1][4][5] et pense que, parmi les remèdes naturels, il n’existe rien de plus admirable et de plus puissant qu’un régime alimentaire bien choisi, [6] que la phlébotomie répétée quelques fois aux membres supérieurs, et même au pied de temps en temps, [7] et la purgation vigoureuse renouvelée tous les sept jours pendant une année entière. [8] Pour la provoquer, gardez-vous bien des poudres chimiques et de toute sorte de pilules ; [9] j’entends là aussi bien celles qui sont à base de scammonée que simplement d’aloès qui, en tant que telles, sont purement laxatives. [10][11] Elles sont pourtant fort chaudes et plus sèches qu’il n’est nécessaire, et donc ennemies des viscères nutritifs, car il importe fort de ne les pas dessécher ; elles ont aussi le défaut de provoquer les hémorroïdes et d’induire l’hydropisie. [12][13] Je préférerais donc purger très souvent avec 3 gros de séné [14] infusé dans une décoction de chicorée [15] où on aura dissous 2 gros d’électuaire diaphénic, [16] ou de psyllium, [17] avec une once et demie de sirop de roses, [18] pour en faire une potion que le malade prendra au petit matin, trois heures avant le bouillon, puis se sera rendormi. Ce cathartique, [19] maintes fois répété, finit par purger le corps tout entier, en chacune de ses parties, et par chasser très sûrement toutes les impuretés, quelle qu’en soit la nature et en quelque lieu qu’elles se tiennent. C’est donc en vain qu’on utilisera ces intubations d’oreilles, dont on ne doit attendre aucun secours. Je me persuade aisément pourtant qu’il ne faut pas négliger les soins locaux des oreilles : elles ont besoin de certaines injections, comme une décoction de marjolaine, [20] de thym, [21] de sauge, [22] de romarin [2][23] avec un peu de vin ou d’eau-de-vie ; [24] laquelle décoction sera sans doute utile si on l’injecte tiède et plusieurs fois dans les canaux des oreilles ; mais jamais il ne faudra omettre de purger ni d’éviter soigneusement le très grand froid, qui est fort ennemi du cerveau et des sens, tout particulièrement dans ses parties externes.
[Ms BIU Santé no 2007, fo 175 ro | LAT | IMG] Quant au sucre, celui dont nous disposons en mérite à peine le nom, quelle qu’en soit la variété. [25] Il est du moins patent qu’il est altéré par les filouteries diverses des boutiquiers, alun, [3][26] chaux et autres poisons. Cela n’est pas nouveau car on lit dans ses Epistolæ qu’Érasme l’avait déjà remarqué ; [4][27][28] et de fait, on vend ici du sucre qui n’a qu’à peine la moitié du goût requis, et même bien moins que la moitié ; tant la cupidité et le misérable désir du gain animent cette engeance de marchands et de boutiquiers, au plus grand dam de la santé publique, par l’indulgence excessive de la dive Thémis et l’insouciance des juges ; [29][30] mais cela regarde ceux qui aiment le sucre, aussi bien que ceux dont le devoir est de veiller au bien commun. Pour moi, jamais je n’en utilise, sachant fort bien que c’est un médicament suspect et doué d’une excessive chaleur. Je salue monsieur votre très distingué frère, [31] ainsi que M. Grimm, médecin de Soleure, [32][33] et les autres distingués Messieurs que sont les deux Bauhin, [34][35] Platter, [36] Glaser, [37] Burcardus, [38] Eglinger et les autres. [5][39] Vale, mon très grand ami, et continuez de m’aimer.
De Paris, le 7e d’août 1664.
Vôtre de tout cœur, G.P.