À Charles Spon, le 7 février 1648

Note [31]

Marco Aurelio Severino (Tarsia, Calabre 1580-Naples 15 juillet 1656) était docteur en médecine et professeur d’anatomie, de botanique et de chirurgie de l’Université de Naples. Il fut le principal restaurateur de la chirurgie, qu’il tira de l’état de langueur où elle périclitait, en Italie surtout, et ramena aux principes sévères et raisonnés des Grecs. « Entre ses mains, l’art chirurgical reprit une assurance qu’il avait perdue depuis longtemps. Il remit en honneur l’instrument tranchant et le feu, que la timidité et la mollesse des Arabes avaient fait abandonner presque entièrement » (A.‑J.‑L. Jourdan in Panckoucke).

Guy Patin recevait alors trois ouvrages de Severino :

Ce passage contient la seule et unique mention (furtive) du chocolat dans les textes de Guy Patin. Voici ce qu’en disait le Dictionnaire de Trévoux (cent ans plus tard) :

« Confection ou breuvage composé, chocolatum. On le boit chaud. Il est venu des Espagnols, qui l’ont apporté des Mexicains, chez lesquels ce mot de chocolat signifie simplement confection. D’autres disent que ce mot est un mot indien, composé de latté, qui signifie “ de l’eau ”, et choce, mot fait pour exprimer le bruit avec lequel on le prépare, comme témoigne Thomas Gage. La base est le cacao, fruit d’un arbre du même nom ; la vanille y entre aussi principalement, pour donner de la force et du goût au chocolat. Antoine Colmenero de Ledesma, chirurgien espagnol, en a fait un traité ; voici comment il en fait la composition :

“ Sur un cent de cacao on mêle deux grains de chise, ou de poivre de Mexique ou, en sa place, du poivre des Indes ; une poignée d’anis, de ces fleurs qu’on appelle petites oreilles ou, dans le pays vinacaxtlides, et deux autres qu’on nomme mecachusie ; ou au lieu de celles-ci, la poudre de six roses d’Alexandrie, appellées roses pâles, une gousse de campêche, deux dragmes de canelle, une douzaine d’amandes, et autant de noisettes d’Indes, et la quantité d’achiotte qu’il faudra pour lui donner couleur. Toutes ces plantes sont décrites par de Laët. On broie le tout, on en fait une pâte, ou conserve, avec de l’eau de fleur d’orange, qui le durcit fort ; et quand on en veut prendre, on le délaye dans de l’eau bouillante avec un moulinet. ”

Il n’en faut pas boire durant les jours caniculaires, ni de celui qui est fait depuis un mois. Quelques casuistes, et entre autres le cardinal François Marie Brancaccio, qui en a fait un traité particulier, ont prétendu que le chocolat pris en liqueur ne rompait point le jeûne ; quoique Stabe, médecin anglais, ait fait un traité où il soutient qu’on tire plus d’humeur nourrissante d’une once de cacao que d’une livre de bœuf ou de mouton. Les raisons du cardinal parurent si fortes à Caldera, médecin espagnol qui avait soutenu le contraire dans son Tribunal medico-magicum, {a} qu’il abandonna son sentiment. Ce sentiment n’a point encore prévalu, au moins en France. Le cacao est si commun en la Nouvelle-Espagne {b} qu’il consume par an plus de douze millions de livres de sucre. Les Espagnols estiment que la dernière misère où un homme puisse être réduit, c’est de manquer de chocolat, car c’est leur boisson ordinaire. Ils ne la quittent que quand ils peuvent avoir quelque autre boisson qui enivre. On dit qu’il aide à la digestion, qu’il rafraîchit les estomacs trop chauds, et qu’il échauffe ceux qui sont trop froids. Chaque livre de chocolat vaut à Mexique 52 sols.

Le cardinal de Lyon, Alphonse de Richelieu, {c} est le premier en France qui ait usé de chocolat. Il s’en servait pour modérer les vapeurs de sa rate, et il tenait ce secret de quelques religieux espagnols, qui l’apportèrent en France. Ceux qui en ont écrit sont Thomas Gage, voyageur anglais, Barthélemy Marradon, qui en condamne l’usage, et Antoine Colmenero, deux médecins Espagnols, dont Réné Moreau, professeur en médecine à Paris a traduit et commenté les livres. Philippe Sylvestre Dufour, marchand de Lyon, a ramassé dans son Traité du Café, du Thé et du Chocolat, {d} tout ce que ces auteurs en avaient dit. »


  1. V. note [41], lettre 549.

  2. Le Mexique (Nouvelle-Espagne, v. note [5] de l’Observation viide Guy Patin et Charles Guillemeau).

  3. Frère aîné du ministre, nommé cardinal en 1629, mort en 1653 (v. note [12], lettre 19).

  4. Lyon, Jean-Baptiste Deville, 1688, in‑12, pour la 2e édition, par Philippe Sylvestre Dufour (Manosque 1622-Vevey 1687), apothicaire et banquier calviniste lyonnais. Cet opuscule de Jacob Spon (v. note [6], lettre 883), De l’Usage du Café, du Thé, et du Chocolat, avait été publié pour la première fois à Lyon, Jean Girin et Barthelémy Rivière, 1671, in‑12.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 7 février 1648, note 31.

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(Consulté le 26/04/2024)

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