Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Bornoniana 4 manuscrit
Note [13]
« Voyez de Thou, tome 5, page 600 » (annotation ajoutée dans la marge).
Le livre cxiv de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou (année 1595, règne de Henri iv) a résumé la vie du Grand Seigneur Amurat (Mourad) iii (1546-1595), qui régna sur l’Empire ottoman de 1574 à sa mort (Thou fr, volume 12, pages 498‑499) :
« Amurat iii mourut le 18 janvier à l’âge de quarante-huit ans, de la goutte {a} qui le tourmentait depuis vingt jours, et lui faisait souffrir les douleurs les plus aiguës. La violence du mal lui ayant causé une espèce de charbon, {b} il méprisa les remèdes ordinaires, et se contenta de faire appliquer de l’eau froide et de la glace sur la partie souffrante.Ce prince avait la taille peu avantageuse. Il était fort blanc et avait tant d’embonpoint que sa tête semblait faire partie de ses épaules ; cependant, son air, aussi prévenant que respectable, le faisait juger digne du rang qu’il occupait. Il avait la barbe blonde et épaisse. Gai, enjoué et humain, il ne versa jamais de sang qu’à regret ; {c} et soit par une douceur qui lui était naturelle, soit par l’effet de l’éducation qu’il avait reçue de la sultane, sa mère, il aima toujours mieux pardonner que punir. On crut qu’il avait peu de goût pour la guerre ; cependant, pour soutenir la gloire d’un empire dont le gouvernement est entièrement militaire, et qui ne doit sa force qu’à la grandeur de ses armes, il envoya de grandes armées en Perse et en Hongrie, où ses lieutenants firent des conquêtes importantes. La lecture de l’histoire faisait un de ses plus grands plaisirs : il voulait être informé de tout ce qui se passait dans l’univers, et avait une avidité extrême de savoir les actions des princes de son siècle. La poésie même, quelque imparfaite qu’elle soit en Turquie, et quoique cet art y soit à peine connu, flattait le goût de ce prince.
Ses trésors furent immenses et surpassèrent les richesses de tous ses prédécesseurs, mais il n’en fut point avare : ses favoris et tous ceux qui approchèrent de sa personne ressentaient les effets de sa libéralité. On peut même dire qu’il fut prodigue à l’égard de ses femmes, qui étaient en grand nombre. Il s’en trouva une dont les charmes furent assez puissants pour le fixer pendant trente-deux ans, avec tant de constance qu’on croit que dans un si long espace de temps, il ne songea à aucune autre ; mais sa sœur, qui avait épousé le grand vizir Méhémet, et la sultane, sa mère, lui ayant représenté que, pour empêcher les troubles et pour la sûreté de l’Empire, il devait avoir plusieurs enfants mâles, il prit plusieurs autres femmes. Quelques historiens lui en donnèrent jusqu’à deux cents. Il dépensa des sommes immenses pour leur entretien et leurs plaisirs, et usa de la même prodigalité pour l’éducation de ses enfants. Si, à l’exemple de Soliman, son aïeul, {d} et de Sélim, son père, il n’honora pas du nom de femme légitime cette sultane favorite, qui fut si longtemps l’objet de son amour, on croit qu’il n’en fut empêché que par la crainte de l’accomplissement d’une prédiction qui le menaçait d’un aussi triste sort que celui de Sélim, son père, et d’une mort prochaine s’il se mariait. » {e}
- Traduction fautive de l’original latin, ex calculi doloribus, « des douleurs de la pierre », c’est-à-dire d’une lithiase urinaire (v. note [11], lettre 33), qui pouvait se manifester soit par une colique néphrétique (pierre située dans les voies urinaires hautes, cavités rénales et uretères) ou par des douleurs basses (pierre vésicale), affection dont la goutte n’est qu’une des causes (v. note [30], lettre 99).
Il est médicalement curieux, voire inepte, de croire que la lithiase urinaire épargnait les souverains : cela pourrait expliquer l’addition marginale, probablement attribuable à Guy Patin.
- Original latin : enato carbone, « un charbon s’étant fait jour » ; le charbon proprement dit étant une nécrose ganglionnaire liée à la peste (bubon, v. note [6], lettre 5), il s’agissait probablement ici d’un abcès de la loge rénale ou de la vessie, avec émergence (fistule) à la peau.
- « Il commença néanmoins son règne par faire mourir cinq de ses frères » (note du traducteur), v. infra note [14].
- Soliman ier, dit le Magnifique (v. note [35], lettre 547).
- V. infra note [14].