< L. 99.
> À Charles Spon, le 18 janvier 1644 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 18 janvier 1644
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Le paquet que je vous ai envoyé ne mérite pas vos remerciements, il ne peut être en votre endroit qu’une marque de ma reconnaissance ; et comme j’ai grande envie de m’acquitter de tout ce que je vous dois, voilà pourquoi non est quod mihi grates agas, quuum longe plura tibi debeam. [1] À mesure que j’aurai le moyen et l’occasion de faire mieux et davantage, toto animo totisque viribus perficiam. [2] Pour ma thèse, [2] à ce que je reconnais par la vôtre, elle a été aussi bien reçue à Lyon qu’à Paris. Les douze cents de mon bachelier [3] ont été distribuées ici en 15 jours, de sorte qu’il m’en a fallu faire une nouvelle édition à laquelle j’ai changé et ajouté simplement quelques mots sans grand dessein. J’eusse bien pu y en ajouter d’autres, mais je garde ces pensées pour quelque autre fin, de peur que cela ne paraisse trop affecté. On en a fait ici beaucoup plus d’état que je ne mérite. Dans le premier paquet de M. Jost [4] qui partira pour Lyon, vous y en trouverez une in‑fo qui est dédiée, et quatre de la deuxième édition afin que vous en puissiez faire part à vos amis ; et si par ci-après vous en avez besoin, vous n’en sauriez manquer. Il est vrai que Pline [5] et Sénèque [6] m’ont bien servi, mais je n’en ai pris que le moins que j’ai pu, de peur de trop moraliser. J’ai dessein de faire et de rédiger par ordre toutes les preuves et les autorités de chaque mot de ma thèse ; ce que je ferai dès que j’en aurai le loisir, mais ce ne peut être qu’après Pâques à cause des empêchements que notre École nous fournit de jour en jour, et nous fournira jusqu’en ce temps-là ; et néanmoins, en l’attendant, je tâcherai de vous répondre en bref sur ce que vous m’en avez proposé. L’opinion de nos anciens que j’ai vus et pratiqués, et le commun sentiment de nos Écoles est que la fièvre de la petite vérole [7] nil est aliud quam synochus summe putris a multa materia crassa et sordida, in qua et ex qua papulæ emergunt tamquam symptomata morbi magnitudinem et cacoethiam adaugentia, [3] et qu’il faut traiter comme une fièvre continue, [8] habita semper ratione excellentis et sordidæ illius putredinis, a qua pendet morbi malitia et tot symptomatum quæ ab ea emergunt ; [4] sans nous arrêter à l’opinion des Arabes, [9] de Fernel [10] ni de Mercurial, [11] de chacune desquelles j’ai dit un mot. C’est chose certaine qu’Hippocrate [12] et Galien [13] n’ont jamais vu cette maladie. Il y a bien dans iceux quelques papules et quelques taches, mais il n’y en a en aucun endroit talis congeries symptomatum qualis est in nostris variolis ; [5] bref, là comme ailleurs, multa sunt similia, paucissima sunt eadem, imo nulla. [6] Je tiens l’opinion des Arabes fausse, quod sit a sanguine menstruo, [7][14][15] parce qu’en ce cas-là nul n’en serait exempt ; or est-il que plusieurs ne l’ont jamais eue et j’en ai vu en ma vie une infinité, et ceux qui n’ont jamais mangé de bouillie [16] en sont beaucoup plus exempts. Je crois que c’est aussi une des raisons qui m’en a exempté, feu ma mère ne m’ayant jamais nourri que de ses mamelles, [17] la bouillie étant un aliment grossier qui fait beaucoup de colle et d’obstructions dans l’estomac et dans le ventre, et qui fournit beaucoup de disposition à une maladie de pourriture. Mes enfants n’y ont point été sujets aussi, quia eos a pulticulæ usu substractos volui, etiam invitis nutricibus, et interdum reclamantibus ; [8] mais j’en ai été le maître, idque prospero successu. [9][18] Balneaum aquæ egelidæ est un bain d’eau tiède, [19] duquel je me suis quelquefois servi ; M. Bouvard [20] m’a dit il y a plus de 18 ans qu’il s’en était heureusement servi autrefois en plusieurs, et même en sa fille, [21][22] laquelle est aujourd’hui femme de M. Cousinot, [23] premier médecin du roi. Pline a dit quelque part fontes egelidos pour tepidos ; [10] je ne sais si ce mot est équivoque, mais je l’ai toujours vu prendre pro tepido ; [11] en ce sens il est usurpé par Suétone, [12][24] par Cornelius Celsus, [13][25] et autres. Catullus ver vocavit egelidum propter tepiditatem : Nunc ver egelidum, nunc est mollissimus annus. [14][26] Lapidem Bezoar, nauci non habeo : est figmentum pharmacopœorum credulos ægros ludentium. [15][27] Il ne faut être ni chrétien, ni philosophe, ni médecin pour ordonner cette bagatelle, quæ nulla fulcitur authoritate, nulla ratione, nullo experimento. [16] Pour les deux eaux distillées, si retineant naturam suæ herbæ, sunt calidæ, ideoque noxiæ in variolis, in quibus summa semper adest intemperies, et profunda putredo ; saltem habent in se quoddam empyreuma, ægris et nativo calori inimicum. Decoctum lentium est astringens, tantum abest ut possit iuvare eruptionem variolarum, quæ solis evacuantibus perficitur, v. gratia venæ sectione et catharsi tempore et loco celebratis. Adde quod nullum esse puto in rerum natura præsidium, quod proprie et per se variolas intra foris expellat. Confect. alkermes et de hyacintho plurimum calent alieno calore et extraneo, quo iam abundant corpora eorum qui variolis laborant, et a quo calore extraneo suffocatur atque strangulatur calor nativus tunc infirmus propter putredinem, et naturæ conatum. Sunt Arabica remedia, Arabum inventa, neutiquam cardiaca ; ea sola sunt cardiaca quæ sanguinem et spiritus Cordi subministrant : sola alimenta illud præstant, ergo sola alimenta sunt cardiaca. Imo ex Gal. comm. in Hipp. de ratione victus in acutis, Aqua non roborat, quia non nutrit, etc. [17][28][29] Gemursa est tumor pedum, qui olim Romæ apparuit, et postea evanuit ; [18][30] ce que vous appelez le fourchon à Lyon est phlegmone carbunculosa, [19] qu’on appelle ici le fourchet, qui vient assez souvent aux mains, mais je ne l’ai jamais vu aux pieds. Pedes pulmonei, id est tumidi : frequentissimum symptoma in hydrope pulmonis. Plautus pulmoneos pedes, dixit tumidos ; sicut Plinius pulmonea quædam poma vocata ait, id est stolide tumentia. Vide Ios. Scalig. epistolarum, pag. 44, edit. Leyd. [20][31][32] Cor lienosum est de Plaute, [21][33] et est melancholicorum, qui palpitationi cordis sunt obnoxii. Per urethram intelligimus ductum urinæ, quem inepti quidam magicis artibus frustra alligant atque subiiciunt cum sit merum vitium læsæ imaginationis. [22] Montaigne [34][35] en a parlé en ses Essais et s’en est moqué sagement : le peuple, qui est sot et impertinent, croit des merveilles sur ce qu’on dit de cheviller, [23] de nouer l’aiguillette, [24][36][37] etc. quæ omnia rideo. Per dracunculos intelligo vermiculos pedibus præditos, qui nascuntur in venis, auctore Galeno ; cuius locum alias indicabo. [25] M. de Baillou [38] a fort parlé en ses Épidémies d’une certaine toux à laquelle sont sujets les petits enfants, que les Parisiens appellent une quinte ; [39][40] quod quinta quaque hora fere videatur recurrere. [26] Un de mes petits garçons âgé de 3 mois ayant été mal à propos porté dans la rue durant le grand froid par sa nourrice, [41] en prit un tel rhume [42] et une telle toux que cinq semaines durant il en pensa étouffer. [27] Quand la toux lui prenait, c’était un accès à supporter de demi-heure ou de trois quarts d’heure, en toussant perpétuellement, sans aucune relâche ; il me semblait à toute heure qu’il s’en allait étouffer. Deux saignées et force lavements [43] le garantirent ; il est aujourd’hui un des plus forts de mes cinq petits garçons, [44] sine ulla noxa pulmonis. [28][45] Ce mal est ici assez commun, je l’ai vu mille fois ; fit a decubitu serosi, tenuis et crudi humoris in pulmonem defluentis atque depluentis tum a cerebro, tum a venis thoraciis, quæ feruntur ad eum. [29] La saignée, [46] les lavements, la bonne mamelle, l’abstinence de la bouillie et les tenir chaudement en sont les grands remèdes. Peut-être que ce mal n’est pas commun à Lyon, Dieu en préserve vos petits quand il vous en aura donné, c’est un cruel mal pour les enfants et pour les parents qui les aiment. Le mot de παναγρα est du bon Érasme, [47] en ses Épîtres, où il se plaint que la goutte [48] ne le tient plus seulement aux pieds et aux mains, mais aussi par tout le corps. [30][49] Artes Dardaniæ sunt artes magicæ. [31][50] Cette façon de parler est tirée de Columella [51] qui a dit ces mots : Quod si nulla valet medicina repellere pestem Dardaniæ veniant artes, etc. ; [32] joint que Dardanus inter Magiæ principes annumeratur ab Apuleio in Apologia pro se. [33][52] Voilà ce que je sais sur vos questions, je souhaite que ces miennes réponses vous puissent contenter. Pour ma thèse, je ne la tiens pas si bonne que vous la faites ; c’est que vous me voulez flatter, mais au moins elle est divertissante. En l’édition qui est in‑4o, j’y ai ajouté, page 3, paulo post medium, [34] un petit mot du scorbut, [53] de quo multi multa scripsere. [35] À la quatrième page j’y ai transposé une ligne en parlant du nez du Gazetier. [36][54] Page 5, paulo post medium, après ce mot heroes, j’y ai ajouté une ligne et demie, laquelle est tirée d’Aristote, [55] Problem. i sect. 30, où il est parlé de Lysander, [56] général d’armée des Lacédémoniens, qui était un grand esprit d’homme, mais un grand fourbe et grand tyran, [37] et duquel on pourrait tirer de beaux parallèles avec le cardinal de Richelieu [57] qui fuit crudellissimus tyrannus Empiricus in arte regnandi, et vere nebulo politicus. Infelix et insanus prædo Galliarum hoc unum satagebat, ut nimirum posset per fas et nefas ditescere, nec tam exercebat artem regendi, quam fallendi homines. [38][58][59] Page 6, paulo post medium, j’y ai ajouté un mot de la fièvre quarte, [39][60][61] qui est d’A. Gellius [62] in Noctib. Atticis lib. 17, cap. 12. J’y ai cité le mot de Favorin [63] exprès, qui était un brave Gaulois, en la cour de l’empereur Hadrien, [40][64] de quo multa leguntur apud Diog. Lærtium, passim ; et apud Philostratum, de vitis Sophistarum. Plura scripserat quam Plutarchus eaque optima. [41][65][66][67] Page 7, paulo ante finem, [42] j’y ai ajouté un passage de la mort qui est tiré de Sénèque, [68] in Consolatione ad Marciam. [43] Multa alia succurrebant, quæ facile potuissent subiungi, a quibus tamen data opera abstinui, ne nimius viderer, et ut cum Iul. Cæsare Scaligero dicam, mere intempestus. [44][69] Pour la deuxième Apologie, [45][70] ne craignez rien, la noire et forte machine qui étend ses bras jusqu’à la Chine [71] a bien d’autres empêchements : [46][72] son fauteur, M. de Noyers, [73] ne peut rentrer en crédit ; ils ne sont aimés ni de la reine, [74] ni du Mazarin. [75] Pour les Institutions de C. Hofmannus, [76] ce sera quand il plaira à Dieu et selon que je comprends, à M. Huguetan ; [77] puisse-t-il être bientôt inspiré. J’ai su au bout de huit jours la nouvelle de la mort de M. Petit, [78] dont je suis fort dolent ; ces gens-là ne devraient jamais mourir. Vous me mandez qu’il est mort le 12e de décembre et on m’a mandé de Montpellier le 22e, auquel dois-je croire ? Est-ce qu’il y a distinction in stylo novo et veteri ? Si placet, solve nodum. [47][79] Habeo iamdudum Epistolas obscurorum virorum, quarum auctor est Ioannes Reuchlinus dictus Capnio, [48][80][81] qui a été un excellent homme et grand ami d’Érasme, [82] et duquel il a fait un chapitre exprès dans ses Colloques ; mais mon livre est d’impression d’Allemagne, de Bâle [83] ou de Strasbourg, ante annos 60. [49] Levinum Warnerum nunquam vidi, neque Stockeri praxim auream ; cetera habeo. [50][84][85] Populari vestro Meyssonnier meliorem mentem exopto : ne tandem fiat consors ad vincula Divi Pietri, aut saltem indigeat vinculis Hippocratis et veratro ad saniorem mentem recuperandam. [51][86][87] Le livre des professeurs du roi par M. Du Val [88] n’est pas encore achevé ; il sera curieux, sed erit opus vere pædagogicum. [52] La Physique de M. Du Moulin [89] n’est pas encore sur la presse, mais on dit que ce sera bientôt. [53] On ne fait ici que des livres de forfanterie et de dévotion monacale. Le livre de M. de Saumaise [90] contre Heinsius, [91] sur son Herodes Infanticida, est achevé, mais ils n’en ont pas encore le privilège et ne vous puis dire quand ils le pourront avoir ; est enim lentum negotium. [54] Le pape [92] a augmenté son Collège de deux suppôts, savoir d’un jésuite qui s’appelle Lugo, [93] alias Nugo, [55] et d’un chevalier de Malte [94] qui est le commandeur de Valençay, [95] qui est frère aîné de celui qui est aujourd’hui archevêque de Reims. [56][96] Les Suédois et le roi de Danemark [97] sont ensemble en grosse guerre. On a mis aujourd’hui dans la Bastille [98] deux prisonniers qui ont, à ce que porte le bruit commun, conspiré quelque chose contre le cardinal Mazarin. Je vous souhaite bonne et heureuse année, et à toute votre famille, et vous prie de croire que je suis de cœur et d’affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Patin. De Paris, ce 18e de janvier 1644. Ne vous étonnez pas si cette lettre écrite dès il y a huit jours ne vous a été rendue en son temps, elle fut oubliée par celui qui avait charge de la porter à la poste et m’a depuis été rendue. Notre nombre est diminué d’un : Pierre Richer [99] est ici mort de la même maladie que le dernier roi, [100] le 24e de janvier ; [57] vous trouverez son nom dans la quatrième page du catalogue de M. Du Val, duquel le livre des professeurs du roi n’est pas encore achevé. M. Richer était un habile homme, savant et bon médecin, combien qu’il n’eût que 34 ans. Ce 26e de janvier 1644. [58] | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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