Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit
Note [2]
Triade 1.
« Il y a trois animaux suprêmement menteurs, et que tout homme honnête, prudent et sage doit éviter de fréquenter : ce sont 1o la putain ; 2o le chimiste ; 3o le moine, {a} surtout s’il n’a pas reçu d’éducation, comme c’est le cas de la plupart d’entre eux. Le premier de ces animaux est un gouffre et un abîme extrêmement dangereux, que beaucoup abordent, mais dont peu se délivrent : c’est une sirène {b} qui enchante et empoisonne ceux qui en approchent, une femelle qu’on ne doit ni écouter ni voir, car elle consume qui la regarde. {c} Le deuxième est le plus inepte des animaux : crédule et presque délirant, il promet quantité de merveilles, dont il est incapable d’accomplir la centième partie. Le troisième est un animal enflé d’ignorance, de paresse, d’hypocrisie, de fatuité, etc., avec enfin une véritable exécration de la sagesse, et né pour la pure infortune et la ruine de ce monde. »
- V. note [5], lettre 247, pour quatre autres utilisations de cet adage par Guy Patin, avec des variantes. La meretrix [putain] y remplace pour la première fois les jésuites et les botanistes (herboristes).
- Les sirènes ont inspiré une longue définition au Dictionnaire de Trévoux :
« Les païens ont feint que c’étaient des monstres marins, ayant le visage de femmes et une queue de poisson. Ils ont cru qu’il y avait trois filles du fleuve Achéloüs, {i} nommées Parthénope, Ligée et Leucosie. Homère ne compte que deux sirènes, et d’autres en supposent cinq. Virgile les place sur des écueils où les vaisseaux s’allaient briser. Pline les fait habiter au Promontoire de Minerve, assez proche de l’île de Caprée. {ii} Quelques-uns assignent leur séjour dans la Sicile, vers le cap Pélore. {iii} On leur donne des ailes, et un plumage varié des plus belles et des plus tendres couleurs. Ovide en fait des monstres marins, il les représente avec un visage de femme et leur attribue une voix humaine. Claudien en parle encore plus amplement : il dit qu’elles habitaient sur des rochers harmonieux, que c’étaient des monstres charmants, et des écueils où les voyageurs allaient échouer sans regret et expiraient dans l’enchantement, au milieu des plaisirs : dulce malum pelago Siren. {iv} Cette description est fondée, apparemment, sur l’explication littérale de la fable : que c’étaient des femmes qui demeuraient sur les bords de la mer de Sicile, et qui, par tous les attraits de la volupté, arrêtaient les passants et leur faisaient oublier leur course, en les enivrant par toutes sortes de délices et de plaisirs. On prétend même que le nombre et le nom des trois sirènes a été inventé sur la triple volupté des sens – le vin, l’amour et la musique – qui sont les attraits les plus puissants pour attacher les hommes. {v} C’est encore de là sans doute que proviennent tant d’exhortations d’éviter le funeste chant des sirènes, et de ne se point laisser enchanter par la douceur de leur mélodie. Par la même raison, l’on en a fait le symbole de l’éloquence, parce qu’on ne peut résister à la séduction de leurs persuasions. Caton le grammairien fut appellé “ la Sirène latine ”. {vi} Enfin on a comparé à l’harmonie et à la voix mélodieuse des sirènes, tout ce qui flatte l’oreille et tout ce qui entraîne inévitablement les cœurs. C’est pourquoi les Grecs ont tiré l’étymologie des sirènes, du mot grec seira, qui signifie “ une chaine ” : ils voulaient dire qu’il est impossible de se dégager de leurs liens et de se défendre de leurs attraits invincibles. Ceux qui n’y cherchent pas tant de mystère soutiennent que les sirènes n’étaient autre chose que certains lieux resserrés de la mer, où les flots précipités emportaient les vaisseaux qui s’en approchaient trop. C’est là, selon quelques auteurs, tout le fondement de la fable. D’autres prétendaient que c’étaient originairement des oiseaux qui furent convertis en poissons : on a pourtant si peu distingué ces deux états que les sculpteurs et les peintres ne les représentent que sous la forme des poissons ; il y a seulement quelques médailles où elles paraissent avec la partie supérieure de femmes et la partie inférieure d’oiseaux. Ainsi ceux qui les peignent comme des demi-poissons n’ont point songé à leur état primitif et n’ont eu égard qu’à celui de leur métamorphose. »
- Autrement appelé Thoas, ce fleuve mythique était la personnification d’un héros grec, fils de l’Océan et de Thétys, ou du Soleil et de la Terre, et adversaire infortuné d’Hercule. La mère des sirènes était Calliope, muse de l’éloquence et de la poésie héroïque.
- Capri ; v. seconde notule {b‑i}note [23] du Naudæana 3 pour le Promontoire de Minerve.
- Pointe nord-est de la Sicile, à l’entrée du détroit de Messine.
- « Méchante sirène au doux rivage », Claudien (v. note [10], lettre 138), épigramme c, In Sirenas, vers 1.
- V. notule {b}, note [21], lettre 1019, pour l’assimilation des sirènes aux prostituées (lupæ).
- Valerius Caton, poète et grammairien romain du ier s. av. J.‑C.
- Virgile, Géorgiques, livre iii, vers 215‑218, parlant des taureaux en rut (avec mise en exergue du passage cité) :
Carpit enim viris paulatim uritque videndo
femina, nec nemorum patitur meminisse nec herbæ
dulcibus illa quidem inlecebris, et sæpe superbos
cornibus inter se subigit decernere amantis.[Car la vue de la femelle consume et affaiblit peu à peu leurs forces ; elle leur fait oublier les doux délices des herbages ; et souvent, elle pousse deux superbes mâles à se battre à coup de cornes].