< L. latine 5.
> À Johann Caspar I Bauhin, le 4 mai 1641 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Johann Caspar I Bauhin, le 4 mai 1641
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[Universitätsbibliothek Basel, cote G2 I 9:Bl., page 20 ro | LAT | IMG] Très distingué et très aimable Monsieur, [a][1] Cela faisait douze mois que je n’avais eu lettre de vous et bien avant cela, je n’en avais vu aucune autre, hormis celle que M. Paulus Moth m’avait remise. [1][2] Comme j’ai appris de celle-là et de votre dernière, je me réjouis que vous ayez reçu ce fameux (les dieux me pardonnent ce mot) Codex medicamentarius, dont notre État se serait aisément privé, hormis [2] ceux qui, pour se concilier les empiriques et les charlatans, y avancent que le vin émétique est un remède recommandable et de bon aloi. [3][3][4][5][6] La rareté de vos lettres vous fait connaître que nombre d’entre elles ne me sont pas parvenues, que ce soit par manquement des messagers ou pour toute autre raison que j’ignore. [4] Il en a résulté que je vous ai très rarement écrit, ne disposant pas de porteur suffisamment fiable à qui remettre mes lettres en toute confiance et sûreté. Tandis que je me trouvais dans ce doute, voilà que s’est présenté, à point nommé, notre ami M. Lavater, [5][7] sur le point de regagner sa patrie ; il m’a solennellement promis qu’il vous rendrait visite et vous remettrait la présente. Je vous dirai donc, mon cher Bauhin, que je suis en vie et me porte bien, sain et sauf, bien qu’ici chez nous, calamités et misères débordent partout, pour le plus grand malheur de notre France, en raison de cette guerre absolument atroce qui se prolonge de manière fort cruelle. Bien peu de gens savent comment et quand elle finira, et même personne ; mais Deus ipse viderit. [8] Je fus jadis horrifié de voir comment la décision de deux ou trois fripons peut ébranler le monde tout entier ; mais qu’en dirait aujourd’hui un homme parfaitement sensé, s’il en reste encore un ? Je pense que, terrassé par la nouveauté, ou plutôt par la vanité des choses, il s’exclamerait en s’affligeant, Sed Cynthius aurem vellit et admonet ut manum de tabula, pour que cette Camarine n’aille pas me souiller et m’infecter. [7][10][11] On apprête ici tout pour assiéger une nouvelle ville de Flandre, peut-être Saint-Omer, ou Cambrai ; mais nul ne sait encore laquelle ce sera. Notre roi et l’éminentissime cardinal, principal ministre et même chef des chefs, vont bientôt partir rejoindre l’armée, dont les généraux assemblent toutes les troupes au-dessus d’Amiens et les réunissent pour un siège qui aura certainement lieu dans les vingt jours. [8][12][13][14][15] Ô que la paix est pourtant désirable ! car la guerre occasionne d’immenses ravages, surtout pour nous qui aimons une vie tranquille et qui recherchons le loisir très libéral des muses. [Universitätsbibliothek Basel, cote G2 I 9:Bl., page 20 vo | LAT | IMG] Nous avons ici fort peu de choses dignes que je vous en écrive. L’Ennosigæus romain [9][16] se souvient de nous. Pour l’ardent amour qu’il porte à notre salut et per viscera suæ misericordiæ, [10][17] il nous envoie continuellement quelque émanation de ses parfums : tantôt des légats empourprés, qui magno conatu magnas nugas agunt ; [11][18] tantôt des indulgences, qui lui coûtent peu ; [19] tantôt des chapelets avec promesse de la rémission de nos péchés. Et voilà maintenant qu’il ordonne de promulguer un jubilé [20] pour le réconfort de nos âmes, afin que le défaut de consolation ou de nourriture spirituelle ne les affaiblisse ou ne les étiole point, tandis que menace le péril d’un triple fléau, savoir la guerre, la faim et la peste, [21] qui ont pour habitude de mettre nos corps à la torture ; comme si, en vérité, de si légers aliments, qui donnent la nausée à quantité de gens, pouvaient subvenir à notre existence, nous rétablir en bonne santé, ou améliorer l’état déplorable de nos affaires qui, jour après jour, vont de mal en pis, par le soin et le ministère de ceux qui en ont la garde. Voilà ce que je sais de nos affaires, περι του πολιτευματος επεχω, και ουδεν οριζω. [12][22] Mais que vous dirai-je de nos affaires littéraires ? Les œuvres complètes de Daniel Sennert ont ici été ramassées en trois parties ; mais à la pire mode de nos libraires qui sont de purs vauriens et d’exécrables grippe-sous. [23] Tout l’ouvrage est imprimé sur un papier de très mauvaise qualité, et presque maculé ; à cela s’ajoute un nombre quasi infini de fautes typographiques, à la vraie mode parisienne ; si bien que je ne ferai aucun cas de ce livre. [13][24] Je conserverai soigneusement le Sennert que j’ai venant de votre Allemagne ; à tous égards et même pour toutes les raisons qu’on voudra, je le préfère à cet avorton parisien. [14] Le Stadium Medicum de Victor Pallu est un ouvrage enfantin, il est de peu de fruit, pour ne pas dire nul : [15][25] tandis qu’il n’était encore que licencié, à peine sorti de nos bancs, avant d’avoir été reçu docteur, laureolam quærens in mustaceo, [16][26][27] il a recueilli, en en tirant plus d’ostentation et de fanfaronnade que de profit pour quiconque, quelques thèses de médecine sur lesquelles il avait lui-même disputé dans nos Écoles pendant ses deux années de bachelier. [28] Si vous avez à cœur de voir ce livre, indiquez-moi un porteur de confiance, car je pense pouvoir vous l’envoyer sans difficulté. On fait aussi ici suer les presses pour imprimer de nombreux livres, mais ils ne traitent pas de doctrine raffinée : pour l’agrément des dames de la cour, on publie quantité de comédies, tant en prose qu’en vers ; et aussi de nombreux ouvrages de théologie, du genre de ceux qui flattent la bourse et la besace [Universitätsbibliothek Basel, cote G2 I 9:Bl., page 21 ro | LAT | IMG] des moines, [29] et qui font naître la superstition dans les esprits des mortels plutôt qu’ils n’y augmentent la pure dévotion ; ils divulguent fort peu de bon fruit. Les ignaciens, à leur habitude, ne cessent pas d’écrire des centons loyolitiques, mais ce sont de purs centons, qui attrapent et leurrent la plupart des gens. [30] Il paraît qu’on a institué cette Compagnie pour instruire le monde, et elle s’en targue ouvertement ; mais elle a obtenu tout le contraire, car ses copieux commentaires réunis en grand nombre ne procurent rien d’autre que de l’ignorance et plongent dans les ténèbres les lecteurs qui s’arrêtent à ses sornettes. On a publié ici, il y a quelques années, les deux tomes des Consiliorum medicinalium de Guillaume Baillou, jadis notre collègue ; leur lecture ne laisse rien à regretter. L’an passé, on a édité ses Observationes et historiæ epidemicæ, avec trois autres opuscules du meilleur fruit ; [17][31] si vous les désirez, passez-m’en commande et vous les aurez quand vous m’aurez indiqué un porteur convenable. Depuis 1633, Jean Riolan, l’[auteur] de l’Anthropographia, [18][32] avait été médecin de la reine mère en Flandres, à Bruxelles et à Anvers ; [33] il l’avait suivie en Angleterre, [mais] il y a huit mois, atteint d’une maladie longue et opiniâtre, il a fini par quitter Londres et revenir ici. Dans les derniers jours d’octobre dernier, on lui a ouvert la vessie et retiré un calcul ; il s’en est [enfin] remis après bien des souffrances. J’apprends que les mêmes symptômes se remettent à [le] tourmenter et il se demande s’il n’a pas un autre calcul [bloqué] dans la vessie ; il refuse pourtant [obstinément] de se soumettre à une seconde cystotomie, il affirme préférer cent fois mourir que subir à nouveau la cruauté d’un remède aussi inhumain. [19][34][35] J’entends (mais sans l’avoir vu, et [je ne] veux avoir aucun commerce avec un homme d’aussi pénible caractère) [20][36] qu’il se consacre [maintenant] entièrement à écrire un opuscule sur la circulation du sang et [à] examiner le jugement d’Harvey, médecin anglais dont l’[hypothèse] concerne ce sujet. [37][38] Il a dit aussi à un de mes [très bons amis], qui lui a rendu visite, qu’il a trois livres prêts à la publication : 1. son Anthropographia augmentée d’une quatrième partie, qu’il [veut] qu’on imprime in‑fo ; 2. les œuvres de son père, révisées, augmentées et [enrichies] de nombreux traités inédits ; 3. et un autre livre où, dit-il, seront exposées les erreurs qu’on trouve en nombre infini dans les ouvrages [d’anatomie], en particulier ceux d’André Du Laurens, de Caspar Bauhin et d’autres auteurs. [21][39][40][41][42] J’ignore pourtant si tout cela pourra avoir paru avant sa mort. Avant de finir, je voudrais savoir de vous deux choses : après sa 7e décade de thèses [médicales], votre Genathius en rassemblera-t-il une 8e et une 9e ? [22][43][44] et de quelle manière l’Historia Iesuitica in‑4o, augmentée par Lucius, [pourrait-elle] m’être délivrée depuis votre ville de Bâle ? [23][45] Si vous avez trouvé un moyen convenable de le faire, je vous [prie], [Universitätsbibliothek Basel, cote G2 I 9:Bl., page 21 vo | LAT | IMG] mon cher Bauhin, soit de m’en aviser, soit de m’envoyer directement ce livre ; j’en réglerai le prix et celui du transport à qui vous l’aurez remis et même, par la même voie, je vous enverrai tout ce que vous voudrez obtenir venant de Paris. Ces jésuites sont assurément des hommes prodigieux : les pires des fripons et de vieux renards fort rusés qui mettent tout sens dessus dessous, prece atque pretio, [24][46] pour avantager leurs propres intérêts. Par leurs fourberies, ils remuent et machinent tant de choses en Europe qu’un monceau de volumes suffirait à peine à décrire leurs duperies ; et je ne pense pas que toute cette Société infernale soit autre chose qu’une boutique ignoble et corrompue où cuditur quidquid fraudum et scelerum per totum orbem spargitur (ce qu’a jadis écrit Pétrarque à propos de Rome). [25][47][48] Mais je sens que je vous ennuie, mon cher Bauhin, et par ma lettre trop bavarde, et par mes sottes et extravagantes balivernes ; vous pardonnerez donc à un vieil ami qui prend trop ses aises avec vous et me rendrez toujours l’affection que je vous porte. Saluez de ma part, si cela ne vous dérange pas, votre collègue M. Platter, [49] à qui je dois beaucoup, et ajoutez mon nom à la liste de ceux qui vous honoreront éternellement. Vale, très distingué Bauhin. Votre très dévoué et très obéissant en toutes choses, Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris. De Paris, le 4e de mai 1641. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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