L. française reçue 2.  >
De Samuel Sorbière,
non datée (printemps 1651)

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Samuel Sorbière, non datée (printemps 1651)

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9021

(Consulté le 04/12/2024)

 

Monsieur, [a][1][2]

Vous pouvez bien vous plaindre de ce qu’en quelques-unes de mes lettres il m’arrive de parler selon les sentiments que j’ai de votre rare mérite, et je ne trouve pas mauvais que votre modestie me défende de m’en expliquer aussi souvent que je vous écris ; mais je ne saurais vous obéir lorsque vous m’ordonnez de ne dire jamais ce que je pense d’une personne que j’estime infiniment et de laquelle je prends un singulier plaisir de me représenter toutes les actions. Quoi ! Monsieur, vous voudriez que je ne disse rien de l’amitié que vous avez témoignée au bonhomme Caspar Hofmannus, [3] professeur en médecine en l’Université de Nuremberg, [4] du secours que vous lui avez donné sans qu’il vous le demandât, du soin que vous avez pris de ses œuvres et de l’ouverture que vous lui avez faite de votre bourse, qui est une chose que plusieurs tiennent plus soigneusement fermée que leur cœur. Je ne puis point me taire de cette générosité, ni de la dépense que vous faites tous les jours en vos doctes correspondances, ni de mille autres choses qui font rechercher votre conservation en pleine santé presque autant que l’on souhaite vos visites lorsque l’on est malade. Néanmoins, ce ne sera pas maintenant que je vous ferai de la peine par la liberté de mes discours et je m’abstiendrai ici de faire autre chose que désigner les titres des chapitres sur lesquels je pourrais vous incommoder. Il suffit de vous avoir montré que je vous connais bien et que je puis parler pertinemment de votre vertu, que j’en ai les actes en main et que je puis vérifier tout ce que j’en aurais à dire. Il reste que je réponde à vos questions curieuses aussi bien qu’à vos plaintes injustes et que je vous informe de ce que vous désirez savoir. Les animadversions de feu mon oncle [5] sur Josèphe [6] sont entre les mains de sa veuve qui les garde comme un trésor, [1][7][8] duquel elle espère de retirer une bonne somme d’argent. Je ne sais s’il se trouvera quelque docte curieux assez riche pour acheter des écritures indigestes qui demanderaient beaucoup de loisir et d’érudition talmudique afin qu’elles pussent être mises en état de voir le jour. Quas vero author ipse cum non absoluisset, moriens pro non inchoatis haberi voluit[2] Je ne crois pas non plus que nous ayons jamais aucun ouvrage posthume de Walæus [9] qui nous promettait entre autres un Celsus[10] mais qui se tua de mon temps en se traînant vers ses malades tout indisposé qu’il était et en éprouvant sur lui-même les remèdes qu’il préparait pour les autres. La mort de cet homme, qui a été deux ans à Leyde mon plus proche voisin, et celle de Veslingius, [11] tous deux décédés en la fleur de leur âge, pleins de savoir et d’industrie, sont une perte irréparable pour la médecine. Celle de Barlæus, [12] de laquelle vous me demandez quelques circonstances, n’est pas de ce rang, quoiqu’il fût très galant homme, car il se trouvera toujours plus d’excellents poètes que d’excellents médecins. Lorsque j’étais à Amsterdam, [13] on parlait diversement de la fin de sa vie, comme s’il y avait eu de la mélancolie qui l’eût avancée. [3][14] Il est vrai qu’ayant fait une oraison funèbre en vers sur la mort du prince d’Orange [15] et que le docteur Spanheim [16] en ayant prononcé une en prose, il supporta très impatiemment l’inégalité de leur récompense. [4] Car, comme disait plaisamment M. de Saumaise, [17] on fit une étrange bévue, donnant la paye de cavalier au fantassin et celle de fantassin au cavalier : [5] Barlæus n’eut que 500 livres et l’autre eut 500 écus. De ce dernier, je ne vous puis dire que ce que l’on publiait lorsqu’il fut décédé, [6] que Saumaise l’avait tué et que Morus [18] avait été le poignard. L’histoire est longue et pour la toucher en peu de mots, je n’ai à vous dire, si ce n’est que M. de Saumaise n’aimait point feu M. Spanheim par quelque jalousie d’esprit et de réputation dans l’École ; que pour le mortifier, il fit appeler en Hollande M. Morus, duquel il ne connaissait que le nom, mais qui était le fléau et l’aversion de son collègue ; que le docteur remua ciel et terre pour l’empêcher de venir, et qu’il mourut lorsqu’il eut nouvelles que son adversaire était en chemin. [7] Cependant, il faut rendre cette louange à la mémoire de ce docte Allemand, je dis même de l’aveu de M. de Saumaise, qui ne prodiguait pas les siennes, Qu’il avait la tête forte et bien remplie d’érudition, qu’il était propre aux affaires, ferme et adroit, ardent et laborieux. Il faisait des leçons publiques en théologie quatre fois la semaine, il en faisait de plus d’une sorte de privées à ses écoliers ; il écoutait les proposants ; il prêchait en deux langues, la sienne et la nôtre ; il visitait les malades ; il écrivait une infinité de lettres ; il composait en même temps deux ou trois livres sur des sujets tout différents ; il assistait tous les mercredis au Conseil de Son Altesse qui l’attirait à La Haye ; [19] il était recteur de l’Université ; [20] et parmi toutes ces occupations, il ne laissait pas de faire la recette et la dépense de sa maison qui était pleine de pensionnaires. Je ne puis pas porter mon jugement de son antagoniste sans vous le rendre suspect pource qu’il est mon intime ami depuis le collège, c’est-à-dire depuis plus de 25 ans, et que j’ai livré pour lui des batailles où le P. Jarrige [21] s’est rencontré ; [8] mais il est certain et tout le monde avoue qu’il a l’esprit tout de feu, qu’il a de vastes pensées, qu’il brille et qu’il éclate extraordinairement. Le R.P. Denis, [22] duquel je vous ai parlé en mes lettres précédentes, est un bon père capucin d’Avignon fort rompu en la lecture des saintes Écritures. [23] Il les a lues depuis trente ans sept fois toutes les années, le Nouveau Testament en grec et le Vieil en hébreu. Or, comme il est prodigieusement versé dans l’Histoire ancienne, il a entrepris un docte travail de Personis et locis Scripturæ sacræ, comme d’autres ont déjà fait de Animalibus[9] Il n’y a aucun lieu dont il soit fait mention qu’il ne décrive exactement, ni aucune personne de laquelle il ne donne la généalogie ou ne dise tout ce qu’on en peut apprendre. Vous avez vu l’Onomasticon Glandorpii sur l’Histoire romaine, [10][24] le dessein de ce docte religieux est tout semblable sur un sujet différent. Quant au Cornelius ab Hoghelande[25] duquel vous avez Cogitationes de œconomia animalis[11] c’est un gentilhomme catholique grand ami de M. Descartes. [26] Lorsque je demeurais à Leyde, il exerçait une médecine charitable et ne demandait des pauvres gens qu’il traitait qu’un fidèle rapport du succès de ses remèdes ; et comme il était ravi d’entendre que les affaires succédaient bien, qu’on se portait un peu mieux ou qu’on était entièrement guéri, il ne se rebutait point aussi de sa pratique lorsqu’on lui disait que la maladie était empirée, qu’un tel symptôme était survenu et qu’à la quarantième selle le pauvre patient était expiré. Car il était fort homme de bien, il louait Dieu de toutes choses ; et voyant, par le moyen de ses trois éléments, des raisons de tous les phénomènes, desquelles il se satisfaisait, il ne désespérait jamais de remédier une autre fois aux plus fâcheux inconvénients de sa pharmacie. J’ai été souvent dans son laboratoire, et je l’ai vu plusieurs fois au vestibule de son logis en pantoufles et en bonnet de nuit, distribuant de huit à neuf heures du matin et de une à deux heures après midi des drogues qu’il tirait d’un cabinet qui en était bien pourvu. Son père [27] avait travaillé au grand œuvre [28] et même il en a écrit, si je ne me trompe. [12] Mais le fils ne se servait de la chimie que pour la médecine, et il n’employait les remèdes de cet art qu’au défaut des communs et des galéniques qu’il mettait premièrement en usage. Et en voilà assez, Monsieur, pour ce courrier. Je vous entretiendrai une autre fois plus à loisir des autres savants dont vous me demandez des nouvelles, car je sais un peu mon Heinsius, [29] mon Jehan de Laet, [13][30] mon Beverovicius, [31] mon Heereboord, [14][32] mon Triglandius [33] et mes autres gens de lettres de la nouvelle Attique. [15] Je nomme volontiers de ce nom les Pays-Bas [34] puisque les sciences s’y étaient transportées, chose étrange ! lorsqu’ils devinrent le champ de la guerre, comme si Pallas s’était piquée d’y retenir le nom de Minerve [35] et d’être la maîtresse de ces Provinces à plus de titre que Mars n’en avait de s’en dire le maître. [16][36][37] Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Sorbière.

À Orange < sans date >.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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