L. latine reçue 8.  >
De Roland Desmarets de Saint-Sorlin,
Avant 1650

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Roland Desmarets de Saint-Sorlin, Avant 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9096

(Consulté le 19/03/2024)

 

[Desmarets, livre i, page 29 | LAT | IMG]

Épître x.

Les bibliothèques publiques sont peu utiles aux gens studieux, car elles ne leur prêtent pas les livres[a][1][2]

Très obligeant Monsieur Patin,

Il s’avère que les bibliothèques publiques sont d’usage extrêmement ancien : on se souvient que Pisistrate [3] fut à Athènes le premier à avoir offert à lire au public des livres dédiés aux arts libéraux. Les rois ptolémaïques [4] ont plus tard rassemblé un nombre immense de volumes. [1][5] À Rome, Auguste a ouvert aux citoyens, sur le mont Palatin, une bibliothèque grecque et latine, [6] exemple qu’ont suivi tous ceux des empereurs qui ont témoigné de la même libéralité et du même amour que lui en la matière. [2][7] De notre temps aussi, en maints endroits, ainsi que dans notre pays, de somptueuses bibliothèques sont ouvertes à l’usage de tous. Toutefois, pour ceux qui les fréquentent, s’il m’est permis de dire la vérité, certaines d’entre elles sont souvent de moindre intérêt qu’il n’y paraît à première vue. Je me demande en effet quel homme studieux peut tirer profit d’un endroit où il ne peut travailler que certains jours et à certaines heures, et la plupart [Desmarets, livre i, page 30 | LAT | IMG] du temps dans le tumulte et la cohue. Quel mal y a-t-il donc à emporter un livre, que vous lirez tranquillement à la maison, puisque vous jugez cet endroit solitaire et sans contrainte, et nul ne doute que le plus profond silence soit tout à fait propice à l’étude ? Cela fait que les bibliothèques servent le plus souvent à satisfaire la curiosité plutôt que le bénéfice des lecteurs, qui ne font qu’y parcourir les titres des livres et regarder leur aspect extérieur, ou ne les effleurent que très superficiellement ; il est hors de question qu’ils puissent y chercher un passage précis ou déchiffrer les vieilles écritures des manuscrits. De combien de temps y dispose-t-on donc vraiment quand il faut parcourir entièrement un livre ? Je ne dis pas cela pour condamner ou désapprouver le recours aux bibliothèques publiques : je n’extravague pas à ce point, même si leur principal profit est de permettre à de savants hommes de s’y rencontrer pour s’entretenir des belles-lettres. Néanmoins, elles seraient à mon avis bien plus utiles si elles prêtaient parfois leurs livres, de manière que chacun ait la liberté d’en user à loisir ; mais, dira-t-on, la bibliothèque se disperserait et viderait alors rapidement, car ceux qui gardent les livres des autres n’estiment pas [Desmarets, livre i, page 31 | LAT | IMG] commettre un larcin. Je voudrais donc que cela ne fût permis qu’à des personnes sûres et honorables, et ce sur leur engagement signé : il me semble du reste tout à fait évident que ce serait rendre grand service à tout le monde. Mais pourquoi tout cela, me direz-vous ? Eh bien, c’est pour vous déclarer que je ne vous regarde pas comme moins aimable que sage quand vous comprenez quel précieux fruit je récolte en me penchant sur vos livres, et même quand, chaque fois que vos occupations vous en donnent la liberté, vous l’augmentez en recueillant avec soin ce que contiennent les autres volumes dont vous me faites part. En cela vous montrez votre aversion pour ceux qui, à l’instar du chien d’Ésope, [3][8] prennent rarement leurs livres en main, si grand soit leur nombre, et refusent aux autres d’en user. Ainsi offrez-vous généreusement aux gens de votre connaissance, même éloignée, et à plus forte raison à vos amis, de consulter les volumes que détient la très riche bibliothèque que vous possédez. [9] Appartenant au nombre de ces élus, j’en use très fréquemment. Bien que je pense vous être très attaché à cet égard et à maints autres, j’ai voulu que cette lettre en porte aussi le témoignage. Vale.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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