< L. 240.
> À Charles Spon, le 16 août 1650 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 16 août 1650
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Je vous envoyai ma dernière vendredi 12e jour d’août par la voie de M. Falconet à qui j’écrivis un mot par occasion d’un de ses amis que j’avais ici rencontré. Et dès le lendemain, qui fut samedi, je reçus votre belle et agréable lettre datée du 9e d’août, de laquelle je vous remercie autant que d’un précieux joyau à cause de la joie qu’elle m’a causée par tant de bonnes choses que j’y ai apprises. Deux heures après que j’eus reçu votre dite lettre, je m’en allai moi-même au coche de Lyon où je reçus votre paquet, dont je vous remercie très affectueusement. Iampridem sum in ære tuo. [1] Si je ne m’en acquitte, ce n’est point faute de bonne volonté ; j’en ai bonne envie, peut-être que Dieu m’en fera quelque jour la grâce. M. Guénault [2] m’a dit que Mme la Princesse la mère [3] se contentait fort de M. Le Gagneur, [4] mais que M. le Prince [5] haïssait Bourdelot [6] et que, trois jours avant que d’être prisonnier, il lui avait donné charge de lui chercher un médecin pour son fils, le duc d’Enghien, [2][7] à la place de Bourdelot qu’il voulait chasser. [3] M. Guénault parle du dit Bourdelot avec grand mépris et je ne doute point qu’il le haïsse fort ; aussi font tous ceux qui le connaissent, dans l’esprit desquels il passe pour un grand fourbe. Le voilà néanmoins aujourd’hui à Bordeaux [8] avec Mme la Princesse, [9] enveloppé dans une guerre dont l’issue est fort incertaine. Il est vrai que M. Guénault est fort hardi au fait de l’antimoine, [10] dans l’usage duquel il réussit aussi peu que pas un ; j’en ai trop de témoignages. Pour les autres remèdes, il est comme les autres, et omnia illius sunt mediocria ; [4] ce qu’il a d’excellent est une certaine prudence politique et courtisane, par le moyen de laquelle il est bien plus fin et rusé que la plupart de nos jeunes docteurs qui se sentent encore du maître ès arts. [5] Mais il n’est point seul en cet ordre : MM. Riolan, [11] Merlet, [12] Allain, [13] Moreau, [14] Guillemeau [15] et autres lui donneraient de la tablature en cette matière, aussi bien que MM. Brayer, [16] Rainssant, [6][17] Piètre [18] (qui n’a plus tantôt que deux mois de son doyenné). [7] Pour le sieur Béda des Fougerais, [19] on ne le met point au rang des honnêtes gens : il est chimiste et empirique, [20] et fait ce qu’il peut pour gagner avec effronterie et impudence, sans assaisonner son fait de cette prudence commune à nos Messieurs de ci-dessus qui sont capables de lui faire leçon en toute sorte de bonnes choses ; il assure de guérir tout le monde, il fait rage de promettre de son côté et d’en savoir bien plus que tous les autres, que tel et tel ne savent que saigner et purger, [21] mais que lui a de grands secrets, etc. ; sicque omnibus et singulis detrahendo, omnium odio dignus vivit. [8] Quand il changea de religion [22] (en cas qu’il en ait quelqu’une), son père [23] même dit qu’il ne s’en étonnait point, qu’il l’avait reconnu impie, luxurieux et idolâtre de l’argent ; [9] et un ministre dit La quille nous a quittés, nous n’y avons rien perdu, les papistes n’y ont rien gagné, car c’est un fripon ; [10] et véritablement je tiens pour très vrai tout ce que ce ministre en a dit. Il a par ci-devant été grand donneur d’antimoine, mais il en a été si mauvais marchand qu’il s’en est retiré ; il ne laisse pas néanmoins de promettre merveilles à tous ceux qu’il rencontre disposés et capables d’être trompés par lui. Quæ quidem omnia de Elia Beda sunt verissima, [11] je n’aime ni à mentir, ni à médire ; aussi n’est-ce point par principe de médisance que j’en parle, mais de pure vérité afin que vous le sachiez, et que vous connaissiez ce personnage qui est grand valet d’apothicaires et grand cajoleur de belles femmes, desquelles il a quelquefois été fort maltraité. Utinam sapiat in posterum. [12] J’ai délivré à M. Ravaud [24] deux paquets assez médiocres, l’un pour vous et l’autre pour M. Musnier [25] de Gênes, [26] ce dernier est tant soit peu plus gros. Ils doivent être rendus à M. Huguetan [27] dans ses balles, et m’a assuré que l’on enverrait à Gênes celui de M. Musnier le mois de septembre prochain. Vous trouverez dans votre paquet celui de M. Du Prat, [28] un petit de M. Moreau, et de moi ce qui suit : le deuxième tome de la Géographie du P. Briet ; [29] une douzaine de thèses [30] de notre Faculté ; Definitiones philosophicæ, in‑24 ; [13][31] Epigrammata Naudæi, in‑8o ; [14][32] Oratio D. Du Hennot in funere Iac. Capreoli, in‑4o ; [15][33][34] Floretum philosophicum Ant. Le Roy (in cuius præfatione multa habentur de Francisco Rabelæso, quæ illi aucthori subministravit qua de causa mei sæpius meminit) ; [16][35][36][37][38] L’École de Salerne [39] en vers burlesques in‑4o ; Abrégé de la vie de Guillaume Cousinot, in‑4o ; [17][40][41] Traité de l’esprit de l’homme et ses fonctions par M. Chanet ; [42] Rolandi Maresii Epistolarum philologicarum liber 1, in‑12 ; [18][43] Gul. Harvæi Exercitatio Anatomica de Circulatione sanguinis, in‑12, ad Io. Riolanum. [19][44][45][46] Et hæc pauca habui quæ tibi nunc mitterem, [20] en attendant le P. Caussin [47] et tout ce qui pourra suivre. Prenez patience de ce que je vous envoie pour le présent, en attendant mieux s’il m’en vient quelque occasion. On parle ici fort et avec appréhension de la grande armée de l’Archiduc, [48] et du maréchal de Turenne. [49] Depuis la prise de La Capelle, [50] ils ont approché de plusieurs villes. On dit ici depuis hier qu’ils ont assiégé Saint-Quentin, [51] les autres disent Laon. [21][52] Quoi qu’il en soit, tout ce pauvre pays de Picardie est en un horrible désarroi par les désordres et la négligence du Mazarin. [53] Je vous remercie de la faveur que m’avez faite de me recommander aux bonnes grâces de M. Gras, [54] desquelles je fais grand état. Je suis ravi qu’il ait reçu ses livres d’Allemagne, dont je me souviens qu’il m’a parlé. Il y a entre autres un Alstedius [55] de la première impression que je serai ravi d’avoir, [22] à la charge d’autant et de le récompenser de deçà de tout ce que je pourrai. Dieu le veuille bien ramener d’Auvergne et nous donner de ses bonnes nouvelles. M. Ravaud m’avait dit tout ce que vous me mandez de Vittorio Siri ; [56] je ne doute point qu’il ne flatte beaucoup le Mazarin, mais il a beau faire, suum cuique decus rependet posteritas, [23][57] comme dit quelque part Scaliger le père adversus Cardanum. [58] Si le Mazarin se fait craindre aujourd’hui, il est assuré qu’un temps viendra qu’on ne le craindra plus et que l’on dira de lui, et de quelques autres tyranneaux qui sont près de lui, d’étranges vérités. Je vous avertis que j’ai une grande inclination pour Ovide, [59] aussi bien que vous, et que je loue fort l’éloge qui lui a été donné par un moderne qui l’a élégamment et véritablement appelé Compendium ingeniorum. [24][60] C’était un honnête homme à mon gré et un bel esprit. J’aime fort à lire, à cause de lui, ce qu’un certain de Lingendes [61] a mis au-devant des Métamorphoses en français :
Le rencontre que vous avez fait de mon nom avec le sien ne me plaît pas : [26] plût à Dieu que je lui ressemblasse autant de l’esprit comme je fais de nom, car au lieu de Guido, quelques savants italiens disent Vidus, les autres Vidius ; et même M. le président de Thou [62] a dit Vidus Brassacus, Vidus Faber Pibracius. [27][63][64][65][66] M. Paschal, [67] ambassadeur pour le roi aux Grisons, [68] qui a écrit la vie de M. le président de Pibrac, a toujours pareillement dit Vidus. [28] Quoi qu’il en soit, c’était un bel esprit, les œuvres duquel je lirais volontiers s’il m’était permis. J’entends si j’en avais le temps, car pour la dispense du pape, j’en suis bien guéri, aussi bien que de toutes les autres fanfreluches romaines et papalines, quibus muliercularum detinentur et irretiuntur ingenia. [29] Pour le surnom de Naso, il me pourrait convenir par la sympathie que j’ai avec les grands nez et la haine que je porte aux camus, qui sont presque tous puants et punais. [30] Pour la victoire que je remportai sur le Gazetier, [69] où son chien de nez fut si bien mouché, je vous dirai qu’il y a du rencontre, [31] vu qu’il y a justement aujourd’hui huit ans, la veille de l’Assomption de Notre Dame, le 14e d’août 1642, environ trois semaines ou un mois après que j’eus l’honneur de vous avoir vu et salué en cette ville, [70] qui fut le commencement de notre amitié, laquelle m’a été très fortunée et très heureuse, tam in materia quam in forma. [32] Cette année me fut glorieuse et fort agréable multis nominibus : [33] 1. à cause d’un mariage qui se fit dès le commencement de l’année, dont j’ai été très content et qui m’a fort réussi, dans une grande et puissante famille de cette ville ; [34] 2. pour votre connaissance ; 3. pour mon procès [71] que je gagnai sur le Gazetier, laquelle victoire me donna de grandes connaissances et beaucoup de bons amis ; 4. parce que cet an même, je fus nommé et choisi, et mis dans le chapeau avec feu M. de La Vigne, [72] pour être doyen de notre Faculté, sors cecidit super Vignerum ; [35][73] 5. que le cardinal de Richelieu [74] mourut, qui était un grand tyran et un grand fourbe, lequel je haïssais autant que Néron [75] et que la peste même. Le procès du Gazetier me donna dès lors des connaissances qui m’ont bien servi depuis et me servent encore. Pour la mort de ma belle-mère, [76] gardez-vous bien d’en pleurer, je vous en prie, elle ne l’a jamais mérité. C’était une bonne vieille femme fort avaricieuse qui ne craignait rien tant que la mort, laquelle néanmoins l’a prise à la fin en sa belle maison des champs, [77] après avoir bien dîné, adeo verum illud Martialis : [78] Nullo fata loco possis excludere, cum mors Venerit, in medio Tibure Sardinia est. [36] Elle est allée devant, nous irons après. Omnia transibunt, nos ibimus, ibitis, ibunt, Ignari, gnari, conditione pari. [37] Quand M. Merlet eût pris le même chemin, il n’y eût point eu grande perte, mais Sic erat in fatis, [38][79] il faut prendre patience, quandoquidem sic placuit Superis. [39] M. Moreau [80] est son grand consultant, [81] et à beaucoup d’autres, mais il est tout autrement plus utile à nous tous et à toute notre Faculté que toute cette vessaille merlétique et normannique. [40] M. de Sorbière [82] est parti d’ici depuis quatre jours, il s’en va à Lyon et delà, à Orange. [83] Il vous verra à Lyon, il a sa femme [84] qui est une jeune Hollandaise de fort bonne grâce avec un petit enfant [85] qu’elle allaite. [41] Je vous prie quand vous le verrez de lui présenter mes très humbles recommandations, et de lui dire que j’ai grand regret que je n’aie eu le bonheur et le moyen de l’entretenir ici plus longtemps : depuis six mois, nequidem mihi licuit somno indulgere quantum opus erat. [42] M. Bochart [86] s’en est retourné à Caen [87] trois jours auparavant que M. Vossius [88] partît d’ici pour s’en retourner en Suède. Il est fort bon homme dans l’entretien et un des plus savants du monde dans la connaissance des langues orientales. Il ne m’a point parlé du deuxième tome du Phaleg, mais bien qu’à la semonce de la reine de Suède, [89] il travaillait à un livre de Animantibus sacræ Scripturæ. [43] Je suis bien aise que soyez venu à bout du nez polypeux [90] du moine d’Ambourney, [44][91] il est bien heureux d’être tombé entre vos mains. Dans votre dernière, vous ne me parlez point du Feyneus, [92] quand donc sera-t-il fait ? quand est-ce que nous le pouvons espérer ? avez-vous su de Montpellier en quel an il y mourut ? J’espère que vous m’en ferez part quand vous l’aurez appris, c’est une chose que je serai bien aise de savoir. [45] Pour nouvelles de Bordeaux, je viens d’apprendre qu’ils ont pendu dans la ville un capitaine qu’ils avaient prisonnier, du régiment de Navailles, en revanche de ce que le maréchal de La Meilleraye [93] et le grand prévôt de l’Hôtel [94] avaient fait pendre le capitaine du château de Vayres ; [46][95][96] que le chevalier de La Valette [97] avait été blessé à l’attaque de l’Isle de Saint-Georges [98] et qu’il était mort de sa blessure ; [47] mais que néanmoins, le traité de la paix de Bordeaux s’avançait fort, qui sera une nouvelle dont j’aurai grande joie quand elle sera certaine. On dit aussi de la cour que M. le duc d’Anjou [99] a été un peu malade. Le Clergé qui est ici assemblé, [100] envoie des députés à la reine, [101] pour lui redemander la liberté du prince de Conti ; [48][102] que si elle ne le veut rendre, protestation de ne point donner un sol au roi, au lieu de quatre millions que l’on en voulait espérer pour les affaires du roi. L’oraison que m’avez envoyée de M. Morus, de Calvino, [103] est imparfaite de la feuille de g ; [49] et d’autant que le tout est double, faites-moi la faveur de me renvoyer une feuille entière pour les deux exemplaires et me mander aussi quel a été votre dessein de m’envoyer double ce dernier présent votre : savoir si vous ne l’avez pas destiné à quelqu’un que vous avez peut-être oublié d’exprimer en votre lettre. Tout ce qu’on dit ici de Bordeaux est fort incertain, nous en attendons demain de certaines nouvelles par le courrier ordinaire ; puissent-elles être fort bonnes pour eux et pour tous ceux qui défendent leur liberté contre la tyrannie. Je me recommande à vos bonnes grâces et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Patin. De Paris, ce mardi 16e d’août 1650. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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