À Charles Spon, le 16 août 1650, note 16.
Note [16]

Floretum philosophicum seu Ludus Meudonianus in terminos totius philosophiæ. Autore Antonio Le Roy Presbytero, Cenomanensi I.V. Licent. Opus elucubratum Meudonii in Musæo clariss. Fr. Rabelæsi, ibidem aliquando Rectoris, Doctoris Medici et Scriptoris Notissimi. Præmissis diversis Meudonii Elogiis et amplissima eiusdem Rabelæsi Commendatione.

[Parterre fleuri philosophique, ou le Jeu meudonnais sur les limites de toute la philosophie. Par Antoine Le Roy, prêtre, licencié en droit natif du Mans. {a} Œuvre travaillée avec soin à Meudon dans le cabinet du très illustre Fr. Rabelais, là même où il fut jadis curé, {b} docteur en médecine et écrivain très connu. Avec au début divers éloges de Meudon et une très ample recommandation du même Rabelais]. {c}


  1. Natif de La Ferté-Bernard (date inconnue), Antoine Le Roy fut chanoine du Mans puis régent de philosophie au collège d’Harcourt ; « c’était un ardent admirateur de Rabelais dont il a fait l’apologie dans ce curieux ouvrage » (G.D.U. xixe s.).

  2. V. note [3], lettre 619.

  3. Paris, I. Dedin, 1649, in‑4o de 271 pages.

    Le Floretum forme le corps de l’ouvrage : c’est un lexique du vocabulaire philosophique allant du pronom A au mot Zona (zones de la Terre et du Ciel), mais sans références explicites à Rabelais. Les copieuses pièces liminaires (v. infra) pourront plus intéresser ceux qui s’intéressent à la vie de Rabelais et à sa légende.


Guy Patin a mal ficelé sa parenthèse sur ce livre :

« Sa préface contient bien des informations sur François Rabelais, qu’il a procurées à cet auteur, {a} c’est pourquoi je me la remémore très souvent. »


  1. Le Roy, écrivant sa préface à Meudon le 1er janvier 1649, n’a pu procurer aucune information à Rabelais (mort en 1553, v. note [9], lettre 17) : il faut remplacer illi Authori, « à cet auteur » par de illo Authore, « à propos de cet auteur ».

L’épître dédicatoire de Le Roy à Germain Piètre (procureur du duc d’Orléans et fils du médecin Nicolas Piètre, v. note [137], lettre 166) est suivie des 95 pages de l’Illustre Meudonium sub Clarissimo Francisco Rabelæso, Rectore, Doctore Medico, et Scriptore Notissimo [Illustre Meudon au temps du très brillant François Rabelais, curé, docteur en médecine et très célèbre écrivain]. Patin, qui s’en régalait, y est cité en trois endroits.

  1. Pages h [iv] vo‑i ro, sur la difficulté à se procurer les ouvrages de Rabelais : {a}

    Si mihi autem nunc adesset, quæ aliquando fuit apud Cenomanos ampla divesque Bibliotheca, nescio quid non de Rabelæso e meorum familiarium magistrorum consiliis atque concilio in medium proferrem. Sed quoniam in alieno velut peregrinus solo, nec non in rusticulo oppidulo, in quo quantumlibet illustri nulla librorum mihi subest facultas, nisi quos succisivis horis mutuos a clarissimis viris M. Guidone Patin et Iacobo Mantel, mihi perbenevolis Doctoribus Medicis, aliisque non ingratis amicis me Parisiis obtinuisse fateor : sed non, ut necesse fuisset, præ multitudine magnitudineque voluminum ab urbe transferendos, devorandos potius quam legendos, volutandos magis quam degustandos.

    [Si je me souviens maintenant de ce qu’a naguère été pour moi la vaste et riche bibliothèque du Mans, je ne sais pourquoi je n’exposerais pas publiquement ce que j’ai tiré des leçons et des avis de mes chers précepteurs à propos de Rabelais. Pourtant, vivant ailleurs comme un étranger, dans une petite ville de la campagne, {b} où, si connue qu’elle puisse être, je ne dispose d’aucun accès facile aux livres, j’avoue les avoir occasionnellement obtenus de Paris, par emprunt à MM. Guy Patin et Jacques Mentel, {c} très brillants docteurs en médecine qui ont été fort bien intentionnés à mon égard, ainsi qu’à d’autres bienveillants amis. Ce n’était pas pour le simple plaisir de les faire venir de la capitale, en dépit de la qualité et la quantité des volumes, mais pour les dévorer plutôt que les lire, pour m’y vautrer plutôt que les déguster].


    1. V. note [19] du Borboniana 9 manuscrit pour la rareté des éditions de Rabelais au milieu du xviie s.

    2. Meudon, v. note [23], lettre 166.

    3. V. note [6], lettre 14.

  2. Pages i ij ro‑vo, sur le lieu de la mort de Rabelais :

    M. Guido Patin, Bellovacus, Doctor Medicus Parisiensis, antiquitatum diligentissimus investigator, earumque reum, quæ aut in libris aut a natura videntur involutæ interpres ad miraculum scientissimus, mihi narravit se fideliter accepisse a Domino d’Espaisse, sanctissimi Consistorii Consiliario, et in Hollandiam Legato, qui et ipse a nobilissimo Viro, Parente suo, D. Præside Spessæo ita didicerat, nempe Rabelæsum Parisiis defunctum ac sepultum in communi Christianorum monumento ad D. Pauli templum, et ad radices arboris, quæ ibi paucis abhinc annis cernebatur,

    Relligione patrum multos servata per annos.

    Nulla autem alia corporis inhumati restant vestigia propter nova quædam claustra ibidem ædificata. Unde non ut Atheo, sed ut pio ac vero catholicæ et orthodoxæ fidei cultori supremus est sepulturæ redditus honos : sepulchrum vero honorificentissimum habet doctissimorum quorumlibet elogia : potuitque in suum ipse epitaphium usurpare Ennianum illud,

    Nemo me lachrymis decoret, nec funera fletu
    Faxit : cur ? volito vivus per ora virum.

    Meus autem ad M. Guidonis Patin narrationem facile assensus inclinat, quod nulla patrum memoria filiis relicta et quasi per manus tradita, apud cives nostros Meudonianos mortalis vitæ muniis Rabelæsus fuisse Meudonii defunctus divulgetur. A quibusdam mihi quoque narratum est eum e vivis decessisse in parœcia S. Agyli, vulgo S. Ay ad Magdunum super Ligerim, vulgo proche Meun sur Loire, apud Aurelianenses.

    [M. Guy Patin, natif du Beauvaisis, docteur en médecine de Paris, explorateur très diligent des antiquités, et interprète merveilleusement instruit des choses qui semblent enfouies dans les livres ou qui le sont par nature, m’a raconté avoir fidèlement appris de M. d’Espeisses, conseiller d’État et ambassadeur en Hollande, lequel l’avait lui-même su de son très noble père, M. le président d’Espeisses, {a} que Rabelais était mort à Paris et avait été enterré dans le cimetière public des chrétiens qui est auprès de l’église Saint-Paul, {b} au pied d’un arbre sur lequel on lisait encore voilà quelques années :

    Ayant observé pendant nombre d’années la religion des pères. {c}

    Il ne subsiste cependant aucun vestige de ce corps inhumé car un nouvel enclos a été depuis bâti à cet endroit. L’ultime honneur de la sépulture a donc été rendu à un pieux et sincère pratiquant de la foi catholique romaine, et non à un athée. La parfaite honorabilité de son tombeau vaut les épitaphes de tous les plus doctes personnages qu’on voudra, et il aurait pu se choisir ces vers d’Ennius :

    Nemo me lachrymis decoret, nec funera fletu
    Faxit : cur ? volito vivus per ora virum
    . {d}

    Je suis enclin à partager aisément ce récit de M. Guy Patin : aucun mémoire des ancêtres transmis à leurs descendants, comme de la main à la main, chez nos citoyens de Meudon, n’établit que Rabelais s’y est acquitté des devoirs imposés à tout mortel. Certains m’ont aussi raconté qu’il est décédé dans la paroisse de Saint-Ay, proche de Meung-sur-Loire, dans l’Orléanais]. {e}


    1. V. notes [15], lettre 41, pour Charles Faye seigneur d’Espeisses et [20] du Borboniana 2 manuscrit pour son père, Jean (1543-1590), président au mortier du Parlement de Paris.

    2. V. note [7], lettre 55, pour l’ancienne église Saint-Paul, dans le Marais. Les biographies modernes de Rabelais confirment ce lieu de sépulture.

    3. V. note [3], lettre 619, pour une citation de cette épitaphe par Patin en 1660.

    4. « Ne m’honorez pas de vos larmes, et que mes funérailles se fassent sans pleurs ! Et pourquoi donc ? Parce que je suis en vie, je vole sur les lèvres des hommes. »

      V. note [7], lettre 33, pour Quintus Ennius.

    5. Proches d’Orléans, Saint-Ay et Meung-sur-Loire (v. notule {c}, note [6] du Borboniana 7 manuscrit) sont deux petites villes de l’actuel département du Loiret, situées à six kilomètres l’une de l’autre.

  3. Page i iij vo, sur les portraits de Rabelais :

    Præterea, si imago animi vultus est indicesque oculi, ex sola depicta eius specie coniicere est, digna certe imperio, quantus fuerit Rabelæsus, non illa quidem ficta et commentitia quæ passim vulgo circumfertur, quamque vidi pluribus in locis, Meudonis in Horto D. Antonii Grandet ; Cenomanis apud Michaëlem Bugleau, Regium Tabellarium, mei amantissimum : Parisiis passim, quæ omnes Momi potius vel Mimi personam referunt, seu hominis ridiculi, quam Viri præcellentis ; sed quam vidi ad vivum depictam et commentitiæ oppositam apud D. Guidonem Patin, Doctorem medicum Parisiis, quem frequentissime nominare non erubiumus, qui cum sit absconditissimæ reconditissimæque rei literariæ studiosus, nec non in exquirendis comparandisque antiquitatis stemmatibus valde curiosus, suam quoque non dedignatur Bibliothecam studiosis curiosisque viris amplissimam patere, eosque suis iuvare colloquiis quam humanissime, unde et mihi absque ulla aliorum commendatione supplicanti et incognito maximam scribendi materiam impertivit. Vidi non absimilem apud D. Du Soul, Advocatum in Supremo Senatu, sed ridiculam gesticulationibus, quippe quæ seniorem refert vultum et canos absque rugis ullis, at vero caput opertum striato pileolo, et præ manibus crystallinum cyathum vino rubenti redundantem, quæque respondeat temulentiæ per Ronsardum descriptæ ; tenue profecto atque haud satis dignum in consanguinea domo monumentum. De cætero autem prioris, quæ est apud D. Patin, non dissimilis mihi videtur, si florentioris ætatis venustas, et gravitatis, ut ita dicam, decencia non abesset. Fuit itaque Rabelæsi forma et species et statura ad dignitatem apposita, facies venusta in qua nihil ineptum vitiosumque sit, nec severa nimium nec tristis, sed quæ gravitatem cum comitate contemperet ; nulla frontis ac supercilii contractio, oculi venusti, color suavis, nasi nulla prorsus reprehensio est, genæ leviter eminentes, satis bene capillatus et barba satis ampla rotundaque, referens colorem nucis avellanæ præmaturæ ; oris ea fuit venustas, atque suavitas, ut in illud mel suum Apes dixeris congessisse.

    [En outre, si le visage est l’image de l’esprit et les yeux, son reflet, voir son portrait, à condition que l’authenticité en soit certaine, suffit à deviner quel grand homme fut Rabelais ; sans bien sûr se fier à celui qui circule partout, inventé et mensonger, et que j’ai vu en maints endroits : à Meudon, dans le jardin de M. Antoine Grandet ; {a} au Mans, chez mon grand ami Michel Bugleau, notaire du roi ; ici et là à Paris ; mais tous le représentent sous les traits d’un Momus {b}, ou plutôt d’un pantomime, ou d’un être ridicule, que d’un éminent personnage. J’en ai pourtant vu un, peint sur le vif et criant de vérité, chez M. Guy Patin, docteur en médecine de Paris, que je n’ai pas rougi de citer si souvent, {c} tant il est fin connaisseur de la littérature la plus enfouie et la plus rare, mais aussi fort curieux de rechercher et collectionner les portraits anciens. Il ne dédaigne par non plus d’ouvrir sa très riche bibliothèque aux amateurs et aux curieux, et de les aider fort aimablement de ses conversations. Il m’a ainsi communiqué, sans me connaître et sans que je lui aie été recommandé par quiconque, une très abondante matière pour rédiger mon mémoire. J’ai vu un portrait assez semblable chez M. Du Soul, avocat à la Grand’Chambre, mais agité de gesticulations ridicules. On y voit certes le visage d’un homme âgé, aux cheveux blancs mais sans aucune ride ; il a la tête couverte d’un petit bonnet rayé et tient une coupe de cristal remplie de vin rouge, en référence à son goût pour la beuverie que Ronsard a dépeinte, {d} mémorial tout à fait chétif et bien peu digne dans le logis d’un apparenté. {e} Pour le reste, il ne m’a pas semblé différent du premier, que j’ai vu chez M. Patin, mais fort éloigné de la beauté de l’âge mûr et, dirais-je, du sérieux qui y convient. Sa figure, son aspect et sa prestance ont donc servi la dignité de Rabelais : beau visage sans rien de sot ni de vicieux, ni trop sévère ni trop triste, mais où le sérieux se mêlait à la gravité ; jolis yeux sans nul froncement des sourcils et du front ; teint agréable, nez sans aucun défaut, chevelure assez abondante, et barbe ronde et assez fournie, rappelant la couleur de la noisette non encore mûre ; beauté et douceur de la bouche telles que vous auriez dit que les abeilles y avaient déposé leur miel]. {f}


    1. Antoine Grandet, sieur de la Villette, prévôt et chanoine de l’église Saint-Nicolas-du Louvre, a été curé de Meudon.

    2. Dieu romain de la raillerie, v. note [37], lettre 301.

    3. Décrivant à André Falconet, dans sa lettre du 2 décembre 1650 (v. sa note [2]), la galerie de portraits qui décoraient son étude, Patin a dit de celui de Rabelais qu’on lui en avait autrefois offert 20 pistoles.

    4. Épitaphe de François Rabelais par Pierre de Ronsard, qui le décrit comme un insatiable biberon.

    5. La famille de l’avocat parisien Gabriel Du Soul était alliée à celle de Rabelais.

    6. Georges d’Albenas est auteur d’un opuscule de 74 pages, intitulé Les Portraits de Rabelais avec la reproduction par l’héliogravure des portraits de la Faculté de médecine de Montpellier, de Michel Lasne et de Sarrabat (Montpellier, Camille Coulet, 1880, in‑4o). Il y a transcrit et traduit {i} cette relation de Le Roy (pages 22‑25), avec cette conclusion :

      « Cette transcription du portrait de Rabelais, que Le Roy a vu dans le cabinet de Guy Patin et qu’il signale comme le plus fidèle de tous ceux qui sont à sa connaissance (et il en avait vu un grand nombre), correspond de tous points à celui qui se trouve à la Faculté de Montpellier ; {ii} on n’en saurait donner un signalement meilleur et plus exact. »

      1. Ma traduction est indépendante de celle d’Albenas, et en diverge passablement.

      2. Ce tableau daté de 1537 (reproduit en noir et blanc) est l’un des trois qui figurent dans le livre d’Albenas.

Catherine Ravier a dirigé mon cabinet quand je présidais la Commission médicale d’établissement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (2012-2016). En juillet 2021, visitant le musée de La Devinière, à Seuilly (Indre-et-Loire), installé dans la maison natale de Rabelais, elle est tombée en arrêt devant un tableau de piteuse facture où figure Guy Patin : placé en arrière-plan, il est entouré de François Rabelais à sa droite et de Renée Descartes à sa gauche, tous trois caricaturés dans leurs poses les plus caractéristiques. La vignette de cette peinture la dit être une « huile sur bois du xixe s., copie d’après un tableau original du xviie s. (entre 1649 et 1672) », et ajoute : « Épistolier, admirateur de Rabelais et de Descartes, Patin se fait “ humblement ” représenter, flanqué des deux penseurs qui, pour lui, représentent la quintessence de l’esprit français. »

Le même mois, par bizarre coïncidence (peut-être liée à une configuration astrale particulière, favorable à ces trois messieurs…), Jean-François Vincent, le très vigilant directeur de notre édition, a été avisé de cette même image et m’en a communiqué une reproduction (référencée « Bibliothèque de Versailles no 140 »), qui figure sur la couverture d’une brochure publiée en 1653 par l’Association des amis de Rabelais et de la Devinière, pour le quatrième centenaire de la mort de « l’Auteur François ». Elle est accompagnée d’une notice (Type de Guy Patin, page 12), que chacun pourra lire, mais sans en apprendre beaucoup plus sur l’origine et l’authenticité du portrait.

De ces deux gloires tourangelles, Patin vénérait incontestablement Rabelais, mais méprisait Descartes (v. note [18], lettre 220). Quant au visage de Patin, le barbouilleur l’a repris de la gravure qui figure sur le frontispice de notre édition (dessinée par Antoine Masson en 1670). Le folklore muséologique réserve décidément de curieuses surprises : une si poussiéreuse croûte n’en méritait vraiment pas tant.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 août 1650, note 16.

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(Consulté le 27/04/2024)

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