Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-3, note 27.
Note [27]

Cet article ne vient pas d’une lettre de Guy Patin, mais il me semble authentique car son propos et ses références sont tout à fait dans son esprit et correspondent à ses lectures avérées.

  • Ars notoria, en français « L’Art notoire » ou « La Mémoire artificielle », est un des Colloques familiers d’Érasme, {a} qui fait dialoguer Desiderius et Erasmius (c’est-à-dire Érasme, Er., avec son alter ego, Désiré, Des.). Le thème en est exposé par Er. :

    Audio artem esse quamdam notariam, quæ hæc præstet, ut homo minimo negotio perdiscat omnes disciplines liberales.

    [J’apprends qu’il y a une espèce d’art notoire, {b} à l’aide duquel on peut acquérir sans peine toutes les sciences].

    La citation de L’Esprit de Guy Patin se réfère à sa conclusion :

    Des. Ad hæc, quum nihil audias nisi bene Latine loquentes ; quid obstat, quominus intra paucos menses ediscas Latine, quum illiterati pueri Gallicam, aut Hispanicam linguam discant, exiguo temporis spatio ?
    Er. Sequar tuum consilium, experiarque num possit hoc ingenium Musarum jugo mansuescere.
    Des.
     
    Ego aliam artem noriam non novi, quam curam, amorem, et assiduitatem.

    [Des. De plus, comme tu n’entends que des gens qui parlent bien le latin, qui t’empêche d’apprendre cette langue en quelques mois, puisque les enfants, qui n’ont aucune teinture de lettres, apprennent en fort peu de temps le français ou l’espagnol ?
    Er. Je suivrai ton avis, et je verrai si mon intelligence pourra se plier au joug des Muses.
    Des. Pour moi, je ne connais d’autre art notoire que le travail, l’amour de l’étude et l’assiduité]. {c}


    1. V. note [8], lettre 73.

    2. « On appelle art notoire, une science ou un art qui fait parvenir ceux qui le savent à la connaissance de toutes choses, de toutes les sciences, par infusion et sans peine, en faisant seulement quelques cérémonies. L’ignorance de la plupart des hommes, et la peine que les savants ont eue à apprendre ce qu’ils savent, montrent que le prétendu art notoire est chimérique et inconnu » (Trévoux).

      Quintilien (v. note [4], lettre 244) en a fait l’art d’exercer sa mémoire et en a attribué la perfection à Simonides de Céos, poète grec du ve s. av. J.‑C. (L’Institution oratoire, livre xi, chapitre 2).

    3. J’ai mis en italique la réplique finale citée par L’Esprit de Guy Patin. Victor Develay a fourni une bonne traduction française de tout ce colloque (Paris, 1876, tome 3, pages 165‑169).

  • V. note [54], lettre 97, pour le jésuite hispano-flamand Martin Anton Delrio et ses six livres de « Recherches sur la magie ». À la référence indiquée (édition de Mayence, 1617, pages 446‑449), j’ai préféré le résumé fourni dans l’Avertissement (Monitioviii de l’Anacephalæosis [Récapitulation] du livre vi (ibid. pages 1049‑1050), intitulé Pro iis qui scientiam infusam affectant certis ritibus sine labore, etc. [Pour ceux qui cherchent à acquérir la science infuse par des rites efficaces, sans effort, etc.] :

    Monendi primo, curiositatem sciendi non necessaria, non modo non utilem, sed valde noxiam esse solere. Spiritum sapientiæ et intellectus a solo Deo expectandum : quo non qui volunt, sed quos placet, solet implere. […]

    Præterea tales admonendi sunt, subesse periculum superstitionis, et tentationis Dei. Nam qui scientiam quærunt, modis insolitis, utrique se periculo exponunt. Naturaliter scientiæ paulatim, successu temporis, lectione, auditione, et experientia acquiruntur (ut recte Aristoteles) : petere a Deo ut infundat, sicut Danieli et Salomoni fecit, est petere ut sine necessitate miraculum edat : quod est tentare Deum. Adhibere orationes, aut alia, ad hoc non instituta a Deo aut Ecclesia, est vanitatem quærere et mendacium diligere (ut ait Psalmista) et proinde superstitiosum. Orandus itaque Deus, et nobis simul naturali conatu elaborandum. Nam facientes Deus adjuvat. Periculum magnum est : ne arti memoriæ (quæ tradi potest præceptis locorum et cellularum ad hoc accommodatis) aliquid superstitionum artis Notoriæ admisceatur : hoc ergo ut caveant, monendi.

    [Il faut d’abord les avertir que la curiosité de savoir des choses qui ne sont pas nécessaires est une habitude non seulement inutile, mais profondément nuisible. L’esprit de sapience et d’intelligence n’est à attendre que de Dieu : il a coutume de les procurer non pas à ceux qui le veulent, mais à ceux qu’il lui plaît. (…)

    En outre, il faut leur rappeler que cela les expose au danger de superstition et de provocation de Dieu, car ceux qui cherchent à acquérir le savoir par des moyens insolites, s’exposent à ce double péril. Les sciences s’acquièrent naturellement petit à petit, au fil du temps, par la lecture, l’écoute des maîtres et l’expérience (comme l’a justement dit Aristote) : demander à Dieu qu’il nous les infuse, comme il fit pour Daniel et pour Salomon, {a} c’est lui demander de faire un miracle sans nécessité, et cela revient à provoquer Dieu. User de discours ou d’autres moyens que ni Dieu ni l’Église n’ont institués à cette fin, c’est poursuivre la vanité et chérir le mensonge (comme dit le Psalmiste), {b} et donc être superstitieux. Voilà pourquoi il faut prier Dieu, surtout pour qu’il nous fasse progresser dans l’effort naturel, car Dieu assiste ceux qui le font. Il y a grand péril qu’à l’art de mémoire (que peuvent transmettre les enceintes {c} des lieux et des cellules qui ont été aménagées pour ce faire) ne se mêle quelqu’une des superstitions de l’art notoire. Voilà pourquoi il faut les en prévenir afin qu’ils s’en gardent]. {d}


    1. Le prophète et le roi-prophète à qui Dieu est réputé avoir inspiré plusieurs livres de la Bible.

    2. Le roi David.

    3. J’ai tenu præceptis [préceptes] pour une faute d’imprimerie, à la place de præcinctis : les enceintes des monastères et des écoles où s’acquiert le savoir orthodoxe.

    4. Delrio distingue donc bien ici (comme ailleurs dans son livre) l’art de mémoire, louable manière d’étudier pour acquérir du savoir, conformément à la volonté divine, de l’art notoire, moyen artificiel, magique, démoniaque et condamnable de l’obtenir sans labeur.

Je ne pousserai pas mon acharnement à pourchasser les plagiats des rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin jusqu’à dire qu’ils ont emprunté leur matière au texte de Louis Moréri sur l’art notoire (Paris, 1707, tome premier, page 380) : il cite Delrio, mais omet Érasme.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-3, note 27.

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(Consulté le 26/04/2024)

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