« aux Vierges divines de Sichem et de Hal ».
Peu avant sa mort (1606), dans l’exaltation mystique de sa conversion au catholicisme (v. infra note [33]), Juste Lipse rédigea deux curieux ouvrages qui firent scandale parmi les calvinistes :
- Diva Virgo Hallensis. Beneficia eius et Miracula fide atque ordine descripta,
[La divine Vierge de Hal, ses bienfaits et ses miracles décrits fidèlement et point par point] ; {a}
- Virgo Sichemensis sive Aspricollis, nova eius beneficia et admiranda.
[La divine Vierge de Sichem ou Montaigu, ses récents bienfaits et merveilles]. {b}
- Anvers, Ioannes Moretus, 1605, in‑4o de 86 pages ; traduction :
La Notre-Dame de Hau. Ses bienfaits et miracles fidèlement recueillis et arrangez en bel ordre. Par le très docte Justus Lipsius, historiographe de Leurs AA. Sérmes, {i} et de leur Conseil d’État. Traduits du latin, par M. Louis du Gardin de Montaigne, licencié en médecine, et appensionné de la ville d’Enghien. {ii}
- L’archiduc Albert d’Autriche et son épouse Isabelle Claire Eugénie, v. notule {b}, note [23] du Grotiana 2.
- Bruxelles, Rutger Velpius, 1605, in‑8o de 155 pages.
- Anvers, Ioannes Moretus, 1606, in‑4o de 70 pages ; réédition à Louvain, Henr. Hastenius et Petr. Zangrius, 1623, in‑4o de 82 pages ; traduction :
Histoire miraculeuse, de Notre-Dame de Sichem, ou Mont-aigu en Brabant. Écrite en latin par Juste Lipse. Traduite en français au Collège de Tournon {i} de la Compagnie de Jésus par un des professeurs du dit Collège. À la fin est ajouté un abrégé des choses plus remarquables, arrivées en divers lieux : mais principalement à Tournon, par les Images faites du Chêne de la même Notre-Dame de Sichem. Item un Poème de l’invention de ladite Image. {ii}
- V. note [3], lettre 284.
- Tournon, Claude Michel, 1615, in‑12 de 421 pages.
Hal et Sichem étaient deux lieux de pèlerinage du Brabant espagnol. Dans l’église collégiale de Hal, à 15 kilomètres au sud de Bruxelles, on vénère depuis le Moyen Âge une Vierge noire. À Sichem, aujourd’hui Scherpenheuvel-Zichem à 25 kilomètres au nord-est de Louvain, on adorait Notre-Dame de Montaigu (Aspricollis en latin, Scherpenheuvel en flamand) ; les misères qui se sont abattues longtemps sur cet endroit (peste, guerre, incendie, tremblement de terre) ont sans doute favorisé le développement du culte marial ; l’archiduc Albert et l’infante Isabelle y avaient fait construire une magnifique église au début du xviie s. Les traditions les plus incertaines et les fables les plus puériles, auxquelles Lipse avait donné foi, lui valurent les insultes des protestants et les reproches des catholiques eux-mêmes.
Nisard (Juste Lipse, chapitre ix, pages 107‑109) :
« Il eût été très agréable à Lipse d’être l’historiographe du roi, très honorable d’être trouvé digne par les États d’écrire l’histoire de la Belgique et très commode de n’en rien faire, si les jésuites n’eussent pas toujours été là, menaçants et attendant toujours quelque nouvelle preuve de sa résipiscence. Mais il pressentait les désirs de ces tyranniques protecteurs et se tenait constamment prêt à les satisfaire. Il avait eu, soi-disant, dès son enfance un culte passionné pour la Sainte Vierge. Un jour qu’il était allé en pèlerinage à Notre-Dame de Hal, à quelques milles de Bruxelles, comme il contemplait les magnifiques offrandes qui couvraient les autels et les parois de la chapelle, il entendit je ne sais quelle voix intérieure qui lui dit d’écrire l’histoire des miracles opérés par la sainte patronne de ces lieux. Il fit vœu à l’instant de l’exécuter et comme gage de sa parole, il suspendit à l’autel de la madone une plume d’argent accompagnée d’une vingtaine de vers latins en manière de dédicace. Cela fait, il écrivit ce chef-d’œuvre qu’il corrobora d’un nouveau chef-d’œuvre du même genre en l’honneur de Notre-Dame de Sichem. La foi religieuse est une chose en soi si respectable qu’on ne saurait être trop circonspect quand on examine les formes sous lesquelles elle se produit. Aussi n’ai-je rien à redire à la tendresse de Lipse pour la Vierge ni à la dédicace qu’il lui fit de sa plume ; mais j’avoue ne rien comprendre à cette superstition de vieille femme qui paraît avoir inspiré Lipse dans le récit des miracles des deux Notre-Dame. Ce n’est pas de la foi, c’est (le mot est un peu dur) de l’imbécillité. Quoi aussi de plus maladroit ! Lipse avait été initié assez longtemps, assez intimement au protestantisme pour savoir que les contes de cette nature n’avaient pas peu contribué à lui recruter des prosélytes ; que l’exploitation déhontée de prétendus miracles, aussi bien que le trafic des indulgences, avait détaché de Rome plus de fidèles que les arguments des ministres réformés. Au lieu donc de combattre l’influence anticatholique, il conspirait avec elle et s’exposait non plus à une critique digne de lui, digne de ses remarquables travaux, mais à la risée de tout le monde, catholiques comme protestants. […] Les outrages lui arrivèrent successivement de Hollande, de France, d’Allemagne et d’Angleterre ; on eût dit que ses ennemis se fussent donné le mot et qu’ils se relayassent. Lipse ne fut plus pour eux qu’un gentil qui ramenait l’idolâtrie du fond des enfers. »
V. les notes [24]‑[31] du Grotiana 1, pour de copieux compléments sur la consternation que les deux livres dévots de Lipse provoquèrent chez les érudits protestants de son époque. |