À Hugues II de Salins, le 15 novembre 1657, note 39.
Note [39]

« mais tous les imposteurs ne sont pas châtiés de la même manière ».

Guy Patin n’était qu’incomplètement informé et donnait un premier récit fort approximatif de la sombre affaire que voici.

Alors qu’elle se rendait à Rome en décembre 1655, Christine de Suède avait fait halte à Pesaro où le cardinal Luigi Omodei l’accueillit somptueusement (Quilliet, page 261) :

« Au grand bal donné en son honneur le 14 au soir, la reine remarque trois jeunes hommes qui exécutent avec une grâce indicible les deux dernières danses à la mode, la gagliarda et le canari. Conscients d’avoir été remarqués, les trois amis improvisent alors, aux acclamations unanimes de l’assistance, une série de tableaux vivants consacrés aux Travaux d’Hercule. »

C’étaient le comte Francesco-Maria Santinelli, son jeune frère, le vicomte Lodovico, et leur ami le marquis Gian Rinaldo Monaldeschi. Séduite par tant de jeunesse, de force et d’aisance, Christine les avait aussitôt pris à son service.

Ibid. (page 262) :

« Malgré les apparences, malgré leurs relations étroites avec certains prélats, malgré leurs manières parfois raffinées, les trois compagnons étaient en fait des nobliaux ruinés, des semi-escrocs vivant d’expédients, des dépravés sans scrupules, sans foi ni loi. Détail supplémentaire et non négligeable : nos trois larrons se livraient ardemment à la sodomie dans un esprit tout à fait démocratique, puisque, au cours de leurs échanges successifs, ils savaient faire alterner sans exclusive les rôles actif et passif […]. Les spectacles intimes que ces dévoués prosélytes se complurent à donner sous les yeux de Christine durant les nuits fiévreuses de Pesaro nous resteront toujours inconnus dans leurs détails, mais il est à peu près certain que la jeune femme put enfin voir ce dont, jusque-là, elle n’avait qu’une connaissance bien abstraite à travers les “ sonnets luxurieux ” de l’Arétin {a} et les explications techniques de Bourdelot. »


  1. V. note [12] du Patiniana I‑3.

Installée au château de Fontainebleau au début d’octobre 1657 avec toute sa bande, Christine attendait une invitation officielle de la cour pour entrer dans Paris, tout en rêvant pour elle du trône napolitain dont une ruse de Mazarin lui avait fait miroiter la possibilité (conjonction de Compiègne, conclue le 22 septembre 1656). La garnison espagnole de Naples se renforçant, comme si elle avait eu vent du projet secret d’expédition française contre la ville, la reine de Suède soupçonna que quelqu’un de son entourage avait trahi. La découverte de lettres compromettantes désigna Monaldeschi. Ses dénégations maladroites ne firent qu’attiser la fureur de la reine. Elle décida sans procès la mort de son premier écuyer. Le 10 novembre, il comparaissait devant elle dans la galerie des Cerfs, en présence du P. Le Bel, prieur des Mathurins de Fontainebleau (v. note [9], lettre 504), de Lodovico Santinelli et de deux sbires italiens. Les supplications de Monaldeschi n’y firent rien : il fut livré désarmé à ses assassins ; la cotte de mailles qu’il portait sous sa chemise leur rendit la tâche ardue ; Santinelli et ses séides n’en vinrent à bout qu’au poignard, en attaquant la tête et la gorge. ibid. (page 322) :

« Quelques instants plus tard, Christine réapparaît, marche sans dégoût apparent dans les flaques de sang, pousse le corps d’un pied dédaigneux et conclut calmement : “ Il est donc mort. Je ferai dire des messes pour le repos de son âme. ” »

Dans l’église paroissiale d’Avon, une plaque de marbre commémore toujours l’événement :

« Le samedi 10 novembre 1657, à 5 heures ¾ du soir, ont été déposés près du bénitier les restes du marquis de Monaldeschy, grand écuyer de la reine Christine de Suède, mis à mort dans la galerie des Cerfs du château de Fontainebleau à 3 heures ¾ du soir. »

V. note [10], lettre 504, pour la relation de ces événements par la Grande Mademoiselle. Le R.P. le Bel a été témoin direct du meurtre et en a laissé un récit très détaillé dans le Recueil de diverses pièces curieuses pour servir à l’Histoire (Cologne, 1664, pages 77‑92), référencé dans la note [58] des Déboires de Carolus.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 15 novembre 1657, note 39.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0503&cln=39

(Consulté le 26/04/2024)

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