Autres écrits
Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑3 (1701)  >

Codes couleur
Citer cet écrit
Imprimer cet écrit
Imprimer cet écrit avec ses notes

×
  [1] [2] Appel de note
  [a] [b] Sources de la lettre
  [1] [2] Entrée d'index
  Gouverneur Entrée de glossaire
×
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Ana de Guy Patin : Patiniana I-3 (1701)

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8198

(Consulté le 25/04/2024)

 

Paris, 1701, pages 61‑90 [1]

  • Le prétendu roi Sébastien de Portugal[2] duquel ont parlé M. de Thou [3] et Pierre Matthieu, [4] qui parut à Venise [5] l’an 1600, était un imposteur qui fut suscité par les Portugais pour faire enrager le roi d’Espagne. [1][6] Il y a toujours eu de ces imposteurs en tous pays. Voyez l’Arrêt de Toulouse [7][8] contre Martin Guerre[2][9] Je pense que Zaga Christ[10] qui se disait ici roi d’Éthiopie en était un aussi. Il mourut à Rueil [11] près de la maison du cardinal de Richelieu, [12] l’an 1638. Je ne trouve en toute son histoire rien de meilleur que les quatre vers qui furent faits sur sa mort :

    « Ci-gît le roi d’Éthiopie,
    Soit original ou copie :
    La mort a vidé les débats,
    S’il fut roi ou ne le fut pas. »

    Le Père Louis Jacob, [13] qui l’a vu à Rome et fréquenté particulièrement, m’a assuré qu’il était véritablement prince d’Éthiopie. [3]

  • La vie de Tycho Brahe [14] a été composée par le bon M. Gassendi. [15] Ce fut ce Tycho Brahe qui, dans le traité qu’il fit de la Comète l’an 1574, [16] qui disparut à la mort de Charles ix[17] après avoir duré depuis le massacre de la Saint-Barthélemy, [18] a dit qu’en vertu de cette étoile naîtrait vers le Nord, dans la Finlande, un prince qui ébranlerait l’Allemagne et qui disparaîtrait enfin l’an 1632. Voilà précisément Gustave roi de Suède. [4][19][20]

  • Le P. Adam [21] est un jésuite de Limousin qu’on a fait taire pour avoir prêché à Saint-Paul [22] contre saint Augustin. [23] Au sortir d’un de ses sermons, la reine mère demanda à un homme de sa cour ce qu’il en pensait. Ce seigneur répondit gentiment que ce père l’avait convaincu de l’opinion des préadamites ; [24] la reine lui ayant demandé ce qu’il voulait dire, « C’est, dit-il, que ce sermon m’a fait voir clairement qu’Adam n’est pas le premier du monde. » [5]

  • Le sieur de La Peyrère [25] a fait un livre par lequel il prouve qu’Adam n’est pas le premier homme. Prodiit liber anno 1655, Amstelodami, in‑4o. Cet auteur profitebatur sectam Calvinisticam[6][26] Il était gentilhomme du prince de Condé. [27] Il prétend prouver dans son livre qu’Adam n’a pas été le premier des hommes, mais seulement le premier entre les juifs. Depuis, il s’est retiré chez les prêtres de l’Oratoire, aux Vertus, [28] sans changer d’habit. [7]

    Inter opera quæ circumferuntur nomine Paracelsi[29] il y a un traité intitulé de hominibus non Adamicis ; [8] mais comme cette matière est curieuse, aussi est-elle bien difficile et bien dangereuse ; il n’appartient qu’à des gens sages et d’une grande modération d’en écrire.

  • Duo sunt animalia mendacissima, Herborista et Chymista[30][31] J’en pourrais ajouter une troisième, que je ne vous dirai qu’à l’oreille. [9]

  • Dante[32] poète italien, a fait trois livres, du Paradis, du Purgatoire et de l’Enfer, qui sont une satire universelle, où il drape tout le monde. Il avait commencé ces livres en latin par ce vers :

    Pallida regna canam fluido contermina mundo[10]

    Puis il changea d’avis et les fit en italien. Ils sont traduits en français et commentés. Il y a inséré des histoires qui sont assez difficiles à entendre. Il était né à Florence l’an 1265 ; il fut chassé de cette ville environ l’an 1301. Durant cet exil, il étudia à Bologne et vint aussi à Paris. Il a écrit plusieurs autres traités qui sont dénombrés dans les Éloges de Papire Masson, [33] page 19. [11] Dante eut trois femmes successivement, et n’a eu qu’un fils.

  • Petrus Aretinus [34] était de son premier métier un relieur de livres, qui devint grand poète et grand orateur. Il fit grande fortune et devint très riche par les présents qu’on lui envoyait, de peur qu’il ne lui prît envie de médire : aussi était-il fort médisant, et d’une façon noire et piquante. On dit qu’il était athée, [35] son épitaphe semble le dire :

    « Ci-gît Pierre l’Arétin qui, tant qu’il a vécu, a médit de tout le monde, hormis de Dieu, duquel il n’a point parlé parce qu’il ne le connaissait point. »

    C’était un esprit admirable, capable de tout ; il faisait le matin des commentaires sur la Genèse[36] l’après-dînée, il travaillait à ces infâmes postures qui portent son nom. C’était un homme extrêmement débauché[37] et on a dit de lui ce qu’on disait autrefois d’Origène : [38] Ubi bene, nemo melius ; ubi male, nemo pejus[12] Il était ennemi juré de Nicolas Franco, [39] qui fit cent sonnets italiens contre lui. Arétin n’avait pas beaucoup de science, mais il avait grand esprit, si malin et si médisant qu’il fut surnommé le fléau des princes. Le Grand Turc Soliman, [40] le pirate [41] Barberousse, [42] Charles Quint, [43] François premier [44] et plusieurs autres princes lui donnaient pension pour l’empêcher de médire d’eux. [13]

  • Nicolaus de Lyra [45] était un juif qui se convertit et se fit cordelier. C’est de lui qu’on dit : Nisi Lyra lyrasset, Nemo in Biblia saltasset[14] parce qu’il a commenté toute la Bible. [46] Il mourut l’an 1349. Le tombeau de Nicolas de Lyra avec son épitaphe est dans le chapitre des Cordeliers de Paris, [47] en marbre ; il était autrefois dans l’église, au bas du chœur. Il est mort le 23 octobre l’an 1349, selon les Éphémérides chronologiques du P. de Saint-Romuald, [48] feuillant, page 464 du tome second. [15]

  • Joannes Casa[49] archevêque de Bénévent, [50] avait été secrétaire du pape. [51] Il était fort vicieux, comme il l’a montré par une de ses pièces intitulée Capitole del forno[16][52] Voyez ce qui en est dit in Confutatione fabulæ Burd. p. 360[17][53]

  • Chalcondyles [54] était grec de pays et de religion, qui vint en Italie : il était athénien, il a écrit l’histoire en grec, que Vigenère [55] a mise en français. [18]

  • Petrus Martyr [56] était un Milanais protonotaire du pape. [57] Il a écrit un livre intitulé Epistolæ de rebus Hispanicis, in‑fo. Il est très bon, mais il n’est pas commun. Recusæ fuerunt Martyris Epistolæ an. 1670 in Hollandia[19]

  • Constantinople [58] fut prise par les Turcs sur le dernier empereur chrétien, qui s’appelait Constantin, [59] l’an 1453, la seconde fête de la Pentecôte. [60] Un certain jésuite dit un jour en chaire que Dieu avait permis que cette ville fût prise par les Turcs sur les Grecs un des jours de la fête du Saint-Esprit, pour les punir de ce qu’ils ne voulaient pas mettre entre leurs articles de foi la procession du Saint-Esprit. J’aimerais mieux qu’il eût dit qu’à compter d’aujourd’hui pareil jour de la fête de la Pentecôte de la présente année 1643, auquel nous parlons, il y a cent quatre vingt dix ans que, par la prise de Constantinople, les belles-lettres ont commencé à fleurir en Europe. [20]

  • La Légende dorée est une espèce de vie des saints faite en latin par un P. dominicain [61] nommé Jacques de Voragine. [62] Melchior Canus, [63] qui était un grand homme et un savant dominicain, a fort désapprouvé cette Légende, disant qu’elle a été écrite par un homme plumbei ingenij, ferrei pectoris, judicij nullius aut hebetis[21] C’est un livre plein de contes extravagants et ridicules. [64] La Vie des saints écrite par Ribadeneira [65] n’est guère moins ridicule. M. Servin [66] faisant l’anagramme du nom de ce père, Petrus Ribadeneira, l’appelait Petrus de Badineria[22] Mais les vies de quelques nouveaux saints, écrites par quelques modernes, sont encore pires : témoin, la Vie de sœur Marie de l’Incarnation [67] faite par M. Du Val, [68] et autres. Melchior Canus donne de bons avis dans son livre second pour ôter cet abus de l’Église dont les protestants se moquent et abusent. [23][69]
    Il serait à souhaiter que les arts et les sciences eussent chacun un bon auteur pour les éclaircir, tel qu’est ce Melchior Canus sur la théologie ; mais je ne vois pas qu’aucun approche du dessein de ce grand personnage.

  • Thomas Erastus [70] est un médecin du Palatinat, [71] grand esprit et aussi habile dans la théologie que dans la médecine. Il a écrit contre Paracelse ; mais il reste encore bien des choses à faire : il faudrait dans la médecine faire le procès à toute la pharmacie, comme Melchior Canus l’a fait aux vies des saints, où il y a des fables. [24]

  • C’est une chose ridicule que les demandes qu’on fit à une démoniaque nommée Adrienne du Fresne[72][73] qui était une fille de par delà Amiens, qui vint à Paris l’an 1604. Les sottes et scandaleuses questions qu’on lui fit sont décrites dans le 5e volume de l’Histoire de M. de Thou, page 1136 et suivantes. Cela n’est-il pas plaisant de vouloir découvrir des vérités cachées par le moyen de la révélation du diable qui est le père du mensonge ? [25][74]

  • Il n’y a pas de signes bien assurés que le diable soit en un corps s’il ne produit des choses toutes surnaturelles. Le rituel romain a donné trois marques que l’ancienne Église a voulu être gardées touchant la distinction qu’il faut faire de ceux qui sont vraiment et réellement possédés d’avec ceux qui ne le sont pas. Ces trois signes sont : 1. si linguis loquantur novis ; 2. si revelent secreta cordis ; 3. si moveatur corpus supra vires naturæ[26] Il est vrai que ces trois choses sont bien étranges, mais encore ne suffisent-elles pas, quamvis latentis Dæmonis sint signa æquivoca ; [27] joint que je ne puis entendre ni comprendre comment le diable peut savoir ce qu’un homme a dans le cœur, il n’y a que Dieu qui sache cela. Ces fréquentes possessions sont autant de fourberies : ce sont des maux de matrice, [75] des démons de chair qui se remuent et qui prennent ces pauvres filles à la gorge.

  • L’ambassadeur de Portugal qui était à Paris l’an 1641, après beaucoup de soin, trouva un homme qui ressemblait en beaucoup de choses à son nouveau roi, Jean iv[76] Il en fit faire le portrait et le présenta au cardinal de Richelieu qui, l’ayant bien considéré sans dire mot, laissa enfin échapper de sa bouche : « Voilà le portrait d’un homme qui sera quelque jour pendu. » Je pense qu’il voulait dire par là que l’Espagnol venant un jour à attraper ce nouveau roi, le ferait pendre. [28]

  • Franciscus Sanchez [77] était un médecin portugais habitué à Toulouse. Il était chrétien et né de parents juifs, il avait beaucoup d’esprit et était grand philosophe. Son livret quod nihil scitur est fort beau. Son traité de Divinatione per insomnia vaut son pesant d’or. Il a fait aussi un livre espagnol de la Méthode universelle des sciences, qui est fort docte. Il est mort à Toulouse âgé de soixante-dix ans, l’an 1632. [29]

  • La providence des moines, et surtout des mendiants, ce sont les femmes. Ces bons pères ont bien des obligations à ce bon et pieux sexe féminin. [78][79]

  • Il paraît un livre intitulé Observations de Charles Labbé, [80] pour la restitution du livre de Imitatione Christi [81] à son vrai auteur, M. Jean Gerson, [82] chancelier de l’Église et Université de Paris, dont le privilège a été obtenu par lui le 12 septembre 1654. Il y a quantité de choses très curieuses concernant l’auteur et les éditions de ce livre. [30]

  • M. de Saumaise [83] était fils d’un conseiller au parlement de Dijon. [84][85] Il donna bien du chagrin à son père quand il se fit calviniste ; [86] il s’était retiré depuis longtemps à Leyde. [87] Il est mort aux eaux de Spa [88] ce mois de septembre 1653. Voici des vers sur sa mort :

    Ingens exigua iacet hac sub mole sepultus
    Assertor regum, Numinis atque pugil :
    Finivit Spadæ vitam Salmasius hospes,
    Traiectum cineres ossaque triste tenet.
    Quod mortale fuit, periit : pars altera cœlis
    Reddita, fit major, doctior esse nequit
    [31]

  • M. Vallot [89] est premier médecin du roi. Dieu veuille qu’il ne donne pas à ce prince, [90] dont la vie est si chère à toute la France, du vin émétique. [91] Il en donna à Gargant, [92] intendant des finances, qui mourut d’en avoir pris ; depuis ce temps, on l’appelle Gargantua[32][93]

  • Le bonhomme M. de La Mothe Le Vayer [94] s’est marié dans un âge fort avancé. Il a voulu perdre la vie par l’endroit qui la lui avait donnée. [95] On peut dire de lui ce que Paul Jove [96] a dit de Manard : [97]

    In fovea qui te moriturum dixit Aruspex
    Non mentitus erat, conjugis illa fuit
    [33]

  • M. de Noyers[98] secrétaire d’État, qui avait les affaires de la Guerre, fut disgracié et congédié le vendredi 10e d’avril 1643 à neuf heures du soir par Louis xiii[99] auquel beaucoup de choses avaient été dites de ce secrétaire. S’il n’eût été disgracié, les jésuites eussent obtenu le lendemain au Conseil privé [100] l’arrêt d’association à l’Université de Paris, etc. [34][101]

  • Le vrai auteur du Mars Gallicus est Cornelius Jansenius, évêque d’Ypres en Flandres. [102][103] Celui du Petrus Aurelius est Joannes Vergerius Auranus, dit autrement l’abbé de Saint-Cyran. [104][105] Celui de l’Optatus Gallus est M. Hersent, prêtre parisien et célèbre prédicateur. [106] L’auteur légitime des trois traités qui ont été faits et imprimés à Paris l’an 1643 pour la défense de l’Université contre les jésuites, sous le nom d’Apologies et Vérités académiques, est un brave garçon picard, fils d’un chirurgien, enfant de Beauvais, nommé Godefroi Hermant, bachelier de Sorbonne âgé de vingt-deux ans : [107] voilà de beaux fruits pour un premier commencement ; s’il va jusqu’à l’automne de son âge, il en pourra produire de merveilleux. Le vrai auteur des Mille vers[108] qui est une satire très violente contre le cardinal de Richelieu et ses adhérents, faite l’an 1636, laquelle commence ainsi,

    Peuples, élevez des autels au plus éminent des mortels,

    est, selon quelques-uns, M. Favereau, [109] conseiller de la Cour des aides [110] qui mourut l’an 1638 ; d’autres disent que c’est M. d’Estelan, [111] fils du maréchal de Saint-Luc, [112] mais il n’est pas vrai. Je vous prie de croire que c’est M. Favereau qui, de peur d’en être soupçonné l’auteur, fit en même temps imprimer un poème latin à l’honneur du cardinal de Richelieu. Ce M. Favereau était un bon et savant poète et fort honnête homme, qui haïssait horriblement le cardinal. [35]

  • Dans le<s> Poème<s> de Baudius[113] p. 206, il y a une épigramme sous ce titre In tres juris perversores ; il faut entendre par là les Séguier, [114][115][116] trois frères que Baudius haïssait. < Dans > le second, qui a pour titre In famosum Rabulam, < c’>est M. Galand l’aîné, [117] avocat qui, pour quelque argent, avait fait emprisonner Baudius, page 209. [36] Rei non factæ narratio est une histoire qui arriva chez M. de Sourdis, [118] père de l’archevêque de Bordeaux, [119] d’un petit page qui pensait être gros. Le médecin était M. Haultin ; [120] ce même fait est décrit dans Rapin, [121] page 222. [37] In Typhœum[122] < il entend François Pithou, [123] frère de Pierre Pithou. [124] Ce François était homme hargneux et fantasque, capricieux au dernier point >. [38]

  • Jacques vi[125] roi d’Angleterre et d’Écosse, était un homme pacifique, mais débauché et pédant. Casaubon [126] a fait un livret contre lui, où il en a dit d’étranges choses : en quoi il a manqué, car il faut parler sobrement des têtes couronnées, même après leur mort. Il ajoute que l’humeur de ce roi fut cause que la conduite de la reine, [127] qui était fille du roi de Danemark, [128] ne fut pas tout à fait régulière. Le livret en question est intitulé Corona Regia[39]

  • Jason Mainus [129] était un professeur de droit à Pavie. [130] Il jouit pendant sa vie d’une grande réputation ; il pouvait dire avec Martial : [131]

                                  …dedisti
    Viventi decus atque sentienti
    [40]

    Louis xii [132] assista à une de ses leçons ; Mainus l’alla prendre à son palais, vêtu d’une robe d’or, et l’accompagna jusqu’aux Écoles ; là, le roi fit entrer Mainus le premier en lui disant que dans ces lieux la puissance des professeurs était plus grande que celle des rois. [41] Ce Mainus était né l’an 1435.

  • Asclépiade [133] disait que le devoir de l’excellent médecin était de guérir les malades tuto, celeriter et jucunde. Nos antimoniaux vous envoient en l’autre monde tuto et celeriter[42][134] Quelle différence entre médecins et médecins !

  • Georgius Scharpius[135] Écossais, professeur et vice-chancelier à Montpellier, [136] ayant été appelé < à Bologne > [137] l’an 1632, y mourut d’une inflammation de poumon [138] 4o die morbi[43][139] le 59e an de son âge, le 24e d’août, fête de saint Barthélemy, jour de sa naissance, l’an 1637. Il était grand ivrogne, il n’est mort que de trop boire. [140] Erat doctor Logicus in Medicina, grand cathédrant, [44] mais il parlait fort mal latin et était aussi fort mauvais médecin, et qui n’avait presque jamais vu de malades. Il ne saignait guère, [141] donnait du vin à tous les malades [142] et ordonnait force tablettes de diacarthanum [143][144] et de tous les mauvais remèdes. Lui-même s’en est rendu fort mauvais marchand, et s’en est tué aussi.

  • De tous les historiens qui nous ont écrit l’histoire de quelques pays dans l’Europe depuis soixante ans, j’en tiens pour le chef et le meilleur de tous M. le président de Thou qui, horrida quadam sed fœlici libertate[45] a repris et décrié le vice en quelque ordre, quelque pays, quelque parti et quelque personne en qui il s’est rencontré. C’est ce qui l’a fait aimer de tous les honnêtes gens, qui sont hors d’intérêt. Après M. de Thou, le meilleur historien est, ce me semble, Famianus Strada, [145] jésuite : son Histoire est fort curieuse et fort réglée ; je voudrais bien qu’il nous eût donné le second tome aussi beau que nous avons le premier, in quo perficiendo viginti annos totos insumpsit[46] C’est un fort bon homme, et qui écrit d’un bon style ; c’est dommage qu’il soit jésuite, le pauvre homme. Gaspard Scioppius, [146] qui hait les jésuites, dit que ce livre est de mauvais latin, et en a fait un contre Strada, qu’il intitula Infamia Famiani Strada. Famianus Strada m’a dit à moi qu’il était très difficile d’être parfait historien, même impossible ; que pour être bon historien, il faudrait être ni d’ordre, ni de parti, ni d’aucun pays, ni d’aucune religion, si faire se pouvait. [47]

  • Scaliger [147] le père était un homme d’un fort grand esprit qui, toute sa vie, étudia rudement et s’acquit une grande érudition. Étant jeune, il se fit cordelier, n’ayant pas de bien pour vivre, et là, continua de bien étudier ; puis se défroqua et s’avisa de la fourberie dont il empauma toute l’Europe, savoir de sa famille, et qu’il était descendu des princes de Vérone [148] qui portaient le même nom de Scaliger. Pour se mieux cacher, il vint en France où il écrivit contre Cardan un fort bel ouvrage, [149][150] mais dans lequel il faut remarquer que toutes les expériences qu’il rapporte de lui et qu’il dit avoir faites, tant de l’histoire naturelle que de la guerre ou de la médecine, sont toutes fausses, car il les a controuvées exprès, et non à autre fin que pour en déguiser sa basse naissance et son monacat, qui lui déplaisaient à cause qu’il était fort ambitieux. [48]

  • Tout ce qu’on dit de ce chanoine de Paris qui, quelques jours après sa mort, sortit de son cercueil et s’écria en pleine église Justo Dei judicio condemnatus sum[49] est une pure fable. Les chartreux [151] ont écrit que cette histoire avait été cause de la retraite du monde que fit ensuite leur patriarche, saint Bruno. [152] Un certain Cæsarius, Flamand, [153] grand conteur de sornettes et de fables spirituelles, a écrit cela pour une vraie histoire dans son livre des miracles. [50] Vide Pap. Mass. lib. 3, page 233[51][154][155] Ils disent que cela arriva du temps de saint Bernard, [156] il y a environ six cents ans.

  • L’affaire de Loudun [157] était une fourberie cachée du… Son dessein était de perdre le pauvre Grandier, [158] curé de cette ville ; et les religieuses furent les ministres de la passion de ce ministre. [52]

  • Jurançon est à une demi-lieue de Pau en Béarn. [159] Le vin de Jurançon [160] est un des meilleurs et des plus forts vins de France. C’est une eau-de-vie et vin tout ensemble, mais fort doux, blanc et fort bon. [53] Ce pays-là abonde en phtisies, [161] en sécheresses, en altérations de poumons et maladies de consomption : [162] tous les malades de ce pays-là ne sont autre chose. C’est une flétrissure de poumons a nimia siccitate[54] Les Anglais, les Provençaux et les Portugais sont sujets à ce mal, tant à cause de certains vents malins qu’à cause de leur mauvais régime et intempérée façon de vivre.

  • Hadrianus Finus [163] était un prêtre de Ferrare, [164] fort savant, qui a fait un fort bon livre contre les juifs adversus Hæbreos, sive Flagellum Iudæorum, in‑4o[55]

  • J’ai vu ici trois Allemands qui parlaient et écrivaient si purement francais que vous ne les eussiez jamais pris pour étrangers. Ces trois étaient Tilenus, Silésien ; [56][165][166] M. Borstel, [167] qui était ici agent du prince d’Anhalt [168] et qui devint amoureux de Madame Des Loges ; [169] le 3e est M. Stella, [170] Bipontinus. Ce dernier est mort à Strasbourg l’an 1645, où il était agent pour le roi. [57]

  • Le cardinal Petrus Bembus[171] qui avait été secrétaire du pape Léon x[172] mourut d’un froissement de jambe, âgé de soixante et dix-sept ans, l’an 1547, qui est la même année que mourut François premier, roi de France. [58]

  • Redemptus Baranzanus [173] était natif de Verceil en Piémont, [174] clerc régulier de Saint-Paul, autrement barnabite ; [175] il était grand philosophe. On a imprimé deux livres de lui, savoir Campus logicus et Novæ opiniones physicæ. Il a prêché plusieurs fois à Saint-Séverin [176] à Paris. Il était grand mathématicien, grand chimiste et grand novateur, capable d’écrire contre Aristote [177] et les plus grands esprits de l’Antiquité. Il est mort à Montargis où ils ont une maison. Il avait fait et contracté une amitié très particulière avec Bacon, [178] chancelier d’Angleterre. Il est mort l’an 1623, âgé de 33 ans. [59]

  • L’Histoire naturelle de Pline [179] est un des plus beaux livres du monde. C’est un original en sa perfection : les plus grands hommes et les plus savants l’ont toujours loué par-dessus la plupart des autres livres ; et de fait, il ne cède guère qu’à deux, savoir à Aristote et à Plutarque. [180] Pline a été plus fin et plus savant que beaucoup d’autres, il s’est sagement moqué des sottises dont le monde était mené par le nez dans ce temps-là. Il ne s’est point flatté, il s’est arrêté au solide et n’a point flatté sa condition, sentant fort bien et la faiblesse et le malheur de la nature humaine. Il n’y a que les sots qui font état de ce qu’il a méprisé ou négligé. Quiconque saura Pline sera très savant, et j’aimerais mieux le savoir que ce qu’ont fait trois ou quatre grands jésuites : Suarez, [181] Sanchez, [182] Vasquez, [183] etc. [60]

  • George Basta [184] était un capitaine fort renommé, il était originaire de l’Épire, [185] quoiqu’il fût né dans La Rocca près de Tarente. [186] Il vivait encore vers l’an 1605. Les Vénitiens firent imprimer son Maestro di Campo generale presque dans ce temps-là ; et l’on a imprimé son Governo della Cavalleria leggiera à Francfort en 1612. [61]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.
Une réalisation
de la BIU Santé