Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑3 (1701), note 50.
Note [50]

Le Cæsarius que le Patiniana disait flamand était le moine cistercien (v. note [23], lettre 992) allemand Césaire de Heistersbach (Cæsarius Heisterbachensis) qui rédigea vers 1220 le Dialogus miraculorum [Dialogue des miracles], épais recueil, composé de 12 Distinctiones [Sections] dont le texte numérique est intégralement disponible sur le site du Groupe d’anthropologie historique de l’Occident médiéval (Gahom). Chaque récit est suivi d’un commentaire, sous la forme d’un dialogue entre un moine et un novice. Le chapitre xv de la Distinctio ii est intitulé De canonico Parisiensi, qui sacramentis in fine participans, et post mortem cuidam apparens, dixit se ob non veram contritionem damnatum esse [Du chanoine parisien qui, ayant reçu les derniers sacrements, apparut à quelqu’un après sa mort et lui dit qu’il avait été damné parce que sa contrition n’était pas sincère] :

Parisiis in ecclesia sanctæ Dei genitricis Mariæ canonicus quidam nuper obiit, qui multa habens stipendia, delicatissime vixerat. Et quia ex deliciis, maxime ex his quæ ad gulam pertinent, libido nascitur, nata nutritur, et quotidianis eius incitamentis augmentatur : idem iuvenis valde tunicam carnis suæ maculavit, et tam illo quam aliis suis peccatis iram Dei in se provocavit. Tandem per infirmitatem tactus, timore mortis confessionem fecit, peccata deflevit, emendationem promisit, viaticum accepit, inunctus est, hominem deposuit. Cuius corpus, utpote viri nobilis divitisque, cum magna pompa sæcularis gloriæ tumulatum est. Et erat in illa die tanta serenitas, ut ipse aer eius exsequiis famulari videretur. Dixeruntque homines ad invicem : Multa bona praestitit Deus homini isti. Nihil, ei defuit horum quæ homo Christianus habere debuit. Dominicis sacramentis munitus est, aer in eius morte serenatus est, cum multa gloria sepultus est. Sed homo videt in facie, Deus autem intuetur cor. Post paucos dies cuidam sibi valde familiari apparens, dicebat se esse damnatum. Cumque miraretur ille et expavesceret, pœnitentiam eius atque confessionem, sacram etiam communionem et inunctionem commemorans, respondit defunctus : Unum bonum mihi defuit, sine quo nullum horum, quæ enumerata sunt, mihi prodesse potuit. Quod est illud ? inquit. Respondit mortuus : Vera contritio. Licet enim Deo promiserim consilio confessoris mei continentiam, sive alia quæ salutis sunt, tamen dicebat mihi conscientia, quia si convalueris, observare non poteris. Et quia cor magis declinabat ad transgressionem, quam ad voti observationem, nullius peccati merui remissionem. Deus requirit fixum propositum poenitendi. Ecce hominis huius pœnitentia sera fuit et ficta ; nec tamen fuisset sera, si fuisset vera.

Novicius : Non mirabor amodo poenitentiam seram vix esse veram.

Monachus : Plures sunt in sæculo, quos ego bene novi, qui tempore infirmitatis, cum timerent mori, se inter manus Abbatis reddiderunt, et cum convaluissent, transgressores voti facti sunt. Anno præterito apud Bonnam vicum Dioecesis Coloniensis, vagus quidam clericus, Nicolaus nomine, quem vocant Archipoetam, in acutis graviter laboravit, et cum mori timeret, tam per se ipsum quam per canonicos eiusdem ecclesiæ, ut in ordinem susciperetur, apud Abbatem nostrum obtinuit. Quid plura ? Cum multa, ut nobis videbatur, contritione tunicam induit, quam facta crisi celerius exuit, et cum quadam irrisione proiiciens, aufugit.

Novicius : Multi sunt peccatores, qui contritionem habere non possunt, et de hoc ipso dolent. Quid ergo sentiendum est de tali dolore ?

Monachus : Talis dolor meritorius non est, quia sine caritate ; præparat tamen aliquando viam caritati. Caritas et peccandi voluntas simul inesse non possunt. Quid de tali dolore sanctus Bernardus senserit, verbis et exemplo illius doceberis
.

[À Paris, en l’église de sainte Marie mère de Dieu, {a} venait de mourir un chanoine qui, jouissant de nombreux bénéfices, avait vécu fort somptueusement. Des délices, surtout ceux qui touchent à la gourmandise, lui était née la luxure : il avait entretenu une fille dont les aiguillons augmentaient jour après jour ses débauches ; la même jeune femme avait aussi lourdement souillé sa tunique charnelle. Pour celui-là et pour ses autres péchés, il s’était attiré l’ire de Dieu. À la fin, frappé d’infirmité, dans la crainte de la mort, il se confessa, il pleura ses péchés, promit de s’amender, reçut le saint viatique et l’onction, {b} puis rendit l’âme. S’agissant d’un homme connu et puissant, son corps fut inhumé avec toute la plus belle pompe des fastes temporels ; et ce jour fut si serein que même l’air sembla vouloir embellir les funérailles. Les gens se disaient entre eux : « Dieu a procuré quantité de biens à cet homme. Rien de ce qu’un chrétien doit posséder ne lui a manqué. Il a reçu les saints sacrements, l’air était serein quand il est mort, il a été enterré en grande gloire. » Mais l’homme ne voit que l’apparence, tandis que Dieu sonde le cœur. Quelques jours plus tard, il apparut à une personne qui le connaissait intimement {c} et lui dit qu’il avait été damné. Celle-ci s’en étonna et s’en effraya, se souvenant de la pénitence et de la confession, {d} tout comme de la communion et de l’onction. Le défunt lui répondit alors : « Il ne m’a manqué qu’un bienfait, sans lequel aucun de ceux que tu énumères n’a pu m’être utile. » « Quel est-il ? » dit l’ami. Le mort répondit : « La véritable contrition, car, bien que, sur le conseil de mon confesseur, j’aie promis la continence et tout ce qui procure le salut, ma conscience me disait que, si je guérissais, je serais incapable de m’y soumettre. Et puisque mon cœur me poussait plus à la transgression qu’à l’observation de ces vœux, je ne méritais en rien la rémission de mes péchés. Dieu exige un inébranlable engagement à faire pénitence. » La contrition de cet homme a donc été tardive et feinte ; elle n’aurait pas été tardive si elle avait été sincère.

Le novice : « Dorénavant, je ne m’étonnerai plus qu’une contrition tardive ne soit guère sincère. »

Le moine : « Je suis bien placé pour savoir que, de nos jours, quantité de gens, au moment où ils sont malades et craignent de mourir, se confient aux mains d’un abbé ; puis, quand ils ont guéri, ils renient les vœux qu’ils ont prononcés. L’an passé, à Bonn, dans le diocèse de Cologne, un prêtre errant, dénommé Nicolas, qu’on appelle l’Archipoète, {e} tomba soudainement en une grave maladie ; et comme il avait peur de mourir, sur sa prière et sur celle des chanoines de son église, il obtint de notre abbé qu’il l’admît en notre Ordre. Qu’advint-il ensuite ? Avec profond repentir, nous sembla-t-il, il revêtit la bure ; mais il la quitta aussitôt sa crise passée, et la jetant aux orties avec quelque moquerie, il se sauva. »

Le novice : « Quantité de pécheurs ne peuvent obtenir la contrition, mais ils en sont profondément peinés. Que faut-il donc penser de leur souffrance ? »

Le moine : « Une telle souffrance ne procure aucun gain, parce qu’elle est dénuée d’amour ; néanmoins, elle ouvre parfois la route à l’amour. L’amour et la volonté de pécher sont incompatibles. Les paroles et l’exemple de saint Bernard {f} t’apprendront ce qu’il faut penser d’une telle souffrance. »]


  1. La cathédrale primitive Notre-Dame de Paris, édifice roman qui a précédé, au même endroit, l’actuelle cathédrale, bâtie entre les xiie et xive s.

  2. V. note [15], lettre 251.

  3. D’aucuns ont prétendu que cet ami du défunt chanoine était le futur saint Bruno (v. infra note [51], notule {e}).

  4. V. seconde notule {c}, note [54] du Borboniana 5 manuscrit.

  5. L’Archipoète (Archipoeta) est le pseudonyme adopté par un poète errant du xiie s., qui se plaça sous la protection de Rainald von Dassel, archevêque de Cologne. Il a laissé dix textes en vers latins, dont le dernier et le plus connu est sa confession, qui commence par ces mots : Æstuans intrinsecus ira vehementi [Bouillant intérieurement d’une violente colère].

  6. Saint Bernard de Clairvaux (mort en 1153, v. note [36], lettre 524).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑3 (1701), note 50.

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(Consulté le 26/04/2024)

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