Annexe : Les deux Vies latines de Jean Héroard,
premier médecin de Louis xiii, note 89.
Note [89]

Soulié et Barthélemy ont infidèlement traduit et passablement peiné à comprendre le latin barbelé de Guillemeau dans les deux extraits du Cani miuro qu’ils citent, avec quelques fâcheux contresens.

  • Pages 36‑37 :

    Riolanus Lutetiæ natus est Patre, qua Literarum et Medicinæ nomen patet, inter primores artis eminenti Doctore Scriptoreque : nec a paterna gloria descivit, sed partam {a} auxit, amplificavit, exornavit. Ioannes Heroardus Mompelii tonsorem patrem habuit, ipse infra tonsores omnes imperitia fuit. Ioannes Riolanus Sacris Medicis in principis Scholæ curriculo feliciter operatus, primi Loci missionem ita consecutus est ut perpetuo retinuerit. Ioannes Heroardus nullius Iatrices Doctor fuit, et haud scio an vestri quoque collegii Baccelarius, quod ei, audiente magno Consilio Scholæ tum Decanus Carolus, tam diserte vereque objecit, ut probarit : at ipse, quoad vixit, manifestius quam ullus adversarius posset, convicit. Ioannes Riolanus Medicinam in Urbe annis plus quadraginta insigniter et docuit et fecit. Ioannes Heroardus prælectiones Medicas vix totidem excepit, quam quotannos Riolanus celeberrime præcepit. Ioannis Rioloani opus est, ingens illud in orbe Medico, in Literarum ditione, immortale, divini in humana fabrica opificii monumentum. Ioannis Heroardi dignum Hippiatro documentum Hippostologia est : atque utinam, exclamat Gallia, equarius tantum, non Regis In-medicus existisset !

    [Jean Riolan est né à Paris, ville dont partout s’étend le renom littéraire et médical, d’un père qui fut un éminent savant et écrivain, parmi les tout premiers de l’art ; et il n’a pas trahi la gloire paternelle, il y a au contraire ajouté sa part, l’a amplifiée, l’a embellie. Jean Héroard eut pour père un barbier de Montpellier, dont le seul talent fut d’être le pire de tous les barbiers. Jean Riolan, après que les cours de la Faculté l’eurent heureusement formé aux principes de médecine, y a obtenu le premier lieu de la licence avec un tel éclat qu’on en garde le perpétuel souvenir. {b} Jean Héroard ne fut jamais docteur en médecine, et je ne sais pas s’il a même été bachelier de votre Collège, parce que lors de son audition par le grand Conseil de l’École, Charles, le doyen d’alors, s’y opposa avec une conviction et une éloquence telles qu’il a été approuvé ; et aussi longtemps qu’il a vécu, il a personnellement confirmé son refus, avec plus d’obstination que nul adversaire n’aurait pu y mettre. {c} Jean Riolan a à la fois remarquablement exercé et enseigné la médecine dans la capitale pendant plus de quarante ans. Le nombre des cours de médecine que Jean Héroard a suivis égale à peine celui des années où Riolan a professé avec une notoriété distinguée. L’immense ouvrage de Jean Riolan {d} est un immortel monument sur l’anatomie humaine, dont l’essence est divine, pour le monde médical et la gloire des lettres. L’Hippostologie de Jean Héroard {e} est une leçon digne d’un hippiatre : et Dieu eût voulu, s’exclame la France, qu’il n’eût existé que comme médecin des chevaux, plutôt que comme non-médecin du roi !]


    1. Sic pour partem.

    2. En 1604, Jean ii Riolan fut en même temps reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, et professeur royal d’anatomie et de botanique, en succession de son oncle Simon ii Piètre (v. note [7], lettre 51).

    3. V. note [1], lettre 139, pour le baccalauréat de Montpellier qui précédait d’une année (voire moins) le doctorat en médecine (après un total de quatre à cinq inscriptions annuelles à l’Université) : ce grade y avait donc plus de valeur académique qu’à Paris, où le bachelier devait étudier trois années supplémentaires pour devenir docteur (après un total de sept inscriptions à la Faculté).

      Cet ajournement de Jean Héroard va à l’encontre de ce qu’a écrit Jean Astruc (v. supra note [48]) sur son doctorat. À ma connaissance, aucun doyen de Montpellier au xvie s. n’a porté le nom ou le prénom de Charles (Carolus). Héroard a étudié dans cette Université sous le long décanat d’Antoine Saporta (1552-1588).

    4. Les trois éditions de son Anthropographie (Paris, 1618, 1626, 1649, v. note [25], lettre 146), complétées par son Manuel anatomique et pathologique et ses divers Opuscules anatomiques.

    5. V. supra note [57].

  • Page 38 : {a}

    Non igitur cum præstantissimo Medico Ioanne Riolano, quod sine atroci hujus injuria fieri non potest, componendus Heroardus tuus, sed cum Afris illis fascinantibus, quorum etiam laudatione, qualis avunculi tui Ludovicotrophia fuerat, intereant probata, arescant arbores, emoriantur infantes. Cum ejusdem generis Triballis et Illyriis, qui visu quoque effascinent, interimantque quos diutius intueantur. Ah Regem optimum nimis, ah nimis diu, nimis male tuitus est Heroardus ! Cum feminis in Scythia, quæ vocantur Bythiæ ; cum Thibiorum genere in Ponto, quorum notas tradit Philarchus apud Plinium, in altero oculo geminam pupillam, in altero equi effigiem habere, quod Philiatrorum fortasse quispiam de Hippiatro, et Archiatro scilicet Heroardo interpretabitur ; sicuti eosdem quoque non posse mergi, ne veste quidem degravatos, ut ille mergi, supprimi, removeri tamdiu meritus, mersit vitam Regis sui nec mersus est (ô pertinacem decrepiti senis avaritiam, ambitionem obfirmatam, inhærescendi, immoriendi, necandique mortiferam obstinationem !) cum stirpe denique Pharnacum in Æthiopia Heroardum, committant, quorum odor sudorque tabem contactis corporibus adferat : quod de avunculo tuo patientissima quamvis Regis facilitas assidue conquerebatur.

    [Ton Héroard ne peut donc être comparé avec Jean Riolan, sans faire atroce injure à ce très éminent médecin, mais il est bien à comparer à ces charmeurs africains qui, par leurs incantations, telle que fut la Ludovicotrophie de ton oncle, tueraient les troupeaux, sécheraient les arbres, feraient mourir les petits enfants ; aux Triballes et aux Illyriens, de même engeance, qui même ensorcellent par leur regard, et ôtent la vie à ceux qu’ils fixent longtemps (ah, qu’hélas Héroard a donc trop soigné notre excellent roi ! et trop longtemps, et trop mal !) ; aux femmes de Scythie qu’on appelle des Bythies ; aux Thibiens du Pont, dont Philarque, dit Pline, a remarqué qu’un des yeux a deux pupilles, et l’autre reflète l’image d’un cheval (ce qu’on interprétera comme la marque de tous ceux qui étudient l’hippiatrie, et notamment de l’archiatre Héroard) ; et aussi à ceux qu’on ne peut noyer, même si on les a dépouillés de leurs vêtements, comme cet homme, qui a si longtemps mérité d’être immergé, supprimé, chassé, et qui, faute de l’avoir été, a englouti la vie de son roi (ô tenace jalousie d’un vieillard décrépit, insatiable ambition, obstination mortifère à s’accrocher, à se tuer à la tâche et à détruire !) ; et enfin à la race des Pharnaques d’Éthiopie dont, à l’instar de Héroard, l’odeur et la sueur (le roi déplorait constamment celles de ton oncle, bien qu’il fût d’une urbanité capable de tout endurer) procurent la consomption aux corps qu’ils ont touchés]. {b}


    1. La page 38 est la dernière du Cani miuro, brûlot que Guillemeau ose conclure avec cette maxime de Publilius Syrus (v. note [9], lettre 511) :

      Contumeliam nec fortis potest, nec ingenuus pati.

      [Le brave ne supporte pas d’affront, l’homme bien né n’en commet pas].

    2. Guillemeau a emprunté toute sa magie maléfique (et ses ses quelques curiosités syntaxiques) à l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (livre vii, chapitre ii, Littré Pli, volume 1, pages 281‑282) :

      In eadem Africa familias quasdam effascinantium, Isigonus et Nymphodorus : quorum laudatione intereant probata, arescant arbores, emoriantur infantes. Esse ejusdem generis in Triballis et Illyris adjicit Isigonus, qui visu quoque effascinent interimantque quos diutius intueantur, iratis præcipue oculis : quod eorum malum facilius sentire puberes. Notabilius esse quod pupillas binas in oculis singulis habeant. Hujus generis et feminas in Scythia, quæ Bithyæ vocantur, prodit Apollonides. Phylarchus et in Ponto Thibiorum genus, multosque alios ejusdem naturæ, quorum notas tradit in altero oculo geminam pupillam, in altero equi effigiem. Eosdem præterea non posse mergi, ne veste quidem degravatos. Haud dissimile iis genus Pharnacum in Æthiopia prodidit Damon, quorum sudor tabem contactis corporibus afferat.

      « Dans la même Afrique sont, d’après Isigone et Nymphodore, {i} des familles de fascinateurs qui, par la vertu de paroles enchantées, font périr les troupeaux, sécher les arbres, et mourir les enfants. Isigone ajoute que chez les Triballes et les Illyriens {ii} il y a des individus de même espèce qui fascinent par leurs regards, et donnent la mort à ceux sur lesquels ils fixent longtemps leurs yeux, surtout leurs yeux courroucés ; les adultes ressentent plus facilement leur influence funeste. Il est remarquable qu’ils ont deux pupilles à chaque œil. Apollonides {iii} dit qu’il y a en Scythie des femmes de cette espèce qu’on appelle des Bythies. Phylarque {iv} place dans le Pont les Thibiens {v} et beaucoup d’autres de même espèce, qu’on reconnaît, dit-il, parce qu’ils ont dans un œil une pupille double, et dans l’autre, l’effigie d’un cheval ; et qui de plus, ne peuvent être submergés, même chargés de vêtements. Damon {vi} a parlé de gens semblables en Éthiopie, les Pharnaques, dont la sueur cause la consomption à ceux qu’elle touche. »

      1. Isigonus de Nicée est un obscur écrivain grec du ier s. avant ou après J.‑C., auteur de Paradoxes.

        Nymphodore de Syracuse est un historien et géographe grec du ive s. av. J.‑C., dont les écrits se réduisent aujourd’hui à quelques fragments.

      2. Les Triballes étaient un peuple de Thrace. L’Illyrie correspond aux pays qui bordent la rive orientale de la mer Adriatique, de la Slovénie à l’Albanie.

      3. Probablement Apollonidès de Nicée, grammairien grec du ier s.de notre ère.

      4. Historien grec du iie s. av. J.‑C.

      5. Peuple mal identifié des rives du Pont-Euxin (mer Noire).

      6. Probablement le philosophe pythagoricien grec du ive s. av. J.‑C.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Annexe : Les deux Vies latines de Jean Héroard,
premier médecin de Louis xiii, note 89.

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(Consulté le 25/04/2024)

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