L. 479.  >
À André Falconet,
le 24 avril 1657

Monsieur, [a][1]

Je n’ai pas encore reçu celle que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire pour le procès de madame votre belle-sœur, pour laquelle je ferai tout mon possible, vous n’en doutez pas. Pour le livre de M. Fontaine, [2] je vous en rends grâces. Il est louable de son travail parce qu’il est fort bien intentionné, il a tâché de servir la postérité en défendant la vérité. Conatus erit in laude, eventus in Fortuna[1][3][4] qui est celle qui gouverne aujourd’hui le monde. Je lui en sais bon gré d’avoir attaqué Van Helmont, [5] bien que ce n’ait été qu’un coquin et un imposteur fort ignorant.

Défunt M. le premier président [6] est fort regretté ici. Toute la France avait encore besoin de sa générosité et de son adresse contre l’avidité des ministres. Voilà ce que c’est que d’être bon et sage, nous pouvons dire de lui ce qu’Horace [7] disait d’Auguste [8] encore vivant : Extinctus amabitur idem[2] Une dame qui avait beaucoup de crédit sur son esprit m’a dit qu’elle lui demanda pourquoi il se servait de Vallot [9] et qu’il lui répondit qu’il avait affaire de lui à cause du Louvre : sic ineptiunt homines, et moriuntur[3] Il est vrai que tout le monde fait le médecin et s’en mêle mal à propos, mais c’est le malheur de ceux qui les croient : Væ victis, væ miseris ! [4]

Je consultai [10][11] hier avec M. Blondel [12] dans les Filles-Dieu. [5][13] Il me dit que son traité de Pleuritide [14] ne pouvait être achevé que dans trois mois, qu’il en était au chapitre de Purgatione[6][15] qui serait long ; que son livre ferait une méthode générale, et qu’il dirait de belles choses non communes de orgasmo Hipp[7][16] et sur l’explication de l’aphorisme 22, sect. i[8] Je voudrais avoir bien payé ce livre et le tenir déjà. [17]

Votre Basset [18] a l’esprit bien bas et mérite d’avoir du dessous, [9] tant pour son latin que pour ses injures. Je m’étonne de l’extravagance des hommes et de l’impudence du siècle auquel Dieu nous a réservés. Cet homme a mauvaise grâce de chanter des injures à d’honnêtes gens dont il a besoin et desquels il brigue d’être collègue. S’il est bien sage, il terminera son affaire à Lyon en vous demandant pardon et tâchant de regagner vos bonnes grâces ; car autrement, un procès lui coûtera beaucoup, et même, à la fin, il pourra le perdre. Quand il aurait le crédit de faire ce que fit votre chirurgien Lombard, [10][19] et de se faire examiner ici, il n’est pas assuré de s’y faire recevoir, à moins que d’avoir des médecins députés par les juges pour ses amis, ce qui n’arrive guère.

M. le comte de Rebé [20] a reçu votre lettre et dit que vous ne lui avez point écrit qu’il ne vous ait fait réponse. Mes deux fils [21][22] vous saluent et sont vos très humbles serviteurs. Ils ont tous deux présidé cet hiver avec honneur et ils sont à Paris en fort bonne réputation. [11] On dit que la duchesse de Savoie [23] se porte mieux et que M. Guillemin [24] y est allé. La reine d’Angleterre [25] est malade ici. Le duc d’Orléans [26] a été ici environ dix jours et en est parti aujourd’hui à midi pour aller coucher à Limours, [27] et demain à Orléans. [12][28] On dit que dans deux jours M. le prince de Conti [29] partira d’ici et qu’il ira jusqu’à Turin, [30] et que M. d’Estrades [31] sera son lieutenant général en Italie. M. le maréchal de Turenne [32] partira dans trois jours, et le roi [33] six jours après. Il a couru un bruit de la mort de l’empereur, [34] que l’on dit avoir été confirmée par un second courrier ; et néanmoins, tous en doutent ici et disent que c’est une des ruses du Mazarin [35] afin de faire passer les édits que l’on a envoyés au Parlement, dont les deux principaux ont déjà échoué et ne peuvent passer. Notre querelle avec les Hollandais continue et l’on dit qu’il faudra qu’ils s’accordent avec nous, d’autant qu’ils ne s’en peuvent passer, Paris étant un gouffre qui absorbe et dévore plus de la moitié de leurs denrées. M. le duc d’Orléans a gagné aujourd’hui son procès contre Mme d’Aiguillon [36][37] et M. le duc de Richelieu [38] pour la terre de Champigny [39] que Mlle d’Orléans, [40] sa fille aînée, veut retirer. [13] M. Talon, [41] avocat général, y a fait miracle. Il a parlé sobrement, mais fort à propos, de la tyrannie du cardinal de Richelieu. [42] Tout le monde est bien aise de l’arrêt qui y est intervenu. [14] Si l’empereur est mort, on dit que le roi [43] ira jusqu’à Metz [44] pour être près de l’Allemagne.

Nous ne savons ce que deviendront les livres et papiers de M. Riolan, [45] n’ayant fait ni testament, ni aucune autre disposition par écrit. Il m’avait dit quelquefois qu’il me ferait exécuteur de son testament et qu’il voulait que la postérité sût que j’avais été son meilleur ami, mais il est mort sans l’avoir prévu et sans avoir donné ordre à ses affaires. Les vieilles gens sont d’ordinaire oublieux et négligents. M. Guillemeau [46] en a fait de même, et M. Moreau [47] aussi. M. Bouvard, [48] premier médecin du roi Louis xiii, est malade d’une fièvre continue, [49] d’une fluxion sur la poitrine et de 83 ans. La douceur de la vie qu’on mène à la cour l’a fait vivre si longtemps, ayant d’ailleurs la poitrine fort délicate. Il avait un fils [50] conseiller de la Cour, et lui avait fait donner une bonne abbaye, qui est celle de Saint-Florent de Saumur, [51] mais il est mort, à ce qu’on dit, de trop de dévotion. Il en a encore un autre qui est aussi conseiller et qui de plus est marié fort richement. [15][52] Le mardi 27e de mars, M. de Chenailles, [53] conseiller à la Cour, a eu la vie sauve et n’a été que banni par l’arrêt qui en a été donné. Vôtre, etc.

De Paris, le 24e d’avril 1657, jour de l’anniversaire du maréchal d’Ancre, [54] qui a eu d’étranges successeurs depuis 1617. [16]



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 24 avril 1657

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(Consulté le 08/12/2024)

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