L. française reçue 55.  >
De Charles Spon,
le 5 mars 1658

De Lyon, ce mardi gras, 5e mars 1658. [1]

Monsieur mon bon patron, et très cher ami, [a][2][3]

Toutes les bacchanales que je prétends faire aujourd’hui, c’est de m’entretenir familièrement avec vous au sujet de l’agréable vôtre dernière en date du 26e février, dont je vous remercie de très bon cœur, n’y ayant point de délices que je ne trouve fades au prix de votre conversation, de laquelle je prie Dieu que vous ne vous puissiez jamais lasser de m’honorer. Vous êtes bien plus heureux à Paris pour y recouvrer des livres curieux que nous ne sommes pas ici, et votre foire Saint-Germain [4] vous en peut plus fournir en huit jours que tous nos libraires ensemble ne feraient en autant d’années. J’ai vu autrefois en cette ville le Guil. Fabricius Hild.[5] impression de Francfort, auquel était ajouté sur la fin un traité de M. Aurel. Severinus, [6] duquel auteur je n’ai encore pu savoir s’il était mort dans la dernière peste de Naples [7][8] ou s’il vivait encore. [1] Je voudrais bien savoir aussi qu’est devenu le sieur Thomas Bartholin, [9] et le sieur Nicolas Heinsius, [10] étant en peine du premier à cause des sanglantes guerres de son pays, et de l’autre à cause qu’ayant été à la reine de Suède [11] et ayant fait quelques voyages par son ordre, je n’ai point su à quoi le tout a abouti et s’il est retourné en son pays natal ou s’il est encore en Suède. Je vous prie de m’apprendre ce que vous en saurez et vous me ferez faveur.

Je n’ai jamais vu le Bravus [12] sur les Pronostics[13] non plus que le livre de Medicamentorum delectu dont vous me parlez. Il me souvient que feu M. Moreau [14] m’a autrefois fait état d’un Phrygius [15] sur les Pronostics[2] mais lequel aussi je n’ai pu voir jusqu’à présent. Je prends garde que des énarrations de Duret [16] sur les Coaques [17] on pourrait presque tirer un commentaire complet sur lesdits Pronostics d’Hippocrate ; à propos duquel Duret, je vous remercie infiniment de la correction du passage tronqué que je vous avais proposé et que je n’aurais peut-être jamais sue sans vous. J’ai vu comme vous avez aidé à M. Vander Linden [18] pour la correction de son Celse [19] par sa confession ingénue dans son épître dédicatoire, dont tout le public vous a grande obligation aussi bien qu’à lui. [3] J’ai remarqué qu’il dit dans son avertissement au lecteur, que M. Rhodius [20] travaillait sur le même dessein, ce que plusieurs autres m’ont aussi assuré. [4][21] Je souhaiterais bien de voir un jour cela, ayant à vous dire que feu M. Moreau [22] m’envoya il y a quelques années un Celse in‑8o de l’impression de Guil. Roville, [23] 1566, [5] qu’il me pria de confronter soigneusement avec un manuscrit que je possède, sorti de la bibliothèque [24] d’un certain cardinal de la Maison de Rovere, [25] du titre de Saint-Clément, et de lui envoyer mes Diverses leçons ; ce que je fis très exactement, et les lui envoyai. Quelque temps après, le sieur Nicolas Heinsius passant par cette ville pour Italie, m’étant venu voir, je lui fis voir mondit Celse manuscrit, ensemble lesdites Diverses leçons ; sur quoi il demeura un peu surpris et se tournant vers un honnête homme qui l’accompagnait, j’entendis qu’il lui dit que c’était ce que M. Moreau leur avait aussi fait voir. Je leur dis que c’était à sa sollicitation que j’avais entrepris ledit travail et que je lui en avais envoyé une copie. Du depuis, le sieur Érasme Bartholin [26] étant allé à Padoue [27] et y ayant vu M. Rhodius, m’écrivit qu’il avait vu en sa bibliothèque mesdites Variæ lectiones qui lui avaient été portées par M. Heinsius ; par où je découvris que feu M. Moreau avait chargé ledit sieur Heinsius desdites Variæ lectiones pour les porter à M. Rhodius sans m’en avoir jamais rien mandé ; de quoi je suis étonné, quoique j’en sois d’ailleurs bien aise, espérant que peut-être un jour la postérité en pourra recevoir quelque profit, qui est toute l’ambition des honnêtes gens. [6]

Après une si longue digression, j’ai à vous dire qu’enfin le pauvre moine bourru Boquet, [7][28] chartreux défroqué, [29] s’est laissé mettre la main sur le collet en cette ville et a été, par ordre de notre archevêque, [30] remis entre les mains des chartreux que nous y avons. De vous dire ce qu’ils en feront, je ne m’y hasarde pas ; mais je crois que quelques sanglades de discipline [8] expieront aisément tout le passé car, pour des personnes de cette robe, il s’en pend et empale très peu, que je sache : Solas vexat censura columbas[9][31] et non ceux-ci qui sunt lupi rapacissimi sub, etc[10][32]

Nous ne voyons point encore paraître ici notre député, le sieur Robert, [33] lequel se hâte le moins qu’il peut parce que ses gages courent toujours et qu’il a sa vie toute gagnée par delà, à nos dépens. Le bon Dieu l’amène bientôt, avec son arrêt. Le jeu ne valait pas la chandelle que nous y avons misérablement brûlée par la seule opiniâtreté de ce double contrepointier de malheur, qui a mieux aimé voir terminer son affaire par une voie de rigueur que par un accommodement à l’amiable qui lui eût été sans doute autant ou plus avantageux, surtout s’il eût agréé votre médiation comme vous la lui aviez offerte et comme notre Collège [34] l’avait acceptée. [11] Quant au sieur de La Poterie, [35] il m’est venu voir depuis la lettre que je vous fis du 12e février et m’a témoigné qu’il était bien fâché d’avoir appris par une lettre d’un M. Henry, [36] qui est à Paris, que vous étiez mal satisfait de lui à cause qu’écrivant à M. de Montmor, [37] il lui avait marqué quelque difficulté ou perplexité où il se trouvait touchant votre lettre à M. Gassendi ; mais qu’il n’avait point fait cela à dessein d’en empêcher la publication, ains seulement pour montrer à M. de Montmor qu’il ne voulait rien faire sans le lui communiquer en semblable chose. Je n’ai pas fait semblant que vous m’en eussiez rien touché par les vôtres et l’ai prié de me faire voir votre lettre, ce qu’il a fait, l’ayant sur soi. [38] Nous l’avons donc lue ensemble et n’avons point hésité qu’elle ne méritât d’être imprimée, comme il m’a prié de vous mander qu’il désire faire. Il y a une période là-dedans, conçue en ces mots, si j’ai bonne mémoire, Ad te, tuumque os exosculandum[12] Cette phrase, quoique d’ailleurs excellente, lui semble un peu rude : ces caresses d’homme à homme lui semblent trop nouvelles et je pense qu’il soupçonne que vous ne vouliez user trop privément de la personne de son maître. Si vous le trouvez bon, on mettra Ad te, devenerandum[13] ou quelque autre mot semblable afin de s’accommoder à son infirmité. [14][39] Je le trouve assez bon garçon et bien zélé pour la mémoire de son maître dont les œuvres pourront être achevées d’imprimer au mois de septembre prochain. [40] Le Heurnius [41] s’avance fort, de sorte que devant Pâques, il sera achevé pour très certain à ce que m’a dit M. Ravaud, [42] qui m’a prié de rejeter les yeux sur leur Sennertus [43] de la dernière édition in‑fo pour en ôter les plus grosses fautes, parce que dans un an il le leur faut encore réimprimer de même lettre, qui est signe qu’il ne s’est pas mal débité. [15] Quant à Erastus, [44] le sieur Fourmy [45] m’a remis entre mains le catalogue des œuvres que vous lui avez dressé, auquel je ne sache rien à ajouter ni changer. Ledit Fourmy ne se peut encore bonnement déterminer sur l’impression de cet auteur ; et à vous dire le vrai, je ne sais s’il aura les reins assez forts pour cela. Je l’y exhorte puissamment et continuerai à le faire par ci-après, et vous en manderai le succès, Dieu aidant. Son Varandæus [46] s’en va des mieux, ce qui lui pourra donner courage à en entreprendre une seconde édition avec le temps. [16] M. Volckamer [47] m’a écrit de Nuremberg [48] et m’a fait entendre comme il avait bien fait tenir vos livres au sieur Rolfinckius, [49] lequel souhaitait fort que le traité que vous avez de feu M. Hofmann, [50] de Partibus similaribus[17] pût voir le jour. Je le voudrais bien aussi, si la chose était faisable, mais je sais qu’il ne tient pas à vous et ne doute point que les nouveaux différends suscités entre les maîtres imprimeurs [51] et les compagnons [52] de leur métier ne soient un nouvel obstacle à cette édition. Vous en userez suivant votre prudence et suivant l’amour que vous avez toujours eu pour le bien et l’avancement des bonnes lettres. Si vous avez les eaux bien grosses par delà, [53] nous ne les avons guère moindres ici et l’on nous mande de tous côtés qu’on s’en trouve incommodé. C’est la subite fonte des neiges qui ont été plus copieuses cette année qu’elles ne furent de longtemps. J’espère d’écrire bientôt au sieur Jean Dan. Horstius [54] en réponse d’une des siennes, je ne manquerai pas de lui présenter vos baisemains, comme vous m’en chargez. Je pensais d’écrire par le présent ordinaire à M. Dinckel [55] sous votre pli, mais je vois qu’il est trop tard ; ce sera pour une autre fois, et cependant je vous prierai de lui continuer vos faveurs et de le saluer de ma part comme une personne que j’honore. Son camarade, le sieur de La Fontaine, [56] doit bientôt partir de Montpellier pour s’acheminer à Paris, à ce que l’on m’a mandé du dit Montpellier. Je reçus l’autre jour une lettre de Serrières [57] du sieur Monin, [58] lequel me prie de vous présenter ses très humbles baisemains. Ce lieu de Serrières n’est éloigné d’ici que de sept lieues[18] Il ne me mande chose quelconque de son dessein pour l’avenir, ce ne sont que compliments dont je me passerais aisément, s’il plaisait à Dieu. Au reste, ma femme [59] reçoit à honneur très particulier vos recommandations, mais elle vous supplie de lui vouloir épargner les éloges de très sage, très bonne et incomparable que vous lui donnez, si ce n’est que vous les lui ayez voulu donner pour lui donner envie de s’efforcer à s’en rendre digne en se perfectionnant de plus en plus, vous offrant, telle qu’elle est, ses très humbles baisemains, comme fait le scribe de la présente qui se va enfin taire après assez de babil, pour vous assurer qu’il sera toute sa vie avec des empressements extrêmes, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Spon, D.M.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Charles Spon, le 5 mars 1658

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(Consulté le 18/04/2024)

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