L. 189.  >
À Nicolas Belin,
le 21 juillet 1649

Monsieur, [a][1]

Je suis fort aise que monsieur votre père [2] se porte mieux et souhaite fort que le beau temps achève l’intégrité de sa santé. [1] À ce que je vois, vous avez donc aussi à Troyes [3] des charlatans [4] de longue robe et de ordine Melchisedech[2] Ce ne sera qu’un feu de paille. Il y en a ici de toutes façons, mais ils ne font point de miracle, ils meurent presque aussitôt qu’ils sont nés : ou la pauvreté et la gueuserie les étouffent, ou le remords de leur conscience pour les homicides qu’ils commettent. Le roi, [5] la reine, [6] Gaston, [7] le Mazarin [8] et toute la cour sont à Compiègne. [9] M. le Prince [10] est encore en Bourgogne. On dit que le Mazarin est allé à Saint-Quentin [11] traiter avec Pigneranda, [12] pour accorder d’un lieu à faire la paix. M. de Lionne, [13] secrétaire de la reine, est aussi allé à Bruxelles. [14] Je ne sais si le Mazarin osera bien entreprendre de quitter la reine, vu que cette place lui est si précieuse. Pour la paix, je ne pense pas qu’il la fasse jamais, il ne mérite pas que Dieu lui fasse cette grâce ; joint qu’il n’en a pas l’esprit et même, je pense que ce n’est pas son plus court. [3] Je la souhaite néanmoins de tout mon cœur. Si elle n’est bonne pour lui, elle le sera, aussi bien qu’elle est nécessaire, à toute la France. Samedi dernier de grand matin, un imprimeur nommé Morlot [15] fut ici surpris, imprimant un libelle diffamatoire contre la reine [16] sous ce titre, La Custode du lit de la reine. En voici le premier vers :

Peuples, n’en doutez plus, il est vrai qu’il la baise, etc. [4]

Il fut mis au Châtelet [17] et dès le même jour, il fut condamné d’être pendu et étranglé. Il en appela à la Cour, lundi on travailla à son procès ; hier mardi, il fut achevé et sa sentence confirmée. Quand il fut sorti de la Cour du Palais, le peuple commença à crier puis à jeter des pierres, à frapper à coups de bâton et d’épée sur les archers, qui étaient en petit nombre. Ils commencèrent à se défendre puis à se sauver, le bourreau en fit de même. Ainsi fut sauvé ce malheureux, et un autre qui était au cul de la charrette qui devait avoir le fouet [18] et assister à l’exécution de Morlot. [19] Il y eut un archer de tué, plusieurs fort blessés, de ceteris Deus providebit[5] Le désordre est toujours fort grand en Provence, [20] les députés des états du Languedoc [21] fort malcontents. On dit que la reine a dit de sa propre bouche qu’elle aimait mieux périr que de rentrer dans Paris : c’est qu’elle n’oserait y venir sans le Mazarin, qu’elle n’ose abandonner ; si elle n’y vient, il y a bien du monde résolu de s’en passer. [6] Je vous baise les mains et à tous nos amis, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce mercredi 21e de juillet 1649.

Nous aurons dans trois mois le beau Sennertus de Lyon [22] en trois volumes in‑fo, dans lequel il y aura quelques traités ajoutés par-dessus l’édition de Paris. Celle-ci sera fort belle. La Philosophie d’Épicure [23] avec les commentaires de M. Gassendi, [24] en trois volumes in‑fo, est achevée à Lyon. Il y en a une balle en chemin qui doit arriver demain ici et un exemplaire pour moi que j’attends, et avec et sans impatience. Le général des jésuites [25] est mort dès le mois passé. [7]


a.

Ms BnF no 9358, fo 122, « À Monsieur/ Monsieur Belin le fils/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no xcviii (tome i, pages 156‑157).

1.

Emploi d’achève pour parachève.

2.

« et de l’ordre de Melchisedech. » Jésus-Christ était prêtre selon l’ordre de Melchisédech, par opposition à prêtre selon l’ordre d’Aaron. On doit plutôt prendre ici « enfant de Melchisédech » comme voulant dire personne dont on ne sait ce qu’elle est, dont on ne connaît ni le pays, ni la famille, ni probablement le vrai nom (Littré DLF).

3.

« Prendre le plus court, pour dire, le chemin le moins long, le plus abrégé » (Furetière) : Guy Patin pensait qu’une paix rapide avec les Espagnols n’était pas le premier souci de Mazarin. Et il n’avait pas tort (Mme de Motteville, Mémoires, page 286) :

« Le ministre travaillait à diminuer la haine que le peuple avait contre lui. Il fit semblant de faire une paix plus importante à la France que celle des braves de la cour et de la Fronde. Pour cet effet, il partit de Compiègne, le 22 du mois de juillet, pour aller à Saint-Quentin s’aboucher avec Pigneranda, {a} ministre d’Espagne, et dans le vrai avec le comte d’Harcourt, sur une entreprise qui regardait la guerre. »


  1. V. note [8], lettre 188.

4.

Le titre exact de cette mazarinade est : La Custode de la reine qui dit tout (sans lieu ni nom, 1649, in‑4o), où le mot custode figure non seulement le rideau qui cache ce qui se passe derrière lui, mais aussi (et surtout) l’intimité de la femme (ses parties sexuelles).

Composée de 26 quatrains, mal ficelés et dont la syntaxe est à corriger pour qu’ils deviennent lisibles, cette pièce a été attribuée sans certitude à Claude de Chouvigny, baron de Blot-l’Église, membre de l’entourage très libertin de Monsieur. C’est une diatribe ordurière contre la reine et Mazarin :

« Peuple n’en doutez plus, il est vrai qu’il la fout,
Et que c’est par ce trou que Jules nous canarde.
Les grands et les petits en vont à la moutarde, {a}
Respect bas, il est temps qu’on le sache partout.
Son crime est bien plus noir que l’on ne pense pas,
Elle consent l’infâme vice d’Italie, {b}
Et croirais sa débauche être moins accomplie
Si son cul n’avait part à ses sales ébats. »


  1. Tout le monde est au courant.

  2. La sodomie.

La suite est à la hauteur de ce début. Le roi lui-même est éclaboussé :

« Toi seul, par qui le Ciel acheva mes grandeurs
Et qui me fit bien mieux que ton père être reine.
Cher fils, je te confesse avec un peu de peine,
Je te coûte beaucoup pour nourrir mes ardeurs. […]
Souffre dans ces excès un trait de liberté,
Il m’est bien glorieux qu’on me nomme ta mère,
Il faudrait néanmoins que Jules fût ton père
Pour élever un comble à ma félicité. »

Le délire prétendu d’Anne d’Autriche se porte ensuite sur Paris :

« Ville par trop rebelle, écoute mon projet :
Un cheval autrefois perdit la belle Troie,
Mais je sens en mon cœur une secrète joie,
Que c’est assez d’un âne pour un si grand effet.
Jules, que ce discours flattait en l’assurant,
Montra bien que son âne était d’aise ravi. »

La fin est une supplique à la reine pour qu’en revenant à plus de raison, elle apaise le juste courroux du peuple et du Parlement :

« Mes conseils nécessaires à Votre Majesté,
Pour les exécuter, vous avez deux grands princes
Qui donneront les mains au sac de vos provinces,
L’un {a} par impiété, et l’autre {b} par lâcheté.

Ils se turent ainsi. Moi par passion,
Je pensai sur-le-champ offrir ces deux victimes
Au salut du public ; mais je crus que leur crime
Demandait plus d’état en leur punition.
Français, de qui l’empire est saint et glorieux,
Ne souffrez point chez vous le triomphe du vice,
Préparez à Louis un trône de justice,
Afin que dignement il suive ses aïeux. »


  1. Condé.

  2. Conti.

Claude Morlot, apprenti en 1605 avait été reçu libraire-imprimeur en 1618. Il était établi au coin de la rue de la Bûcherie, face à la rue Saint-Julien-le-Pauvre, aux Vieilles Estuves (Renouard). Il aurait pu être lui-même auteur du pamphlet.

5.

« Dieu avisera des autres. »

Claude Morlot avait été arrêté le samedi 17 juillet, avant même d’avoir achevé de distribuer sa Custode, dont tous les exemplaires saisis furent détruits. Déféré au Châtelet, il fut expéditivement condamné à être pendu et étranglé en place de Grève le mardi 20 juillet. Le compagnon imprimeur qui accompagnait Morlot au gibet se nommait Antoine Pry.

Journal de la Fronde (volume i, fo 63 ro et vo, juillet 1649) :

« Le 20 la Grand’Chambre, l’Édit et la Tournelle du Parlement s’étant assemblés, jugèrent deux procès criminels d’État. {a} […] L’autre fut celui de l’imprimeur Morlot qui est un vieillard de 70 ans, lequel fut condamné à être pendu après avoir fait amende honorable devant l’église Notre-Dame, et son garçon à l’assister au supplice et être fustigé au pied de la potence comme criminel de lèse-majesté pour avoir aussi imprimé plusieurs libelles diffamatoires contre l’honneur de la reine, entre autres un intitulé La Custode de la reine. L’on remarqua qu’en même temps, les présidents au mortier proposèrent au premier président d’envoyer prier M. le Chancelier de leur faire expédier leur grâce, {b} ayant jugé à propos d’en user ainsi pour le service du roi à cause de l’apparence qu’il y avait que le peuple en dût murmurer ; ce qu’on dit que M. le premier président promit de faire et néanmoins, il ne fit point. Sur cela, les autres présidents se retirèrent sans signer l’arrêt, qui le fut après par le premier président seul en présence du procureur général, auquel il donna ordre de disposer les affaires à l’exécution pour l’après-dînée, ce qu’il fit ; mais le peuple voyant la potence dressée à la Grève, commença de s’attrouper vers le Palais, dont le premier président ayant été averti dit qu’il n’y avait rien à craindre. Sur les cinq à six heures du soir, l’on prononça l’arrêt aux criminels dans la Cour du Palais, d’où étant sortis pour être conduits au supplice, Morlot commença à crier au peuple que l’on l’allait faire mourir injustement et qu’il n’avait rien imprimé que contre Mazarin. L’on avait déjà commencé à jeter des pierres sur les archers qui les conduisaient, lesquels n’étaient que douze pour tout avec un exempt ; {c} mais aussitôt qu’on entendit ce discours, on cria “ Sauve ! Sauve ! ” et l’on redoubla les coups de pierre sur les archers, en sorte qu’on les obligea de s’enfuir bien vite, après y avoir été la plupart blessés et y avoir laissé leurs chevaux et armes. Le bourreau prit aussi la fuite et abandonna la charrette qui fut en même temps jetée dans la rivière, et le cheval pris. Ainsi, les imprimeurs furent mis en liberté. Après cela, cette canaille ramassée, qui étaient pour la plupart laquais, bateliers ou crocheteurs, fut à la Grève et abattit la potence qui fut aussi jetée dans la rivière. Le prévôt des marchands {d} ayant voulu menacer ces séditieux d’une fenêtre de l’Hôtel de Ville, ils lui jetèrent quantité de pierres et rompirent toutes les vitres de la face de cet hôtel qui regarde sur la place de Grève ; après quoi, ils accoururent à son logis, menaçant de le piller et y mettre le feu ; mais son fils, le maître des requêtes, sortit avec une hallebarde, assisté d’assez bon nombre de personnes ; et le maréchal de La Mothe qui jouait dans une maison voisine, y accourut aussitôt l’épée à la main et les fit retirer, de sorte qu’il n’y eut que quelques vitres cassées. Toutes ces circonstances, notamment le procédé du premier président, font croire à tout Paris qu’on avait prémédité d’exciter cette rumeur pour sauver ces criminels, et tout le monde veut que M. le cardinal en soit le seul auteur pour avoir un prétexte spécieux de retenir les imprimeurs ni leur fournir aucuns vivres. M. Le Nain, conseiller, fut commis pour informer contre les auteurs de ce désordre, mais l’huissier qui en publia cet arrêt à son de trompe dans les carrefours fut chassé à coups de pierres en divers endroits. »


  1. V. note [31], lettre 186, pour le premier procès.

  2. Droit d’abstention.

  3. Officier établi dans les compagnies de gardes du corps, qui commande en l’absence de capitaine ou de lieutenant.

  4. Louis Séguier.

6.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, pages 754‑755) :

« Le 20 juillet, un imprimeur de cette ville, nommé Morlot, âgé de 70 ans, fut condamné par arrêt du Parlement, les trois chambres assemblées, “ à être pendu et étranglé en place de Grève ” pour avoir imprimé un libelle diffamatoire contre l’honneur de la reine et de M. le cardinal, dont il fut trouvé saisi et en flagrant délit. Mais sitôt qu’il fut sorti de la Conciergerie pour être conduit au supplice, quelques garçons imprimeurs et autres menus gens de l’Université descendirent de la rue Saint-Jacques et accourant en foule à son secours, arrêtèrent tout court la charrette et le criminel, et criant Sauve ! Sauve ! effrayèrent si fort 15 ou 20 archers qui le conduisaient que, sans faire aucune résistance, ils s’enfuirent aussitôt ; de sorte que ce méchant imposteur fut recous {a} et délivré par cette vile canaille, au grand déplaisir de tous les gens de bien, qui s’étaient promis, de ce châtiment public et tant nécessaire à notre repos, la cessation de toutes ces noires médisances que la licence effrénée du temps et la malice des factieux avaient rendues si fréquentes, et que dans peu de jours, le roi retournerait à Paris où Sa Majesté était tant désirée de tous les bons bourgeois. Ce malheureux vieillard était d’autant plus coupable qu’il avait travaillé à ce détestable ouvrage tandis que les mêmes juges qui l’avaient condamné étaient sur le procès de deux autres imprimeurs, appelant de la mort pour avoir mis sous leurs presses de semblables pièces contre la reine (qui en furent quittes toutefois, à cause de leur grande jeunesse, pour les galères). {b} Le livre imprimé par ce vieux scélérat était en vers burlesques, et intitulé La courtine {c}de la reine.

Le lendemain, il y eut arrêt “ portant défenses à toutes personnes de retirer {d} ledit Morlot à peine de la vie, avec commandement à tous archers de le reprendre en quelque lieu qu’il fût ”, et commission délivrée à M. le procureur général “ de faire faire recherche des auteurs de cette invasion et d’informer contre eux ”. Peu s’en fallut que cet attentat impardonnable à l’autorité royale et à la justice souveraine de Sa Majesté, en plein jour, dans la ville capitale du royaume, à la vue du Parlement, pour un homme de néant, par des gens de la lie du peuple, et pour un sujet si peu favorable, ne nous rejetât dans de nouveaux troubles par la légitime appréhension que nous conçûmes que le roi n’en fût offensé au point qu’il le pouvait être raisonnablement, si sa bonté ne se fût défendue en notre faveur de toutes les sinistres conséquences qui s’en pouvaient tirer. »


  1. Secouru.

  2. V. note [31], lettre 186.

  3. Sic pour custode ; courtine est le nom qu’on donnait aux rideaux de lit.

  4. Cacher.

7.

V. notes : [20], lettre 150, pour les Opera de Daniel Sennert (édition de Lyon, 1650) ; [5], lettre 188, pour le nouveau livre de Gassendi sur Épicure qu’André Falconet envoyait à Guy Patin ; et [5], lettre 132, pour Vincenzo Carafa, général des jésuites mort le 6 juin 1649.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Nicolas Belin, le 21 juillet 1649

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(Consulté le 26/04/2024)

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