L. française reçue 28.  >
De Jacques Péricard,
le 10 mars 1657

Monsieur, [a][1][2]

Votre montre [1] et votre réputation, qui m’est connue de longue main par le récit des plus savants du royaume, fait que je recherche avec passion l’honneur de votre connaissance ; et je l’ambitionne d’autant plus volontiers que Monsieur Le Clerc, [2][3] mon compatriote, me fait espérer que vous aurez assez de bonté pour ne me point refuser cette grâce dont il m’a fait lui-même l’ouverture, sur ce que les jours passés, m’ayant rencontré dans ma chambre, que je lisais le traité de Tertullien [4] de Pallio, noté par M. de Saumaise, [3][5] je lui reconnus, [4] comme je vous avoue ingénument, que j’avais lu plusieurs fois cet auteur avec les commentaires de ceux qui jusqu’ici y ont travaillé, mais que je n’avais trouvé personne qui pénétrât dans le sens de cet auteur, qui pourtant affecte beaucoup d’obscurités, [5] mais particulièrement dans ce traité, que j’ai lu et relu avec beaucoup de plaisir pendant le relâche que me donnent les vacances que nous avons entre deux semestres. Mais comme j’ai reconnu que M. de Saumaise marque avoir travaillé sur beaucoup de traités de Tertullien, [6] et que je doute si la mort de l’auteur n’a point dérobé au public ses beaux ouvrages. Monsieur Le Clerc m’a assuré que vous me direz mieux que personne tous les ouvrages qu’il a faits, tant sur le Tertullien que sur les autres. Ce que j’ai déjà lu venant de sa main me fait naître une extrême passion de voir le reste. Faites-moi donc la grâce, s’il vous plaît, Monsieur, de me mander les ouvrages qu’il a faits, si c’est à Paris ou à Amsterdam qu’on les trouve, et combien ils coûtent. Vous pardonnerez au zèle que j’ai d’apprendre quelque chose ; et si par votre moyen, je puis découvrir où sont ses ouvrages, je dirai que je vous en suis et veux être toute ma vie redevable comme à celui que j’honore très parfaitement, et à qui je demande la grâce de me dire et de prendre la qualité de, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Péricard, conseiller au parlement de Metz.

De Toul, [6] ce 10e de mars 1657.


a.

Lettre autographe de Jacques Péricard « À Monsieur/ Monsieur Patin,/ médecin en la Faculté de Paris./ À Paris » : ms BIU Santé no 2007, fo 338 ro‑339 vo.

1.

Montre : mine, allure, « ce qui est exposé aux yeux, et qui paraît à découvert » (Furetière).

2.

Le Clerc, médecin de Toul (de prénom inconnu), dont on a deux lettres à Guy Patin (11 mars et 13 juin 1657).

3.

Q. Sept. Florentis Tertulliani liber de Pallio. Claudius Salmasius ante mortem recensuit, explicavit, notis illustravit. Accedit vera ad vivum ejusdem effigies [Le Manteau de Tertullien. Avant sa mort, Claude i Saumaise l’a recensé, expliqué et enrichi de notes. On a ajouté son véritable portrait, pris sur le vif] (Leyde, Jean Maire, 1656, in‑12) ; v. notule {a}, note [9], lettre 119, pour la première édition de Paris, 1622).

4.

Reconnus : révélai.

5.

Dans l’épître dédicatoire de son De Pallio, adressée à son père, Bénigne Saumaise (in suprema Divionensi Curia Regis Consiliario [conseiller du roi en la Grand’Chambre de Dijon]), datée de Paris le 7 avril 1622, Claude i Saumaise insiste sur les âpretés du style de Tertullien (v. note [19], lettre 119) :

Opus est, ut scis, auctoris difficilis et obscuri, longe dificillimum et obscurissimum. […] Tertullianus cæcis hujus Pallii ambagibus mentem suam ubique infuscavit et operuit. Ad hæc tam densis archaismis et hellenismis, et vocibus quoque mere Græcis, nec Latini textoris pectine percussis, hoc opus intexuit, ut Græcum plane habitum facile inde possis agnoscere. Tam crebris tamen idem raræ ac reconditæ doctrinæ notis, quasi quibusdam purpuræ clavis, aut auri patagiis hunc eumdem habitum insignivit, ut non vile nudipedis ac sordentis philosophi palliolum, sed aut consulis triumphantis, aut pontificis ad ostensionem ornati pompaticum amictum detexere voluisse videatur.

[C’est, comme vous savez, l’œuvre la plus difficile et la plus obscure d’un auteur difficile et obscur. (…) Tertullien a partout obscurci et couvert sa pensée par les sombres ambiguïtés de ce Pallium. Pour ce faire, il a tant farci cet ouvrage d’archaïsmes et d’hellénismes épais, et aussi de mots purement grecs, et que le peigne du tisserand latin n’a pas démêlés, que vous ne pourrez les comprendre aisément si le grec ne vous est très familier. Par les marques d’une méthode si drue, à la fois rare et fermée, comme par des bandes de pourpre ou par des franges d’or, il a signifié cette même manière de sembler avoir voulu tisser non seulement le petit pallium du va-nu-pieds et du philosophe sans valeur, mais la toge d’apparat du consul triomphant et du pontife paré pour la procession].
6.

Plus loin dans son épître dédicatoire, Saumaise en promet en effet plus à son père et aux lecteurs de son De Pallio :

Codicem præterea manu exaratum, cujus ab amico mihi copia olim facta est, satis vetustum et optimæ notæ, curiose semper inspexi, cujus et scripturam ubique fideliter expressam exhibui, eum cum prima et secunda Beati Rhenani editione in omnibus fere consentientem comperi. Cum eodem porro illo vetusto exemplari, et veteribus editionibus omnia Tertulliani opera pæne incredibili labore et studio contuli : quem infinitis prope locis emendatum haud paulo meliorem mea industria dari edique possem jampridem haud vanam animo fiduciam concepi. Integris etiam ac justis commentariis nobiliores et politiores aliquot ejus tractatus illustravi, ut Apologeticum, de Corona militis, de Spectaculis, de Habitu muliebri (de Cultu fœminarum) : quibus omnibus operibus eandem opem tuli, et eandem operam, quam huic de Pallio contuli, ut si hæc placeant, non displicitura utique illa sint, quæ ad eundem gustum exacta sunt. Sed illa suo tempore et ordine si Deus faverit, et vitam mihi produxerit, exibunt.

[En outre, j’ai toujours attentivement examiné avec curiosité un manuscrit, dont un ami m’a jadis fourni une copie : il est assez vieux et d’excellente qualité ; j’ai montré que le texte y était fidèlement reproduit, et découvert qu’il concordait presque en tous points avec la première et la seconde édition de Beatus Rhenanus. {a} Avec ce vieux manuscrit et les anciennes éditions, par une application et un labeur presque incroyables, j’ai depuis collationné les œuvres complètes de Tertullien. J’ai depuis longtemps conçu, sans vaine confiance en moi, que je pourrais les donner, corrigées en une quantité presque infinie d’endroits et rendues passablement meilleures par mes soins, et les publier. J’ai même éclairé de commentaires raisonnables et pertinents quelques-uns des traités les plus célèbres et les plus élégants, comme L’Apologétique, De la Couronne du soldat, Des Spectacles, Du Vêtement féminin (De l’Ornement des femmes) ; {b} à tous, j’ai apporté le même soin et le même travail qu’à ce traité Du Pallium, de sorte que si celui-ci plaît, ceux-là devront plaire de toute façon, car ils ont été produits pour satisfaire le même goût. Mais ils ne paraîtront qu’en temps et lieu opportuns, si Dieu le permet et me prête vie]. {c}


  1. Beat Bild (Sélestat 1485-Strasbourg 1547), humaniste alsacien qui a publié les œuvres de Tertullien en 1521, rééditées en 1528 et 1545.

  2. Traité composé de deux livres.

  3. En dépit de ses promesses, De Pallio est le seul traité de Tertullien dont Saumaise ait fourni une édition imprimée. Aucun des autres cités ne se trouve dans la liste détaillée des manuscrits inédits de Saumaise qu’a établie l’abbé Papillon. Ceux-là durent être jetés au feu après la mort de leur auteur, comme il avait ordonné à son épouse de le faire (v. note [1], lettre 327).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Jacques Péricard, le 10 mars 1657

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(Consulté le 25/04/2024)

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