L. latine reçue 10.  >
De Samuel Sorbière,
le 30 novembre 1650

[BnF ms. latin 10352‑I, fo 153 ro | LAT | IMG]

Samuel Sorbière, au très distingué M. Guy Patin, médecin du roi[a][1][1][2]

Éminent Monsieur,

Depuis ma réception à Orange, [3] ma très lourde charge ne me laisse absolument aucun loisir qui me permette la correspondance que nous souhaitons tous deux entretenir, comme vous m’y avez invité avec si extrême gentillesse. Je suis encore tant sollicité de toutes parts que, hormis celles que je passe à manger et à dormir, aucune de mes heures n’est inoccupée et ne me laisse la liberté de faire ce que je voudrais. Cela devra pourtant bientôt se calmer. Me voici donc qui vous demande si vous êtes en bonne santé, comment se portent nos meilleurs amis, ce que vous faites, vous et nos autres savants, Gassendi [4] en tout premier, et aussi Naudé, [5] nos Français, nos Allemands : à quoi la studieuse cohorte du monde entier occupe-t-elle son temps ? Je suis en peine de le savoir aussi, pour ne pas devenir inculte et grossier dans ce pays qui est le plus désolé de France et un très désert Parnasse ; [6] [BnF ms. latin 10352‑I, fo 153 vo | LAT | IMG] car bien que nous vivions sous l’empire des Muses et que nous soyons aussi initiés aux mystères d’Apollon, [7] haud nos Apollinis infula teget [2][8] pour empêcher que notre esprit ne se couvre de rouille et de moisissure, au point d’être dénué de bon fruit ; à moins que vous ne me veniez en aide, pour m’éveiller et chasser la torpeur de mon cœur. Je vous prie encore et encore de faire cela pour moi, et voudrais vous rappeler m’avoir promis un portrait de l’éminent Monsieur Naudé [9] et des frères Dupuy, [10][11] vous pourrez les mettre dans le paquet où vous glisserez votre prochaine lettre. Je vous demande aussi de leur présenter toutes mes salutations. Vale, très docte, excellent et accompli Monsieur, et aimez-moi toujours.

D’Orange, le 30 novembre 1650.

Je voudrais que vous preniez soin de transmettre la lettre jointe à notre ami Pratæus. [12] J’ai récemment trouvé un livre que je vous ferai volontiers parvenir, si l’occasion m’en est donnée, il est intitulé Déclaration des abus et tromperies que font les apothicaires[3][13][14]


a.

Copie manuscrite d’une lettre que Samuel Sorbière a écrite à Guy Patin, BnF ms latin 10352‑I, fo 153 ro‑ vo.

Notre édition doit cette lettre à l’extrême obligeance et au talent archivistique de Gianluca Mori, professeur d’histoire de la philosophie à l’Université du Piémont oriental (Vicence), qui a très aimablement attiré mon attention sur ce recueil manuscrit de la BnF.

1.

Principal du collège calviniste de la ville d’Orange depuis juillet 1650, Samuel Sorbière ignorait sans doute encore que Guy Patin avait été élu doyen de la Faculté de médecine de Paris le 5 novembre de la même année : il le qualifiait de « [conseiller] médecin du roi », titre banal et purement honorifique (v. notre glossaire), que Patin a peut-être acheté (pour les avantages fiscaux qui y étaient attachés), mais dont il ne s’est jamais targué.

2.

« le ruban sacré d’Apollon ne nous protégera pas » ; imitation de Virgile (Énéide, chant ii, vers 430) : nec Apollinis infula texit [le ruban sacré d’Apollon ne t’a pas protégé].

Dans la mythologie grecque, le Parnasse, plus haute montagne de Phocide, possédait deux sommets, dont l’un était consacré à Apollon et aux Muses, et l’autre, à Bacchus. Il figure le monde des poètes et la poésie.

3.

Déclaration des abus et tromperies que font les apothicaires, fort utile et nécessaire à un chacun studieux et curieux de sa santé, composé par Maître Lisset Benancio. {a}


  1. Lyon, Michel Jove, 1556, in‑8o de 9 feuilles, libelle pseudonyme qui engendra une querelle de plume où Bernard Palissy engagea la sienne.

    Thomas Bartholin a traduit ce livre :

    Declaratio Fraudum et errorum apud Pharmacopœos commissorum. Authore Lisseto Benancio. Latinitate donata et edita ex Museo Thomæ Bartholini. Accessit ejusdem argumenti Dialogus Joh. Antonii Lodetti.

    [Déclaration des fraudes et erreurs commises chez les pharmaciens. Par Lissetus Benancius. Traduit en latin et mis aujour depuis le cabinet de Thomas Bartholin. Avec le Dialogue de Joh. Antonius Lodettus {i} sur le même sujet]. {ii}

    1. Johannis Antonii Lodetti Bergomatis Dialogus de imposturis nonnullorum Pharmacopœorum. Interlocutores : Medicus, Pharmacopœus.

      [Dialogue de Johannes Antonius, natif de Bergame, sur les importures de quelques pharmaciens. Intervenants : le Médecin, le Pharmacien].

      Bartholin a traduit de l’italien et ajouté à la Declaratio de Benancius (pages 103‑159) ce texte écrit en 1569 par Lodettus (Giovanni Antonio Lodetto da Bergamo), Medicus Brixianus [médecin de Brescia], dont la dernière édition a paru à Padoue, Pietro Paolo Tozzi, en 1626, in‑12 de 67 pages).

      Guy Patin ne lisait pas l’italien et a dit, dans sa lettre latine du 10 décembre 1664 (v. sa note [8]), ne connaître Lodetto qu’au travers des livres de Scriptis medicis [des Écrits médicaux] de Johannes Antonides Vander Linden.

    2. Francfort, Justus Rächerus, 1667, in‑8o de 160 pages, réédité ibid. et id. 1671. Les pièces liminaires, dont deux épîtres dédicatoires à Simon Paulli (qui a demandé ces traductions à Bartholin) ne disent rien sur l’identité de Benancio.

Ce livre est attribué à Sébastien Colin, médecin de Fontenay-le-Comte, helléniste et latiniste qui a aussi publié sous son nom :

V. note [27], lettre 152, pour Abraham Du Prat, médecin calviniste lyonnais. La lettre que son grand ami de Samuel Sorbière lui écrivait alors n’a pas été copiée dans le ms BnF latin 10532‑I.

s.

BnF ms latin 10352‑I, fo153 ro

Clarissimo Viro D. Guidoni Patino,
Medico Regio Samuel Sorberius.

Ex quo me Arausionem recepi, Vir Eximie, nihil
planè otij superfuit a gravissimo munere, quo possem
literarum exoptatam tecum, atque ultro humanissimè
oblatam commutationem efflagitare. Ita enim distringor
adhuc, ut præter horas cibo et somno impendendas nullæ
supersint vacuæ, quæ me mei juris esse sinant. At vel
inde tamen aliquid dimetiendum < sic pour demittendum > erit in posterùm ut
rogem quàm bene valeas, quàm bene sit Amicis optimis,
quid tu verum moliaris, quid cæteri docti, quid Gassendus
imprimis, quid Naudæus, quid Galli, quid Germani, quid
toto Orbis terrarum studiosa cohors operum struit ?
Nam hæc quoque scire laboro ; ne rudis omnino et rusticus
fiam in isto miserrimo ex Gallijs desertiore Parnassi pago ;

t.

BnF ms latin 10352‑I, fo 153 vo

quamvis enim sub ditione Musarum degamus, et Apollinis
Mystæ nos quoque simus, haud tamen nos Apollinis
infula teget, quin rubigine et situ ita mens obducatur,
ut bonæ frugis expers tandem fiat ; nisi tu adsis subinde, qui
nos erigas, et animi torporem excutias. Quod ut præstes
quamprimum etiam atque etiam rogo, memineisque
velim te pollicitum esse mihi Iconem summi Viri Naudæi
et Puteanorum fratrum, quas omnes eodem quo Epistolas
tuas includere poteris fasciculo, quibus verò salutem
quæso, a me plurimam nunciabis. Vale, Vir doctissime,
Vir optim, Vir ad unguem facte, et me semper ama.
Arausiono pridie Kalendas Decembris 1650. Has
ad Pratæum nostrum velim probè et quamprimum
cures. Librum nuper nactus sum quem libenter ad
te transmitterem, si qua daretur occasio, titulus est
Declaration des abus et tromperies que font les
Apoticaires.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Samuel Sorbière, le 30 novembre 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9094

(Consulté le 26/04/2024)

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