À Jean Vassan de Saint-Paul, le 8 novembre 1643
Note [9]
Il s’agissait d’une nouvelle pièce anonyme que la Compagnie des médecins de Paris rédigeait contre Théophraste Renaudot, à la suite de sa Requête présentée à la reine… (1643, v. note [15], lettre 92). Pour éclaircir les nouveaux rebondissements que connaissait alors cette empoignade sans merci, Adolphe Chéreau et, après lui, Paul Triaire ont fouillé les comptes annuels manuscrits de la Faculté que le doyen Michel de La Vigne a méticuleusement colligés, suivant la règle, en 1643 (Comment. F.M.P., tome xiii, fo 200 vo). On y lit ces trois sorties au chapitre des dépenses :
Magistro Guidoni Patin, doctori medico, pro excusis 300 exemplaribus inficeti illius scripti quod typis suis edi curaverat Theophrastus Renaudotus et factum litis suæ adversus medicos Scholæ Paris. nuncuparat, dedi sex libellas ;
[J’ai donné six livres à Me Guy Patin, docteur en médecine, pour sa dépense en 300 exemplaires de cet inepte écrit que Théophraste Renaudot avait pris soin d’éditer en son imprimerie, et intitulé Factum de son procès contre les médecins de la Faculté de Paris] ;
eidem Magistro Guidoni Patin, pro narratione iuris nostri, typis mandata adversus Renaudotum et eius socios dedi novem libellos et quinque assos ;
[J’ai donné neuf livres et cinq sols au même Me Guy Patin pour la narration qu’on a fait imprimer de notre procès contre Renaudot et ses associés] ;
dedi Magistro Guidoni Patin censori pro trecentis et amplius exemplaribus examinis libelli supplicis a Gazetario porrecti Reginæ, typis mandati triginta octo libellas et quindecim assos.
[j’ai donné à Me Guy Patin, censeur de la Faculté, 38 livres et 15 sols pour l’impression de plus de 300 exemplaires de l’Examen de la requête présentée à la reine par le Gazetier].
Ces indices établissent que sur la demande de la Faculté, Guy Patin a :
écrit (peut-être) et fait imprimer (sûrement) un factum sans titre qui est une « Requête présentée au prévôt de Paris par les docteurs de la Faculté de médecine contre Théophraste Renaudot et ses adhérents, qui exercent sans titres la médecine au Bureau d’adresse, commençant par ces mots : Le procès entre les doyen et docteurs régents en la Faculté de médecine à Paris et Théophraste Renaudot… » (sans lieu ni nom, 1643, in‑fo) ;
fait imprimer (sinon écrit) l’Examen de la Requête présentée à la reine par le Gazetier (sans lieu ni nom, 4 novembre 1643, in‑4o), qui est le troisième nouveau livret de la Faculté contre Renaudot que Patin annonçait ici au R.P. de Saint-Paul, après les deux susmentionnés.
Renaudot entreprit ensuite de se disculper avec sa Réponse à l’Examen de la requête présentée à la reine par Me Théophraste Renaudot, portée à son auteur par Machurat, compagnon imprimeur (Paris, sans nom, 1644, in‑4o).
Le Factum du procès… (no 1 ci-dessus) est une pièce de 20 pages signée « Monsieur Le Gras, rapporteur », mais écrite par Théophraste Renaudot.
« Ce serait une chose malaisée à croire, si l’on n’en voyait l’expérience {a} aux personnes des défenseurs, {b} qu’il se trouvât des gens qui font profession d’honneur et du christianisme, lesquels osent bien entreprendre de faire guerre ouverte à une charité qui s’exerce envers les pauvres malades par le commandement de Dieu et du roi, et avec l’applaudissement de tout le monde. Aussi est-elle si accomplie en toutes ces circonstances qu’il faut avoir dépouillé l’humanité et la raison pour s’y opposer. »
« Les défendeurs veulent qu’il ne soit pas permis à d’autres médecins qu’à eux de traiter des malades dans Paris ; et par ce moyen, se rendre maîtres absolus du plus grand trésor des hommes qui est leur santé et leur vie, faire la condition de notre siècle pire que celle des temps passés auxquels chacun allait enseigner aux autres les moyens de sa guérison, et rendre Paris en ce point inférieur aux moindres villages et à la Turquie même, où chacun se fait traiter à sa mode et où les Turcs vivent bien en esclaves du grand Seigneur, mais ils meurent libres et il n’y a point de loi qui les oblige à se servir d’un médecin turc plutôt que d’un juif ou d’un arabe, ou qui l’empêche de suivre l’avis de son voisin ; et les défendeurs se doivent souvenir que par le désordre qu’ils ont introduit en la médecine, ils en ont commis la pratique non seulement aux valets des maisons et aux gardes de malades, mais aux malades eux-mêmes, lesquels apparemment ne sont pas si capables de l’exercer que le demandeur et les autres docteurs en médecine ; et cependant, ils trouvent insupportable aux personnes de ceux-ci ce qu’ils autorisent en celles-là. »
Le factum sans titre de la Faculté publié en 1643 (no 2 ci-dessus) est une lamentation de 12 pages sur le procès qui, sans aboutir depuis trois ans, opposait Guy Patin à Théophraste Renaudot, « que la misère et mauvaise condition des temps semblaient favoriser et qui, pour l’exécution de ses sinistres desseins et par des artifices peu sincères, s’appuyait d’une puissance à laquelle il était difficile et assez dangereux de ne se pas soumettre entièrement » (page 1).
« Enfin, pour ne point tenir davantage le bec en l’eau à ces canes, on leur dit en un mot, et qui tranche d’un seul coup la racine de toutes leurs espérances et prétentions, que ni Maître Théophraste Renaudot, auteur du schisme, ni tous les autres suppôts et partisans de sa secte, chétifs assesseurs en ses conseils de médecine, ou pour mieux dire, complices et ministres de ses monopoles et malversations au pansement des malades, soi-disant tous médecins, n’étant point de notre Compagnie ni approuvés d’icelle, n’ont aucun droit et n’en peuvent avoir de traiter les malades et pratiquer la médecine en cette ville et faubourgs de Paris ; si ce n’est qu’ils soient avantagés par quelque autre qualité ou prérogative qui leur vienne d’ailleurs, au défaut de cette première : je veux dire s’ils ne sont premiers médecins du roi ou de la reine, médecins ordinaires de Leurs Majestés ou du nombre de ceux qui servent actuellement {a} le roi durant trois mois de l’année, auxquels les médecins de l’École de Paris ne contestent aucunement ce droit qui est dû à leur qualité ; ni à ceux qui sont attachés effectivement à la personne de Monseigneur le duc d’Orléans, oncle du roi, et de quelques princes du sang royal ; ni pareillement à ceux que ladite Faculté de Paris a voulu souffrir et agréer, voire même leur donner la conférence avec les siens pour le respect et la seule considération des maîtres qu’ils servent, ou pour autres causes, raisons et motifs qu’elle a pu avoir en cette libérale mais très libre et volontaire dispensation des biens, grâces et faveurs que les souverains et les lois ecclésiastiques et politiques ont mis entre ses mains, et dont elle peut user et disposer comme bon lui semble, pour le bien et l’utilité du public » (page 11).
« Et partant, il est indubitable que tant ledit Renaudot, Ατοιχος παροικος, {b} que ses adhérents et consultants, et tous les autres, pratiquant sans aveu ni pouvoir aucun légitime la médecine en cette ville et faubourgs de Paris, doivent être déboutés de leurs prétentions et de l’injuste usurpation et attentat qu’ils commettent contre l’autorité et les ordonnances des magistrats et l’honneur de la profession » (page 12).
L’Examen de la requête… (no 3 ci-dessus) est une pièce de 40 pages in‑4o datée, à la fin, du 4 novembre 1643. Attribuée à René Moreau (BnF), elle est de Guy Patin, comme l’ont avancé Chéreau (Bibliographia Patiniana, page 8) et Machurat (Renaudot lui-même, dans la Réponse qui a suivi).
« Le maître des gazettes (il ne faut pas salir le papier de son nom qui sera odieux et exécrable à la postérité) a débité ces jours passés une requête non moins insolente que téméraire, qu’il a présentée à la reine. Au lieu de venir en suppliant et en coupable, le ventre contre terre et la corde au cou, demander pardon à Sa Majesté que sa plume médisante a déchirée avec toute sa famille dix ou onze ans durant en toutes les occasions qu’il a pu trouver, il vient plein de confidence et d’audace lui demander récompense des injures et des mensonges qu’il a forgés et publiés contre Sa Majesté pour le service, comme il dit, du roi et de l’État. »
« Mais une des pièces la plus criminelle est la Gazette du 4e de juin de l’année 1633, cotée no 54, en la page 236, dans laquelle, après avoir écrit que Don Ioüan de Médicis avait été arrêté à Troyes, il ajoute : On tient qu’il était chargé de plusieurs papiers importants, et particulièrement de plans de villes et places de ce royaume, et de lettres tendant à décrier le roi et le gouvernement de son État, mais on ne sait pas les particularités. Mais ce qui se peut savoir est que par l’une desdites lettres on supposait que le roi envoyait à Rome pour trois choses aussi malicieuses qu’elles sont éloignées de toute apparence, à savoir pour répudier la reine, pour déclarer M. le duc d’Orléans inhabile et incapable de succéder à la couronne, et pour avoir liberté de protéger les luthériens. {a} Faut-il qu’un Français ait écrit ces calomnies contre son roi, contre sa reine, et en ce temps-là contre l’héritier présomptif de la couronne ? Contre son roi ! qu’il fait ennemi de Dieu et protecteur des luthériens, ennemi de la plus chaste et vertueuse femme qui ait jamais été, et ennemi de son sang et des lois fondamentales du royaume. Contre sa reine ! l’accusant des défauts qui sont causes de la répudiation. Contre l’héritier de la Couronne ! en faisant soupçonner en lui quelques grands crimes » (page 22).
« Mais enfin nous voilà venus à la dernière de ses raisons, qui paraît la plus forte et la plus plausible, comme le déchargeant entièrement sur le cardinal-duc, qui lui envoya le matin de la part du roi, les mémoires qu’il employa en cette Gazette. Examinons soigneusement s’il y a quelque apparence de vérité en cette proposition. Premièrement, il confessera avec moi que si ce premier ministre a fait publier ce mémoire, c’était pour justifier le procédé du roi et le sien sur la prise de Don Juan de Médicis. […] Si le cardinal, qui était un fin et très avisé politique eût donné ces mémoires, il en fût demeuré là {b} et n’y eût point fait ajouter les autres qui offensaient le roi, la reine et M. le duc d’Orléans, et le cardinal même, puisque tout le monde savait bien que si ces trois articles eussent été mis en exécution, il en eût été l’auteur et le promoteur. Mais n’est-il pas méchant d’avoir écrit que l’on ne savait pas les particularités des lettres de Don Juan, et cependant tout aussitôt il les particularise ? S’il eût voulu nous persuader que ces lettres venaient du cardinal, il ne devait pas mettre qu’on ne savait les particularités des papiers de don Juan puisqu’il sait bien qu’ils avaient été vus du cardinal, sans l’ordre duquel on n’eût osé les ouvrir ni les lire. Cela fait voir que tout ce discours est de la fabrication du Gazetier et de son invention. Davantage, quelle ruse de police eût-ce été de retenir un homme afin de l’empêcher de décrier le roi et le gouvernement de son État par la communication qu’il voulait faire de ses lettres à ceux auxquels il les adressait, et en même temps faire une publication générale par toute l’Europe des choses que l’on désirait être supprimées ? »
« Mais {c} n’est-il pas plaisant, de promettre à Sa Majesté de la mettre à l’avenir dans ses feuilles, c’est-à-dire dans ses gazettes avec de belles louanges ! Après avoir médit d’elle avec tant d’insolence, avoir détracté {d} de toute sa famille qui a produit tant de rois et d’empereurs, s’être moqué en mil endroits du roi d’Espagne et du défunt cardinal-infant, ses frères, avoir traité l’empereur avec toute sorte d’indignités, il croit l’obliger de la mettre dans ses gazettes, qui est le but et la fin de sa Requête ; et où pareillement je mettrai fin à cet Examen, attendant que nous mettions au jour l’extrait des calomnies, mensonges, fourbes, malices, insolences, et vanités de cet imposteur. »
La Réponse à l’Examen… (no 4 ci-dessus) est un livret de 75 pages in‑fo où Machurat, en même temps qu’il s’identifie à Renaudot et ses compagnons, désigne l’auteur de l’Examen comme étant Guy Patin, mais sans le nommer.
« Je t’y trouve donc encore, {b} camarade, après un silence de trois ans {c} qui n’a été interrompu que par les bouffonneries de ton ridicule plaidoyer qui appartenait mieux à un hôtel de Bourgogne {d} qu’à un barreau : partagé de la pitié que les uns avaient de ton ignorance et de la risée qu’excitait aux autres ton mauvais français, ta façon niaise et ce badin de serment, Vrai comme vela {e} le jour de Dieu, Messieurs, que tu répétais souvent, faute de bonnes raisons, en cette satisfaction que tu fis en public à M. Renaudot, déclarant que c’était d’un autre et non pas de lui que tu avais écrit les médisances contenues en l’épître liminaire des œuvres de Sennert naguère imprimées en cette ville. Et ne te souvenant plus du danger où je me mis pour toi quand j’allai porter aux consultants charitables ton bel Avertissement, tu me jettes en de nouvelles peines de défendre ta réputation qui me donne plus d’affaires que quelque chose de bon. Mais je me suis toujours ressouvenu de cette belle sentence que j’imprimais et que tu corrigeais au temps de notre première connaissance : que l’amitié doit sembler {f} au lierre qui n’abandonne point, même après leur mort, les arbres qu’il a une fois embrassés. Ainsi, Monsieur mon camarade que j’ai tant embrassé, surtout quand ce bon piot {g} nous avait à tous deux ragaillardi les sens, je n’abandonnerai jamais la défense de ta réputation, même après l’avoir perdue, comme tu as fait par ces jolis petits livres que tu composes contre un homme avec qui tu ne gagneras rien ; non plus qu’à envoyer ton portrait et ton éloge supposé à tous ceux qui écrivent la vie des hommes illustres, croyant en surprendre quelqu’un qui te mette en leur rang : témoin le tableau que tu adressas sous ton nom, il y a six mois, à Beverovicius, fameux médecin de Dordrecht, qui travaille sur ce sujet. {h} Ce qui me fait parler de la sorte est que, me promenant ces jours passés sur le Pont-Neuf, qui te sert de bibliothèque, un de nos anciens compagnons, faisant sortir de dessous son manteau le dernier libelle que tu as fait contre ledit sieur Renaudot, me le donna à la charge que je ne lui ferais point voir, disant qu’on tirait cette parole de tous ceux à qui on le débitait, afin que les injures qui sont dedans pussent faire impression sur les esprits du peuple avant qu’on y répondît ; se défiant bien que ce tien ouvrage serait en ce point plus heureux que toi, qu’il ne demeurerait pas deux ans, comme tu as fait autrefois, en chambre garnie, à chercher condition sans pouvoir trouver maître, faute de répondant. »
« il me le rendit avec tous les témoignages de mépris qu’on en saurait attendre, disant qu’il imitait en ce point Diogène, lequel ne faisait que se promener pour réfuter Zénon lorsqu’il niait le mouvement, de même qu’il se contentait de bien faire tandis que ses ennemis s’amusaient à médire de lui. Il ne laissa pas toutefois de me donner la pièce pour boire. Ce qui soit dit sans tirer à conséquence ni que tu en puisses prétendre la moitié, selon ta mauvaise coutume qui t’a coûté tant de gourmades {i} et entre autres, la veille que tu fus passé compagnon imprimeur. Ce qui n’ayant pas empêché que tu n’aies été depuis médecin de l’École de Paris, honore autant l’imprimerie comme tu apportes de déshonneur à cette École. Ce bon commencement (je l’appelle ainsi, voyant que j’avais l’argent et le drap) {j} me fit espérer que si je m’adressais à ce jeune médecin qui drapa si bien cet Avertissement, où toi et un autre de ta faction aviez pris tant de peine, j’en pourrais encore tirer quelque chose. L’ayant donc été trouver chez lui, à l’ouverture du libelle, il s’écria : {k} “ Ô le grand fat ! étant si malhabile homme comme il est, et si ignorant en son art de médecine, a-t-il bien la présomption de se mêler des affaires d’État ? ” Sur quoi, selon la discrétion et retenue que j’ai apprise de toi, je l’interrompis et le prenant par le bras, je lui dis que je t’en estimais plus habile homme de vivre d’un métier que tu ne savais pas, ajoutant que ma mémoire n’étant heureuse que pour se souvenir des lieux où se vend le bon vin, je le priai de te répondre par écrit ; ce qu’il fit de la sorte ».
« Voilà, mon camarade, la réponse de ce docteur de Montpellier à votre Examen, et quelque chose par-delà, qu’il m’a donnée avec charge expresse d’en user à son ordinaire, c’est-à-dire autrement que vous n’avez fait : car au lieu que vous avez mis si bon ordre à votre libelle qu’il n’est tombé entre ses mains que longtemps après qu’il a été imprimé, il vous envoie le premier exemplaire de cettui-ci afin que vous ayez plus de loisir d’y répondre, si le jeu vous plaît, et à vos compagnons. Entre lesquels il s’en trouvera toujours quelques-uns assez équitables pour considérer que la défense étant naturelle, il est malaisé qu’il ne s’en rencontre aussi toujours quelqu’un parmi tant de doctes personnages qui ont mérité le titre de docteur dans toutes les autres universités, lequel s’employant à la conservation de ce qu’ils ont de plus cher, venge leur honneur aux dépens du vôtre. »
Cæterum mitto ad te meam effigiem, stipulatione solita ut vicissim mittas tuam, quam magni muneris loco habebo, ut cuius exemplar in oculis feram.[Du reste, je vous envoie mon portrait sous la seule condition qu’en retour vous m’envoyiez le vôtre, que je tiendrai pour un splendide cadeau, et j’en chérirai l’original comme mes yeux].
Ces propos de Renaudot sont le plus crédible des témoignages qu’on ait sur le passé de Patin dans l’imprimerie, avec celui qui est rapporté dans la note [11], 2e notule {a}, de la lettre 57.