< L. latine 224.
> À Vopiscus Fortunatus Plempius, le 8 décembre 1662 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Vopiscus Fortunatus Plempius, le 8 décembre 1662
Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1257 (Consulté le 03/12/2024) | ||||||||||||
[Ms BIU Santé no 2007, fo 121 ro | LAT | IMG] Au très distingué M. Vopiscus Fortunatus Plempius, à Bruxelles. Un savant jeune homme de Lille, [2] qui est un licencié de votre pays, m’a remis hier matin votre lettre datée du 23e d’octobre avec votre petit livre de Affectibus capillorum et unguium, pour lequel je vous adresse les plus amples remerciements dont je sois capable. [1][3] Je le lirai entièrement dès que j’en aurai le loisir. Je vous aviserai, en attendant, que j’ai jadis connu ici cet Écossais nommé Davidson, il y a 24 ans. [2][4][5] Ayant quitté Paris pour ne pas mourir misérablement de faim (car on avait découvert ses fourberies), il est parti en Pologne, sous le titre honorifique d’archiatre du roi de Pologne ; c’était, je pense, un titre mensonger, inventé pour voiler sous ce prétexte spécieux sa noblesse fictive, pour ne pas dire pire. Il avait alors en effet été acculé à la dernière extrémité, et il a quitté la France quum ex nullo ligno posset Mercurium facere. [3][6] Il ne tirait aucun argent des largesses royales (qu’un vaurien aulique, pseudo-chimiste, lui avait fait espérer, grâce au grand pouvoir dont il jouissait à la cour et auprès de Mazarin, alors au sommet de sa puissance) [7][8] et il s’est volatilisé pour ses créanciers. Il s’est sauvé à l’étranger, fuyant la faim, cherchant à s’acquérir un nom, du renom et de l’argent en espérant convaincre qu’il était un très grand chimiste ; je préfère croire qu’il a été fort cacochymique ; [4][9][10] mais quoi qu’il ait pu faire en Pologne, sachez qu’il n’a jamais écrit en latin, ni ne l’a appris, et que pour rédiger ses livres chimiques, il a recouru à la main d’un autre, à savoir celle d’un homme que je connais fort bien et dont je pourrais aisément vous dire le nom. [5] Si vous cherchez à savoir de moi par quels artifices un si grand vaurien a gagné sa vie pendant tant d’années à Paris, je vous dirai en peu de mots, mais avec vérité, ce que même lui a avoué : il feignait un diagnostic de vérole chez des gentilhommes anglais, écossais, hollandais et allemands, dont il s’était prudemment acquis la bienveillance et l’amitié au nom d’une patrie commune et de secrets chimiques, et leur extorquait de l’argent pour la guérison de leur maladie fictive ; [11] mais ses fraudes ayant été découvertes et la faim le menaçant, cet homme a dû fuir en Pologne pour ne pas avoir à expier les châtiments d’une telle effronterie, car il n’a pas osé retourner dans son pays pour que ces mêmes concitoyens, qu’il avait fourbés et à qui il avait si malencontreusement vendu si souvent de la fumée, ne le reconnussent comme misérable pillard ou comme honteux banqueroutier. Mais en voilà assez de cet exécrable fripon, tout à fait indigne que nous parlions de lui dans nos lettres. Pierre Petit se porte bien, [12] quoiqu’il soit de texture délicate et de santé fragile comme le verre ; il est en effet venu au monde avec un petit corps extrêmement faible, dont les veilles excessives et le travail acharné érodent les forces déjà languissantes, et ses amis conviennent qu’il est parfaitement incapable de les supporter. Il est tout occupé à son Arétée et à un Tractatus de Lumine, adversus Isaac Vossium. [6][13][14] Nous attendons encore le Lucrèce de Le Fèvre et l’ouvrage de Samuel Bochart ; [7][15][16][17] ainsi que [le Cardan complet en dix tomes in‑fo], [8][18] dans les deux prochains mois. L’un de nos [Ms BIU Santé no 2007, fo 121 vo | LAT | IMG] libraires (espèce d’hommes qui pourtant est ici bien engourdie) [19] médite une réédition du livre de Morbis internis de Jacques Houllier, [20] docteur en médecine de Paris qui mourut il y a cent ans, avec ses scolies, les commentaires et les remarques de Louis Duret, [21] les explications d’Antoine Valet, [22] ainsi que les notes de Jean Haultin, [23] médecin de Paris, sur cet auteur qui n’ont encore jamais été publiées. [9] Ce Haultin a en tout cas été un praticien très remarquable, et un véritable Roscius en son métier ; [24] il est passé de vie à trépas en l’an 1616. On dit aussi qu’on prépare à Lyon une nouvelle édition des œuvres complètes de Melchior Sebizius, médecin très docte et très appliqué de Strasbourg ; [25] et en Angleterre, la nouvelle édition in‑fo du Diogène Laërce grec et latin avec les notes de grands hommes, Isaac Casaubon, Aldobrandini et Gilles Ménage. [10][26][27][28][29] J’entends dire ici que chauffe sous les presses hollandaises un grand ouvrage de feu David Blondel, [30] savant français qui mourut il y a quelques années à Amsterdam, aveugle et fort âgé. Cet ouvrage est contre les Annales ecclesiastici du cardinal Baronius. [11][31] On prépare aussi à Lyon une nouvelle édition des œuvres complètes de Lazare Rivière, in‑fo. [12][32] Ainsi sera notre France ou du moins, par le fait d’imprimeurs très avides de nouveaux profits, ainsi deviendra-t-elle Ægyptus Homerica, quæ bona multa et mala multa eandem proferet. [13][33] Thomas Bartholin, mon ami depuis 32 ans, donnera dans quelques mois un tome d’Epistolæ medicæ ; et ensuite, il songera à promouvoir la nouvelle édition du Celse, avec les commentaires de Johannes Rhodius, noble Danois qui mourut en Italie il y a quelques années. [14][34][35][36] J’ai ici un livre remarquable publié chez vous, qui est le Saul ex-Rex de Jean Sinnich, in‑fo ; mais dites-moi, je vous prie, si cet auteur vit encore, et quand on publiera le 2d tome. [15][37][38] J’admire et respecte profondément la très grande hauteur de vue et l’immense érudition de cet écrivain. Je sais parfaitement les excellents hommes qui sont ses amis, et aussi les miens ; [39][40] ses adversaires ne me sont pas non plus cachés, quod intus et in cute novi : ad populum phaleras ! [16][41][42] Si vous voulez me faire une faveur et sans vous déranger, je vous demande même de le saluer de ma part. Je n’ai rien de plus à vous écrire. Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites. De Paris, ce 8e de décembre 1662. Votre G.P. de tout cœur. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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