Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑4 (1701), note 15.
Note [15]

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 76), mais rappelle ce que Guy Patin a écrit dans sa lettre du 20 février 1665 à André Falconet, au sujet du théologien espagnol Amadæus Guimenius (v. ses notes [4] et [5]) :

« Un docteur de Sorbonne m’a dit qu’il faut que cet auteur soit un méchant homme, et même un athée ; et néanmoins Platon a dit que jamais un homme ne mourut athée, mais au moins il y a bien au monde des fourbes, des imposteurs, sans mettre en ligne de compte les charlatans de notre métier, qui ne valent pas mieux. »

Robert Fludd (Fluddus ou de Fluctibus ; Milgate House, Kent 1574-Londres 1637), docteur en médecine d’Oxford en 1605, était un adepte du paracelsisme et de l’occultisme mystique. Collègue de William Harvey {a} au sein du London College of Physicians, Fludd fut l’un des tout premiers à défendre publiquement la circulation du sang. Rangé parmi les néoplatoniciens chrétiens, {b} il a laissé plusieurs ouvrages ésotériques, dont une :

Apologia Compendiaria, Fraternitatem de Rosea Cruce suspicionis et infamiæ maculis aspersam, veritatis quasi Fluctibus abluens et abstergens : Auctore R. de Fluctibus, M.D. Lond.

[Brève Apologie qui, comme par des flots de vérité, lave et essuie la fraternité de Rose-Croix {c} des taches de soupçon et d’infamie dont on l’a aspergée. Par R. de Fluctibus, docteur en médecine à Londres]. {d}


  1. V. note [12], lettre 177.

  2. V. note [52], lettre 97.

  3. V. note [6], lettre 853.

  4. Leyde, Godefridus Basson, 1619, in‑8o de 23 pages.

Platon a entre autres débattu de l’athéisme dans le livre x de ses Lois (chapitres iiii, traduction d’Émile Chambry) :

« (L’Athénien) Celui qui croit, comme l’enseigne la loi, qu’il y a des dieux, ne commettra jamais volontairement aucun acte impie et ne lâchera jamais un mot contre la religion. Si on le fait, c’est pour une des trois causes que voici : la première, c’est que, comme je l’ai dit, on ne croit pas à l’existence des dieux ; la seconde, qu’on pense qu’ils ne s’occupent pas des affaires humaines ; et la troisième, qu’il est facile de les fléchir par des sacrifices et de les séduire par des prières.

(Clinias) Alors que faire et que dire à ces gens-là ?

(L’Athénien) Commençons, mon bon ami, par écouter ce que je devine qu’ils nous diront d’un ton à la fois insultant et moqueur.

(Clinias) Que nous diront-ils donc ?

(L’Athénien) Ils pourraient nous dire, pour se jouer de nous : “ Étrangers d’Athènes, de Lacédémone et de Cnossos, vous dites vrai. Il y en a parmi nous qui ne croient pas du tout à l’existence des dieux ; {a} d’autres se les figurent tels que vous dites. En conséquence, nous demandons qu’avant de nous menacer durement, vous essayiez d’abord, comme vous l’avez jugé bon à propos des lois, de nous persuader et de nous prouver par des raisons concluantes qu’il y a des dieux, et qu’ils sont d’une nature trop excellente pour se laisser enjôler et détourner de la justice par des présents. Comme nous entendons tenir ces propos et d’autres semblables à des gens qui passent pour être très capables – poètes, orateurs, devins, prêtres, sans parler d’une infinité d’autres personnes – la plupart d’entre nous ne se sentent pas portés à ne pas faire le mal, mais < le sont à > y remédier après qu’il est commis. Nous avons droit d’attendre des législateurs, qui prétendent préférer la douceur à la brutalité, qu’ils commencent à user avec nous de la persuasion, et qu’ils nous tiennent sur l’existence des dieux des discours sinon meilleurs, du moins plus vrais que les discours des autres. Peut-être nous laisserons-nous persuader. Essayez, si notre demande est raisonnable, de nous dire ce que nous demandons. ”

(Clinias) Ne te semble-t-il pas, étranger, facile de démontrer véritablement l’existence des dieux ?

(L’Athénien) Comment ?

(Clinias) D’abord la terre, le soleil, les astres et l’univers, le bel ordre des saisons, la répartition des années et des mois, et tous les Grecs et les barbares qui croient qu’il y a des dieux.

(L’Athénien) J’ai peur, mon bienheureux ami, que les méchants ne nous méprisent, car de dire que j’en rougis pour vous, c’est ce que je ne ferai jamais. Vous ne connaissez pas la cause de leur désaccord avec nous ; vous croyez que c’est uniquement parce qu’ils ne peuvent pas dominer les plaisirs et les passions qu’ils se jettent dans l’impiété.

(Clinias) À quelle autre cause faut-il donc l’attribuer ?

(L’Athénien) À une cause que vous ignorez et qui vous reste cachée, à vous qui vivez en dehors de la Grèce.

(Clinias) Que veux-tu dire par là ?

(L’Athénien) Je veux dire une affreuse ignorance qu’ils prennent pour la plus haute sagesse.

(Clinias) Comment dis-tu ?

(L’Athénien) Il y a chez nous des discours, soit en vers, soit en prose, consignés dans des écrits qui n’existent pas chez vous, à cause, je crois, de l’excellence de votre constitution. Les plus anciens disent au sujet des dieux que les premiers êtres furent le ciel et les autres corps, puis peu de temps après leur naissance, ils placent celle des dieux, et racontent les traitements qu’ils se firent les uns aux autres. Que, sous certains rapports, ils soient utiles ou non à ceux qui les entendent, il n’est pas facile, vu leur antiquité, d’y trouver à redire ; mais en ce qui regarde les soins et les égards dus aux parents, je ne saurais pour ma part les approuver ni avouer qu’ils sont utiles, ni même qu’ils soient vrais. Laissons donc ces anciens écrits ; qu’il n’en soit plus question, et qu’on en dise ce qu’il plaira aux dieux. Tenons-nous en aux écrits des modernes et des sages, et montrons par où ils sont une source de mal. Voici l’effet que produisent leurs discours. Lorsque, pour prouver qu’il y a des dieux, nous alléguons ce que tu disais, le Soleil, la Lune, les astres et la Terre comme autant de dieux et d’êtres divins, les disciples de ces sages répondent que tout cela n’est que de la terre et des pierres, incapables de s’intéresser en quelque façon que ce soit aux affaires humaines, et ils donnent à leurs arguments une forme brillante, propre à persuader. […]

Parlons donc ; mais comment garder son sang-froid, quand on se voit réduit à prouver que les dieux existent ? On ne peut s’empêcher de voir de mauvais œil et de haïr ceux qui ont été et sont encore aujourd’hui cause de la discussion où nous allons entrer ; qui n’ont pas foi aux contes que, dès leur plus jeune âge, alors qu’ils étaient encore à la mamelle, ils ont entendu de la bouche de leur nourrice et de leur mère, lesquelles enchantaient leurs oreilles sur un ton tantôt badin, tantôt sérieux ; qui ont entendu leurs parents prier dans les sacrifices et les cérémonies dont ils sont accompagnés, toujours si agréables à voir et à entendre pratiquer lorsqu’on est jeune ; qui ont vu leurs parents appliqués avec le plus grand zèle à offrir des sacrifices pour eux-mêmes et pour leurs enfants, et s’adressant aux dieux dans leurs prières et leurs supplications, dans la persuasion la plus assurée qu’ils existent ; qui savent et voient de leurs yeux que tous les Grecs et tous les barbares se prosternent et adorent les dieux, au lever et au coucher du Soleil et de la Lune, dans toutes les situations malheureuses ou heureuses de leur vie, parce que, loin de penser que les dieux n’existent pas, ils sont convaincus que leur existence est aussi réelle que possible et qu’il n’y a jamais lieu de soupçonner qu’il n’y a pas de dieux. Et maintenant, au mépris de toutes ces leçons, et sans aucune raison valable, comme le pensent tous ceux qui ont tant soit peu de sens, ils nous forcent à leur tenir le langage que nous leur tenons.
Comment pourrait-on reprendre doucement ces gens-là et leur apprendre en même temps qu’il y a des dieux ? Il faut l’essayer pourtant ; car il ne faut pas que, parmi nous, les uns déraisonnent, parce qu’ils sont affamés de plaisirs, et les autres, parce qu’ils sont indignés contre eux. Adressons-nous donc sans colère à ceux dont l’esprit est ainsi gâté, et refrénant notre indignation, parlons-leur avec douceur, comme si nous conversions avec l’un d’eux : “ Mon enfant, tu es jeune ; mais, en s’avançant, le temps changera bien des choses à tes sentiments actuels et t’en donnera de contraires. Attends jusqu’à ce moment pour juger des choses les plus importantes. Ce que tu tiens à présent pour une chose de nulle conséquence est une chose très importante : je veux dire l’opinion juste qu’on se fait des dieux, opinion d’où dépend la bonne ou la mauvaise conduite de la vie. Mais d’abord, je ne crains pas qu’on m’accuse de mentir si je te dis à ce sujet une chose digne de remarque : c’est que tu n’es pas le seul et que tes amis ne sont pas les premiers qui aient eu cette opinion au sujet des dieux, et qu’il y a toujours plus ou moins de personnes atteintes de cette maladie. Je puis t’assurer, pour avoir fréquenté beaucoup d’entre elles, qu’aucune de celles qui dans leur jeunesse ont embrassé cette opinion que les dieux n’existent pas n’a persisté dans ce sentiment jusqu’à la vieillesse, {a} que cependant certaines d’entre elles, mais en petit nombre, ont persévéré dans les deux autres opinions, à savoir que les dieux existent, mais qu’ils ne s’inquiètent pas des affaires humaines ; en outre, qu’ils s’en inquiètent, mais qu’il est facile de les fléchir par des sacrifices et des prières. Pour éclaircir tes doutes autant que possible, tu attendras, si tu m’en crois, en examinant s’il en est ainsi ou autrement, et tu consulteras là-dessus les autres et surtout le législateur. Durant cet intervalle, ne sois point assez téméraire pour offenser les dieux. C’est à celui qui te donne des lois d’essayer maintenant et plus tard de t’enseigner ce qu’il en est des dieux mêmes. ” » {b}


  1. Passage que j’ai mis en italique car il illustre les propos que le Patiniana prêtait ici à Guy Patin (ou à Gabriel Naudé).

  2. Dans cette longue citation, l’Athénien (qui parle pour Platon) condamne assurément, tout en les expliquant, le scepticisme athée et l’impiété qui caractérisaient les « libertins érudits » (v. note [9], lettre 60), dont le Naudæana et le Patiniana se sont complus à distiller les audaces.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑4 (1701), note 15.

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(Consulté le 19/04/2024)

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