« Ah ! le bel et éminent artifice, mais spéculatif, qui d’un philosophe fait un libraire » : citation de Pétrarque (v. note [17], lettre 93), De Remediis utriusque fortunæ [Les Remèdes aux deux fortunes], livre i, dialogue xliii, De librorum Copia [L’Abondance des livres], à laquelle Guy Patin a ajouté sed sceptica [mais douteux (en latin tardif)].
La Bibliothèque universitaire d’Uppsala (Suède) conserve un billet manuscrit « orphelin » de Guy Patin (Uppsala universitetsbibliotek, Waller Ms fr‑07025) ; sans date ni destinataire, il contient une double référence à Pétrarque (avec deux passages barrés, ici transcrits entre accolades) :
Adam parens ille publicus generis humanis, quamdiu solus fuit nemo felicior : mox ut comitatus, nemo miserior, solus stetit, comitatus ruit. Solus beatæ civis patriæ, comitatus, infelicis exilii peregrinus : solus, in requie et gaudio : comitatus, in laborib. et dolorib. multis. Deniq. solus immortalis fuerat, junge sociam, mortalis efficitur. {etc.} Iam tunc clarum et insigne præsagium, quid de societate fœminea sperare posteritas deberet. Petrarcha.
{Elogia Fernelij. Laus et vituperium Medicinæ.}
Du petit garson à qui la Mere mourante donna un bon Père, voyez Petrarque, in remedijs utriusque fortunæ, dialog. 50. sub finem.
[« Aussi longtemps qu’il a été seul, personne ne fut plus heureux qu’Adam, l’ancêtre commun de tout le genre humain. Dès qu’il a eu de la compagnie, personne n’a été plus malheureux que lui. Tranquille tant qu’il fut seul, il s’est précipité dans les tourments quand il ne l’a plus été. Dès lors, de seul habitant d’un opulent pays, il s’est mué en étranger frappé de misérable exil. Jouissant de la paix et de la joie quand il était seul, une fois accompagné, il a vécu dans les peines et les douleurs sans nombre. Seul, il était immortel ; donnez-lui une compagne, et il devient aussitôt mortel. {etc.} Ainsi s’est depuis lors établie l’insigne et célèbre prédiction que la postérité de l’homme ne doit être espérée que de son association à une femme. » Pétrarque {a}
{Éloges de Fernel. Louange et blâme de la médecine.} {b}
Du petit garçon à qui la mère mourante donna un bon père, voyez Pétrarque in Remedijs utriusque fortunæ, à la fin du dialogue l]. {c}
- Transcription intégrale du chapitre i, De Solitudine parentis humani generis Adam [La Solitude d’Adam, l’ancêtre du genre humain], section ii du Francisci Petrarchæ V. C. de Vita solitaria liber ii [Second livre du très illustre Francesco Petrarca (Pétrarque) sur la Vie solitaire] (1346) ; il n’y manque que les cinq premiers mots : Et ut a primis ordiar… [Et pour commencer par le début…].
J’ai corrigé les minimes écarts du texte de Patin pour le rendre parfaitement fidèle à sa source imprimée (Francisci Petrarchæ… Opera quæ extant omnia… [Œuvres complètes de Pétraque…], Bâle, Henricus Petrus, 1554, volume 1, pages 253‑254).
- Ligne rayée par Patin. Les « Éloges de Fernel » peuvent correspondre aux Virorum celebrium de Fernelio Judicia [Jugements d’hommes célèbres sur Fernel] qui occupent quatre pages dans les préliminaires de son Universa Medicina [Médecine universelle] (édition d’Otto van Heurne, Utrecht, 1656, v. note [3], lettre 463). Je n’ai trouvé, ni là ni ailleurs, de référence correspondant à « Louange et blâme de la médecine ».
- Ce dialogue appartient au livre ii des Remèdes aux deux fortunes ; il est intitulé :
De Filio, qui alienus inventus est.
Si dabitur soboles alieno semine nata,
Fac foveas etiam, cum sit imago Dei.
[Du Fils issu d’autrui.
Si te vient un enfant né d’un autre que ton mari, choie-le aussi parce qu’il est à l’image de Dieu].
À la fin de ce dialogue sur les bâtards, Ratio [la Raison] dit cette histoire à Dolor [la Peine] :
Circa littus oceani, quod Britanniam ab adverso conspicit, ante non multos annos fama est, fuisse mulierculam inopem, sed forma appetabili, et insigni lascivia : hæc dudodecim parvos filios, totidem ex viris genitos habebat, annuis ætatum interstitiis inter se distantes. Instante autem mortis hora, vocari prope virum iubet ; et non est, inquit, amplius ludi tempus, nullus horum puerorum ad te spectat, præter maiorem solum : primo enim anno nostri connubii, casta fui. Sedebant tunc forte pueri omnes humi, circa ignem, more gentis, aliquid manducantes. Stupente igitur viro, atque illis rei novitate suspensis : illa singulorum patres ordine nominat : quod audiens omnium minimus, qui triennis erat, panem, quem dextera, et rapam, quam habebat in manu altera, in terram posuit : ac tremens desiderio, et ambabus manib. in altum erectis, adorantis in morem ; Da, inquit, quæso, mihi genitrix, aliquem bonum patrem. Cumque illa in fine verborum patrem parvuli nominasset, et famosum quendam, divitemque hominem, reassumpto in manibus cibo ; Bene habet, inquit ; Bonus est pater.
[On raconte que, sur le rivage qui fait face à l’Angleterre, voilà quelques années, vivait une pauvre petite femme, mais remarquable pour sa beauté et sa lascivité. Elle avait donné naissance à douze fils, nés à intervalles d’une année et engendrés par autant de pères. L’heure de sa mort approchant, elle demanda à parler à son mari : « Il n’est plus temps de s’amuser, lui dit-elle, aucun de ces enfants n’est de toi, hormis l’aîné, car ma conduite a été irréprochable durant la première année de notre mariage. » À ce moment, il se trouvait que tous les enfants étaient là, assis sur le sol autour du feu, mangeant quelque chose, à la manière de ces gens. La nouveauté de cette révélation frappa son mari de stupeur et plongea ses garçons dans la perplexité. Elle donna à chacun d’eux, dans l’ordre de sa naissance, le nom de son père. Entendant cela, le plus jeune de tous, âgé de trois ans, posa à terre le morceau de pain qu’il avait dans la main droite et la rave qu’il tenait dans l’autre ; puis tremblant d’impatience et les levant toutes deux en l’air, à la manière de ceux qui implorent, il dit : « Ma mère, donne-moi, je t’en prie, un bon père ! » Prononçant alors ses ultimes paroles, elle nomma ce père, qui était un homme riche et connu ; après quoi, le petit garçon reprit sa nourriture en mains et dit : « Tout va bien, j’ai un bon père »].
Le Borboniana a repris ce conte (v. note [69] de sa quatrième partie).
Tout cela méritait bien d’être transcrit et traduit, mais ne permet pas de deviner celui à qui Patin destinait son curieux billet. Tout ce que je peux en dire de certain est que, dans la collection Waller des manuscrits d’Uppsala, sa cote (Ms fr‑07025) suit celle des deux pièces (Ms fr‑07024) que j’ai placées à la fin de la lettre du 22 mars 1657 à Christiaen Utenbogard.
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