Aux pages 74‑75 des Epistolæ de Claude Sarrau, {a} dans le post-scriptum d’une lettre adressée à Claude i Saumaise, à Dieppe, datée de Paris le 12 novembre 1643, on lit :
Convenit me hodie Peyrerius, dixitque velle se edere opusculum illud suum, quo docere conatur ante Adamum extitisse alios homines : consiliumque esse illud ibi inscribendi, sub hoc titulo, Somnium Nobilis Aquitani de Præadamitis, allusione scilicet facta ad scomma Groti. Rogabat num probarem ut experiretur : se nihil de hisce statuere, sed tantum sententiam suam modeste proponere, circa quam invocaret eruditorum judicia. Respondi me ad te relaturum. Tu vero scribe quid ei faciendum sit.
[La Peyrère m’a aujourd’hui rendu visite. Il m’a dit vouloir publier son opuscule où il se dispose à montrer qu’il existait d’autres hommes avant Adam et que son idée était de vous le dédier sous ce titre, Somnium Nobilis Aquitani de Præadamitis, {b} en faisant bien entendu allusion à la raillerie de Grotius. {c} Il demandait si j’approuvais qu’il s’y hasardât, en disant qu’il ne déciderait rien de lui-même là-dessus ; mais pourtant, qu’il proposait modestement sa dédicace, qu’il en appellerait aux jugements des érudits. Je lui ai répondu que je vous en parlerai. Écrivez-moi ce qu’il convient d’en faire].
- Orange, 1654, v. note [6], lettre 379.
- « Songe d’un noble d’Aquitaine sur les préadamites ».
- Hugo Grotius (v. note [2], lettre 53) s’est interrogé sur les ascendances des Indiens d’Amérique dans sa De origine gentium Americanarum Dissertatio [Dissertation sur l’origine des peuples américains] (sans lieu ni nom, 1642, in‑4o), concluant qu’il n’étaient pas aborigènes, mais venus d’Europe ou d’Asie, à l’occasion d’une infortune de navigation ou aux temps reculés où existaient des passages terrestres entre ces continents et l’Amérique.
Un Hollandais nommé Laëtius ayant vivement contesté cette thèse (qui faisait des Indiens des fils de Dieu…), Grotius publia une Dissertatio altera adversus obtrectatorem [seconde dissertation contre un détracteur] (Paris, Sébastien Cramoisy, 1643, in‑8o), avec, en exergue du titre, ce vers de Catulle (xxvii, 19), Opaca quem bonum facit barba [Sa barbe touffue est tout ce qu’il a de bon]. En examinant les langues indiennes, Grotius y constatait la présence de mots dont la racine était européenne ou asiatique et concluait son raisonnement « par l’absurde », en rappelant les idées de l’Antiquité sur l’origine des humains (page 15) :
Cui consequens est, ut credandur aut ab æterno fuisse cum Aristotele, aut ex terris orti, ut de Spartis fabula est, aut ex Oceano, ut voluit Homerus, aut aliquos ante Adamum fuisse conditos homines, ut nuper aliquis in Gallia somniavit. Si hæc credantur, magnum video periculum pietati : si quæ ego, nullum plane.
[Par conséquent, il faut croire qu’ils ont été là depuis la nuit des temps, comme disait Aristote, ou qu’ils sont nés de la terre, comme conte la légende de Sparte, ou de la mer, comme voulait Homère ; ou alors, que des hommes ont existé avant Adam, comme quelqu’un l’a récemment rêvé en France. On met la piété en grand danger si on croit de telles choses ; mais rien de tel, si on croit ce que j’en dis].
Le rêveur de France visé par Grotius était bel et bien Isaac de La Peyrère car son livre des Præadamitæ [Préadamites] était connu des lettrés bien avant sa parution en 1655, comme le prouvent la lettre de Sarrau er celle de Guy Patin à Charles Spon datée du 14 septembre 1643 (v. sa note [3]). Dans son article sur Grotius, Bayle (fin de sa note G) s’est laissé duper par cette énigme chronologique que voilà bel et bien résolue.
Dans son livre des Préadamites, je n’ai pas trouvé de réponse que La Peyrère ait faite à la raillerie de Grotius. Le fait est que ni l’un ni l’autre n’avait tort.
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