Le livre premier, Ce que c’est que la maladie, chapitre iv, De la maladie par communication (pages 11‑13) de la Pathologie de Jean Fernel (v. supra note [1]) éclaire à nouveau très opportunément le propos de Guy Patin :
« Partant, {a} la maladie qui se fait par communication ne doit ni simplement ni absolument être appelée maladie, car il y a deux sortes d’indispositions ou constitutions contre nature, dont l’une est propre à la partie affectée, et l’autre ne lui advient que par sympathie et communication. L’indisposition propre à la partie, ou l’idiopathie, {b} est un effet contre nature produit en la partie par quelque chose qui en altère immédiatement la disposition ; mais l’indisposition par sympathie est un effet contre nature communiqué à la partie par le vice d’une autre, ce qui se fait en trois façons.
L’une est quand la partie reçoit quelque chose qui lui est envoyée d’ailleurs, outre l’ordonnance de la Nature. {c} Ainsi, les humeurs subtiles ou les vapeurs corrompues, qui montent du ventricule à la tête, troublent quelquefois l’entendement, et quelquefois excitent la douleur par la distension ou érosion des méninges ; d’autres fois, elles représentent aux yeux de vaines et feintes images, comme s’ils étaient travaillés de quelques suffusions. {d}
L’autre est quand l’écoulement et influence de la faculté trouve de l’empêchement, qui la retient et en prive la partie, comme : lorsque l’épine du dos est affectée d’inflammation ou d’obstruction, il survient une résolution des cuisses, en sorte qu’elles perdent tout sentiment et mouvement ; et < lorsque > les nerfs optiques étant bouchés, les yeux ne peuvent plus rien voir. {e}
La troisième sorte de maladie par communication se fait quand la matière nécessaire pour agir ne peut arriver jusqu’au lieu où elle doit aller ; par exemple, s’il y a de l’obstruction aux poumons, ou que les muscles des côtes soient relâchés, ou la poitrine étant percée, parce qu’en aspirant, {f} il ne sort pas assez de vent du poumon pour atteindre jusqu’au larynx, la voix, qui en est l’action, est ou supprimée, ou même perdue. Semblablement, une grande obstruction des veines qui vont vers le foie empêche que le sang ne soit distribué par tout le corps, et fait que le corps devient languissant à faute de nourriture et, enfin, tombe en atrophie. {g}
Or, en quelque façon que ce soit que la partie, ou naturelle ou animale, {h} reçoive de l’incommodité par communication, on dit bien qu’elle est affectée, qu’elle souffre, puisque l’action d’icelle ou périt tout à fait, ou est du moins, en quelque sorte, empêchée. Toutefois, elle n’est pourtant pas malade, et cette sienne affection n’est point une maladie, n’étant pas immédiatement attachée à la partie même. C’est pourquoi on ne lui applique pas les remèdes ; et si on les y applique, ils ne lui servent pas beaucoup. Partant, {a} quand la maladie est en quelque partie, l’action d’icelle est nécessairement offensée ; et non pas au contraire, car il ne s’ensuit pas que, l’action de la partie étant offensée, la partie soit aussitôt semblablement malade. Mais enfin, la partie qui a été travaillée par la communication d’une autre contracte quelquefois, de là, un mal qui lui devient propre, et la sympathie se tourne en idiopathie. Or, combien que ce mal soit devenu propre, si n’est-il pas {i} primitif, mais postérieur et de la seconde passion. Les Grecs nomment celui-là protopathie, et cettui-ci deutéropathie ou hystéropathie. {j} Ainsi, d’une maladie en vient une autre, et souvent un même mal est et maladie, et cause de maladie. Ceci suffise pour faire entendre ce qu’est une maladie. »
- Par conséquent.
- V. supra note [4].
- Contre l’ordre naturel des choses.
- La suffusion est un épanchement d’humeur. Cette première forme de sympathie était celle que Patin invoquait dans le cas analysé, qu’il estimait venir des viscères nutritifs des hypocondres (dont l’estomac, ou ventricule, fait partie).
- Ces deux exemples correspondent respectivement à : (1) la paraplégie (paralysie et insensibilité de la moitié inférieure du corps) par lésion de la moelle épinière dans le canal rachidien ; (2) la cécité par lésion des nerfs optiques. L’anatomie fonctionnelle du système nerveux en fournit désormais l’explication rationnelle et directe (immédiate), sans besoin de recourir à la sympathie (bien que les noms de sympathique et parasympathique restent attachés au système nerveux autonome, c’est-à-dire indépendant de la volonté).
- En expirant : aspirer avait le sens de « pousser son haleine au-dehors » (Furetière). Toute lésion thoracique entravant l’expulsion de l’air (asthme, paralysie des muscles respiratoires, plaie étendue de la paroi) affecte la faculté d’émettre les sons (parler, chanter, crier).
- Explication de la cachexie (ou phtisie, v. note [3], lettre 66) proposée avant la découverte de la circulation sanguine.
Le point essentiel de toute cette description de la sympathie par Fernel est qu’il n’y faisait intervenir aucune influence occulte ou surnaturelle, telle qu’en rêvaient les paracelsistes avec, par exemple, leur poudre de sympathie ou leur onguent hopliatrique (v. note [28] de L’homme n’est que maladie).
- Traduction fidèle au latin d’origine (quomodocunque seu naturalis seu animalis pars consensu laboret) : probablement Fernel voulait-il distinguer la structure de l’organe et sa fonction (nuance qu’on rend aujourd’hui par les adjectifs organique et fonctionnel).
- Il n’est pas à tenir pour.
- Pour Littré DLF, la protopathie (de protos, premier en grec) était, comme l’idiopathie, une « maladie première, celle qui n’est ni précédée ni produite par une autre ». À l’opposé, la deutéropathie (de deutéros, second) était un « état morbide qui se développe sous l’influence d’une autre maladie » ; Fernel lui donnait aussi le nom d’hystéropathie (de ustéros, qui vient derrière).
Essentiel et symptomatique sont les synonymes modernes de protopathique et deutéropathique (v. note [1] de la Consultation 13).
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