Autres écrits : Une thèse quodlibétaire de Guy Patin : « L’homme n’est que maladie » (1643), note 28.
Note [28]

L’onguent hopliatrique (du grec οπλον, arme, et ιατρικος, qui guérit) est une charlatanerie dénoncée dans le livre i (chapitre ix, page 74) du Systema Physicum, septem libris adornatum, et Anno Christi mdcvii. publice propositum in Gymnasio Dantsicano a Bartholomæo Keckermanno, SS. Theologiæ Licentiato, et Philosophiæ ibidem Professore, Editio prioribus omnibus auctior et correctior, cum indice rerum et verborum copioso ; cui accessere Tabulæ xlvii. totum Systema Physicum breviter delineantes et adumbrantes [Système physique divisé en sept livres, que Bartholomäus Keckermann, {a} licencié en très sainte théologie et professeur de philosophie au Collège de Dantzig, y a publiquement présenté l’an 1607. Édition plus complète et correcte que les précédentes, avec un copieux index des mots et des matières, auquel on a ajouté 47 tableaux décrivant et résumant brièvement le Système physique]. {b}

Unguentum illud hopliatricum licet fatendum sit habere multa naturalia ingredientia, inter quæ præcipue est calvaria hominis, exiccans et abstergens : tamen hoc demonstrari non potest, quod applicatio istius unguentis sit naturalis : nam unguentum illud non attingit ipsum vulnum immediate ; sed attingit gladium aut cultrum aut pugionem : quæ vero est convenientia applicationis istius ? cum pars affecta non inungatur in homine, sed instrumentum afficiens et mere activum (videlicet gladius) quod nec morbis est obnoxium, nec morti : si non est obnoxium morbis, nec est sanitatis subiectum : contraria enim sunt in eodem subiecto, sive privatio et habitus habent idem subiectum ; nam ut lapis non potest dici cæcus, ita nec gladius potest dici ægrotus.

[Bien qu’on doive le tenir pour asséchant et détergent, cet onguent hopliatrique contient de multiples ingrédients, dont le principal est du crâne humain. Ses propriétés ne se peuvent pourtant pas démontrer, même si son application est conforme aux lois de la nature : on ne le met pas directement sur la blessure même, mais sur le glaive, le couteau ou le poignard qui l’a causée. Quelle est donc la bonne manière de l’appliquer, puisqu’on n’oint pas la partie blessée de l’homme, mais l’instrument qui blesse et qui a été purement actif (à savoir bien sûr la lame), qui n’est soumis ni aux maladies ni à la mort ; et puisqu’il n’est pas sujet aux maladies, n’est pas non plus un sujet de santé ? Le même sujet possède en effet deux caractéristiques antagonistes : l’action et sa suppression. De la même manière qu’on ne peut dire d’une pierre qu’elle est aveugle, on ne peut dire d’une lame qu’elle est malade].


  1. V. note [18], lettre 181.

  2. Hanau, Petrus Antonius, 1617, in‑8o, avec un portrait de l’auteur.

    Les tableaux, à la fin de l’ouvrage, détaillent le contenu de chaque groupe de chapitres sous la forme d’un arbre.

Suit un raisonnement laborieux aboutissant à la conclusion que cet onguent, doté de vertus sympathiques, ne peut pas être de nature divine car il est contraire à la nature des choses ; il est donc de nature démoniaque, ayant d’ailleurs la réputation d’avoir été inventé par un mage italien de Parme, dénommé Anshelmus et qu’on qualifiait de saint.

Pour la composition de cet onguent et une façon plus précise de s’en servir, Keckermann renvoie son lecteur Franciscus Tidicæus (v. note [27], lettre 1020) ; lequel attribue ce remède à Paracelse dans la Digressio, in Mumiæ nonnihil, et hac occasione in unguenti, quod per inunctionem armorum vulnera sanat, quodque οπλοχριστον vocant, considerationem [Digression brève sur le baume de momie et, à cette occasion, sur l’onguent qui guérit les blessures par l’imprégnation des armes et qu’on appelle baume des armes] de son traité De Theriaca et eius multiplici utilitate, ac recta conficendi ratione… [De la Thériaque, ses emplois multiples et la bonne manière de la fabriquer… (Toruń, Andreas Cotenius, 1607, in‑4o, pages 278‑279) :

Sympathia vel compassio plurimum potest in humanis rebus operari : Capias ergo usneam super caput hominis vel os mortuum, expositum aëri, concretam, videlicet eius unc. ij., Axungiæ humanæ unc. ij., Mumiæ, sanguinis humani ana unciam semis, Olei lini drach. ij., Olei rosarum, Boli Armeni ana unc. i. Omnia simul in mortario terantur tam diu, donec subtilissimum inde fiat unguentum, quod in capsulam reponas, ut cum vulnus aliquod oblatum fuerit, lignum in sanguine vulneris intingas, ut sanguinolentum fiat, quod exiccatum unguento suprascripto prorsum intrudatur, et in eo relinquatur. Postmodum vulnus mane singulis diebus recenti linea fascia, lotio proprio patientis madefacta ligetur, et sanabitur, quantumcunque magnum fuerit, absque aliquot emplastro, sineque dolore. Poteris ad hunc modum curare distantem à te miliaribus decem aut viginti cum sanguinem ejus habueris. Prodest etiam ad alios dolores : uti dentium, et quorumvis damnorum sanguinolentum lignum hoc in unguentum trusum, et in eo relictum. Item si clavo pes equi per ferrarium fabrum læsus fuerit, ligno sanguine tincto, et in capsulam truso vel in unguentum, ibidemque relicto curabitur.

[La sympathie, {a} ou communauté de sentiment, peut produire quantité d’effets avantageux aux hommes : prenez donc deux onces d’usnée qui s’est figée sur la tête ou sur le crâne d’un homme mort, qui est resté longtemps exposé à l’air ; {b} ajoutez-y deux onces de graisse humaine, du sang humain et du baume de momie, {c} une once et demi de chaque, deux drachmes d’huile de lin, de l’huile de roses et du bol d’Arménie, {d} une once de chaque ; broyez le tout dans un mortier jusqu’à obtenir un onguent très délié, que vous mettrez dans une cassette. Quand quelque blessure aura été infligée, trempez un bout de bois dans le sang qui coule de la plaie, de sorte qu’il en soit bien humecté ; une fois sec, plongez-le entièrement dans l’onguent susdit et laissez-le baigner dedans. Ensuite, renouvelez chaque matin le pansement du patient avec de la toile imprégnée de sa propre lotion et, si grande que soit sa plaie, elle guérira, sans besoin d’autre emplâtre et sans douleur. Pourvu que vous vous soyez procuré son sang, vous pourrez le soigner de cette façon, même à distance de dix ou vingt milles. L’onguent est aussi utile contre d’autres tourments, comme les maux de dents, en y plaçant un bout de bois imprégné du sang de n’importe quel condamné et en l’y laissant baigner ; de même, si le maréchal ferrant a blessé le pied d’un cheval avec un clou, la plaie guérira en trempant un bout de bois dans le sang de l’animal et en le mettant dans la cassette avec l’onguent].


  1. V. notes [4], lettre 188, et [3], lettre latine 195.

  2. L’usnée est une moisissure qui a l’apparence d’une mousse verdâtre. Le bienveillant Alexandrian (page 310) a vu dans cette horreur paracelsiste un « pressentiment obscur de la pénicilline ».

  3. V. note [9] de l’observation x.

  4. V. note [8], lettre 611.

La poudre sympathique des armées était un remède du même genre, fondé sur la correspondance ésotérique entre un mal et son remède, dont maints auteurs ont écrit, comme Nicolas Papin (v. note [36], lettre 405), Lorenz Strauss (v. note [7], lettre de Charles Spon, datée du 23 avril 1658) ou sir Kenelm Digby (v. note [19], lettre 237).

Le lecteur intéressé par tous ces sujets, aussi étranges que flous, peut consulter le :

Theatrum sympatheticum auctum, exhibens varios authores. De pulvere sympathetico quidem : Digbæum, Straussium, Papinium, et Mohyum. De unguento vero armario : Goclenium, Robertum, Helmontium, Robertum Fluddum, Beckerum, Borellum, Bartholinum, Servium, Kircherum, Matthæum, Sennertum, Wechtlerum, Nardium, Freitagium, Conringium, Burlinum, Fracastorium et Weckerum. Præmittitur his Sylvestri Rattray, aditus ad sympathiam et anti-pathiam. Editio novissima, correctior, auctior, multisque parasangis melior.

[L’Amphithéâtre sympathique augmenté, présentant les travaux de divers auteurs : certes Digby, {a} Strauss, {b} Papin, {c} Mohyus {d} sur la Poudre de sympathie ; mais aussi Goclenius, {e} Robertus, {f} Van Helmont, {g} Robert Fludd, {h} Becker, {i} Borellus, {j} Bartholin, {k} Servius, {l} Kircher, {m} Matthæus, {n} Sennert, {o} Wechtler, {p} Nardi, {q} Freitag, {r} Conring, {s} Burlinus, {t} Fracastor {u} et Wecker {v} sur l’Onguent hopliatrique. Avec au début, l’introduction de Sylvester Rattray {w} à la sympathie et à l’antipathie. Édition très nouvelle, plus correcte, augmentée et extrêmement améliorée]. {x}


  1. Kenelm Digby, v. note [19], lettre 237.

  2. Lorenz Strauss, v. note [7], lettre de Charles Spon datée du 23 avril 1658.

  3. Nicolas Papin, v. note [36], lettre 405.

  4. Ericius Mohyus (Henri Mohy), médecin liégeois, auteur d’un ouvrage intitulé Pulvis sympatheticus… [Poudre de sympathie…] (1654).

  5. Rodolphus Glocenius (Wittemberg 1572-1621), médecin paracelsiste, professeur de physique et mathématiques à Marbourg.

  6. Jean Roberti (1569-1651) jésuite français, principal antagoniste du calviniste Glocenius.

  7. Jan Baptist Van Helmont, v. note [11], lettre 121.

  8. V. note [15] du Patiniana I‑4.

  9. Daniel Becker (Dantzig 1594-1655), professeur de médecine à Königsberg.

  10. Pierre Borel, v. note [35], lettre 387.

  11. Thomas Bartholin, correspondant de Guy Patin.

  12. Petrus Servius, v. note [42], lettre 101.

  13. Le jésuite Athanasius Kircher, v. note [65] des Déboires de Carolus.

  14. Philippus Matthæus a correspondu avec Patin.

  15. Daniel Sennert, v. note [21], lettre 6.

  16. Johann Conrad Wechtler est un médecin allemand du xviie s.

  17. Giovanni Nardi, v. note [9], lettre 283.

  18. Johann Freitag, v. note [12], lettre latine 43.

  19. Hermann Conring a correspondu avec Patin.

  20. Jacobus Burlinus, v. note [1], lettre latine 184.

  21. Jérôme Fracastor, v. note [2], lettre 6.

  22. Johann Jakob Wecker, v. note [20], lettre 1033.

  23. Médecin écossais du xviie s.

  24. Nuremberg, héritiers de Johann Andreas Endter et Wolfgang le Jeune, 1662, in‑4o ; première édition, ibid. et id. 1660, in‑12.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Une thèse quodlibétaire de Guy Patin : « L’homme n’est que maladie » (1643), note 28.

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(Consulté le 11/10/2024)

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